LIVRE 1
I
1
J'ai déjà suffisamment montré, je pense, très puissant Épaphrodite,
par mon histoire ancienne, à ceux qui la liront, et la très haute antiquité de
notre race juive, et l'originalité de son noyau primitif, et la manière dont
elle s'est établie dans le pays que nous occupons aujourd'hui ; en effet 5 000
ans sont compris dans
l'histoire que j'ai racontée en grec d'après nos Livres sacrés.
2 Mais puisque je vois bon nombre d'esprits, s'attachant
aux calomnies haineuses répandues par certaines gens, ne point ajouter foi aux
récits de mon Histoire ancienne et alléguer pour preuve de l'origine assez
récente de notre race que les historiens grecs célèbres ne l'ont jugée digne
d'aucune mention,
3
j'ai cru devoir traiter brièvement tous ces points afin de confondre la
malveillance et les mensonges volontaires de nos détracteurs, redresser
l'ignorance des autres, et instruire tous ceux qui veulent savoir la vérité sur
l'ancienneté de notre race. 4
J'appellerai, en témoignage de mes assertions, les écrivains les plus dignes de
foi, au jugement des Grecs, sur toute l'histoire ancienne; quant aux auteurs
d'écrits diffamatoires et mensongers à notre sujet, ils comparaîtront pour se
confondre eux-mêmes. 5
J'essaierai aussi d'expliquer pour quelles raisons peu d'historiens grecs ont
mentionné notre peuple ; mais, d'autre part, je ferai connaître les auteurs qui
n'ont pas négligé notre histoire à ceux qui les ignorent ou feignent de les
ignorer.
II
6
Et d'abord le suis saisi d'un grand étonnement à voir les gens qui croient
nécessaire, dans l'étude des événements les plus anciens, de s'attacher aux
Grecs seuls et de leur demander la vérité, sans accorder créance ni à nous ni
aux autres hommes. Pour ma part, je vois qu'il en va tout autrement, Si l'on
rejette, comme il convient, les vains préjugés, et Si l'on s'inspire des faits
eux-mêmes pour être juste. 7
En effet, j'ai trouvé que tout chez les Grecs est récent et date, pour ainsi
parler, d'hier ou d'avant-hier: je veux dire la fondation des villes,
l'invention des arts et la rédaction des lois; mais de toutes choses la plus
récente, ou peu s'en faut, est, chez eux, le souci d'écrire l'histoire.
8
Au contraire, les événements qui se sont produits chez les Égyptiens, les
Chaldéens et les Phéniciens - pour l'instant je n'ajoute pas notre peuple à la
liste -, de l'aveu même des Grecs, ont été l'objet d'une transmission historique
très ancienne et très durable. 9
En effet, tous ces peuples habitent des pays qui ne sont nullement exposés aux
ravages de l'atmosphère, et leur grande préoccupation a été de ne laisser dans
l'oubli aucun des événements accomplis chez eux, mais de les consacrer toujours
par des annales officielles, œuvre des plus savants d'entre eux.
10
Au contraire, le pays de Grèce a essuyé mille catastrophes
qui ont effacé le souvenir des événements passés ; et à mesure qu'ils
instituaient de nouvelles civilisations, les hommes de chaque époque croyaient
que toute chose commençait avec la leur ; c'est tardivement aussi et
difficilement qu'ils connurent l'écriture ; en tout cas ceux qui veulent en
reculer l'usage le plus loin se flattent de l'avoir apprise des Phéniciens et de
Cadmos. 11 Pourtant, même de cette époque on ne saurait montrer
aucune chronique conservée dans les dépôts soit sacrés, soit publics, puisque,
au sujet des hommes mêmes qui marchèrent contre Troie tant d'années plus tard,
on est fort embarrassé et l'on fait force recherches pour savoir s'ils
connaissaient l'écriture.
Et l'opinion prévalente c'est plutôt qu'ils ignoraient l'usage actuel des
lettres. 12 Nulle part d'ailleurs en Grèce on ne trouve un écrit
reconnu plus ancien que la poésie d'Homère. Or, il est clair que ce poète est
encore postérieur à la guerre de Troie. Et lui-même, dit-on, ne laissa pas ses
poèmes par écrit ; mais, transmis par la mémoire, ils furent plus tard
constitués par la réunion des chants ; de là les nombreuses divergences qu'on y
constate.
13 Quant aux Grecs qui ont entrepris d'écrire l'histoire, comme
Cadmos de Milet, Acousilaos d'Argos et ceux qu'on cite après lui, ils n'ont vécu
que peu de temps
avant l'expédition des Perses contre la Grèce. 14 Mais bien certainement les premiers philosophes grecs
qui aient traité des choses célestes et divines, comme Phérécyde de Syros,
Pythagore et Thalès furent, tout le monde
s'accorde là4essus, les disciples des Égyptiens et des Chaldéens avant de
composer leurs courts ouvrages, et ces écrits sont aux yeux des Grecs les plus
anciens de tous ; à peine même les croient-ils authentiques.
III
15
N'est-il donc point absurde que les Grecs s'aveuglent ainsi en croyant être
seuls à connaître l'antiquité et à en rapporter exactement l'histoire ? Et ne
peut-on point facilement apprendre de leurs historiens mêmes que, loin d'écrire
de science certaine, chacun d'eux n'a lait qu'émettre des conjectures sur le
passé ? Le plus souvent, en tout cas, leurs ouvrages se réfutent les uns les
autres et ils n'hésitent pas à raconter les mêmes laits de la façon la plus
contradictoire. 16 Il serait superflu d'apprendre aux lecteurs,
qui le savent mieux que moi, combien Hellanicos diffère d'Acousilaos sur les
généalogies, quelles corrections Acousilaos apporte à Hésiode, comment sur
presque tous les points les erreurs d'Hellanicos sont relevées par Éphore,
celles d'Éphore par Timée, celles de Timée par ses successeurs, celles
d'Hérodote par tout le monde.
17 Même sur l'histoire de Sicile Timée n'a pu s'entendre avec
Antiochos, Philistos ou Callias ; pareil désaccord sur les choses attiques entre
les atthidographes, sur les choses argiennes entre les historiens d'Argos. 18 Et pourquoi parler de l'histoire des cités et de faits
moins considérables, quand sur l'expédition des Perses et sur les événements qui
l'accompagnèrent les auteurs les plus estimés se contredisent ? Sur bien des
points, Thucydide même est accusé d'erreurs par certains auteurs, lui qui
pour¬tant passe pour raconter avec la plus grande exactitude l'histoire de son
temps.
