LIVRE 2
I
1
Dans le cours du premier livre, très honoré Épaphrodite, j'ai fait voir la vérité
sur l'antiquité de notre race, m'appuyant sur les écrits des Phéniciens, des
Chaldéens et des Égyptiens, et citant comme témoins de nombreux historiens
grecs ; j'ai, en outre, soutenu la controverse contre Manéthôs, Chœrémon
et quelques autres. 2 Je
vais commencer maintenant à réfuter le reste des auteurs qui ont écrit contre
nous. Pourtant je me suis près à douter s'il valait la peine de combattre le
grammairien Apion ; 3
car dans ses écrits, tantôt il répète les mêmes allégations que ses prédécesseurs,
tantôt il ajoute de très froides inventions ; le plus souvent ses propos
sont purement bouffons et, à dire vrai, témoignent d'une profonde ignorance,
comme émanant d'un homme au caractère bas et qui toute sa vie fut un bateleur.
4 Mais puisque la plupart des hommes sont assez insensés
pour se laisser prendre par de tels discours plutôt que par les écrits sérieux,
entendent les injures avec plaisir et les louanges avec impatience, j'ai cru nécessaire
de ne point laisser sans examen même cet auteur, qui a écrit contre nous un réquisitoire
formel comme dans un procès. 5 D'ailleurs, la plupart des hommes, je le vois, ont
aussi l'habitude de se réjouir fort quand celui qui a commencé par calomnier
autrui se voit lui-même convaincu de son ignominie. 6 Il n'est pas facile d'exposer son argumentation ni de
savoir clairement ce qu'il veut dire. Mais on distingue à peu près, dans le
grand désordre et la confusion de ses mensonges, que les uns rentrent dans le même
ordre d'idées que les récits examinés plus haut sur la façon dont nos ancêtres
sortirent d'Égypte, que les autres constituent une accusation contre les Juifs
résidant à Alexandrie ; 7
en troisième lieu, il mêle à ces assertions des calomnies contre les cérémonies
de notre temple et le reste de nos lois.
II
9
Que nos pères n'étaient point de race égyptienne, qu'ils ne furent chassés
d'Égypte ni en raison de maladies contagieuses, ni pour d'autres infirmités de
ce genre, je crois en avoir donné plus haut des preuves, non seulement
suffisantes, mais encore surabondantes. Je vais mentionner brièvement les allégations
ajoutées par Apion. 10 Il
s'exprime ainsi dans le troisième livre de son Histoire d'Égypte: « Moïse,
comme je l'ai entendu dire aux vieillards parmi les Égyptiens, était d'Héliopolis ;
assujetti aux coutumes de sa patrie, il installa des lieux de prières en plein
air, dans des enceintes telles qu'en avait la ville et les orienta tous vers
l'est ;
car telle est aussi l'orientation d'Héliopolis. Au lieu d'obélisques, il
dressa des colonnes sous lesquelles était sculptée une barque; l'ombre projetée
par une statue sur la barque y décrivait un cercle correspondant à celui du
soleil dans l'espace. »
12
Telle est l'étonnante assertion de ce grammairien. Ce mensonge n'a pas besoin
de commentaire.; les faits le mettent en pleine évidence. En effet, ni Moïse
lui-même, quand il éleva à Dieu le premier tabernacle, n'y a placé aucune
sculpture de ce genre ou n’a recommandé à ses successeurs de le faire ;
ni Salomon, qui dans la suite construisit le temple de Jérusalem, ne s'est
permis aucune oeuvre superflue comme celle qu'a imaginée Apion. 13 D'autre part, il dit avoir appris « des vieillards »
que Moïse était Héliopolitain : c'est sans doute qu'étant plus jeune
lui-même, il a cru des hommes qui, en raison de leur age, avaient dû connaître
Moïse et vivre de son temps. 14
Du poète Homère, lui grammairien, il ne peut nommer la patrie avec certitude,
ni celle de Pythagore, qui a vécu, peu s'en faut, hier et avant-hier.
Mais sur Moïse, qui les précède de tant d'années, il se montre si crédule
aux récits des vieillards que son mensonge en devient manifeste. 15
Sur l'époque où, selon lui, Moïse emmena les lépreux, les aveugles et les
boiteux, l'accord est parfait, j'imagine, entre les écrivains antérieurs et
cet exact grammairien. 16
En effet, selon Manéthôs, c'est sous le règne de Tethmôsis que les Juifs
furent chassés d’Égypte, 393 ans avant la fuite de Danaos à Argos ;
selon Lysimaque, c'est sous le roi Bocchoris, c'est-à-dire il y a 1.700 ans ;
Molon et d'autres donnent la date à leur fantaisie. 17
Mais Apion, le plus sûr de tous, a fixé la sortie d’Égypte exactement à la
VIIe olympiade et à la première année de cette olympiade, année,
dit-il, où les Phéniciens fondèrent Carthage. Il a ajouté de toutes pièces
cette mention de Carthage dans la pensée qu'elle était un témoignage éclatant
de sa véracité. Mais il n'a pas compris que par là il s'attire un démenti. 18
En effet, s'il faut, sur cette colonie, croire les annales phéniciennes, il y
est écrit que le roi Hirôm vécut cent cinquante-cinq ans avant la fondation
de Carthage ;
19 j'en ai fourni les
preuves plus haut d'après les annales phéniciennes, montrant que Hirôm était
l'ami de Salomon qui éleva le temple de Jérusalem, et qu'il contribua pour une
grande part à la construction de cet édifice.
Or, Salomon lui-même bâtit le temple six cent douze ans après que les Juifs
furent sortis d'Égypte.
20 Après avoir donné
à la légère, pour le nombre des expulsés, la même évaluation que Lysimaque
- il prétend qu'ils étaient cent dix mille - Apion indique une cause
extraordinaire et bien vraisemblable qui explique, d'après lui, le nom du
sabbat. 21 « Ayant
marché, dit-il, pendant six jours, ils eurent des tumeurs à l'aine et, pour
cette raison, ils instituèrent de se reposer le septième jour, une fois arrivés
sains et saufs dans le pays nommé aujourd'hui Judée, et ils appelèrent ce
jour sabbat, conservant le terme égyptien. Car le mal d'aine se dit en Égypte sabbô. »
22 Comment ne pas rire de cette niaiserie, ou, au
contraire, comment ne pas s'indigner de l'impudence qui fait écrire de
pareilles choses ? Apparemment tous ces cent dix mille hommes avaient des
tumeurs à l'aine ? 23
Mais s'ils étaient aveugles, boiteux et atteints de toutes les maladies, comme
le prétend Apion, ils n'auraient pas pu fournir même une marche d'un seul
jour. Et s'ils ont été capables de traverser un vaste désert, et de vaincre,
en combattant tous, les ennemis qui se dressaient devant eux, ils n'auraient pas
été en masse atteints de tumeurs à l'aine après le sixième jour. 24 Car cette maladie n'atteint point naturellement ceux
qui marchent par force: des myriades d'hommes, dans les armées, font pendant de
longs jours de suite les étapes convenables ; et, d'autre part, comment
croire que cette maladie leur soit venue toute seule ? ce serait l'hypothèse la
plus absurde de toutes. 25
L'étonnant Apion, après avoir commencé par dite qu'ils mirent Six jours à
parvenir en Judée,
raconte ensuite que Moïse gravit la monta8ne nommée Sinaï, située entre l'Égypte
et l'Arabie, y resta caché quarante jours et en descendit pour donner les lois
aux Juifs. Cependant, comment se peut-il que les mêmes hommes restent quarante
jours dans le désert sans eau, et aient traversé tout l'espace (entre les deux
pays) en six jours ? 26
Quant au nom du Sabbat, le changement grammatical qu'il opère dénote beaucoup
d'impudence ou une profonde ignorance ; car sabbô et sabbaton sont très
différents. 27 En effet, sabbaton,
dans la langue des Juifs, désigne la cessation de tout travail, et sabbô signifie chez les Égyptiens, comme il le dit, le mal d'aine.
III
28
Voilà sur Moïse et les Juifs chassés d'Égypte les nouveautés imaginées
par l'Égyptien Apion, en contradiction avec les autres auteurs. Faut-il
d'ailleurs s'étonner qu'il mente sur nos aïeux et dise qu'ils étaient Égyptiens
de race ? 29 Car lui-même
a fait sur son propre compte le mensonge inverse: né dans l'oasis d'Égypte, et
plus Égyptien qu'aucun autre,
pourrait-on dire, il a renié sa vraie patrie et sa race, et, quand il se donne
faussement comme Alexandrin, il avoue l'ignominie de sa race. 30
Il est donc naturel qu'il appelle Egyptiens les gens qu'il déteste et veut
insulter. En effet, s'il n'avait pas eu le plus grand mépris pour les Égyptiens,
il ne se serait pas évadé lui-même de cette race: les hommes fiers de leur
patrie se flattent d'en être appelés citoyens et attaquent ceux qui s'arrogent
sans droit ce titre. 31 A
notre égard les Égyptiens ont l'un de ces deux sentiments : ou ils
imaginent une parenté avec nous pour en tirer gloire, ou ils nous attirent à
eux pour nous raire partager leur mauvaise réputation. 32
Quant au noble Apion, il semble vouloir par ses calomnies contre nous payer aux
Alexandrins le droit de cité qu'il a reçu d'eux, et, connaissant leur haine
pour les Juifs qui habitent Alexandrie avec eux, il s'est proposé d'injurier
ceux-là, et d'envelopper dans ses invectives tous les autres Juifs, mentant
avec impudence sur les uns et les autres.
IV
33
Voyons donc quelles sont les graves et terribles accusations qu'il a dirigées
contre les Juifs habitant Alexandrie. « Venus de Syrie, dit-il, ils s'établirent
auprès d'une mer sans ports, dans le voisinage des épaves rejetées par les
flots ». 34 Or, Si le
lieu mérite une injure, elle retombe je ne dis pas sur la patrie, mais sur la
prétendue patrie d'Apion, Alexandrie. Car le quartier maritime fait également
partie de cette ville et, de l'aveu général, c'est le plus beau pour une résidence.
35 Et je ne sais ce
qu'aurait dit Apion si les Juifs avaient habité près de la nécropole au lieu
de s'établir près du palais.
36 Si les Juifs ont occupé
ce quartier de force, sans jamais en avoir été chassés dans la suite, c'est
une preuve de leur vaillance. Mais, en réalité, ils le reçurent d'Alexandre
comme résidence ;
chez les Macédoniens, ils obtinrent la même considération qu'eux-mêmes, et,
jusqu'à nos jours, leur tribu
à porté le nom de Macédoniens. 37
S'il a lu les lettres du roi Alexandre et de Ptolémée, fils de Lagos, si les
ordonnances des rois d'Égypte suivants lui sont tombées sous les yeux, ainsi
que la stèle qui s'élève à Alexandrie, contenant les droits accordés aux
Juifs par César le Grand, si, dis-je, connaissant ces documents il a osé écrire
le contraire, il fut un malhonnête homme ; s'il ne les connaissait pas, un
ignorant. 38
Et quand il s'étonne qu'étant Juifs ils aient été appelés Alexandrins,
il fait preuve de la même ignorance. En effet, tous les hommes appelés dans
une colonie, si diverses que soient leurs races, reçoivent leur nom du
fondateur. 39 A quoi bon
citer les autres peuples ? Les hommes de notre propre race qui habitent Antioche
s'appellent Antiochiens ; car le droit de cité leur fut donné par son
fondateur Séleucus.
De même les Juifs d'Ephèse et au reste de l'Ionie ont le même nom que les
citoyens indigènes, droit qu'ils ont reçu des successeurs d'Alexandre.
