par lesquels l'homme pécheur et insensé altère l'ordre divin des choses et les dons de la Providence, et ils
déclaraient vanité l'œuvre de Dieu aussi bien que l'humaine folie. Rougemont)... Je recommande cet écrit,
continue Luther, à tous les chrétiens pieux... L'Ecclésiaste est un livre tout particulièrement utile aux rois,
princes et seigneurs, à leurs conseillers et à tous ceux qui sont dans le gouvernement, ainsi qu'à ceux qui
ont femme et enfants à élever... On pourrait encore nommer ce livre l'écrit de Salomon sur les Églises et
les écoles, etc.»
M. de Rougemont, dans son Explication de l'Ecclésiaste, a fait un rapprochement très remarquable entre
ce livre et les écrivains profanes. Nous en reproduirons ici la première partie (la seconde est une analyse
du poème de Pétrarque intitulé les Triomphes):
«L'Ecclésiaste, dans sa triple recherche du bonheur terrestre, passe par les états de l'âme les plus divers, et
il expose ainsi les bases de tous les systèmes principaux de morale.
Il commence et finit, comme Héraclite, par considérer toutes choses sous le jour le plus sombre. Mais
dans le cours de ses recherches il lui vient plusieurs fois à l'esprit que la vraie sagesse pourrait bien être
d'être toujours gai et joyeux, 9:7-9; 3:22; sq..
On a dit avec raison que Faust et Don Juan résumaient l'humanité pécheresse et inconvertie. Le premier
se perd par les jouissances intellectuelles, le second par les plaisirs des sens. L'Ecclésiaste a dit avec Faust:
«J'appliquerai mon cœur à savoir;» et avec Don Juan:
«Allons, mon cœur, que je t'éprouve par la joie, et jouis du bien», 1:16-18; 2:1-2. Six siècles avant Aristippe
et Épicure, l'Ecclésiaste, fils de David, érigeait en système et mettait en pratique la morale du plaisir allié
à la vertu, chapitre 3. Mais bientôt le voilà qui s'écrie, à la vue du sage qui meurt comme l'insensé: C'est
pourquoi j'ai haï la vie j'ai haï tout mon travail... j'ai désespéré de tout; et ces accents d'une insondable
tristesse traversent tous les siècles sans être répétés par un seul écrivain, jusqu'au jour où le plus grand
poète de la France actuelle dit à son tour:
Mais quand ces biens que l'on envie
Déborderaient dans un seul cœur,
La mort, au terme de la vie,
Fait un supplice du bonheur.
Voilà pourquoi mon âme est lasse
Du vide affreux qui la remplit
(LAMARTINE, Harm., III, 9)
À peine l'Ecclésiaste a-t-il fait taire sur ses lèvres le murmure du désespoir, à peine a-t-il entrevu un éclair
de bonheur, 2:24, qu'il se transforme sous nos regards en un dur stoïcien qui ne demande la joie qu'à la
vertu, et qui baisse, en résistant, la tête sous le joug d'une immuable et insensible fatalité, qui lui distribue
la souffrance et le plaisir sans lui permettre même de la fléchir par la prière, 3:14.
Mais bientôt il tombe plus bas encore; la vue des désordres de la société lui inspire la plus ancienne
profession de scepticisme qui se lise dans les fastes de l'histoire, et, jusqu'aux encyclopédistes du siècle
passé, personne ne niera l'immortalité de l'âme en termes aussi rudes et durs, 3:18-22. (Notons toutefois
que l'Ecclésiaste ne met nulle part en doute l'existence de Dieu. La démence seule peut dire: Il n'y a point
de Dieu, Psaumes 53:1, et le sage n'aurait plus mérité ce nom s'il eût mis en doute la plus incontestable de
toutes les réalités.)
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