IV
19
Bien d'autres causes d'une telle divergence apparat traient peut-être à qui
voudrait les chercher, mais, pour moi, j'attribue aux deux que je vais dire la
plus grande influence. Je commencerai par celle qui me parait dominante.
20
L'insouciance des Grecs, depuis l'origine, à consigner chaque événement dans des
annales officielles, voilà surtout ce qui causa les erreurs et autorisa les
mensonges de ceux qui plus tard voulurent écrire sur l'antiquité. 21 Car non seulement chez les autres Grecs on négligea de
rédiger des annales, mais même chez les Athéniens, qu'on dit autochtones et
soucieux d'instruction, on trouve que rien de semblable n'a existé, et leurs
plus anciens documents publies sont, à ce qu'on dit, les lois sur le meurtre
rédigées pour eux par Dracon, personnage qui a vécu peu avant la tyrannie de
Pisistrate.
22
Que dire, en effet, des Arcadiens, qui vantent l'ancienneté de leur race ? C'est
à peine si plus tard encore ils apprirent l'écriture.
V
23
Ainsi, c'est l'absence, à la base de l'histoire, de toutes annales antérieures,
propres à éclairer les hommes désireux de s'instruire et à confondre l'erreur,
qui explique les nombreuses divergences des historiens. 24 En second lieu il faut ajouter à celle-là une cause
importante. Ceux qui ont entrepris d'écrire ne se sont point attachés à chercher
la vérité, malgré la profession qui revient toujours sous leur plume, mais ils
ont fait montre de leur talent d'écrivain ; 25 et si par un moyen quelconque ils pensaient pouvoir en
cela surpasser la réputation des autres, ils s'y pliaient, les uns se livrant
aux récits mythiques, les autres, par flatterie, à l'éloge des cités et des
rois. D'autres encore s'adonnèrent à la critique des événements et des
historiens, dans la pensée d'établir ainsi leur réputation.
26
Bref, rien n'est plus opposé à l'histoire que la méthode dont ils usent
continuellement. Car la preuve de la vérité historique serait la concordance sur
les mêmes points des dires et des écrits de tous ; et, au contraire, chacun
d'eux, en donnant des mêmes faits une version différente, espérait paraître par
là le plus véridique de tous. 27
Ainsi pour l'éloquence et le talent littéraire nous devons céder le pas aux
historiens grecs, mais non point aussi pour la vérité historique en ce qui
concerne l'antiquité, et principalement quand il s'agit de l'histoire nationale
de chaque pays.
VI
28
Que chez les Égyptiens et les Babyloniens, Si l'on remonte à la plus lointaine
antiquité, le soin des annales et la spéculation qui les concerne aient été
entre les mains, chez ceux-là des prêtres, chez les Babyloniens des Chaldéens,
et que, parmi les peuples en relations avec les Grecs, les Phéniciens surtout
aient usé de l'écriture pour les organisations de la vie et pour transmettre le
souvenir des événements publics, tout le monde l'accorde; je crois donc inutile
d'insister. 29
Mais que nos ancêtres se soient préoccupés de leurs annales autant, pour ne pas
dire plus encore que les peuples nommés plus haut, en confiant leur rédaction
aux grands-prêtres et aux prophètes, que jusqu'à nos jours cette coutume ait été
très rigoureusement observée et, pour parler plus hardiment, doive continuer à
l'être, je vais essayer de le montrer brièvement.
VII
30
Non seulement dès l'origine ils ont commis à ce soin les meilleurs, ceux qui
étaient attachés au culte de Dieu, mais ils ont pris des mesures pour que la
race des prêtres demeurât pure de mélange et sans souillure.
31
En effet, celui qui participe au sacerdoce doit, pour engendrer, s’unir à une
femme de même nation et, sans considérer la fortune ni les autres distinctions,
faire une enquête sur sa famille, extraire des archives la succession de ses
parents et présenter de nombreux témoins.
32 Et nous ne suivons pas cette pratique seulement en Judée même,
mais, partout aussi où se rencontre un groupe des nôtres, les prêtres observent
rigoureusement cette règle pour les mariages. 33 Je parle de ceux
d'Égypte, de Babylone et de tous les autres pays du monde où les hommes de la
race sacerdotale peuvent être dispersés. Ils envoient à Jérusalem le nom
patronymique de leur femme avec la liste de ses ancêtres en remontant, et les
noms des témoins. 34
Si le pays est en proie à la guerre - comme le fait s'est produit souvent lors
des invasions d'Antiochos Épiphane, de Pompée le Grand et de Quintilius Varus,
et surtout de nos jours - 35
ceux des prêtres qui survivent reconstituent de nouveaux livrets à l'aide des
archives et vérifient l'état des
femmes qui restent. Car ils n'admettent plus celles qui ont été prisonnières,
les soupçonnant d'avoir eu, comme il est souvent arrivé, des rapports avec un
étranger.
36 Et voici la preuve la plus éclatante au soin exact apporté
dans cette matière : nos grands-prêtres, depuis deux mille ans, sont nommés, de
père en fils, dans nos annales.
Ceux qui contreviennent le moins du monde aux règles précitées se voient
interdire l'accès des autels et la participation aux autres cérémonies du culte.
VIII
37
Par une conséquence naturelle, ou plutôt nécessaire - puisqu'il n'est pas permis
chez nous à tout le monde d'écrire l'histoire et que nos écrits ne présentent
aucune divergence, mais que seuls les prophètes racontaient avec clarté les
faits lointains et anciens pour les avoir appris par une inspiration divine, les
faits contemporains selon qu'ils se passaient sous leurs yeux, -
38
par une conséquence naturelle, dis-je, il n'existe pas chez nous une infinité de
livres en désaccord et en contradiction, mais vingt-deux seulement qui
contiennent les annales do tous les temps et obtiennent une juste créance.
39
Ce sont d'abord les livres de Moïse, au nombre de cinq, qui comprennent les lois
et la tradition depuis la création des hommes jusqu'à sa propre mort. C'est une
période de trois mille ans à peu près. 40 Depuis la mort de Moïse jusqu'à Artaxerxés,
successeur de Xerxès au trône de Perse, les prophètes qui vinrent après Moïse
ont raconté l'histoire de leur temps on treize livres.
Les quatre derniers contiennent des hymnes à Dieu et des préceptes moraux pour
les hommes.
