Page 11 - Bible Ostervald 1744
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Discours préliminaire

Où l’on donne quelques instructions sur la lecture de l’Écriture Sainte

   I - Réflexions sur la lecture de l’Écriture Sainte.       On n’en donna plus de connaissance au peuple, on
   D’abord, on ne peut s’empêcher de déplorer la            conserva bien la coutume d’en lire quelque portion
négligence de tant de personnes qui ne lisent point         dans l’église, mais cette lecture, se faisant dans un
l’Écriture. On ne parlera pas ici de cette multitude in-    langage que le peuple n’entendait pas, elle était ab-
nombrable de chrétiens parmi lesquels la Bible est          solument inutile. Enfin, l’usage particulier de la pa-
un livre presque entièrement inconnu, leurs conduc-         role de Dieu cessa entièrement, en sorte que cette
teurs n’en permettant la lecture qu’à de certaines          divine lumière fut comme éteinte pendant plusieurs
personnes et avec de grandes précautions, comme             siècles. Il y a environ deux cents ans qu’elle fut tirée
s’il y avait du danger à mettre la parole de Dieu entre     de dessous le boisseau où elle avait été cachée si
les mains de tout le monde.                                 longtemps. Le peuple fut rétabli en divers lieux de la
                                                            chrétienté dans le droit de lire l’Écriture, mais la plu-
   Que cette lecture est fort négligée.                     part de ceux qui pourraient jouir de ce droit ne s’en
   Mais sans entrer dans ces considérations, on se          prévalaient pas.
contentera de dire que parmi ceux-là mêmes à qui
l’on recommande la lecture des livres saints, le plus          Les maux qui arrivent de cette négligence.
grand nombre ne s’y applique point. Il est vrai que            C’est de cette indifférence que l’on a pour la lec-
plusieurs ne sont pas en état de le faire, n’ayant pas      ture des livres sacrés que procède l’ignorance dans
appris à lire. C’est là un grand mal et il est honteux      laquelle le commun des chrétiens est engagé. C’est
aux chrétiens que le nombre de ceux qui ne savent           ce qui fait qu’ils n’ont que des connaissances fort
pas lire ait été jusqu’ici si grand parmi eux. On peut      superficielles des vérités et des devoirs du christia-
dire encore que bien des gens ne lisent pas la parole       nisme et que plusieurs en ont même des idées tout
de Dieu parce, qu’étant pauvres, ils ne peuvent se          à fait fausses. C’est là la source de tant d’erreurs
procurer ce divin livre. Ce serait à qui Dieu a donné       qui ont la vogue et de tant de sentiments libertins
le moyen d’y pourvoir, en en consacrant quelque par-        et impies qui se répandent de plus en plus, car dès
tie à un usage aussi pieux, que le serait celui de          qu’on laisse là l’Écriture, qui est l’unique règle de
fournir des Bibles à ces gens-là. On pourrait ajou-         notre foi, pour suivre ses propres raisonnements, on
ter qu’un grand nombre de domestiques et d’autres           ne peut manquer de s’égarer. C’est pour avoir aban-
personnes qui sont en service ne peuvent vaquer à           donné l’Écriture qu’on a vu en divers lieux des per-
cette lecture, qui leur serait pourtant si nécessaire,      sonnes qui se croient inspirées et parvenues au plus
parce que leurs maîtres ne leur en donnent pas le           haut degré de la perfection tomber dans les senti-
temps. Mais on ne saurait assez condamner tant de           ments les plus extravagants et même quelques fois
chrétiens qui sont en état de lire la parole de Dieu et     les plus contraires à la pureté des mœurs. C’est en-
qui ne daignent pas le faire.                               fin, à cette même cause que l’on doit attribuer le relâ-
                                                            chement et la vie toute charnelle et toute mondaine
   Que cette négligence est très condamnable.               des chrétiens. Tout cela vient de ce qu’on ne lit pas
   Dieu par un effet de sa profonde sagesse et de sa        l’Écriture Sainte et qu’on n’en fait pas l’usage pour
grande bonté a fourni aux hommes un moyen très              laquelle elle nous a été donnée.
parfait de s’instruire : c’est la révélation. Il a inspiré     Il est vrai qu’on pourrait suppléer en quelque ma-
les prophètes et les apôtres et il a voulu que leurs        nière à cette négligence des chrétiens en faisant lire
écrits fussent conservés, afin que la vérité y subsis-       la parole de Dieu dans les assemblées religieuses.
tât toujours dans toute sa pureté et qu’elle ne fût         Et si l’on s’étonne de ce que le peuple ne la lit pas,
pas altérée par l’oubli, par l’inconstance, par la né-      il y a encore plus de sujets de s’étonner que pen-
gligence et par la malice des hommes. Ainsi, l’Écri-        dant si longtemps on n’ait pas pensé à rendre à la
ture est le don le plus précieux que Dieu nous ait          lecture des livres saints le rang qu’elle a toujours
fait avec celui de son Fils. C’est un trésor où il a mis    tenu dans le culte public, tant parmi les Juifs, que
tout ce qui peut nous enrichir et nous rendre heu-          parmi les chrétiens. Mais quand même l’Écriture se-
reux. Ne faut-il pas faire bien peu d’estime de Dieu        rait lue régulièrement dans l’église, cela ne suffirait
et de ses dons, pour ne pas se prévaloir de celui-ci ?      pas, à moins que les chrétiens ne la lussent aussi
Et ne faut-il pas être bien présomptueux pour s’ima-        dans leurs maisons. Les déclarations formelles de
giner qu’on peut se passer d’un secours que Dieu            la parole de Dieu, la pratique de l’église, tant sous le
lui-même a jugé si nécessaire ?                             Vieux que sous le Nouveau Testament et plusieurs
   Les premiers chrétiens faisaient un usage ordi-          raisons, que ce n’est pas ici le lieu de rapporter,
naire de l’Écriture Sainte et comme elle était lue          établissent cette nécessité. La lecture particulière
régulièrement dans leurs assemblées, ils la lisaient        a même des avantages que la lecture publique n’a
aussi avec beaucoup d’assiduité dans leurs familles.        pas. En lisant en particulier on peut lire plus à loisir,
Mais dans la suite, à mesure que l’ignorance et la su-      considérer les choses avec plus d’attention, y reve-
perstition s’introduisaient, on abandonna l’Écriture.       nir plus d’une fois et s’en faire une juste application.
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