Page 574 - Dictionnaire de la Bible de J.A. Bost 1849 - 2014

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tes filles.» Mais Laban réclame encore de petits dieux qu'il dit lui avoir été enlevés, et comme ils ne se
retrouvent pas, Jacob lui reproche avec beaucoup d'amertume et d'éloquence toutes les injustices de sa
vie passée et ses soupçons présents que rien ne semble justifier; car Jacob ignorait que Rachel eût dérobé
ces dieux. Après de longues contestations dans lesquelles l'avantage reste à Jacob, les deux parents qui
vont se séparer pour toujours se réconcilient; une alliance est conclue, un monument s'élève, qui prend le
nom de Gal-Hed, un sacrifice est offert, et un repas donné par Jacob achève de cimenter la paix et l'oubli
du passé. Laban s'en retourne et Jacob s'apprête à pénétrer dans ce pays où il espère de retrouver son
père, où il craint de rencontrer le frère qu'il a dépouillé. Comme il est agité de diverses pensées, de
souvenirs pénibles, d'incertitudes et d'angoisses, une première vision le rassure, les anges de Dieu
viennent au-devant de lui comme pour le saluer, et il nomme ce lieu, en souvenir de cet événement,
Mahanajim, c'est-à-dire le camp de Dieu. Mais il apprend l'approche d'Ésaü, suivi de 400 hommes;
méfiant et rancunier, il suppose au généreux Ésaü plus de rancune que celui-ci n'est capable d'en
conserver; il prend ses précautions; il partage ses troupeaux en deux bandes qu'il envoie en deux
directions différentes, afin que si l'une pérît, l'autre puisse être sauvée; puis, pour essayer de les mettre à
l'abri l'une et l'autre, il met à part pour son frère un présent considérable de chèvres, de brebis, de
chameaux, de vaches et d'ânesses, et confie ces cinq troupeaux à cinq de ses serviteurs qu'il espace de
manière qu'Ésaü ne les rencontre que successivement, et soit peu à peu disposé d'une manière favorable à
lui pardonner. Cette combinaison étant achevée, Jacob envoie au-delà du Jabbok tout ce qui
l'accompagnait, famille et troupeaux, et il reste seul sur la rive de l'exil, pour faire peut-être le compte de
ses voies, et réfléchir aux diverses dispensations providentielles dont il avait été l'objet pendant une vie
de près d'un siècle (98 ans). Sa vie avait été une lutte continuelle contre Dieu et les hommes; il avait lutté
dès le sein de sa mère pour supplanter son frère, et il avait fini par être le maître. Pendant qu'il était là,
plongé dans ces pensées dont ceux qui ont quelque peu vécu sont bien à même de comprendre la nature
et peut-être la tristesse, un homme lutta avec lui toute la nuit, jusqu'au lever du soleil, lutte miraculeuse,
mystérieuse, unique. On voudrait pouvoir croire à une lutte toute morale et spirituelle, tant l'idée d'un
combat corps à corps d'un homme avec Dieu répugne à notre intelligence; mais le récit de l'historien sacré
est si exact, si complet, si précis, qu'on est obligé de reconnaître qu'il y a eu lutte matérielle et physique
entre ces deux personnes, quoiqu'il s'y joignît aussi en même temps une lutte morale qui devait aboutir à
un triomphe plus élevé. La hanche démise fut pour Jacob une défaite et une humiliation; il avait été
vaincu et devait se le rappeler à toujours: mais ce trophée de défaite était en même temps pour lui un
trophée de victoire, et lui rappelait que ce qu'il avait recherché dans la lutte il l'avait obtenu, la
bénédiction de son adversaire. Il pleura et il demanda grâce, dit Osée 12:5, et il fut le plus fort en luttant
avec Dieu, car cet adversaire était en effet l'Éternel lui-même. Jacob reçut alors le nom d'Israël qui
consacrait son triomphe, et il nomma ce lieu Péniel, parce que, dit-il, j'ai vu Dieu face à face. Il aurait
voulu connaître le nom de son adversaire, mais ce sont là de ces choses qui n'ont point de nom au
terrestre séjour. L'homme ne peut nommer que les êtres qui ont quelque rapport avec lui, qui sont finis en
gloire, en durée, en étendue. Ce moyen de reconnaître ce qui appartient à la terre et qui fut donné à
l'homme dès la création ne peut s'appliquer au}; êtres infinis; le Dieu de Moïse est celui qui est, le Dieu de
Manoah est l'admirable, mais il ne se nomme pas. L'idolâtrie d'ailleurs aime à rendre son culte à ce qui a
un nom, et Jéhovah ne voulait pas être assimilé à Bahal; le paganisme seul a des noms pour ses milliers de
dieux et de saints.
Au matin Jacob passe le gué et rejoint sa famille; mais déjà Ésaü s'approche, et Jacob, par un surcroît de
précautions, divise les enfants en trois bandes, en tête les deux servantes avec leurs enfants, puis Léa avec
les siens, et enfin Rachel avec Joseph. Mais toutes ces mesures stratégiques devaient être inutiles; la
prudence n'est bonne que contre des adversaires, et Ésaü s'avançait en frère, en ami; tout était oublié,
excepté l'affection fraternelle, et dès qu'il voit Jacob il se jette à son cou et l'embrasse en fondant en
larmes, pendant que Jacob voulait se prosterner devant lui. Ésaü fait la connaissance de ses belles-sœurs
et de ses neveux, et n'accepte que sur les instantes prières de Jacob les présents que celui-ci lui a destinés;
puis les deux frères se séparent après que Jacob eut promis à Ésaü de l'aller voir dans ses montagnes de
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