41
Depuis Artaxerxés jusqu'à nos jours tous les événements ont été racontés, mais
on n'accorde pas à ces écrits la même créance qu'aux précédents, parce que les
prophètes ne se sont plus exactement succédé.
42
Les faits montrent avec quel respect nous approchons nos propres livres. Après
tant de siècle écoulés, personne ne s'y est permis aucune addition, aucune
coupure, aucun changement. Il est naturel à tous les Juifs, dès leur naissance,
de penser que ce, sont là les volontés divines, de les respecter, et au besoin
de mourir pour elles avec joie. 43
Aussi l'on a vu déjà beaucoup d'entre eux en captivité supporter les tortures et
tous les genres de mort dans les amphithéâtres pour ne point prononcer un seul
mot contraire aux lois et aux annales qui les accompagnent.
44
Chez les Grecs, qui en supporterait autant par un tel scrupule ? Même pour
sauver tous leurs écrits aucun n’affronterait le moindre dommage.
45
Car pour eux, ce sont discours improvisés suivant la fantaisie de leurs auteurs.
Et cette opinion, ils l'appliquent avec raison aux historiens anciens, puisque
de nos jours encore on voit des auteurs oser raconter les événements sans y
avoir assisté en personne et sans s'être donné la peine d'interroger ceux qui
les connaissent. 46
Certainement sur la guerre même que nous avons eue récemment, des auteurs ont
publié de prétendues histoires sans être venus sur les lieux ou s'être approchés
du théâtre de l'action. Mais d'après des on-dit, ils ont réuni un petit nombre
de faits, et les ont décorés du nom d'histoire avec une impudence d'ivrognes.
IX
47
Moi, au contraire, et sur l'ensemble de la guerre et sur le détail des faits,
j'ai écrit une relation véridique, ayant assisté en personne à tous les
événements.
48 Car j'étais général de ceux qu'on appelle chez nous les
Galiléens tant que la résistance fut possible, puis, capturé, je vécus
prisonnier dans le camp romain. Vespasien et Titus, me tenant sous leur
surveillance, m'obligèrent à être toujours auprès d'eux, enchaîné au début; plus
tard, délivré de mes liens, je fus envoyé d'Alexandrie avec Titus au siège de
Jérusalem. 49
Pendant ce temps pas un fait n'a échappé à ma connaissance. En effet, je notais
avec soin non seulement ce qui se passait sous mes yeux dans l'armée romaine,
mais encore les renseignements des déserteurs que j'étais seul à comprendre.
50 Ensuite, dans les loisirs que j'eus à Rome, la préparation de mon
histoire entièrement terminée, je me fis aider pour le grec par quelques
personnes et c'est ainsi que je racontai les événements pour la postérité. Il en
résulta pour moi une telle confiance dans la véracité de mon histoire qu'avant
tous les autres je voulus prendre à témoin ceux qui avaient commandé en chef
dans la guerre, Vespasien et Titus.
51
C'est à eux les premiers que je donnai mes livres et ensuite à beaucoup de
Romains qui avaient participé à la campagne; je les vendis d'autre part à un
grand nombre des nôtres, initiés aux lettres grecques, parmi lesquels Julius
Archélaüs,
le très auguste Hérode,
et le très admirable roi Agrippa lui-même.
52
Tous ces personnages ont témoigné que je m'étais appliqué à défendre la vérité,
eux qui n'auraient point caché leurs sentiments ni gardé le silence si, par
ignorance ou par faveur, j'avais travesti ou omis quelque fait.
X
53
Cependant certains personnages méprisables ont essayé d'attaquer mon histoire, y
voyant l'occasion d'un exercice d'accusation paradoxale et de calomnie,
comme on en propose aux jeunes gens dans l'école; ils devraient pourtant savoir
que, Si l'on promet de transmettre à d'autres un récit véridique des faits, il
faut d'abord en avoir soi-même une connaissance exacte pour avoir suivi de près
les événements par soi-même ou en se renseignant auprès de ceux qui les savent.
54 C'est ce que je crois avoir très bien fait pour mes deux ouvrages.
L'Archéologie, comme je l'ai dit,
est traduite des Livres saints, car je tiens le sacerdoce de ma naissance et je
suis initié à la philosophie
de ces Livres. 55 Quant à l'histoire de la guerre, je l'ai écrite
après avoir été acteur dans bien des événements, témoin d'un très grand nombre,
bref sans avoir ignoré rien de ce qui s'y est dit ou fait. 56
Comment alors ne point trouver hardis ceux qui tentent de contester ma véracité
? Si même ils prétendent avoir lu les mémoires des empereurs, ils n'ont pas, du
moins, assisté à ce qui se passait dans notre camp à nous, leurs ennemis.
XI
57
Cette digression m'était nécessaire parce que je voulais faire voir la légèreté
de ceux qui font profession d'écrire l'histoire. 58 Après avoir montré suffisamment, je pense, que la
relation des choses antiques est un usage traditionnel chez les Barbares plutôt
que chez les Grecs, je vais dire d'abord quelques mots contre les gens qui
essaient de prouver la date récente de notre établissement par ce fait qu'aucune
mention de nous, suivant eux, ne se trouve dans les historiens grecs ;
59 ensuite je fournirai des témoignages en faveur de notre
antiquité tirés des écrits d'autres peuples, et enfin je montrerai que les
diffamateurs de notre race sont tout à fait absurdes dans leurs diffamations.
XII
60
Or donc, nous n'habitons pas un pays maritime,
nous ne nous plaisons pas au commerce, ni à la fréquentation des étrangers qui
en résulte. Nos villes sont bâties loin de la mer, et, comme nous habitons un
pays fertile, nous le cultivons avec ardeur, mettant surtout notre amour-propre
à élever nos enfants, et faisant de l'observation des lois et des pratiques
pieuses, qui nous ont été transmises conformément à ces lois, l'oeuvre la plus
nécessaire de toute la vie. 61
Si l'on ajoute à ces raisons la particularité de notre genre d'existence, rien
dans les temps anciens ne nous mettait en relations avec les Grecs, comme les
Égyptiens, qui exportaient chez eux des produits et importaient les leurs, ou
comme les habitants de la côte phénicienne qui s'adonnaient avec ardeur au petit
et au grand commerce par amour du gain.