40 Les Romains, dans leur
générosité, n'ont-ils pas partagé leur nom avec tous les hommes, ou peu
s’en faut, non seulement avec des individus, mais avec de grands peuples tout
entiers ? Par exemple les Ibères d'autrefois, les Etrusques, les Sabins sont
appelés Romains. 41
Mais si Apion supprime ce genre de droit de cité, qu'il cesse de se dire
Alexandrin. Car né, ainsi que je l'ai déjà dit, au plus profond de l'Égypte,
comment serait-il Alexandrin si l'on supprimait le don du droit de cité, comme
lui-même le demande pour nous ? Pourtant les Égyptiens seuls se voient refuser
par les Romains, maîtres aujourd'hui de l'univers, le droit d'être reçus dans
aucune cité.
42 Mais Apion a le coeur
si noble que, voulant prendre sa part d'un bien dont il était écarté, il a
entrepris de calomnier ceux qui l'ont reçu à bon droit. Car ce n'est pas faute
d'habitants pour peupler la ville fondée par lui avec tant de zèle
qu'Alexandre y a réuni quelques-uns des nôtres ; mais, soumettant à une
épreuve attentive la vertu et la fidélité de tous les peuples, il accorda aux
nôtres ce privilège. 43
Car il estimait notre nation au point même que, suivant Hécatée, en
reconnaissance des bons sentiments et de la fidélité que lui témoignèrent
les Juifs, il ajouta à leurs possessions la province de Samarie exempte de
tribut.
44 Ptolémée, fils de
Lagos, partageait les sentiments d'Alexandre à l'égard des Juifs qui
habitaient Alexandrie. En effet, il mit entre leurs mains les places fortes de
l'Egypte dans la pensée qu'ils les garderaient fidèlement et bravement ;
et comme il désirait affermir sa domination sur Cyrène et les autres villes de
Libye, il envoya une partie des Juifs s'y établir.
45 Son successeur, Ptolémée,
surnomme Philadelphe, non seulement rendit tous les prisonniers de notre race
qu'il pouvait avoir, mais il donna maintes fois aux Juifs des sommes d'argent,
et, ce qui est le plus important, il désira connaître nos lois et lire nos
livres sacrés. 46 Il est
constant qu'il fit demander aux Juifs de lui envoyer des hommes pour lui
traduire la loi, et il ne confia pas aux premiers venus le soin de bien faire rédiger
la traduction, mais c'est Démétrios de Phalère, Andréas et Aristée, l'un,
le plus savant homme de son temps, 47
les autres, ses gardes du corps, qui furent chargés par lui de surveiller l'exécution
de ce travail; or il n'aurait pas désiré approfondir nos lois et la sagesse de
nos ancêtres s'il avait méprisé les hommes qui en usaient, au lieu de les
admirer beaucoup.
V
48
Apion a aussi ignoré que successivement presque tous les rois de ses aïeux témoignèrent
à notre égard les plus bienveillantes dispositions. En effet, Ptolémée III,
surnommé Evergète après avoir conquis toute la Syrie, ne sacrifia pas aux
dieux égyptiens en reconnaissance de sa victoire, mais il vint à Jérusalem, y
fit suivant notre rite de nombreux sacrifices à Dieu, et lui consacra des
offrandes dignes de sa victoire.
49 Ptolémée Philométor
et sa femme Cléopâtre
confièrent à des Juifs tout leur royaume et mirent à la tête de leur armée
entière Onias et Dosithéos,
deux Juifs, dont Apion raille les noms, quand il devrait admirer leurs actions
et, loin de les injurier, leur être reconnaissant d'avoir sauvé Alexandrie
dont il se prétend citoyen. 50
En effet, alors que les Alexandrins faisaient la guerre à la reine Cléopâtre
et couraient le danger d'être anéantis misérablement, ce sont ces hommes qui
négocièrent un accommodement et conjurèrent les troubles civils. « Mais
ensuite, dit-il, Onias mena contre la ville une forte armée, alors que Thermus,
l'ambassadeur romain était là et présent.
» 51 Je prétends qu'il
eut raison et agit en toute justice. Car Ptolémée surnommé Physcon, après la
mort de son frère Ptolémée Philométor, vint de Cyrène dans l'intention de
renverser du trône Cléopâtre et les enfants
du roi pour s'attribuer injustement la couronne. 52 C'est pour cela qu'Onias lui fit la guerre afin de défendre
Cléopâtre, et n'abandonna pas dans le péril la fidélité qu'il avait vouée
à ses rois. 53 Dieu témoigna
clairement de la justice de sa conduite; en effet, comme Ptolémée Physcon
n'osait pas combattre l'armée d'Onias, mais prenant tous les Juifs citoyens de
la ville avec leurs femmes et leurs enfants, les livra nus et ligotés aux éléphants
pour qu'ils mourussent écrasés par ces bêtes, enivrées pour la circonstance,
l'événement tourna contrairement à ses prévisions. 54 Les éléphants, sans toucher aux Juifs placés devant
eux, se précipitèrent sur les amis de Physcon, dont ils tuèrent un grand
nombre. Après cela, Ptolémée vit un fantôme terrible qui lui défendait de
maltraiter ces hommes. 55
Et comme sa concubine favorite, nommée Ithaque par les uns, Irène par les
autres, le suppliait de ne pas consommer une telle impiété, il céda à son désir,
et fit pénitence pour ce qu'il avait déjà fait et pour ce qu'il avait failli
faire. C'est l'origine de la fête qu'avec raison célèbrent, comme on sait, à
l'anniversaire de ce jour, les Juifs établis à Alexandrie, parce qu'ils ont
manifestement mérité de Dieu leur salut.
56 Mais Apion, dont la
calomnie ne respecte rien, n'a pas craint de faire un crime aux Juifs de la
guerre contre Physcon, alors qu'il aurait dû les en louer. Il parle aussi de la
dernière Cléopâtre, reine d'Alexandrie, pour nous reprocher l'hostilité
qu'elle nous a témoignée au lieu de consacrer son zèle à l'accusation de
cette femme ; 57 qui
ne s'abstint d'aucune injustice et d'aucun crime, soit contre ses parents, soit
contre ses maris, ou ses amants, soit contre tous les Romains en général et
leurs chefs, ses bienfaiteurs; qui alla jusqu'à tuer dans le temple sa soeur
Arsinoé innocente à son égard ; 58
qui assassina traîtreusement son frère aussi, pilla les dieux nationaux et les
tombeaux de ses ancêtres; qui, tenant son royaume du premier César, ne
craignit pas de se révolter contre le fils et successeur de celui-ci ;
et, corrompant Antoine par les plaisirs de l'amour, en fit un ennemi de sa
patrie, un traître envers ses amis, dépouillant ceux-ci de leur rang royal, et
poussant les autres jusqu'au crime. 59
Mais à quoi bon en dire davantage ? Ne l'abandonna-t-elle pas lui-même au
milieu du combat naval, lui, son mari, le père de leurs enfants, et ne
l'obligea-t-elle pas à livrer son armée et son empire pour la suivre ? 60
En dernier lieu, après la prise d'Alexandrie
par César, elle ne vit plus d'espoir pour elle que dans le suicide, tant elle
s'était montrée cruelle et déloyale envers tous. Pensez-vous donc que nous ne
devions pas nous glorifier de ce que, dans une disette, comme ledit Apion, elle
ait refusé de distribuer du blé aux Juifs ? 61 Mais cette reine reçut le châtiment qu'elle méritait ;
et nous, nous avons César pour grand témoin de l'aide fidèle que nous lui
avons apportée contre les Egyptiens ;
nous avons aussi le Sénat et ses décrets, ainsi que les lettres de César
Auguste qui prouvent nos services. 62
Apion aurait dû examiner ces lettres et peser, chacun en son genre, les témoignages
rédigés sous Alexandre et sous tous les Ptolémées, comme ceux qui émanent
du Sénat et des plus grands généraux romains. 63
Que si Germanicus ne put distribuer du blé à tous les habitants d'Alexandrie,
c'est la preuve d'une mauvaise récolte et de la disette de blé, non un grief
contre les Juifs. Car la sage opinion de tous les empereurs sur les Juifs résidant
à Alexandrie est notoire. 64
Sans doute, l'administration du blé leur a été retirée, comme aux autres
Alexandrins; mais ils ont conservé la très grande preuve de confiance que leur
avaient jadis accordée les rois, je veux dire la garde du fleuve et de toute la
(frontière ?) dont les empereurs ne les
ont pas jugés indignes.
VI
65
Mais il insiste. « Pourquoi donc, dit-il, s'ils sont citoyens, n'adorent-ils
pas les même dieux que les Alexandrins? » A quoi je réponds: « Pourquoi
aussi, bien que vous soyez tous Égyptiens, vous livrez-vous les uns aux autres
une guerre acharnée et sans trêve au sujet de la religion
? 66 Est-ce que pour cela
nous ne vous donnons pas à tous le nom d'Égyptiens, et vous refusons-nous plus
qu'à tous les autres celui d'hommes, parce que vous adorez des animaux hostiles
à notre nature, et que vous les nourrissez avec un grand soin, alors que toute
la race humaine semble une et identique ?
67 Mais s'il y a entre
vous Égyptiens de telles différences d'opinions, pourquoi t'étonnes-tu que
des hommes, venus d'un autre pays à Alexandrie, aient conservé sur cette matière
leurs lois primitivement établies ? 68
- Il nous accuse encore de fomenter des séditions. En admettant que le grief fût
fondé contre les Juifs établis à Alexandrie, pourquoi fait-il à ceux d'entre
nous qui sont établis partout ailleurs un crime de leur concorde bien connue ? 69 Et
puis, il est facile de reconnaître que, en réalité, les fauteurs de séditions
ont été des citoyens d'Alexandrie du genre d'Apion. En effet, tant que les
Grecs et les Macédoniens furent maîtres de cette cité, ils ne soulevèrent
aucune sédition contre nous, et ils toléraient nos antiques solennités. Mais
quand le nombre des Égyptiens se fut accru parmi eux par le désordre des
temps, les séditions se multiplièrent sans cesse. Notre race, au contraire,
demeura pure. 70 C'est
donc eux qu'on trouve à l'origine de ces violences, car le peuple était loin désormais
d'avoir la fermeté des Macédoniens et la sagesse des Grecs; tous
s'abandonnaient aux mauvaises moeurs des Egyptiens et exerçaient contre nous
leurs vieilles rancunes. 71
C'est, en effet, du côté opposé qu'a été commis ce qu'ils osent nous
reprocher. La plupart d'entre eux jouissent mal à propos du droit de cité
alexandrin, et ils appellent étrangers ceux qui sont connus pour avoir obtenu
des maîtres ce privilège ! 72
Car les Égyptiens, à ce qu'il semble, n'ont reçu le droit de cité d'aucun
roi, ni, à notre époque, d'aucun empereur. Nous, au contraire,
Alexandre nous a introduits dans la cité, les rois ont augmenté nos privilèges
et les Romains ont jugé bon de nous les conserver à jamais. 73
Aussi, Apion s'est-il efforcé de nous décrier auprès d'eux sous prétexte que
nous ne dressons pas de statues aux empereurs. Comme s'ils ignoraient ce fait ou
avaient besoin d'être défendus par Apion
! il aurait mieux fait d'admirer la grandeur d'âme et la modération des
Romains, qui n'obligent pas leurs sujets à transgresser leurs lois héréditaires,
et se contentent de recevoir les honneurs qu'on leur offre sans manquer à la
religion ni à la loi. Car il n'y a point de charme dans les honneurs rendus par
nécessité et par force. 74
Ainsi les Grecs et quelques autres peuples croient qu'il est bon d'élever des
statues; ils prennent plaisir à faire peindre le portrait de leurs pères, de
leurs femmes et de leurs enfants; quelques-uns vont jusqu'à acquérir les
portraits de gens qui ne les touchent en rien; d'autres font de même pour des
esclaves favoris. Est-il donc étonnant qu'on les voie rendre aussi cet honneur
à leurs empereurs et à leurs maîtres ? 75
D'autre part, notre législateur [a désapprouvé cette pratique], non pour défendre,
comme par une prophétie, d'honorer la puissance romaine, mais par mépris pour
une chose qu'il regardait comme inutile à Dieu et aux hommes, et parce qu'il a
interdit de fabriquer l'image inanimée de tout être vivant et à plus forte
raison de la divinité, comme nous le montrerons plus bas. 76
Mais il n'a pas défendu d'honorer, par d'autres hommages, après Dieu, les
hommes de bien ; et ces honneurs, nous les décernons aux empereurs et au
peuple romain. 77 Nous
faisons sans cesse des sacrifices pour eux et non seulement chaque jour, aux
frais communs de tous les Juifs, nous célébrons de
telles cérémonies, mais encore, alors que nous n'offrons jamais d'autres
victimes en commun…, nous accordons aux seuls empereurs cet honneur suprême
que nous refusons à tous les autres hommes. 78
Voilà une réponse générale à ce qu'a dit Apion au sujet d'Alexandrie.
