4.
Mais l'industrie et le commerce amenèrent le luxe à leur suite, avec le luxe la pauvreté, et des
germes de mécontentement: le peuple, destiné à la culture de la terre, voulut imiter la pompe de la cour et
du culte; la simplicité des moeurs avait disparu, l'orgueil avait pris sa place, et les murmures de la nation
ne furent étouffés que par la grandeur et la puissance d'un roi qui n'avait rien à redouter: à sa mort ils
éclatèrent, et les successeurs de Salomon durent comprendre que la sagesse dans l'obéissance eût mieux
valu que la simple science de la royauté. Le grand commerce de Salomon ne fut que le prélude de ses
autres infidélités, et le commencement de la fin.
5.
On a beaucoup discuté, et même plaisanté, à propos des immenses richesses de Salomon, et
vraiment il n'en valait pas la peine. Dieu lui avait promis les richesses, il les lui a données par les voies les
plus naturelles. Les guerres victorieuses de David avaient rapporté au trésor de riches butins; d'immenses
contrées tributaires apportaient chaque année leur offrande à Jérusalem; Israël en paix fécondait ses
champs et ses montagnes; aucun fléau, ni guerre, ni armée, ni sécheresse, ni famine, ne forçait une année
à nourrir l'année suivante, et chacun jouissait en plein de son revenu du moment; tous les bras étaient
occupés; les travaux étant nombreux, le salaire était suffisant, les vivres étaient à la portée de tous, et il
n'en faudrait pas davantage à nos nations modernes pour qu'elles s'estimassent heureuses et prospères.
Or Salomon avait davantage encore; et le commerce qui fit seul la richesse de l'Espagne et du Portugal il y
a quelques siècles, le commerce qui place l'Angleterre et les États-Unis à la tête des peuples modernes, le
commerce vint faire regorger de ses riches produits les coffres déjà pleins de Jérusalem. Toutes ces causes
de prospérité font paraître, non point ordinaire sans doute, mais bien naturel, un état de choses qui paraît
au premier abord presque merveilleux, et la seule chose dont on s'étonne, c'est qu'on ait pu être étonné de
cet assemblage de richesses dont l'absence seule, en d'aussi propices circonstances, aurait le droit de
surprendre. Ajoutons, et ce sera peut-être une restriction, que c'est le roi et non point le royaume qui
profitait directement de ces richesses; les sujets n'en subissaient, que l'heureux contre-coup, leur
abondance n'était que le reflet de la prospérité du monarque. Salomon avait le bénéfice de tous les
transits, le monopole de tous les commerces; rien ne se faisait qu'en régie, et l'Orient ancien n'est à cet
égard encore que le frère aîné de l'Orient moderne, où la cour est plus que l'État. La liste civile en
provisions de bouche pour chaque jour était considérable, 1 Rois 4:22, et douze commissaires, établis sur
autant de districts, avaient tour-à-tour à pourvoir aux besoins de la table royale; la vaisselle d'or abondait,
et absorbait une partie des capitaux nationaux; le vestiaire ne le cédait en rien en magnificence aux
splendeurs de la table et à la richesse des appartements et du trône; un sérail, composé en grande partie
de femmes étrangères, représentait au sein de l'État un État privilégié qui dépensait sans rien produire.
Le peuple, de son côté, contribuait à donner de l'éclat au trône, et s'il en recevait quelque bien, il lui
donnait cependant davantage; les impôts et les corvées fournissaient à bien des besoins, mais
n'enrichissaient que le roi; le peuple était épuisé, 1 Chroniques 29:6, et il finit par le montrer.
— S'il restait encore des doutes sur les énormes richesses dont pouvait disposer le fils de David, ils
devront céder devant une considération qui n'est pas une preuve, et qui peut être davantage: ces richesses
sont de notoriété publique; Salomon a laissé dans tout l'Orient la réputation du plus riche des rois, et des
réputations de ce genre ne s'usurpent jamais.
6.
On verra, à l'article Temple, ce qu'il y a à dire sur le matériel de cette construction. Bornons-nous
pour le moment à une observation. Le temple qui dans l'idée de David devait être un hommage de plus
rendu à l'Éternel, qui pour Salomon était tout à la fois un acte de piété et un acte de splendeur, n'a pas
rendu de grands services à la religion; il l'a plus centralisée, il l'a rendue encore plus nationale qu'elle
n'était auparavant, mais il l'a matérialisée, fixée, figée; il en a fait un opus operatum; on a rendu À ses
ornements plus d'honneur qu'à la simplicité du tabernacle du désert, et plusieurs se sont fiés sur des
paroles trompeuses, en disant: C'est ici le temple de l'Éternel, le temple de l'Éternel, le temple de l'Éternel!
Jérémie 7:4. Il semble que le judaïsme déjà, et par les deux plus grands de ses rois, ait dû protester contre
le culte des formes. Les Juifs avançaient assez lentement dans les voies de la piété, retenus qu'ils étaient
par la pesanteur de leur sensualisme, sans qu'il fût nécessaire de les rattacher encore à la matière, et ce
que Salomon fit pour l'extérieur du culte, il le fit au détriment du culte intérieur; il ne fut pas le dernier à
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