62 D’autre part, nos ancêtres ne se livrèrent pas non plus à la
piraterie comme d'autres, ou à la guerre par le désir de s'agrandir, quoique le
pays possédât des dizaines de milliers d'hommes qui ne manquaient point
d'audace. 63 Voilà pourquoi les Phéniciens, qui sur leurs vaisseaux
venaient trafiquer en Grèce, furent de bonne heure connus eux-mêmes et firent
connaître les Égyptiens et tous ceux dont ils transportaient les marchandises
chez les Grecs à travers des mers immenses. 64 Ensuite les Mèdes et les Perses révélèrent leur
existence par la conquête de l'Asie, ces derniers mieux encore par leur
expédition jusqu'à l'autre continent. Les Thraces furent connus grâce à leur
proximité, les Scythes par les navigateurs du Pont-Euxin. 65 Bref, tous les peuples riverains de la mer, tant à
l'orient qu'à l'occident, se firent plus facilement connaître aux auteurs qui
voulurent écrire l'histoire, mais ceux qui habitaient plus haut dans les terres
restèrent la plupart du temps ignorés.
66 Nous voyons que le fait s'est produit même en Europe, puisque Rome,
qui depuis longtemps avait acquis une telle puissance et dont les armes étaient
si heureuses, n'est mentionnée ni par Hérodote ni par Thucydide, ni par un seul
de leurs contemporains ; ce fut longtemps après et avec peine que la
connaissance en parvint chez les Grecs.
67
Sur les Gaulois et les Ibères telle était l'ignorance des historiens considérés
comme les plus exacts, parmi lesquels on compte Ephore, que, dans sa pensée, les
Ibères forment une seule cité, eux qui occupent une si grande portion de
l'Occident; et ils ont osé décrire et attribuer à ces peuples des moeurs qui ne
correspondent ni à des faits ni à des on-dit. 68 S'ils ignorent la vérité, c'est qu'on n'avait point du
tout de relations avec ces peuples ; mais s'ils écrivent des erreurs, c’est
qu'ils veulent paraître en savoir plus long que les autres. Convenait-il donc de
s'étonner encore si notre peuple aussi ne fut pas connu beaucoup d'auteurs et
n'a pas fourni aux historiens l'occasion de le mentionner, établi ainsi loin de
la mer et ayant choisi pareil genre de vie ?
XIII
69
Supposez que nous voulions, pour prouver que la race des Grecs n'est pas
ancienne, alléguer que nos annales n'ont point parlé d'eux, nos adversaires
n'éclateraient-ils pas de rire, apportant, je pense, les mêmes explications que
je viens de donner, et, comme témoins de leur antiquité, ne produiraient-ils pas
leurs voisins ? C'est ce que je vais moi-même essayer de faire.
70
J'invoquerai surtout les Égyptiens et les Phéniciens, dont on ne saurait récuser
le témoignage; il est notoire, on effet, que les Égyptiens sans exception, et
parmi les Phéniciens ceux de Tyr, avaient à notre égard
les plus mauvaises dispositions. 71 Des Chaldéens je ne saurais en dire autant, car ils
furent les ancêtres de notre race et, à cause de cette parenté, ils mentionnent
les Juifs dans leurs annales. 72 Quand j'aurai apporté les
cautions four¬nies par ces peuples, je ferai connaître aussi les historiens
grecs qui ont parlé des Juifs afin d'enlever à nos envieux le dernier prétexte
de chicane contre nous.
XIV
73
Je commencerai d'abord par les écrits des Égyptiens. Je ne puis citer leurs
livres mêmes : mais voici Manéthôs,
qui était de race égyptienne, auteur manifestement initié à la culture grecque,
car il écrivit en grec l'histoire de sa patrie, traduite, comme il le dit
lui-même, des tablettes sacrées, et sur bien des points de l'histoire d'Égypte
il reproche à Hérodote d'avoir, par ignorance, altéré la vérité.
74
Donc ce Manéthôs, au second livre de l'Histoire d'Égypte, écrit ceci à notre
sujet. Je citerai ses propres paroles, comme si je le produisais lui-même comme
témoin :
75 « Toutimaios.
Sous son règne, je ne sais comment, la colère divine souffla contre nous, et à
l'improviste, de l'Orient, un peuple de race inconnue eut l'audace d'envahir
notre pays, et sans difficulté ni combat s'en empara de vive force ;
76
ils se saisirent des chefs, incendièrent sauvagement les villes, rasèrent les
temples des dieux et traitèrent les indigènes avec la dernière cruauté,
égorgeant les uns, emmenant comme esclaves les enfants et les femmes des autres. 77 A la fin, ils firent même roi l'un des leurs nommé
Salitis. Ce prince s'établit à Memphis, levant des impôts sur le haut et le bas
pays et laissant une garnison dans les places les plus convenables. Surtout il
fortifia les régions de l'est, car il prévoyait que les Assyriens, un jour plus
puissants, attaqueraient (par là) son royaume.
78 Comme il avait trouvé dans le nome Séthroïte une ville d'une
position très favorable, située à l'est de la branche Bubastique et appelée,
d'après une ancienne tradition théologique, Avaris,
il la rebâtit et la fortifia de très solides murailles ; il y établit, en outre,
une multitude de soldats pesamment armés, deux cent quarante mille environ, pour
la garder. 79
Il y venait l'été tant pour leur mesurer leur blé et payer leur solde que pour
les exercer soigneusement par des manœuvres afin d'effrayer les étrangers.
Après un règne de dix-neuf ans, il mourut.
80
Ensuite un second roi, nommé Bnôn, occupa le trône quarante-quatre ans. Son
successeur Apachnas, régna trente-six ans et sept mois, puis Apophis soixante et
un ans, et Annas cinquante ans et un mois ;
81
après eux tous, Assis, quarante-neuf ans et deux mois. Tels furent chez eux les
six premiers princes, tous de plus en plus avides de détruire jusqu'à la racine
le peuple égyptien. 82
On nommait l'ensemble de cette nation Hycsos,
c'est-à-dire « rois pasteurs ». Car « hyc » dans la langue sacrée signifie roi,
et « sôs » veut dire pasteur au singulier et au pluriel dans la langue
vulgaire ; la réunion de ces mots forme Hycsôs. »
83
D'aucuns disent qu'ils étaient Arabes. Dans une autre copie, il est dit que
l'expression « hyc » ne signifie pas rois, mais indique, au contraire, des
bergers captifs. Car « hyc », en égyptien, et « hac », avec une aspirée,
auraient proprement le sens tout opposé de captifs. Cette explication me parait
plus vraisemblable et plus conforme à l'histoire ancienne.
84 Ces rois nommés plus haut, ceux des peuples appelés pasteurs,
et leurs descendants,
furent maîtres de l'Égypte, d'après Manéthôs, durant cinq cent onze ans.