VII
79
J'admire aussi les écrivains qui lui ont fourni une telle matière, je parle de
Posidonios et d'Apollonios Molon, qui nous font un crime de n'adorer pas les mêmes
dieux que les autres peuples. D'autre part, quand ils mentent également et
inventent des calomnies absurdes contre notre temple, ils ne se croient pas
impies, alors que rien n'est plus honteux pour des hommes libres que de mentir
de quelque façon que ce soit, et surtout au sujet d'un temple célèbre dans
l'univers entier et puissant par une si grande sainteté. 80 Ce sanctuaire, Apion a osé dire que les Juifs y
avaient placé une tête d'âne, qu'ils l'adoraient et la jugeaient digne d'un
si grand culte; il affirme que le fait fut dévoilé lors du pillage du temple
par Antiochos Épiphane et qu'on découvrit cette tête d'âne faite d'or, et
d'un prix considérable. - 81
A cela donc je réponds d'abord qu'en sa qualité d'Égyptien, même si chose
pareille avait existé chez nous, Apion n'eût point dû nous le reprocher, car
l'âne n'est pas plus vil que les furets (?), les boucs et les autres animaux
qui ont chez eux rang de dieux. 82
Ensuite comment n'a-t-il pas compris que les faits le convainquent d'un
incroyable mensonge ? En effet, nous avons toujours les mêmes lois, auxquelles
nous sommes éternellement fidèles. Et, quand des malheurs divers ont fondu sur
notre cité comme sur d'autres, quand [Antiochos] le Pieux,
Pompée le Grand, Licinius Crassus et, en dernier lieu, Titus César triomphant
de nous ont occupé le temple, ils n'y trouvèrent rien de semblable, mais un
culte très pur au sujet duquel nous n'avons rien à cacher à des étrangers.
83
Mais qu'Antiochos (Épiphane) mit à sac le temple contre toute justice, qu'il y
vint par besoin d'argent sans être ennemi déclaré, qu'il nous attaqua, nous
ses alliés et ses amis, et qu'il ne trouva dans le temple rien de ridicule, 84
voilà ce que beaucoup d'historiens dignes de foi attestent également, Polybe
de Mégalopolis, Strabon de Cappadoce, Nicolas de Damas, Timagène, les
chronographes Castor et Apollodore ; tous disent que, à court de
ressources, Antiochos viola les traités et pilla le temple des Juifs plein d'or
et d'argent. 85 Voilà les
témoignages qu'aurait dû considérer Apion s'il n'avait eu plutôt lui-même
le coeur de l'âne et l'impudence du chien, qu'on a coutume d'adorer chez eux.
Car son mensonge n'a pas même pu s'appuyer sur quelque raisonnement d'analogie
(?). 86 En effet, les
ânes, chez nous, n'obtiennent ni honneur ni puissance, comme chez les Égyptiens
les crocodiles et les vipères, puisque ceux qui sont mordus par des vipères ou
dévorés par des crocodiles passent à leurs yeux pour bienheureux et dignes de
la divinité. 87
Mais les ânes sont chez nous, comme chez les autres gens sensés, employés à
porter les fardeaux dont on les charge, et s'ils approchent des aires pour
manger
ou s'ils ne remplissent pas leur tâche, ils reçoivent force coups ; car
ils servent aux travaux et à l'agriculture. 88 Ou bien donc Apion fut le plus maladroit des hommes à
imaginer ses mensonges, ou, parti d'un fait, il n'a pas su en conclure justement
(?), car aucune calomnie à notre adresse ne peut réussir.
VIII
89
Il raconte encore, d'après les Grecs, une autre fable pleine de malice à notre
adresse. Là-dessus, il suffira de dire que, quand on ose parler de piété, on
ne doit pas ignorer qu'il y a moins d'impureté à violer l'enceinte d'un temple
qu'à en calomnier les prêtres. 90
Mais ces auteurs se sont appliqués plutôt à défendre un roi sacrilège qu'à
raconter des faits exacts et véridiques sur nous et sur le temple. Dans le désir
de défendre Antiochus et de couvrir la déloyauté et le sacrilège qu'il a
commis envers notre race par besoin d'argent, ils ont encore inventé sur notre
compte la calomnie qu'on va lire. 91
Apion s'est fait le porte-parole des autres :
il prétend qu'Antiochus trouva dans le temple un lit sur lequel un homme était
couché, et devant lui une table chargée de mets, poissons, animaux terrestres,
volatiles. L'homme restait frappé de stupeur. 92 Bientôt il salua avec un geste d'adoration l'entrée
du roi comme si elle lui apportait le salut ; tombant à ses genoux, il étendit
la main droite et demanda la liberté. Le roi lui dit de se rassurer, de lui
raconter qui il était, pourquoi il habitait ce lieu, ce que signifiait cette
nourriture. L'homme, alors, avec des gémissements et des larmes, lui raconta
d'un ton lamentable son malheur. 93
Il dit, continue Apion, qu'il était Grec, et que, tandis qu'il parcourait la
province pour gagner sa vie, il avait été tout à coup saisi par des hommes de
race étrangère et conduit dans le temple ; là on l'enferma, on ne le
laissait voir de personne, mais on préparait toutes sortes de mets pour
l'engraisser. 94 D'abord
ce traitement qui lui apportait un bienfait inespéré lui fit plaisir ;
puis vint le soupçon, ensuite la terreur ; enfin, en consultant les
serviteurs qui l'approchaient, il apprit la loi ineffable des Juifs qui
commandait de le nourrir ainsi ; qu'ils pratiquaient cette coutume tous les
ans à une époque déterminée ; 95
qu'ils s'emparaient d'un voyageur grec, l'engraissaient pendant une année, puis
conduisaient cet homme dans une certaine forêt, où ils le tuaient ;
qu'ils sacrifiaient son corps suivant leurs rites, goûtaient ses entrailles et
juraient, en immolant le Grec, de rester les ennemis des Grecs ; alors ils
jetaient dans un fossé les restes de leur victime. 96 Enfin, rapporte Apion, il dit que peu de jours
seulement lui restaient à vivre, et supplia le roi, par pudeur pour les dieux
de la Grèce et pour déjouer les embûches des Juifs contre sa race, de le délivrer
des maux qui le menaçaient. 97
Une telle fable non seulement est pleine de tous les procédés dramatiques,
mais encore elle déborde d'une cruelle impudence. Cependant elle n'absout pas
Antiochus du sacrilège, comme l'ont imaginé ceux qui l'ont racontée en sa
faveur. 98 En effet, ce
n'est pas parce qu'il prévoyait cette horreur qu'il est venu au temple, mais,
selon leur propre récit, il l'a rencontrée sans s'y attendre. Il fut donc en
tout cas volontairement injuste et impie et athée, quel que soit l'excès du
mensonge que les faits eux-m~mes montrent facilement. 99 En effet, les Grecs ne sont pas seuls, comme on sait,
à avoir des lois en désaccord avec les nôtres; mais il y a surtout les Égyptiens
et beaucoup d'autres peuples. Or, quel est celui de ces peuples dont les
citoyens n'aient jamais eu à voyager chez nous ? Et pourquoi dès lors, par un
complot sans cesse renouvelé, aurions-nous besoin, pour les Grecs seuls, de
verser le sang ? 100 Et
puis comment se peut-il que tous les Juifs se soient réunis pour partager cette
victime annuelle et que les entrailles d'un seul aient suffi à tant de milliers
d'hommes, comme le dit Apion
? Et pourquoi, après avoir découvert cet homme quel qu'il fût, Apion n'a-t-il
pu enregistrer son nom
? 101 ou comment le roi ne
l'a-t-il pas ramené dans sa patrie en grande pompe, alors qu'il pouvait par ce
procédé se donner à lui-même une grande réputation de piété et de rare
philhellénisme, tout en s'assurant de tous, contre la haine des Juifs, de
puissants secours ? 102
Mais passons: il faut réfuter les insensés non par des raisons, mais par des
faits. Tous ceux qui ont vu la construction de notre temple savent ce qu'il était,
connaissent les barrières infranchissables qui défendaient sa pureté.
103 Il comprenait quatre
portiques concentriques dont chacun avait une garde particulière suivant la
loi. C'est ainsi que, dans le portique extérieur tout le monde avait droit
d'entrer, même les étrangers ; seules les femmes pendant leur impureté
mensuelle s'en voyaient interdire le passage. 104 Dans le second entraient tous les Juifs et leurs
femmes, quand elles étaient pures de toutes souillures; dans le troisième les
Juifs mâles, sans tache et purifiés ; dans le quatrième les prêtres revêtus
de leurs robes sacerdotales. Quant au saint des saints, les chefs des prêtres y
pénétraient seuls, drapés dans le vêtement qui leur est propre. 105
Le culte a été réglé d'avance si soigneusement dans tous ses détails qu'on
a fixé certaines heures pour l'entrée des prêtres. En effet, le matin dès
l'ouverture du temple, il leur fallait entrer pour faire les sacrifices
traditionnels, puis de nouveau à midi jusqu'à la fermeture du temple. 106
Enfin il est défendu de porter dans le temple
même un vase ; on n'avait placé à l'intérieur qu'un autel,
une table, un encensoir, un candélabre, tous objets mentionnés même dans la
loi. 107 Il n'y a rien de
plus ; il ne s'y passe point de mystères qu'on ne doive pas révéler, et
à l'intérieur on ne sert aucun repas. Les détails que je viens de signaler
sont attestés par le témoignage de tout le peuple et apparaissent dans les
faits. 108 Car, bien qu'il
y ait quatre tribus de prêtres,
et que chacune de ces tribus comprenne plus de cinq mille personnes, cependant
ils officient par fractions à des jours déterminés; une lois ces jours passés,
d'autres prêtres, leur succédant, viennent aux sacrifices, et, réunis dans le
temple au milieu du jour, en reçoivent les clefs de leurs prédécesseurs,
ainsi que le compte exact de tous les vases, sans apporter à l'intérieur rien
qui serve à la nourriture ou à la boisson. 109
Car il est interdit d'offrir même sur l'autel des objets de ce genre, sauf ceux
qu'on prépare pour le sacrifice.
En
conséquence que dire d'Apion sinon que, sans examiner ces faits, il a débité
des propos incroyables ? Et cela est honteux, car lui, grammairien, ne s'est-il
pas engagé à apporter des notions exactes sur l'histoire ? 110
Connaissant la piété observée dans notre temple, il n'en a pas tenu compte,
et il a inventé cette fable d'un Grec captif secrètement nourri des mets les
plus coûteux et les plus réputés, des esclaves entrant dans l'endroit dont
L'accès est interdit même aux plus nobles des Juifs s'ils ne sont pas prêtres.
111 C'est donc une très
coupable impiété et un mensonge volontaire destiné à séduire ceux qui n'ont
pas voulu examiner la vérité, s'il est vrai qu'en débitant ces crimes et ces
mystères, ils ont tenté de nous porter préjudice.
