Page 1059 - Dictionnaire de la Bible J.A. Bost

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s'expliquent l'un l'autre par l'opposition de leurs caractères. Le premier est un homme pratique dont la
vie agitée est pleine de faits intéressants; Le second est un homme théorique, et ses jours s'écoulent
uniformes et tranquilles en un temps de paix. Le premier a la conscience très délicate et le cœur droit et
sincère, il sent vivement et ses péchés et les grâces que Dieu lui a faites, et il exprime avec une extrême
vérité toutes ses impressions personnelles; le second a plus d'intelligence que de sens moral, il généralise
ses expériences intimes, et trouve une vérité et une sentence où son père n'aurait vu qu'un sentiment
individuel. David parle dans ses Psaumes au nom de tous les fidèles et même du Messie, parce qu'il est
par son cœur intimement lié au grand corps de l'Église; Salomon reste plus en dehors de cette sainte
communauté, et lui apporte bien moins son cœur que ses écrits, où il a consigné des vérités générales. La
foi et la sainteté sont le tout de David; Salomon est en outre savant, philosophe, poète, il est le seul artiste
et le seul littérateur du peuple hébreu. David possède les choses seules nécessaires et concentre sur elles
toute son âme; Salomon embrasse par sa pensée une sphère beaucoup plus vaste, il aime tout ce qui est
profond, sublime, mystérieux, grandiose. Ce contraste entre David et son fils se reproduit fréquemment
dans l'histoire; un prince d'un génie excentrique remplace sur le trône son père, homme pratique et sage;
à Philippe de Macédoine succède Alexandre le Grand; à Pépin, Charles le Grand; à Henri l'Oiseleur,
Otton le Grand; à Louis XIII, Louis le Grand.
«La Bible nous donne elle-même la clef du caractère de Salomon, comme elle le fait au reste pour la
plupart de ses principaux personnages. Hénoch (ou Énoch) marchait avec Dieu, Genèse 5:22, nous dit-
elle; Élie se tenait devant le Seigneur, 1 Rois 17:1; Abraham croyait en l'Éternel, Genèse 15, Romains 4:3;
David était un homme selon le cœur de Dieu, Actes 13:22; le cœur d'Assa était droit devant l'Éternel, 1
Rois 15:14. De Salomon, que l'Éternel aima dès son enfance, 2 Samuel 12:24-25, il est dit qu'il aimait
l'Éternel, 1 Rois 3:3; nul autre homme n'a reçu dans l'Ancien Testament un semblable témoignage.
Salomon se place près de saint Jean, comme David près de saint Paul. Saint Jean est le représentant de la
vraie mystique chrétienne, et les notions de la vie, de l'amour et de la parole occupent chez lui une place
beaucoup plus grande que chez les autres auteurs du Nouveau Testament. Ainsi Salomon donne au mot
de vie (ζωή) le même sens profond que l'Apôtre; il a, le premier, exposé les relations de l'âme avec Dieu
sous celles de l'épouse avec son époux, et c'est lui qui, seul d'entre tous les écrivains de l'Ancienne
Alliance, nous parle de la sagesse qui est de toute éternité auprès de Dieu.
Mais Salomon ne fut pas dans sa vie tout ce qu'il est dans ses écrits inspirés, et nous ne devons pas
entendre par cet amour qu'il avait pour Dieu dès le commencement de son règne, celui qui s'appuie sur
l'expérience du pardon et du salut, et qui procède tout entier de l'esprit de Dieu, Psaumes 116; 18:1. Il y
avait certainement dans ce sentiment de Salomon un élément naturel et terrestre, et nous le compterions
parmi ces âmes qu'un penchant inné entraîne vers les choses invisibles, et qui, si Dieu ne les garde, se
précipitent dans ce faux mysticisme qui est de toutes les contrées et de tous les siècles. Salomon aura été
préservé de cet écueil par le caractère éminemment pratique et positif de la religion mosaïque et du
peuple hébreu, et par l'éducation pieuse qu'enfant, il avait reçue de son père et de sa mère, Proverbes 4:3.
Mais le fanatisme n'est point l'unique écueil contre lequel viennent se briser ces âmes exaltées; elles
doivent se tenir en garde de la volupté autant que de l'exaltation; et Salomon, dans sa longue prospérité,
se laissa séduire par ses femmes, auxquelles il s'était attaché avec passion, 1 Rois 11:2; l'amour terrestre
lui fit oublier l'amour divin et le plongea dans l'idolâtrie...
Aimer Dieu, c'est le connaître, et la science religieuse est sœur de l'amour divin; dans l'histoire des
religions, les mystiques donnent la main aux gnostiques. Ainsi, Salomon pénètre plus avant que ne l'a fait
aucun autre Israélite, dans les mystères divins, et Dieu lui accorde de nouvelles révélations qu'il nous a
laissées par écrit. Ses regards d'aigle ont entrevu, comme à travers un voile épais, le Dieu un et triple, qui
a laissé pénétrer dans son âme un rayon de sa gloire, Proverbes 8. Les scènes énigmatiques d'Éden ont
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