85
Puis les rois de la Thébaïde et du reste de l'Égypte se soulevèrent contre les
Pasteurs; entre eux éclata une guerre importante et très longue. 86 Sous le roi qu'on nomme Misphragmouthôsis,
les Pasteurs vaincus furent, dit-il, chassés de tout le reste de l'Égypte et
enfermés dans un lieu contenant dans son périmètre dix mille aroures
: ce lieu se nommait Avaris.
87 Suivant Manéthôs, les Pasteurs l'entourèrent complètement
d'une muraille haute et forte pour garder en lieu sûr tous leurs biens et leur
butin. 88 Le fils de Misphragmouthôsis, Thoummôsis, tenta de les
soumettre par un siège et les investit avec quatre cent quatre-vingt mille
hommes. Enfin, renonçant au siège, il conclut un traité d'après lequel ils
devaient quitter l'Égypte et s'en aller tous sains et saufs où ils voudraient.
89 D'après les conventions, les Pasteurs avec toute leur famille
et leurs biens, au nombre de deux cent quarante mille pour le moins,
sortirent d'Égypte et, à travers le désert, firent route vers la Syrie.
90
Redoutant la puissance des Assyriens, qui à cette époque étaient maîtres de
l'Asie, ils bâtirent dans le pays appelé aujourd'hui Judée une ville qui pût
suffire à tant de milliers d'hommes et la nommèrent Jérusalem. -
91
Dans un autre livre de l'histoire d'Egypte,
Manéthôs rapporte que ce même peuple appelé les Pasteurs était désigné du nom de
« Captifs » dans leurs Livres sacrés. Et il dit vrai. Car pour nos aïeux les
plus reculés, c'était une coutume héréditaire de faire paître les troupeaux,
et leur vie nomade les fit ainsi appeler pasteurs. 92 D'autre part, le nom de Captifs ne leur a pas été
donné sans raison dans les annales des Egyptiens, puisque notre ancêtre Joseph
dit au roi d'Égypte
qu'il était captif et fit venir plus tard ses frères en Égypte avec la
permission du roi. -
XV
93
Mais j'examinerai ailleurs
ces faits avec plus de précision. Pour le moment, je cite les Egyptiens comme
témoins de notre seule antiquité. Je vais donc reprendre la citation de Manéthôs
sur la chronologie. 94
Voici ce qu'il dit
: « Après que le peuple des Pasteurs fut parti d'Égypte vers Jérusalem, le roi
qui les avait chassés d'Egypte [Tethmôsis]
régna vingt-cinq ans et quatre mois, puis mourut. La succession de son trône
échut à son fils Hébron, pendant treize ans. 95 Après lui, Aménophis régna vingt ans et sept mois; sa
soeur Amessis, vingt un ans et neuf mois; le fils de celle-ci, Méphrès, douze
ans et neuf mois; puis, de père en fils, Misphragmouthôsis, vingt-cinq ans et
dix mois; 96 Touthmôsis,
neuf ans et huit mois ; Aménophis (II), trente ans et dix mois ; Or, trente-six
ans et cinq mois ; la fille d'Or, Akenchéris, douze ans et un mois ; le frère
d'Akenchéris, Rhathotis, neuf ans. 97 Puis, de père en fils, Akenchérès I, douze ans et cinq
mois ; Akenchérès II, douze ans et trois mois ; Harmaïs, quatre ans et un mois ;
Ramessès, un an et quatre mois; Armessès Miamoun, soixante-six ans et deux
mois ; 98
Aménophis (III), dix-neuf ans et six mois ; puis Sethôs, nommé aussi Ramessès,
puissant par sa cavalerie et sa flotte.
Ce dernier donna à son frère Harmaïs le gouvernement de l'Egypte et l'investit
de toutes les autres prérogatives royales ; il lui enjoignit seulement de ne pas
porter le diadème, de ne pas maltraiter la reine, mère de ses enfants, et de
respecter aussi les concubines royales. 99 Lui-même partit en campagne contre Chypre et la
Phénicie, puis encore contre les Assyriens et les Mèdes, qui tous, par les armes
ou sans combat, et effrayés par ses forces considérables, furent soumis à sa
domination. Enorgueilli par ses succès, il se mit en campagne avec plus d'audace
encore, pour conquérir du côté de l'Orient les villes et les terres.
100 Après un assez long temps, Harmaïs, qui était resté en
Égypte, fit sans pudeur tout le contraire des recommandations de son frère. Il
violenta la reine et usait couramment des autres femmes sans réserve; sur le
conseil de ses amis, il portait le diadème et s'éleva contre son frère. 101
Mais le chef des prêtres d'Égypte écrivit et envoya à Séthôs un mémoire dans
lequel il lui révélait tout et l'informait que son frère Harmaïs s'était insurgé
contre lui. Aussitôt le roi revint à Péluse et s'empara de son propre royaume.
102 Le pays fut appelé de son nom Ægyptos. Car, dit-on, Séthôs se
nommait Ægyptos et Harmaïs, son frère, Danaos.
»
XVI
103
Tel est le récit de Manéthôs. Il est clair, si l'on suppute le temps d'après les
années énumérées, que nos aïeux les Pasteurs, comme on les nomme, chassés
d'Egypte, s'établirent dans notre pays trois cent quatre-vingt-treize ans avant
l'arrivée de Danaos à Argos.
104 Et pourtant, les Argiens considèrent ce personnage comme le
plus ancien nom de leur histoire.
Ainsi sur deux points très importants, Manéthôs nous a fourni son témoignage
tiré des livres égyptiens: d'abord sur noire arrivée d'une autre contrée en
Égypte, ensuite sur notre départ de ce pays, départ si lointain dans le passé
qu'il a précédé de mille ans à peu près la guerre de Troie.
105 Quant aux faits que Manéthôs a ajoutés, non d'après les
livres égyptiens, mais, de son propre aveu, d'après des fables sans auteur
connu, je les réfuterai plus tard
en détail et je montrerai l'invraisemblance de ses mensonges.
XVII
106
Je veux maintenant passer de ces documents à ceux que contiennent sur notre race
les annales des Phéniciens et produire les témoignages qu'ils nous fournissent.
107 Il y a chez les Tyriens, depuis de très longues années, des
chroniques publiques, rédigées et conservées par l'Etat avec le plus grand soin,
sur les faits dignes de mémoire qui se passèrent chez eux, et sur leurs rapports
avec l'étranger. 108
Il y est dit que le temple de Jérusalem fut bâti par le roi Salomon environ cent
quarante-trois ans et huit mois avant la fondation de Carthage par les Tyriens.