IX
112
Après cela Apion raille les Juifs, comme très superstitieux, en ajoutant à sa
fable le témoignage de Mnaséas.
Cet auteur raconte, à l'en croire, qu'il y a très longtemps, les Juifs et les
Iduméens étant en guerre, d'une certaine ville iduméenne nommée Dora,
un des hommes qui étaient attachés au culte d'Apollon
vint trouver les Juifs. Il se nommait, dit-il, Zabidos. Il leur promit de leur
livrer Apollon, le dieu de Dora, qui se rendrait à notre temple si tout le
monde s'éloignait. 113 Et
toute la multitude des Juifs le crut. Zabidos cependant fabriqua un appareil de
bois dont il s'entoura et où il plaça trois rangs de lumières. Ainsi équipé
il se promena, de sorte qu'il avait de loin l'apparence d'une constellation
en voyage sur la terre. 114
Les Juifs, frappés de stupeur par ce spectacle inattendu, restèrent à
distance et se tinrent cois. Zabidos tout tranquillement arriva jusqu'au temple,
arracha la tête d'or du baudet - c'est ainsi qu'il s'exprime pour faire le
plaisant - et revint en hâte à Dora. 115
Ne pourrions-nous pas dire à notre tour qu'Apion surcharge le baudet, c'est-à-dire
lui-même, et l'accable sous le poids de sa sottise et de ses mensonges ? En
effet, il décrit des lieux qui n'existent pas et, sans le savoir, change les
villes de place. 116
L'Idumée est limitrophe de notre pays, voisine de Gaza, et elle n'a aucune
ville du nom de Dora. Mais en Phénicie, près du mont Carmel, il y a une ville
appelée Dora, qui n'a rien de commun avec les niaiseries d'Apion ; car
elle est à quatre journées de marche de l'Idumée. 117
Et pourquoi nous accuse-t-il encore de n’avoir point les mêmes dieux que les
autres, si nos pères se sont laissé persuader si facilement qu'Apollon
viendrait chez eux et s'ils ont cru le voir se promener avec les astres sur la
terre ? 118 Sans doute ils
n'avaient jamais vu une lampe auparavant, ces hommes qui allument tant et de si
belles lampes dans leurs fêtes ! Et personne, parmi tant de milliers
d'habitants, n'est allé à sa rencontre quand il s'avançait à travers le pays ;
il a trouvé aussi les murailles vides de sentinelles, en pleine guerre ! 119
Je passe le reste ; mais les portes du temple étaient hautes de soixante
coudées, larges de vingt, toutes dorées et
presque d'or massif ; elles étaient fermées tous les jours par deux cents
hommes
au moins, et il était défendu de les laisser ouvertes. 120 Il a donc été facile à ce porteur de lampes, je
pense, de les ouvrir à lui tout seul, et de partir avec la tête du baudet ?
Mais est-elle rentrée toute seule chez nous ou celui qui l'a prise l'a-t-il
rapportée dans le temple afin qu'Antiochos la trouvât pour fournir à Apion
une seconde fable ?
X
121
Il
forge aussi un serment par lequel, prétend-il, en invoquant le dieu qui a fait
le ciel, la terre et la mer,
nous jurons de ne montrer de bienveillance envers aucun étranger, mais surtout
envers les Grecs. 122 Une
fois qu'il se mettait à mentir il aurait dû dire au moins: envers aucun étranger,
mais surtout envers les Égyptiens. De cette façon sa fable du serment aurait
concordé avec ses mensonges du début, Si vraiment nos ancêtres ont été
chassés par les Égyptiens, qui leur étaient apparentés, non pour aucun crime
mais à cause de leurs malheurs. 123
Quant aux Grecs, nous en sommes trop éloignés par les lieux comme par les
coutumes pour qu'il puisse exister entre eux et nous aucune haine ou aucune
jalousie. Loin de là, il est arrivé que beaucoup d'entre eux ont adopté nos
lois; quelques-uns y ont persévéré, d'autres n'ont pas eu l'endurance nécessaire
et s'en sont détachés. 124
Mais de ceux-là, nul n'a jamais raconté qu'il eût entendu prononcer chez nous
le serment en question ; seul Apion, semble-t-il, l'a entendu, et pour la
bonne raison qu'il en était l'inventeur.
XI
125
Il faut encore grandement admirer la vive intelligence d'Apion pour ce que je
vais dire. La preuve, à l'en croire, que nos lois ne sont pas justes, et que
nous n'adorons pas Dieu comme il faut, c'est que nous ne sommes pas les maîtres,
mais bien plutôt les esclaves tantôt d'un peuple, tantôt d'un autre, et que
notre cité éprouva des infortunes,
- comme si ses propres citoyens étaient habitués depuis une haute antiquité
à être les maîtres dans la cité la plus propre à commander au lieu d'être
asservis aux Romains. 126 Cependant
qui supporterait de leur part une telle jactance ? Parmi le reste des
hommes il n'est personne pour nier que ce discours d'Apion ne s'adresse assez
bien à lui. 127 Peu
de peuples ont eu la fortune de dominer fût-ce par occasion, et ceux-là même
ont vu des revers les soumettre à leur tour à un joug étranger ; les
autres peuples, pour la plupart, sont plusieurs fois tombés en servitude. 128
Ainsi donc les seuls Égyptiens, parce que les dieux, à les en croire, se sont
réfugiés dans leur pays et ont assuré leur salut en prenant la forme
d'animaux,
ont obtenu le privilège exceptionnel de n'être soumis à aucun des conquérants
de l'Asie ou de l'Europe, eux qui n'ont pas ou un seul jour de liberté en aucun
temps, pas même de leurs maîtres nationaux ! 129 Du traitement que leur infligèrent les Perses, qui,
non pas une fois, mais à plusieurs reprises, saccagèrent leurs villes, renversèrent
leurs temples, égorgèrent ce qu'ils prennent pour des dieux, je ne leur fais
pas un grief. 130 Car il
ne convient pas d'imiter l'ignorance d'Apion, qui n'a songé ni aux malheurs des
Athéniens, ni à ceux des Lacédémoniens, dont les uns furent les plus braves,
les autres les plus pieux des Grecs, du consentement unanime. 131
Je laisse de côté les malheurs qui accablèrent les rois renommés partout
pour leur piété, comme Crésus. Je passe sous silence l'incendie de l'Acropole
d'Athènes, du temple d'Éphèse, de celui de Delphes, et de mille autres.
Personne n'a reproché ces catastrophes aux victimes, mais à leurs auteurs.
132 Mais Apion s'est trouvé
pour produire contre nous cette accusation d'un nouveau genre, oubliant les
propres maux de son pays, l'Égypte. Sans doute Sésostris, le roi d'Égypte légendaire,
l'a aveuglé.
Mais nous, ne pourrions-nous pas citer nos rois David et Salomon, qui ont soumis
bien des nations ? 133
Cependant n'en parlons pas. Mais il est un fait universellement connu, quoique
ignoré d'Apion : c'est que les Perses et les Macédoniens, maîtres après
eux de l'Asie, asservirent les Egyptiens, qui leur obéirent comme des esclaves,
alors que nous, libres, nous régnions même sur les cités d'alentour pendant
cent vingt ans environ,
jusqu'au temps de Pompée le Grand. 134
Et alors que tous les rois de la terre avaient été subjugués par les Romains,
seuls nos rois, pour leur fidélité, furent conservés par eux comme alliés et
amis.
XII
135
« Mais nous n'avons pas produit d'hommes dignes d'admiration, qui, par
exemple, aient innové dans les arts ou excellé dans la sagesse ». Et il énumère
Socrate, Zénon, Cléanthe et d'autres du même genre; puis, ce qui est le plus
admirable de tous ses propos, il s'ajoute lui-même à la liste et félicite
Alexandrie de posséder un tel citoyen. 136 Assurément
il avait besoin de témoigner pour lui-même ; car aux yeux de tous les
autres il passait pour un méchant ameuteur de badauds, dont la vie fut aussi
corrompue que la parole, de sorte qu'on aurait sujet de plaindre Alexandrie si
elle tirait vanité de lui. Quant aux grands hommes nés chez nous qui méritèrent
des éloges autant qu'aucun autre, ils sont connus de ceux qui lisent mon
Histoire ancienne.
XIII
137
Le reste de son réquisitoire mériterait peut-être d'être laissé sans réponse
pour que lui-même soit son propre accusateur et celui des autres Égyptiens. En
effet, il nous reproche de sacrifier des animaux domestiques, de ne point manger
de porc, et il raille la circoncision. 138 Pour ce qui est d'immoler des animaux domestiques,
c'est une pratique qui nous est commune avec tous les autres hommes, et Apion,
par sa critique de cet usage, s'est dénoncé comme Égyptien. S'il avait été
Grec ou Macédonien, il ne s'en serait pas ému. Ces peuples, en effet, se font
gloire d'offrir aux dieux des hécatombes; ils mangent les victimes dans les
festins, et cette pratique n a pas vidé l'univers de troupeaux, comme l'a
craint Apion. 139 Si, au
contraire, tout le monde suivait les coutumes égyptiennes, c'est d'hommes que
l'univers serait dépeuplé pour être rempli des bêtes les plus sauvages, qu
ils prennent pour des dieux et nourrissent avec soin. 140
En outre, si on lui avait demandé lesquels de tous les Egyptiens il considérait
comme les plus sages et les plus pieux, il eût convenu assurément que c'étaient
les prêtres. 141 Car dès
l'origine ils furent, dit-on, chargés de deux fonctions: le culte des dieux et
la pratique de la sagesse. Or, tous les prêtres égyptiens sont circoncis et
s'abstiennent de manger du porc.
Et même parmi les autres Egyptiens, il n'en est pas un seul qui ose sacrifier
un porc aux dieux. 142
Apion n'avait-il pas l'esprit aveuglé lorsque, se proposant de nous injurier
pour faire valoir les Egyptiens, il les accusait au contraire eux qui, non
seulement pratiquent ces coutumes blâmées par lui, mais encore ont enseigné
aux autres peuples la circoncision, comme le dit Hérodote.
143 Aussi est-ce
justement, à mon avis, qu'après avoir médit des lois de sa patrie, Apion a
subi le châtiment qui convenait. Car il fut circoncis par nécessité, à la
suite d'un ulcère des parties sexuelles; d'ailleurs la circoncision ne lui
profita point, sa chair tomba en gangrène et il mourut dans d'atroces douleurs.
144 Il faut, pour être
sage, observer exactement les lois de son pays relatives à la religion et ne
point attaquer celles des autres. Mais Apion s'est écarté des premières et a
menti sur les nôtres.
Ainsi
finit Apion; que ce soit aussi la fin de mes observations à son sujet.
XIV
145
Mais puisque Apollonios Molon, Lysimaque et quelques autres, tantôt par
ignorance, le plus souvent par malveillance, ont tenu, sur notre législateur Moïse
et sur ses lois, des propos injustes et inexacts, accusant l'un de sorcellerie
et d'imposture, et prétendant que les autres nous enseignent le vice à
l'exclusion de toute vertu, je veux parler brièvement et de l'ensemble de notre
constitution et de ses détails, comme je le pourrai.
