Page 172 - LES DEUX BABYLONES

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travers le feuillage, et dansaient dans le lointain. Comme je contemplais ce
spectacle extraordinaire, le bourdonnement des voix humaines cessa tout à coup
et un chant s'éleva de la vallée, grave et mélancolique, il ressemblait à un chant
majestueux que j'avais admiré il y a bien des années dans la cathédrale d'un
pays éloigné. Jamais je n'ai entendu en Orient une musique si douce et si
émouvante. Les voix des hommes et des femmes se mêlaient harmonieusement
aux douces notes des flûtes. À des intervalles réguliers le chant était interrompu
par le bruit éclatant des cymbales et des tambourins, et ceux qui étaient dans
l'intérieur des tombeaux se joignaient à cette mélodie. Les tambourins frappés en
cadence interrompaient seuls par intervalle, le chant des prêtres. Leurs coups
devenaient de plus en plus fréquents. Au chant succéda graduellement une
mélodie enjouée, qui augmentant de mesure, se perdit enfin dans une confusion
de sons. Les tambourins étaient frappés avec une énergie extraordinaire ; les
flûtes jetaient un flot rapide de notes, les voix montaient au diapason le plus
élevé ; les hommes du dehors s'unissaient à ces clameurs, tandis que les femmes
faisaient résonner les rochers de leur cri perçant : Tahlehl ! Les musiciens, se
laissant aller à leur entraînement, jetèrent leurs instruments en l'air, et se
livrèrent à mille contorsions jusqu'à ce qu'épuisés, ils tombèrent sur le sol.
Jamais je n'ai entendu un hurlement plus épouvantable que celui qui s'éleva dans
la vallée. Il était minuit. Je regardais avec stupéfaction l'étrange spectacle qui
m'entourait. C'est ainsi sans doute qu'on célébrait, il y a bien des siècles, les
rites mystérieux des Corybantes, lorsqu'ils s'assemblaient dans un jardin
consacré
"
– Layard ne dit pas à quelle époque de l'année avait lieu cette
fête, mais son langage laisse peu douter qu'il ne la regardât comme une fête de
Bacchus, en d'autres termes, du Messie Babylonien dont la mort tragique et le
relèvement glorieux formaient le fondement de l'ancien paganisme. La fête était
ouvertement observée en l'honneur du Cheikh Shems ou le soleil, et du Cheikh
Adi ou le prince d'éternité ; c'est autour de sa tombe néanmoins que se faisait la
solennité, comme la fête des lampes en Égypte en l'honneur du dieu Osiris se
célébrait à Sais autour de la tombe de ce dieu.
Le lecteur a certainement remarqué que dans cette fête des Yezidis les hommes,
les femmes et les enfants étaient purifiés en se mettant en contact avec l'élément