109 Ce n'est pas sans raison que leurs annales mentionnent la
construction de notre temple.
En effet, Hirôm, roi de Tyr, était l'ami de notre roi Salomon, amitié qu'il
avait héritée de son père.
110 Rivalisant de zèle avec Salomon pour la splendeur de
l'édifice, il lui donna cent vingt talents d'or et fit couper sur le mont appelé
Liban les plus beaux bois, qu'il lui envoya pour la toiture. En retour, Salomon
lui donna de nombreux présents et même, entre autres, un territoire de Galilée
qu'on nomme Khabôlon.
111 Mais ils furent surtout portés à s'aimer par leur goût pour
la sagesse : ils s'envoyaient l'un à l'autre des questions qu'ils s'invitaient
mutuellement à résoudre; Salomon s'y montrait le plus habile et, en général,
l'emportait en sagesse. On conserve aujourd'hui encore à Tyr beaucoup des
lettres qu'ils échangèrent.
112 Pour prouver que mes assertions sur les chroniques tyriennes
ne sont pas de mon invention, je vais citer le témoignage de Dios, qui passe
pour avoir raconté exactement l'histoire phénicienne. Cet auteur, dans son
histoire de la Phénicie, s'exprime ainsi :
113 « Après la mort d'Abibal, son fils Hirôm devint roi. Il
ajouta un remblai au quartier oriental de la ville, agrandit celle-ci, y relia
le temple de Zeus Olympien, qui était isolé dans une île, en comblant
l'intervalle, et l'orna d'offrandes d'or ; il monta sur le Liban, où il fit
couper les bois pour la construction des temples.
114 Le tyran de Jérusalem, Salomon, envoya, dit-on, à Hirôm des
énigmes et demanda à en recevoir de lui : celui qui ne pourrait deviner paierait
une somme à celui qui aurait trouvé la solution.
115 Hirôm y consentit et, n'ayant pu résoudre les énigmes,
dépensa, pour payer l'amende, une grande partie de ses trésors. Puis, avec
l'aide d'un certain Tyrien nommé Abdémon, il résolut les questions proposées et
lui même en proposa d'autres ; Salomon ne les ayant pas résolues, restitua tout
et paya en plus à Hirôm une somme considérable. »
XVIII
116
Ainsi Dios nous a apporté son témoignage au sujet des assertions qui précèdent.
Mais après lui je vais citer encore Ménandre d'Ephèse. Cet auteur a raconté pour
chaque règne les événements accomplis tant chez les Grecs que chez les Barbares
et s'est efforcé de puiser ses renseignements dans les chroniques nationales de
chaque peuple. 117
Donc parlant des rois de Tyr, quand il arrive à Hirôm, il s'exprime ainsi
: « Après la mort d'Abibal la succession de son trône échut à son fils Hirôm,
qui vécut cinquante-trois ans et en régna trente-quatre. 118 Il combla l'Eurychore et dédia la colonne d'or qui
est dans le temple de Zeus ; puis, s'étant mis en quête de bois de construction,
il fit couper sur le mont qu'on nomme Liban des cèdres pour les toits des
temples, démolit les anciens temples et en bâtit de nouveaux ; ceux d'Héraclès
et d'Astarté; 119
le premier il célébra le Réveil d'Héraclès
au mois de Péritios.
Il dirigea une expédition contre les habitants d'Utique (?), qui refusaient le
tribut ; après les avoir replacés sous sa domination, il revint chez lui.
120 Sous son règne vivait un certain Abdémon, garçon encore jeune,
qui résolvait toujours victorieusement les questions posées par Salomon, roi de
Jérusalem. »
121
On suppute le temps écoulé depuis ce roi jusqu'à la fondation de Carthage de la
manière suivante. Après la mort d'Hirôm, la succession du trône revint à
Baléazar, son fils, qui vécut quarante-trois ans et en régna (dix)-sept.
122 Après lui Abdastratos, son fils, vécut vingt-neuf ans et
régna neuf ans. Les quatre fils de sa nourrice conspirèrent contre lui et le
firent périr. L'aîné, nommé Méthousastratos, fils de Léastratos, monta sur le
trône: il vécut cinquante-quatre ans et en régna douze. 123 Puis
son frère Astharymos vécut cinquante-huit ans et en régna neuf. Il fut tué par
son frère Phellès, qui s'empara du trône, gouverna huit mois et vécut cinquante
ans. Celui-ci fut assassiné par Ithobal,
prêtre d'Astarté, qui vécut soixante-huit ans
et régna trente-deux ans. 124
Il eut pour successeur son fils Balezoros qui vécut quarante-cinq ans et en
régna six. A ce dernier succéda son fils Mettên qui vécut trente-deux ans et
régna vingt-neuf ans ; 125
à Mettên Pygmalion, qui vécut cinquante-six ans et régna quarante-sept ans. Dans
la septième année de son règne
sa soeur s'enfuit et fonda en Libye la ville de Carthage. 126 Ainsi tout le temps qui sépare l'avènement d'Hirôm de
la fondation de Carthage fait un total de cent cinquante-cinq ans et huit mois,
et comme c'est dans la douzième année du règne d'Hirôm que fut construit le
temple de Jérusalem,
depuis la construction du temple jusqu'à la fondation de Carthage cent
quarante-trois ans et huit mois se sont écoulés.
127
Est-il besoin de multiplier ces témoignages venus des Phéniciens ? On voit que
la vérité est solidement établie par le consentement des auteurs, et que certes
la construction du temple est bien postérieure à l'arrivée de nos ancêtres dans
le pays, car c'est seulement après l'avoir conquis tout entier qu'ils bâtirent
le temple. Je l'ai clairement montré d'après les Livres sacrés dans mon
Archéologie.
XIX
128
Je vais maintenant parler des faits consignés et racontés à notre sujet dans les
annales chaldéennes; ils sont, même sur les autres points, tout à fait conformes
à notre Écriture. 129
Ils sont attestés par Bérose,
Chaldéen de naissance, connu pourtant de tous ceux qui s'occupent d'érudition,
car lui-même a introduit chez les Grecs les ouvrages des Chaldéens sur
l'astronomie et la philosophie. 130
Ce Bérose donc, se conformant aux plus anciennes annales, raconte comme Moïse le
déluge et l'anéantissement des hommes dans cette catastrophe et il parle de
l'arche dans laquelle Noé, le père de notre race, fut sauvé quand elle fut
portée sur les cimes des montagnes d'Arménie.