146 Il apparaîtra
clairement, je pense, qu’en vue de la piété, des rapports sociaux, de
l'humanité en général, et aussi de la justice, de l'endurance au travail et
du mépris de la mort, nos lois sont fort bien établies. 147
J'invite ceux qui tomberont sur cet écrit à le lire sans jalousie. Ce n'est
point un panégyrique de nous-mêmes que j'ai entrepris d'écrire, mais après
les accusations nombreuses et fausses dirigées contre nous, la plus juste
apologie, à mon avis est celle qui se tire des lois que nous continuons à
observer. 148 D'autant
plus qu'Apollonios n'a pas réuni ses griefs en un faisceau comme Apion ;
mais les a semés çà et là, tantôt nous injuriant comme athées et
misanthropes, tantôt nous reprochant la lâcheté, et, au contraire, à
d'autres endroits, nous accusant d'être téméraires et forcenés. Il dit aussi
que nous sommes les plus mal doués des barbares et que pour cette raison nous
sommes les seuls à n'avoir apporté pour notre part aucune invention utile à
la civilisation. 149
Toutes ces accusations seront, je pense, clairement réfutées s'il apparaît
que c'est le contraire que nous prescrivent nos lois et que nous observons
rigoureusement. 150 Si
donc j'ai été obligé de mentionner les lois contraires, en vigueur chez
d'autres peuples, il est juste que la faute en retombe sur ceux qui veulent
montrer par comparaison l'infériorité des nôtres. Ces éclaircissements leur
interdiront je pense, de prétendre ou que nous n'avons pas ces lois dont je
vais citer les principales, ou que nous ne sommes pas, parmi tous les peuples,
le plus attaché à ses lois.
XV
151
Reprenant donc d'un peu plus haut, je dirai d'abord que, comparés aux hommes
dont la vie est affranchie de lois et de règles, ceux qui, soucieux de l'ordre
et d'une loi commune en ont donné le premier exemple, mériteraient justement
ce témoignage qu'ils l'ont emporté par la douceur et la vertu naturelle. 152
La preuve en est que chaque peuple essaie de faire remonter ses lois le plus
haut possible pour paraître ne point imiter les autres hommes et leur avoir, au
contraire, lui-même ouvert la voie de la vie légale. 153
Les choses étant ainsi, la vertu du législateur consiste à embrasser du
regard ce qui est le meilleur et à faire admettre, par ceux qui doivent en
user, les lois instituées par lui ; celle de la multitude est de rester
fidèle aux lois adoptées et de n’en rien changer sous l'influence de la
prospérité ni des épreuves.
154
Eh bien, je prétends que notre législateur est le plus ancien des législateurs
connus du monde entier. Les Lycurgue, les Solon, les Zaleucos de Locres et tous
ceux qu'on admire chez les Grecs paraissent nés d'hier ou d'avant-hier comparés
à lui, puisque le nom même de loi dans l'antiquité était inconnu en Grèce. 155
Témoin Homère qui nulle part dans ses poèmes ne s'en est servi.
En effet la loi n'existait même pas de son temps; les peuples étaient gouvernés
suivant des maximes non définies et par les ordres des rois. Longtemps encore
ils continuèrent à suivre des coutumes non écrites, dont beaucoup, au fur, et
à mesure des circonstances, étaient modifiées.
156
Mais notre législateur, qui vécut dans la plus haute antiquité - et cela, je
suppose, de l'aveu même des gens qui dirigent contre nous toutes les attaques -
se montra excellent guide et conseiller du peuple ; et après avoir embrassé
dans sa loi toute l'organisation de la vie des hommes, il leur persuada de
l'accepter et fit en sorte qu'elle fût conservée inébranlable pour l'éternité.
XVI
157
Voyons la première grande oeuvre qu'il accomplit. C'est lui qui, lorsque nos
ancêtres eurent décidé, après avoir quitté l'Egypte, de retourner dans le
pays de leurs aïeux, se chargea de toutes ces myriades d'hommes, les tira de
mille difficultés et assura leur salut; car il leur fallait traverser le désert
sans eau et de grandes étendues de sable, vaincre leurs ennemis et sauver, en
combattant, leurs femmes, leurs enfants, et en même temps leur butin.
158 Dans toutes ces
conjonctures il fut le meilleur des chefs, le plus avisé des conseillers et il
administra toutes choses avec la plus grande conscience. Il disposa le peuple
entier à dépendre de lui, et, le trouvant docile en toute chose, il ne profita
point de cette situation pour son ambition personnelle ; 159
mais dans les circonstances précisément où les chefs s'emparent de l'empire
absolu et de la tyrannie, et habituent les peuples à vivre sans lois, Moïse,
élevé à ce degré de puissance, estima au contraire qu'il devait vivre
pieusement et assurer au peuple les meilleures lois, dans la pensée que c'était
le moyen le meilleur de montrer sa propre vertu, et le plus sûr de sauver ceux
qui l'avaient choisi pour cher. 160
Comme ses desseins étaient nobles et que le succès couronnait ses grandes
actions, il pensa avec vraisemblance que Dieu le guidait et le conseillait. Après
s'être persuadé le premier que la volonté divine inspirait tous ses actes et
toutes ses pensées,
il crut qu'il fallait avant tout faire partager cette opinion au peuple; car
ceux qui ont adopté cette croyance, que Dieu surveille leur vie, ne se
permettent aucun péché.
161 Tel fut notre législateur.
Ce n'est pas un sorcier ni un imposteur, comme nos insulteurs le disent
injustement ;
mais il ressemble à ce Minos tant vanté par les Grecs, et aux autres législateurs
qui le suivirent. 162 Car
les uns attribuent leurs lois à
Zeus, les autres les ont fait remonter à Apollon et à son oracle de Delphes,
soit qu'ils crussent cette histoire exacte, soit qu'ils espérassent ainsi se
faire obéir plus facilement. 163
Mais qui institua les meilleures lois et qui trouva les prescriptions les plus
justes sur la religion, on peut le savoir par la comparaison des lois elles-mêmes
et voici le moment d'en parler.
164
Infinies sont les différences particulières des moeurs et des lois entre les
hommes; mais on peut les résumer ainsi : les uns ont confié à des
monarchies, d'autres à des oligarchies, d'autres encore au peuple le pouvoir
politique. 165
Notre législateur n'a arrêté ses regards sur aucun de ces gouvernements ;
il a - si l'on peut faire cette violence à la langue - institué le
gouvernement théocratique,
plaçant en Dieu le pouvoir et la force. 166
Il a persuadé à tous de tourner les yeux vers celui-ci comme vers la cause de
tous les biens que possèdent tous les hommes en commun, et de tous ceux que les
Juifs eux-mêmes ont obtenus par leurs prières dans les moments critiques. Rien
ne peut échapper à sa connaissance, ni aucune de nos actions, ni aucune de nos
pensées intimes. 167 Quant
à Dieu lui-même, Moïse montra qu'il est unique, incréé, éternellement
immuable, plus beau que toute forme mortelle, connaissable pour nous par sa
puissance, mais inconnaissable en son essence. 168
Que cette conception de Dieu ait été celle des plus sages parmi les Grecs, qui
s'inspirèrent des enseignements donnés pour la première fois par Moïse,
je n'en dis rien pour le moment; mais ils ont formellement attesté qu'elle est
belle et convient à la nature comme à la grandeur divine; car Pythagore,
Anaxagore, Platon, les philosophes du Portique qui vinrent ensuite, tous, peu
s’en faut, ont manifestement eu cette conception de la nature divine.
169 Mais tandis que leur
philosophie s'adressa à un petit nombre et qu'ils n'osèrent pas apporter parmi
le peuple, enchaîné à d'anciennes opinions, la vérité de leur croyance,
notre législateur, en conformant ses actes à ses discours,
ne persuada pas seulement ses contemporains, mais il mit encore dans l'esprit
des générations successives qui devaient descendre d'eux une foi en Dieu innée
et immuable. 170 C'est
que, en outre, par le caractère de sa législation, tournée vers l'utile, il
l'emporta toujours beaucoup sur tous les autres ; il ne fit point de la piété
un élément de la vertu, mais de toutes les autres vertus, des éléments de la
piété, je veux dire la justice, la tempérance, l'endurance, et la concorde
des citoyens dans toutes les affaires.
171 Car toutes nos
actions, nos préoccupations et nos discours se rattachent à notre piété
envers Dieu. Moïse n'a donc rien omis d'examiner ou de fixer de tout cela.
Toute instruction et toute éducation morale peuvent, en effet, se faire de deux
manières : par des préceptes qu'on enseigne, ou par la pratique des
moeurs. 172 Les autres législateurs
ont différé d'opinion et, choisissant chacun celle des deux manières qui leur
convenait, ont négligé l'autre.
Par exemple, les Lacédémoniens
et les Crétois élevaient les citoyens par la pratique, non par des préceptes.
D'autre part, les Athéniens et presque tous les autres Grecs prescrivaient par
les lois ce qu'il fallait faire ou éviter, mais ne se souciaient point d'en
donner l'habitude par l'action.
XVII
173
Notre législateur, lui, a mis tous ses soins à concilier ces deux
enseignements.
il n'a point laissé sans explication la pratique des moeurs, ni souffert que le
texte de la loi fût sans effet ; à commencer par la première éducation
et la vie domestique de chacun, il n'a rien laissé, pas même le moindre détail
à l'initiative et à la fantaisie des assujettis ; 174 même les mets dont il faut s'abstenir ou qu'on peut
manger, les personnes qu'on peut admettre à partager notre vie, l'application
au travail et inversement le repos il a lui-même délimité et réglé tout
cela pour eux par sa loi, afin que, vivant sous elle comme soumis à un père et
à un maître, nous ne péchions en rien ni volontairement ni par ignorance. 175
Car il n'a pas non plus laissé l'excuse de l'ignorance; il a proclamé la loi
l'enseignement le plus beau et le plus nécessaire ; ce n'est pas une fois,
ni deux ni plusieurs, qu'il faut l'entendre : mais il a ordonné que chaque
semaine, abandonnant tous autres travaux, on se réunit pour écouter la loi et
l'apprendre exactement par coeur. C'est ce que tous les législateurs
semblent avoir négligé.
XVIII
176
La plupart des hommes sont si loin de vivre suivant leurs lois nationales que,
peu s'en faut, ils ne les connaissent même pas, et que c'est seulement après
un délit qu'ils apprennent par d'autres qu'ils ont violé la loi. 177
Ceux qui remplissent chez eux les charges les plus hautes et les plus
importantes avouent cette ignorance, puisqu'ils placent auprès d'eux, pour
diriger l'administration des affaires, les hommes qui font profession de connaître
les lois.
178 Chez nous, qu'on
demande les lois au premier venu, il les dira toutes plus facilement que son
propre nom. Ainsi, dès l'éveil de l'intelligence, l'étude approfondie des
lois les grave pour ainsi dire dans nos âmes ;
rarement quelqu'un les transgresse, et aucune excuse ne saurait conjurer le châtiment.
XIX
179
Telle est avant tout la cause de notre admirable concorde. L'unité et l'identité
de croyance religieuse, la similitude absolue de vie et de moeurs produisent un
très bel accord dans les caractères des hommes. 180 Chez nous seuls, on n'entendra pas de propos
contradictoires sur Dieu, - comme chez d'autres peuples en osent soutenir, non
pas les premiers venus suivant la fantaisie qui les prend, mais des philosophes
mêmes, les uns essayant par leurs discours de supprimer toute divinité, les
autres privant Dieu de sa Providence sur les hommes ; - 181
on ne verra pas non plus de différence dans les occupations de notre vie: nous
avons tous des travaux communs et une seule doctrine religieuse, conforme à la
loi, d'après laquelle Dieu étend ses regards sur l'univers. Que toutes les
autres occupations de la vie doivent avoir pour fin la piété, les femmes mêmes
et les serviteurs vous le diraient.
XX
182
C'est l'origine du grief qu'on nous fait aussi,
de n'avoir point produit d'inventeurs dans les arts ni dans la pensée. En
effet, les autres peuples trouvent honorable de n'être fidèles à aucune des
coutumes de leurs pères; ils décernent à ceux qui les transgressent avec le
plus d'audace un certificat de profonde sagesse. 183 Nous, au contraire, nous pensons que la seule sagesse
et la seule vertu est de ne commettre absolument aucune action, de n'avoir
aucune pensée contraire aux lois instituées à l'origine. Ce qui paraîtrait
prouver que la loi a été très bien établie ; car lorsqu'il n'en est pas
ainsi, les tentatives pour redresser les lois démontrent qu'elles en ont
besoin.
XXI
184
Mais pour nous, qui avons reçu cette conviction que la loi, dès l'origine, a
été instituée suivant la volonté de Dieu, ce serait même une impiété que
de ne pas l'observer encore. El en effet, que pourrait-on y changer ? Que
trouver de plus beau ? ou qu'y apporter de l'étranger qu'on juge meilleur ?
185 Changera-t-on
l'ensemble de la constitution ? Mais peut-il y en avoir de plus belle et de
plus juste que celle qui attribue à Dieu le gouvernement de tout l'Etat, qui
charge les prêtres d'administrer au nom de tous les affaires les plus
importantes et confie au grand prêtre à son tour la direction des autres prêtres ?
186 Et ces hommes, ce
n’est point la supériorité de la richesse ou d'autres avantages accidentels
qui les a lait placer dès l'origine par le législateur dans cette charge
honorable ; mais tous ceux qui, avec lui, l'emportaient sur les autres par
l'éloquence et la sagesse, il les chargea de célébrer principalement le culte
divin. 187 Or, ce culte,
c'était aussi la surveillance rigoureuse de la loi et des autres occupations.
En effet, les prêtres reçurent pour mission de surveiller tous les citoyens,
de juger les contestations et de châtier les condamnés.
XXII
188
Peut-il exister une magistrature plus sainte que celle-là ? Peut-on
honorer Dieu d'une façon plus convenable qu'en préparant tout le peuple à la
piété et en confiant aux prêtres des fonctions choisies, de sorte que toute
l'administration de l'Etat soit réglée comme une cérémonie religieuse ?
189 Car les pratiques en
usage, chez d'autres, un petit nombre de jours, et qu'ils ont peine à observer,
les mystères et les cérémonies, comme ils les appellent, c'est avec plaisir,
avec une décision immuable que nous les observons toute notre vie. 190
Quelles sont donc les prescriptions et les défenses de notre loi ? Elles
sont simples et connues. En tête vient ce qui concerne Dieu : Dieu,
parlait et bienheureux, gouverne l'univers ; il se suffit à lui-même et
suffit à tous les êtres ; il est le commencement, le milieu et la fin de
toutes choses ;
il se manifeste par ses oeuvres et ses bienfaits, et rien n'est plus apparent ;
mais sa forme et sa grandeur sont pour nous inexprimables. 191
Car toute matière, si précieuse soit-elle, est vile pour imiter son image, et
tout art perd ses moyens s’il cherche à la rendre ; nous ne voyons, nous
n'imaginons aucun être semblable et il est impie de le représenter.
192 Nous
contemplons ses oeuvres, la lumière,
le ciel, la terre, le soleil et la lune, les fleuves et la mer, les animaux qui
s'engendrent, les fruits qui croissent. Ces oeuvres, Dieu les a créées, non de
ses mains, non par des efforts pénibles, et sans même avoir eu besoin de
collaborateurs ;
mais il les voulut, et aussitôt elles furent comme il les avait voulues.
C'est lui que tous doivent suivre et servir en pratiquant la vertu ; car
c'est la manière la plus sainte de servir Dieu.
XXIII
193
Il n'y a qu'un temple pour le Dieu un - car toujours le semblable aime le
semblable - commun à tous,
comme Dieu est commun à tous. Les prêtres passeront tout leur temps à le
servir, et à leur tête sera toujours le premier par la naissance. 194
Avec ses collègues, il fera des sacrifices à Dieu, conservera les lois, jugera
les contestations, châtiera les condamnés. Si quelqu'un lui désobéit, il
sera puni comme d'une impiété à l'égard de Dieu même. 195
Nos sacrifices n’ont pas pour but de nous enivrer – car Dieu déteste ces
pratiques – mais de nous rendre sages. 196
Dans les sacrifices, nous devons prier d’abord pour le salut commun, ensuite
pour nous-même. Car nous sommes nés pour la communauté, et celui qui la préfère
à son propre intérêt sera le plus agréable à Dieu. 197 On doit demander à Dieu non qu’il nous donne les
biens – car il nous les a donnés lui-même spontanément et les a mis à la
disposition de tous – mais que nous puissions les recevoir et les conserver
après les avoir reçus.
198 Des purifications en
vue des sacrifices sont ordonnées par la loi après un enterrement, un
accouchement, après les rapports sexuels et dans bien d’autres cas.
XXIV
199
Quelles sont maintenant les prescriptions relatives au mariage ? La loi ne
connaît qu’une seule union, l’union naturelle de la femme, et seulement si
elle doit avoir pour but de procréer.
Elle a en horreur l’union entre mâles et punit de mort ceux qui
l’entreprennent.
200 Elle ordonne de se
marier sans se préoccuper de la dot, sans enlever la femme de force, et,
d’autre part, sans la décider par la ruse ou la tromperie ; il faut
demander sa main à celui qui est maître de l’accorder et qui est qualifié
par sa parenté. 201
La femme, dit la loi, est inférieure à l’homme en toutes choses.
Aussi doit-elle obéir non pour s’humilier, mais pour être dirigée, car
c’est à l’homme que Dieu a donné la puissance. Le mari ne doit s’unir
qu’à sa femme ; essayer de corrompre la femme d’autrui est un péché.
Si on le commettait on serait puni de mort sans excuse, soit qu’on violentât
une jeune fille déjà fiancée à un autre, soit qu’on séduisît une femme
mariée.
202 La loi a ordonné de
nourrir tous ses enfants et défendu aux femmes de se faire avorter ou de détruire
par un autre moyen la semence vitale ; car ce serait un infanticide de
supprimer une âme et d’amoindrir la race.
C’est pourquoi également, si l’on ose avoir commerce avec une accouchée,
on ne peut être pur. 203
Même après les rapports légitimes du mari et de la femme la loi ordonne des
ablutions.
Elle a supposé que l’âme contracte par là une souillure étant passée en
autre endroit ; car l’âme souffre par le fait d’être logée par la
nature dans le corps et aussi quand elle en est séparée par la mort.
Voilà pourquoi la loi a prescrit des purifications pour tous les cas de ce
genre.
XXV
204
La loi n’a pas prescrit, à l’occasion de la naissance des enfants,
d’organiser des festins et d’en faire un prétexte à s’enivrer.
Mais elle veut que la sagesse préside à leur éducation dès le début ;
elle ordonne de leur apprendre à lire, elle veut qu’ils vivent dans le
commerce des lois et sachent les actions de leurs aïeux, afin qu’ils imitent
celles-ci et que, nourris dans le culte de celles-là, ils ne les transgressent
pas et n’aient pas point de prétexte à les ignorer.
XXVI
205
Elle a prévu aussi les devoirs à rendre aux morts, sans le luxe des
enterrements ni les édifices funéraires qui attirent les yeux ;
mais elle commet aux soins des funérailles les parents les plus proches, et
tous ceux qui passent devant un convoi funéraire doivent
se joindre à la famille et pleurer avec elle ; l’on doit purifier la
maison et ses habitants après la cérémonie
[afin que l’auteur d’un meurtre soit très loin de sembler pur.]
XXVII
206
Le respect des parents vient au second rang, après le respect de Dieu,
dans les prescriptions de la loi ; et si on ne répond pas à leurs
bienfaits, si l’on manque le moins du monde, elle livre le coupable à la
lapidation. Elle veut que tout
vieillard soit respecté par des jeunes gens,
car Dieu est la vieillesse suprême.
207 Elle défend de rien
cacher à ses amis, car elle n’admet point d’amitié sans confiance absolue.
Même si l’inimitié survient, il est défendu de dévoiler les secrets.
Si un juge reçoit des présents, il est puni de mort.
L’indifférence envers un suppliant qu’on pourrait secourir engage la
responsabilité.
208 On ne peut se saisir
d’un objet qu’on n’a pas mis en dépôt.
On ne s’emparera d’aucun objet appartenant à autrui.
Le prêteur ne prendra pas d’intérêt.
Ces prescription et beaucoup d’autres analogues maintiennent les rapports qui
nous unissent.
XXVIII
209
Le souci qu’a eu le législateur de l’équité envers les étrangers mérite
aussi d'être observé : on verra qu'il a pris les mesures Les plus efficaces
pour nous empêcher à la fois de corrompre nos coutumes nationales et de
repousser ceux qui désirent y participer. 210 Quiconque
veut venir vivre chez nous sous les mêmes lois, le législateur l'accueille
avec bienveillance, car il pense que ce n'est pas la race seule, mais aussi leur
morale qui rapprochent les hommes.
Mais il ne nous a pas permis de mêler à notre vie intime ceux qui viennent
citez nous en passant.
XXIX
211
Ses autres prescriptions doivent être exposées: fournir à tous ceux qui le
demandent du feu, de l'eau, des aliments ; indiquer le chemin ;
ne pas laisser un corps sans sépulture ;
être équitable même envers les ennemis déclarés ; 212 car il défend de ravager leur pays par l'incendie,
il ne permet pas de couper les arbres cultivés,
et même il interdit de dépouiller les soldats tombés dans le combat ;
il a pris des dispositions pour soustraire les prisonniers de guerre à la
violence, et surtout les femmes.
213 Il nous a si bien
enseigné la douceur et l'humanité qu'il n'a pas même négligé les bêtes
privées de raison ; il n'en a autorisé l'usage que conformément à la
loi et l'a interdit dans tout autre cas.
Les animaux qui se réfugient dans les maisons comme des suppliants ne doivent
pas être tués. Il ne permet pas non
plus de faire périr en même temps les parents avec leurs petits,
et il ordonne d'épargner même en pays ennemi les animaux de labour et de ne
pas les tuer. 214
Il s'est ainsi préoccupé en toutes choses de la modération, usant, pour
l'enseigner, des lois citées plus haut, établissant d'autre part contre ceux
qui les transgressent des lois pénales qui n'admettent pas d'excuse.
XXX
215
Dans la plupart des cas où l'on transgresse la loi, la peine est la mort: si
l'on commet un adultère ;
si l'on viole une jeune fille ;
si l'on ose entreprendre un mâle
ou si celui-ci supporte pareil outrage. S'il s'agit d'esclaves (?) la loi est également
inflexible.
216 De plus les délits
sur les mesures et les poids, la vente malhonnête et dolosive, le vol, la
soustraction d'un objet qu'on n'avait pas remis en dépôt, toutes ces fautes
sont punies de châtiments non pas semblables à ceux des autres législations,
mais plus sévères.
217 Les outrages aux
parents et l'impiété, même à l'état de tentative, sont immédiatement punis
de mort.
218 Cependant ceux dont
tous les actes sont conformes aux lois ne reçoivent point en récompense de
l'argent ni de l'or, ni même une couronne d'olivier ou d'ache, ou quelque
distinction de ce genre proclamée par le héraut : mais chacun, d'après
le témoignage de sa propre conscience, s'est fait la conviction que, suivant la
prophétie du législateur, suivant la promesse certaine de Dieu, ceux qui ont
observé exactement les lois, et qui, s'il fallait mourir pour elles, sont morts
de bon coeur, reçoivent de Dieu une nouvelle existence et une vie meilleure
dans la révolution des âges. 219
J'hésiterais à écrire ces choses si tout le monde ne pouvait voir par les
faits que souvent beaucoup d'entre nous ont mieux aimé endurer vaillamment les
pires traitements que de prononcer une seule parole contraire à la loi.
XXXI
220
S'il ne s'était trouvé que notre peuple fût connu de tous les hommes, que
notre obéissance volontaire aux lois fût visible, 221 et si un auteur, ayant composé lui-même une
histoire, en donnait lecture aux Grecs, ou leur disait avoir rencontré quelque
part, en dehors du monde connu, des hommes qui se font de Dieu une idée si
sainte et, pendant de longs siècles, sont restés fidèlement attachés à de
telles lois, ce serait, je pense, un étonnement général de leur part à cause
de leurs continuels changements.