131 Puis il énumère les descendants de Noé, dont il donne aussi
les époques, et arrive à Nabopalassar, roi de Babylone et de Chaldée. 132
Dans le récit détaillé de ses actions, il dit de quelle façon ce roi envoya
contre l'Égypte et notre pays son fils Nabocodrosor avec une nombreuse armée,
quand il apprit la révolte de ces peuples, les vainquit tous, brûla le temple de
Jérusalem, emmena toute notre nation et la transporta à Babylone.
Il arriva que la ville resta dépeuplée durant soixante-dix ans
jusqu'au temps de Cyrus, premier roi de Perse. 133 Le Babylonien, dit l'auteur, soumit l'Égypte, la
Syrie, la Phénicie, l'Arabie, surpassant par ses exploits tous les rois de
Chaldée et de Babylone, ses prédécesseurs.
134 Je citerai les propres paroles de Bérose qui s'exprime
ainsi : 135 « Son père Nabopalassar, apprenant la défection du
satrape chargé de gouverner l'Égypte, la Cœlé-Syrie et la Phénicie,
comme il ne pouvait plus lui-même supporter les fatigues, mit à la tête d'une
partie de son armée son fils Nabocodrosor, qui était dans la fleur de l'âge, et
l'envoya contre le rebelle. 136
Nabocodrosor en vint aux mains avec celui-ci, le vainquit dans une bataille
rangée
et replaça le pays sous leur domination. Il advint que son père Nabopalassar
pendant ce temps tomba malade à Babylone et mourut après un règne de vingt et un
ans. 137 Informé bientôt de la mort de son père, Nabocodrosor
régla les affaires de l'Égypte et des autres pays; les prisonniers faits sur les
Juifs,
les Phéniciens, les Syriens et les peuples de la région égyptienne
furent conduits, sur son ordre, à Babylone par quelques-uns de ses amis avec les
troupes les plus pesamment armées et le reste du butin; lui-même partit avec une
faible escorte et parvint à travers le désert à Babylone.
138
Trouvant les affaires administrées par les Chaldéens et le trône gardé par le
plus noble d'entre eux, maître de l'empire paternel tout entier, il ordonna
d'assigner aux captifs, une fois arrivés, des terres dans les endroits les plus
fertiles de la Babylonie. 139
Lui-même avec le butin de guerre orna magnifiquement le temple de Bel et les
autres, restaura l'ancienne ville, en construisit une autre hors des murs, et,
afin que des assiégeants ne pussent plus détourner le cours du fleuve et s'en
faire une arme contre elle, il éleva trois remparts autour de la ville
intérieure et trois autour de la ville extérieure, les premiers en brique cuite
et en asphalte, les autres en brique simple.
140
Après avoir fortifié la ville d'une façon remarquable et décoré les portes d'une
façon digne de leur sainteté, il construisit auprès du palais de son père un
second palais attenant au premier. Il serait trop long de décrire en détail sa
hauteur et les autres marques de sa magnificence. 141 Je dirai seulement que, grand et somptueux à l'excès,
il fut achevé en quinze jours.
Dans cette résidence royale il fit élever de hautes terrasses de pierre, leur
donna tout à fait l'aspect des collines, puis, en y plantant des arbres de toute
espèce, il exécuta et disposa ce qu'on appelle le parc suspendu, parce que sa
femme, élevée dans le pays
mède, avait le goût des sites montagneux. »
XX
142
Voilà ce que Bérose a raconté sur ce roi et bien d'autres choses encore dans le
IIIe livre de son Histoire de
Chaldée, où il reproche aux écrivains grecs
de croire faussement que Sémiramis l'Assyrienne fut la fondatrice de Babylone et
de s'être trompés en écrivant que ces ouvrages merveilleux y furent construits
par elle. 143
Quant à ces faits les annales chaldéennes doivent être considérées comme dignes
de loi, d'autant que les archives des Phéniciens s'accordent aussi avec le récit
de Bérose sur le roi de Babylone, attestant qu'il soumit la Syrie et toute la
Phénicie. 144 Là-dessus du moins Philostrate tombe d'accord dans
ses Histoires, quand il raconte le siège de Tyr,
et Mégasthène dans le IVe livre de l'Histoire de l'Inde,
où il essaie de montrer que le roi de Babylone mentionné plus haut surpassa
Héraclès par son courage et la grandeur de ses exploits, car, dit-il, il soumit
la plus grande partie de la Libye et de l'Ibérie.
145 Quant aux détails qui précèdent sur le temple de
Jérusalem, son incendie par les Babyloniens envahisseurs, l'époque où l'on
commença à le rebâtir, après que Cyrus eut pris le sceptre de l'Asie, ils seront
clairement prouvés par le récit de Bérose, mis sous les yeux du lecteur.
146
Il dit, en effet, dans le IIIe livre: « Nabocodrosor, après avoir
commencé la muraille dont j'ai parlé, tomba malade et mourut
ayant régné quarante-trois ans, et le pouvoir royal revint à son fils
Evilmaradouch. 147 Ce prince, dont le gouvernement fut arbitraire
et violent, victime d'un complot de Nériglisar, son beau-frère, fut assassiné
après deux ans de règne. Lui supprimé, Nériglisar, son meurtrier, hérita du
pouvoir et régna quatre ans.
148 Son fils Laborosoardoch, un enfant, détint la puissance royale
neuf mois; mais un complot fut ourdi contre lui parce qu'il montrait une grande
méchanceté, et il périt sous le bâton par la main de ses familiers. 149 Après sa mort ses meurtriers se concertèrent et
s'accordèrent à donner le trône à Nabonnède, un Babylonien qui avait fait partie
de la même conjuration. Sous son règne les murs de Babylone qui avoisinent le
fleuve furent restaurés en brique cuite et en asphalte.
150
Il régnait depuis dix-sept ans quand Cyrus partit de Perse avec une armée
nombreuse, soumit tout le reste de l'Asie, puis s'élança sur la Babylonie. 151 A la nouvelle de sa marche, Nabonnède s'avança à sa
rencontre avec son armée et lui livra bataille ; il fut défait, s'enfuit avec
une faible escorte et s'enferma dans la ville de Borsippa.