222 Certainement nous
voyons ceux qui ont tenté de rédiger une constitution et des lois analogues,
accusés par les Grecs d'avoir imaginé un Etat chimérique, fondé, d'après
eux, sur des bases impossibles. Je laisse de côté les autres philosophes qui
se sont occupés de questions semblables dans leurs ouvrages. 223 Mais Platon, admiré en Grèce pour avoir excellé
par la dignité de sa vie et pour avoir surpassé tous les autres philosophes
par la puissance de son talent et par son éloquence persuasive, Platon ne cesse
cependant d'être bafoué et tourné en ridicule,
ou peu s'en faut, par ceux qui se donnent pour de grands politiques. 224
Cependant si l'on examinait attentivement ses lois, on trouverait qu'elles sont
plus faciles que les nôtres et qu'elles se rapprochent davantage des coutumes
du plus grand nombre. Platon lui-même avoue qu'il serait imprudent d'introduire
la vérité sur Dieu parmi les foules déraisonnables.
225 Mais les oeuvres de
Platon sont, dans la pensée de quelques-uns, des discours vides, des fantaisies
brillantes, et le législateur qu'ils admirent le plus est Lycurgue ; tout
le monde entonne les louanges de Sparte parce qu'elle est pendant très
longtemps restée attachée aux règles de ce législateur. 226 Qu'on l'avoue donc : l'obéissance aux lois est
une preuve de vertu ; mais que les admirateurs des Lacédémoniens
comparent la durée de ce peuple
aux deux mille ans
et plus qu'a duré notre constitution. 227
En outre, qu'ils réfléchissent à ceci: les Lacédémoniens, tant que, maîtres
d'eux-mêmes, ils conservèrent la liberté, jugèrent bon d'observer exactement
leurs lois, mais lorsque les revers de la fortune les atteignirent, ils les
oublièrent toutes ou peu s'en faut. 228
Nous, au contraire, en proie à mille calamités par suite des changements des
princes qui régnèrent en Asie, même dans les périls extrêmes nous n'avons
pas trahi nos lois ; et ce n'est point par paresse ou par mollesse que nous
leur faisons honneur ; mais, si l'on veut y regarder, elles nous imposent
des épreuves et des travaux bien plus pénibles que la prétendue fermeté
prescrite aux Lacédémoniens. 229
Ceux-ci ne cultivaient point la terre, ne se fatiguaient pas dans des métiers,
mais, libres de tout travail, brillants de santé, exerçant leur corps en vue
de la beauté, ils passaient leur existence dans la ville, 230 se faisaient servir par d'autres pour tous les
besoins de la vie, et recevaient d'eux leur nourriture toute prête, résolus à
tout faire et à tout supporter pour obtenir ce seul résultat - bien beau et
bien humain -, d'être plus forts que tous ceux contre qui ils partiraient en
guerre. 231 Et ils n'y réussirent
même pas, pour le dire en passant ; car, ce n'est pas seulement un citoyen
isolé, mais un grand nombre ensemble qui souvent, au mépris des prescriptions
de la loi, se sont rendus avec leurs armes aux ennemis.
XXXII
232
Est-ce que chez nous aussi on a connu, je ne dis pas autant d'hommes, mais deux
ou trois seulement, qui aient trahi les lois ou redouté la mort ? je ne parle
pas de la mort la plus facile qui arrive dans les combats, mais de la mort
accompagnée de la torture du corps, qui semble être la plus affreuse de
toutes. 233 C'est au point
que, selon moi, quelques-uns de nos vainqueurs nous maltraitaient, non par haine
pour des gens à leur discrétion, mais afin de contempler l'étonnant spectacle
d'hommes pour qui l'unique malheur est d'être contraints de commettre une
action ou seulement de prononcer une parole contraire à leurs lois. 234
Il ne faut pas s'étonner si nous envisageons la mort pour les lois avec un
courage qui dépasse celui de tous les autres peuples. En effet, celles même de
nos coutumes qui semblent les plus faciles sont difficilement supportées par
d'autres; je veux dire le travail personnel, la frugalité de la nourriture, la
contrainte de ne pas abandonner au hasard ou à son caprice particulier le
manger et le boire, ni les rapports sexuels, ni la dépense ; d'autre part,
l'observation du repos immuablement fixé. 235
Les hommes qui marchent au combat l'épée à la main et mettent en fuite les
ennemis au premier choc, n'ont pu regarder en face les prescriptions qui règlent
la manière de vivre. Nous au contraire, à nous soumettre avec plaisir aux lois
qui la concernent, nous gagnons de montrer, dans le combat aussi, notre valeur.
XXXIII
236
Après cela, les Lysimaque, les Molon et autres écrivains du même genre, méprisables
sophistes qui trompent la jeunesse, nous représentent injurieusement comme les
plus vils de tous les hommes. 237
Je ne voudrais pas examiner les lois des autres peuples ; il est de
tradition chez nous d'observer nos propres lois et non de critiquer celles des
étrangers ; même la raillerie et le blasphème à l'égard des dieux reçus
chez les autres nous ont été formellement interdits par le législateur, à
cause du nom même de Dieu.
238 Mais comme nos
accusateurs croient nous confondre par la comparaison, il n'est pas possible de
garder le silence, d'autant plus que le raisonnement par lequel je vais répondre
n'a pas été imaginé par moi pour la circonstance, mais a été exposé par
des auteurs nombreux et très estimés. 239
Quel est en effet parmi les auteurs admirés en Grèce pour leur sagesse celui
qui n'a point blâmé les plus illustres des poètes et les législateurs les
plus autorisés d'avoir semé dès l'origine parmi la foule de telles idées sur
les dieux ? 240 Ils
en grossissent le nombre à leur volonté, les font naître les uns des autres
et s'engendrer de diverses façons. Ils les distinguent par leur résidence et
leur manière de vivre, comme les espèces animales, ceux-ci sous terre, ceux-là
dans la mer, les plus âgés prisonniers dans le Tartare.
241 Tous ceux à qui ils
ont donné le ciel en partage sont soumis par eux à un prétendu père, qui est
en réalité un tyran et un maître ; aussi voit-on, d'après leurs
imaginations, conspirer contre lui son épouse, son frère et sa fille, qu'il
engendra par la tête, pour le saisir et l'emprisonner,
comme lui-même fit son propre père.
XXXIV
242
C'est à juste titre que les esprits les plus distingués ne ménagent point
leurs critiques à ces histoires ; et ils trouvent ridicule aussi d'être
obligé de croire que parmi les dieux ceux-ci sont des jouvenceaux imberbes,
ceux-là des vieillards barbus; que les uns sont préposés aux arts, que
celui-ci travaille le fer,
que celle-là tisse la toile,
qu'un troisième fait la guerre et se bat avec les hommes,
que d'autres encore jouent de la cithare
ou se plaisent à lancer des flèches ;
243 puis d'admettre qu'ils
se révoltent les uns contre les autres, et se querellent au sujet des hommes au
point non seulement d'en venir aux mains entre eux, mais encore de se lamenter,
et de souffrir, blessés par les mortels. 244 Et, pour comble de grossièreté, n'est-il pas
inconvenant d'attribuer des unions et des amours sans frein presque à tous les
dieux des deux sexes ? 245
Ensuite, le plus noble d'entre eux et le premier, le père lui-même, après
avoir séduit des femmes par la ruse et les avoir rendues mères, les voit, d'un
oeil tranquille, emprisonner ou noyer ; et les enfants issus de lui, il ne
peut ni les sauver, soumis qu'il est au destin, ni supporter leur mort sans
pleurer. 246 Voilà de
belles choses ; d'autres qui suivent ne le sont pas moins, comme l'adultère
auquel les dieux assistent au ciel avec tant d'impudence que quelques-uns
avouent même qu'ils envient le couple ainsi uni ; que ne devaient-ils pas
se permettre quand le plus vieux, le roi, n'a pas même pu refréner son désir
de posséder sa femme, ne fût-ce que le temps de gagner sa chambre à coucher ?
247 Et les dieux en
esclavage chez les hommes, et salariés tantôt pour bâtir, tantôt pour paître
les troupeaux ; d'autres enchaînés dans une prison d'airain à la manière
des criminels ! Est-il un homme
sensé qui ne soit excité par ces contes à blâmer ceux qui les ont imaginés
et à condamner la grande sottise de ceux qui les admettent ? 248
D'autres divinisent la crainte et la terreur, la rage et la fourberie; quelle
est celle des pires passions qu'ils n'aient représentée avec la nature et sous
la forme d'un dieu ? Ils ont même persuadé aux cités de faire des sacrifices
aux plus favorables d'entre elles. 249
Aussi ils sont mis dans la nécessité absolue de croire que certains dieux
accordent les biens, et de donner aux autres le nom de « dieux qui détournent
les maux ».
Alors, ils s'efforcent de les fléchir comme les plus méchants des hommes par
des bienfaits et des présents, et s'attendraient à subir de leur part un grand
mal s'ils ne les payaient pas.
XXXV
250
Quelle est donc la cause d'une telle anomalie et d'une telle inconvenance à l'égard
de la divinité ? Elle vient, je crois, de ce que leurs législateurs n'ont pas
eu conscience à l'origine de la véritable nature de Dieu, et que, même dans
la mesure où ils ont pu la saisir, ils n'ont pas su la définir exactement pour
y conformer le reste de leur organisation politique ; 251
comme si c'était un détail des plus négligeables, ils ont permis aux poètes
de présenter les dieux qu'ils voudraient, soumis à toutes les passions, et aux
orateurs de donner le droit de cité par un décret à celui des dieux étrangers
qui serait utile. 252 Les
peintres aussi et les sculpteurs jouirent à cet égard d'une grande liberté
chez les Grecs, chacun tirant de sa propre imagination une forme, que l'un
modelait dans la glaise et que l'autre dessinait. Les artistes les plus admirés
se servent de l'ivoire et de l'or, qui fournissent matière à des inventions
toujours nouvelles. 253 Et
puis certains dieux, après avoir connu les honneurs dans la maturité, ont
vieilli pour me servir d'un euphémisme ; 254
d'autres nouvellement introduits, obtiennent l'adoration.
Certains temples sont désertés et de nouveaux s'élèvent, les hommes bâtissant
chacun suivant son caprice, alors qu'ils devraient au contraire conserver
immuable leur croyance en Dieu et le culte qu'ils lui rendent.
XXXVI
255
Apollonius Molon était parmi les esprits insensés et aveugles ;
mais ceux des philosophes grecs qui ont parlé selon la vérité, ont bien vu
tout ce que je viens de dire, et ils n'ont point ignoré les froids prétextes
des allégories.
C'est pourquoi ils les méprisèrent justement, et leur conception de Dieu,
vraie et convenable, fut conforme à la nôtre. 256 En
partant de cette croyance, Platon
déclare qu'il ne faut recevoir dans la République aucun poète, et il en
exclut Homère en termes bienveillants après l'avoir couronné, et aspergé de
parfum, pour l'empêcher d'obscurcir par ses fables la vraie conception de Dieu.
257 Mais Platon suit
surtout l'exemple de notre législateur
en ce que sa prescription la plus impérieuse pour l'éducation des citoyens est
l'étude exacte et approfondie de la loi, obligatoire pour tous ; par les
mesures aussi qu'il a prises pour empêcher que des étrangers ne se mêlassent
au hasard à la nation et pour conserver dans sa pureté l'Etat, composé de
citoyens fidèles aux lois.
258 Sans avoir réfléchi
à aucun de ces faits, Apollonios Melon nous a fait un crime de ne point
recevoir parmi nous les hommes qui se sont laissé assujettir auparavant par
d'autres croyances religieuses, et de ne point vouloir de société avec ceux
qui préfèrent d'autres habitudes de vie.
259 Mais cette pratique
non plus ne nous est pas particulière ; elle est commune à tous les
peuples, et non seulement à des Grecs mais aux plus estimés d'entre les Grecs.
Les Lacédémoniens, non contents d'expulser couramment des étrangers,
n'autorisaient pas leurs concitoyens à voyager au dehors, craignant dans les
deux cas la ruine de leurs lois. 260
Peut-être aurait-on droit de leur reprocher leur manque de sociabilité, car
ils n’accordaient à personne le droit de cité ni celui de séjourner parmi
eux. 261 Nous, au
contraire, si nous ne croyons pas devoir imiter les coutumes des autres, du
moins nous accueillons avec plaisir ceux qui veulent participer aux nôtres. Et
c'est là, je pense, une preuve à la fois d'humanité et de magnanimité.
XXXVII
262
Je n'insiste pas sur les Lacédémoniens. Mais les Athéniens, qui ont cru que
leur cité était commune à tous, quelle était sur ce point leur conduite ?
Apollonios ne l'a pas su, ni qu'un seul mot prononcé au sujet des dieux en
violation de leurs lois était inexorablement puni. 263 En effet, pour quelle autre raison Socrate est-il
mort ? Il n'avait point livré sa patrie aux ennemis, il n'avait pillé
aucun temple ; mais parce qu'il jurait suivant de nouvelles formules, et
disait, par Zeus,
à ce qu'on raconte, en manière de plaisanterie, qu'un démon se manifestait à
lui, il fut condamné à mourir en buvant la ciguë. 264 En outre, son accusateur lui reprochait de corrompre
les jeunes gens, parce qu'il les poussait à mépriser la constitution et les
lois de leur patrie. Donc Socrate, un citoyen d'Athènes, subit un tel châtiment.
265 Anaxagore, lui, était
de Clazomènes ; cependant, parce que les Athéniens prenaient le soleil
pour un dieu, tandis qu'il en faisait une masse de métal
incandescente, il s'en fallut de peu de suffrages qu'il ne fût par eux condamné
à mort. 266 Ils promirent
publiquement un talent pour la tête de Diagoras de Mélos, parce qu'il passait
pour railler leurs mystères. Protagoras, s'il n'avait promptement pris la
fuite, aurait été arrêté et mis à mort parce que, dans un ouvrage, il avait
paru contredire les sentiments des Athéniens sur les dieux. 267
Faut-il s'étonner qu'ils aient eu cette attitude à l'égard d'hommes aussi
dignes de foi, quand ils n'ont pas même épargné les femmes? En effet, ils
mirent à mort la prêtresse Ninos
parce qu'on l'avait accusée d'initier au culte de dieux étrangers ; or la
loi chez eux l'interdisait, et la peine édictée contre ceux qui introduisaient
un dieu étranger était la mort. 268
Ceux qui avaient une telle loi ne pensaient évidemment pas que les dieux des
autres fussent dieux ; car ils ne se seraient point privés d'en admettre
un plus grand nombre pour en tirer profit.
269
Voilà pour les Athéniens. Mais les Scythes eux-mêmes, qui se complaisent dans
le meurtre des hommes et qui ne sont pas très supérieurs aux bêtes, croient
cependant devoir protéger leurs coutumes; et leur compatriote, dont les Grecs
admiraient la sagesse, Anarcharsis, fut mis à mort par eux à son retour,
parce qu'il leur paraissait revenir infecté des coutumes grecques. 270
Chez les Perses on trouverait aussi de nombreux personnages châtiés pour la même
raison. Cependant Apollonios aimait les lois des Perses et les admirait,
apparemment parce que la Grèce a bénéficié de leur courage et de la
concordance de leurs idées religieuses avec les siennes, de celle-ci quand ils
réduisirent les temples en cendres, de leur courage quand elle faillit subir
leur joug ; il imita même les coutumes perses, outrageant les femmes
d'autrui et mutilant des enfants.
271 Chez nous la mort est
la peine édictée contre qui maltraite ainsi même un animal privé de raison.
Et rien n'a été assez fort pour nous détourner de ces lois, ni la crainte de
nos maîtres, ni l'attrait des usages honorés chez les autres peuples. 272
Nous n’avons pas non plus exercé notre courage à entreprendre des guerres
par ambition, mais à conserver nos lois. Nous supportons patiemment d'être
amoindris de toute autre façon, mais quand on vient à nous contraindre de
changer nos lois, alors, même sans être en force, nous entreprenons des
guerres, et nous tenons contre les revers jusqu'à la dernière extrémité. 273
Pourquoi, en effet, envierions-nous à d'autres leurs lois, quand nous voyons
leurs auteurs mêmes ne point les observer ? En effet, comment les Lacédémoniens
n'auraient-ils pas condamné leur constitution insociable et leur mépris du
mariage,
les Éléens et les Thébains la liberté sans frein des rapports contre nature
entre mâles ? 274 Ces
pratiques, en tout cas, que jadis ils croyaient très honorables et utiles, si
en fait ils ne les ont pas absolument abandonnées, ils ne les avouent plus, 275
et même ils répudient les lois relatives à ces unions, qui chez les Grecs
furent jadis tellement en vigueur, qu'ils mettaient sous le patronage des dieux
les rapports avec des mâles
et, suivant le même principe, les mariages entre frères et soeurs,
imaginant cette excuse aux plaisirs anormaux et contraires à la nature,
auxquels ils s'adonnaient eux-mêmes.
XXXVIII
276
Je laisse de côté pour le moment les pénalités : toutes les échappatoires
que dès l'origine la plupart des législateurs offrirent aux coupables, édictant
contre l'adultère l'amende, et contre le séducteur le mariage ; dans les
affaires d'impiété aussi tous les prétextes qu'ils fournissent de nier au cas
où l'on entreprendrait une enquête. En effet, chez la plupart tourner les lois
est devenu une véritable étude. 277
Il n'en est pas ainsi chez nous; qu'on nous dépouille même de nos richesses,
de nos villes, de nos autres biens, notre loi du moins demeure immortelle. Et il
n'est pas un Juif, si éloigné de sa patrie, si terrorisé par un maître sévère,
qu'il ne craigne la loi plus que lui. 278
Si donc c'est grâce à la vertu de nos lois que nous leur sommes tellement
attachés, qu'on nous accorde qu'elles sont excellentes. Et si l'on estime
mauvaises des lois auxquelles nous sommes à ce point fidèles, quel châtiment
ne mériteraient pas ceux qui en transgressent de meilleures ?
XXXIX
La
loi juive a subi l'épreuve du temps et a été adoptée par plusieurs peuples.
279
Or donc, puisqu'une longue durée passe pour l'épreuve la plus sûre de toute
chose, je pourrais la prendre à témoin de la vertu de notre législateur et de
la révélation qu'il nous a transmise de Dieu. 280
Car un temps infini s'étant écoulé depuis, si l'on compare l'époque où il vécut
à celle des autres législateurs, on trouvera que pendant tout ce temps les
lois ont été approuvées par nous et se sont attiré de plus en plus la faveur
de tous les autres hommes. 281
Les premiers, les philosophes grecs, s'ils conservèrent en apparence les lois
de leur patrie, suivirent Moïse dans leurs écrits et dans leur philosophie, se
faisant de Dieu la même idée que lui,
et enseignant la vie simple et la communauté entre les hommes. 282
Cependant la multitude aussi est depuis longtemps prise d'un grand zèle pour
nos pratiques pieuses, et il n'est pas une cité grecque ni un seul peuple
barbare, où ne se soit répandue notre coutume du repos hebdomadaire, et où
les jeûnes, l'allumage des lampes, et beaucoup de nos lois relatives à la
nourriture ne soient observés.
283 Ils s'efforcent aussi
d'imiter et notre concorde et notre libéralité et notre ardeur au travail dans
les métiers et notre constance dans les tortures subies pour les lois. 284
Car ce qui est le plus étonnant, c'est que, sans le charme ni l'attrait au
plaisir, la loi a trouvé sa force en elle-même, et, de même que Dieu s'est répandu
dans le monde entier, de même la loi a cheminé parmi tous les hommes. Que
chacun examine lui-même sa patrie et sa famille, il ne mettra point en doute
mes paroles. 285 Il faut
donc ou bien que nos détracteurs accusent tous les hommes de perversité
volontaire pour avoir désiré suivre des lois étrangères et mauvaises plutôt
que leurs lois nationales et bonnes, ou qu'ils cessent de nous dénigrer. 286 Car nous n'élevons pas une prétention critiquable
en honorant notre propre législateur et en croyant à sa doctrine prophétique
au sujet de Dieu ; en effet, si même nous ne comprenions pas par nous-mêmes
la vertu de nos lois, de toute façon le nombre des hommes qui les suivent nous
eût portés à en concevoir une haute idée.
XL
287
Au reste j'ai rapporté en détail les lois et la constitution des Juifs dans
mes écrits sur les Antiquités ;
ici j'en ai fait mention dans la mesure où c'était nécessaire, non pour blâmer
les moeurs des autres ni pour exalter les nôtres, mais pour prouver que les écrivains
injustes à notre égard ont attaqué avec impudence la vérité elle-même. 288
Je pense avoir suffisamment rempli dans cet ouvrage ma promesse du début. J'ai
montré en effet que notre race remonte à une haute antiquité, tandis que nos
accusateurs la disent très récente. J'ai produit d'antiques témoins en grand
nombre, qui nous mentionnent dans leurs histoires, tandis qu’à croire leurs
affirmations il n'en existe aucun. 289
Ils prétendaient que nos aïeux étaient Égyptiens ; j'ai montré
qu’ils étaient venus en Égypte d'un autre pays. Ils ont affirmé faussement
que les Juifs en avaient été chassés à cause de l'impureté de leur corps ;
j' ai montré qu'ils étaient retournés dans leur patrie parce qu'ils le
voulaient, et qu'ils étaient les plus forts. 290
Ils ont vilipendé notre législateur en le représentant comme très méprisable ;
mais pour témoin de sa valeur il a trouvé Dieu autrefois et, après Dieu, le
temps.
XLI
291
Sur les lois je n'avais pas besoin de m'étendre davantage: elles ont montré
par elles-mêmes qu'elles enseignent, non l'impiété, mais la piété la plus
vraie ; qu'elles invitent non à la haine des hommes, mais à la mise en
commun des biens; qu'elles s'élèvent contre l'injustice, se préoccupent de l'équité,
bannissent la paresse et le luxe, enseignent la modération et le travail ;
292 qu'elles repoussent
les guerres de conquêtes, mais préparent les hommes à les défendre elles-mêmes
vaillamment, inflexibles dans le châtiment, insensibles aux sophismes des
discours apprêtés, s'appuyant toujours sur des actes ; car ce sont là
nos arguments, plus clairs que les écrits. 293 Aussi oserai-je dire que nous avons initié les
autres peuples à de très nombreuses et aussi à de très belles idées. Quoi
de plus beau que la piété inviolable ? de plus juste que d'obéir aux
lois ? 294 Quoi de
plus utile que de s'accorder entre concitoyens, de ne point se désunir dans le
malheur, et dans la prospérité de ne point provoquer de dissensions par excès
d'orgueil ; dans la guerre de méprisez la mort, dans la paix de
s'appliquer aux arts et à l'agriculture, et de croire que Dieu étend sur tout
et partout son regard et son autorité ? 295 Si ces préceptes avaient été antérieurement écrits
chez d'autres hommes, ou s'ils avaient été observés avec plus de constance,
nous devrions à ces hommes une reconnaissance de disciples; mais si l'on voit
que personne ne les suit mieux que nous, et si nous avons montré que la création
de ces lois nous appartient, alors, que les Apion, les Molon et tous ceux dont
le plaisir est de mentir et d’injurier soient confondus. 296
A toi, Épaphrodite, qui aimes avant tout la vérité, et par ton entremise à
ceux qui voudront également être fixés sur notre origine, je dédie ce livre
et le précédent.
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