152
Cyrus prit Babylone, fit abattre les murs extérieurs de la ville, parce qu'elle
lui paraissait trop forte et difficile à prendre, et leva le camp pour aller à
Borsippa assiéger Nabonnède. 153
Comme celui-ci, sans attendre l'investissement, s'était d'abord rendu, Cyrus le
traita humainement, lui donna comme résidence la Carmanie et lui fit quitter la
Babylonie. Nabonnède demeura en Carmanie le reste de sa vie et y mourut. »
XXI
154
Ce récit s'accorde avec nos livres et contient la vérité. En effet, il y est
écrit que Nabuchodonosor, dans la dix-huitième année de son règne,
dévasta notre temple et le fit disparaître pour cinquante ans ;
que, la deuxième année du règne de Cyrus, ses nouveaux fondements furent jetés
et que, la deuxième année aussi du règne de Darius, il fut achevé.
155
J'ajouterai encore les annales des Phéniciens; il ne faut point omettre des
preuves même surabondantes. 156
Voici le dénombrement des années. Sous le roi Ithobal,
Nabuchodonosor assiégea Tyr pendant treize ans.
Puis Baal régna dix ans. 157 Après lui on institua des juges, qui
occupèrent leurs fonctions, Eknibal, fils de Baslekh, pendant deux mois;
Chelbès, fils d'Abdée, dix mois; le grand-prêtre Abbar trois mois; les juges
Myttynos et Gérastrate, fils d'Abdélime, six ans, après lesquels Balator régna une année.
158 Ce roi mort, on envoya chercher Merbal à Babylone et il
occupa le trône quatre ans. Après lui on manda son frère Hirôm, qui régna vingt
ans. C'est sous son règne que Cyrus exerça le pouvoir en Perse. 159
Ainsi le total du temps écoulé donne cinquante-quatre ans plus trois mois.
En effet, c'est la (dix)-septième année de son règne que Nabuchodonosor commença
le siège de Tyr, et la quatorzième année du règne d'Hirôm que Cyrus le Perse
prit le pouvoir. 160
L'accord est complet au sujet du temple entre nos livres et ceux des Chaldéens
et des Tyriens, et la preuve de mes assertions sur l'antiquité de notre race est
confirmée et indiscutable.
XXII
161
Ceux qui ne sont point disputeurs à l'excès se contenteront, je pense, de ces
explications; mais il faut aussi satisfaire aux questions des gens qui, refusant
d'ajouter foi aux annales des barbares, accordent leur créance aux Grecs seuls ;
il faut leur présenter beaucoup de ces Grecs mêmes qui connurent notre nation et
la mentionnèrent à l'occasion dans leurs propres ouvrages.
162
Pythagore de Samos, auteur fort ancien, qui, pour sa sagesse et sa piété, est
considéré comme le premier de tous les philosophes, a, de toute évidence, non
seulement connu nos institutions, mais encore les a largement imitées.
163
De ce philosophe nous n'avons aucun ouvrage reconnu authentique, mais beaucoup
d'écrivains ont raconté ce qui le concerne. Le plus célèbre est Hermippe, esprit
que tout genre de recherche intéressait.
164
Il raconte dans le premier livre de son Pythagore que ce philosophe, après la
mort d'un de ses intimes nommé Calliphon, originaire de Crotone, disait qu'il
avait commerce nuit et jour avec l'âme de celui-ci, et qu'elle lui donnait le
conseil de ne point passer à un endroit où un âne s'était couché,
de s'abstenir de toute eau saumâtre (?) et de se garder de toute médisance.
165 Puis l'auteur ajoute encore : « Il pratiquait et répétait ces
préceptes, se conformant aux opinions des Juifs et des Thraces qu'il prenait
pour son compte ». En effet, on dit avec raison
que ce philosophe fit passer dans sa doctrine beaucoup de lois juives.
166
Dans les cités non plus notre peuple n'était pas inconnu autrefois; beaucoup de
nos coutumes s'étaient déjà répandues dans quelques-unes et il en est qui
jugeaient bon de les suivre. On le voit chez Théophraste dans ses livres des
Lois. 167 D'après lui, les lois tyriennes défendent d'employer
des formules de serments étrangers, parmi lesquels, entre autres, il compte le
serment nommé korban ; or, nulle part
on ne le trouverait ailleurs que chez les Juifs ; traduit de l'hébreu, ce mot
signifie quelque chose comme « présent de Dieu ».
168
Et en vérité Hérodote d'Halicarnasse non plus n'a pas ignoré notre nation, mais
il l'a mentionnée manifestement d'une certaine manière. 169 Parlant des Colques au second livre, il s'exprime
ainsi : « Seuls d'entre tous, dit-il, les Colques, les Égyptiens et les
Éthiopiens pratiquent la circoncision depuis l'origine. Les Phéniciens et les
Syriens de Palestine reconnaissent eux-mêmes avoir appris cette pratique des
Egyptiens. 170 Les Syriens des bords du Thermodon et du
Parthénios, de même que les Macrons, leurs voisins, assurent qu'ils l'ont
apprise récemment des Colques. Voilà les seuls peuples circoncis, et eux-mêmes
imitent évidemment les Égyptiens. Mais des Égyptiens eux-mêmes et des
Éthiopiens, je ne puis dire lesquels ont appris des autres la circoncision. »
171 Ainsi il dit que les Syriens de Palestine étaient circoncis ;
or, parmi les habitants de la Palestine, les Juifs seuls se livrent à cette
pratique. Comme il le savait, c'est donc d'eux qu'il a parlé.
172
D'autre part, Chœrilos, poète assez ancien,
cite notre nation comme ayant pris part à l'expédition de Xerxès, roi de Perse,
contre la Grèce. En effet, après l'énumération de tous les peuples, à la fin il
mentionne aussi le nôtre en ces termes:
173
« Derrière eux passait une race d'un aspect étonnant.
« Le langage phénicien sortait de leurs
lèvres.
« Ils habitaient dans les monts Solymiens
auprès d'un vaste lac.
« Leur chevelure broussailleuse était
rasée en rond, et, par dessus,
« Ils portaient le cuir d'une tête de
cheval séché à la fumée. »
174
Il est clair, je crois, pour tout le monde, qu'il parle de nous, car les monts
Solymiens sont dans notre pays et nous les habitons ; là aussi se trouve le lac
Asphaltite, qui occupe le premier rang parmi tous les lacs de Syrie pour la
largeur et l'étendue.
175
Voilà comment Chœrilos fait mention de nous. Non seulement les Grecs connurent
les Juifs, mais encore ils admiraient tous les Juifs qu'ils rencontraient; et
non pas les moindres d'entre les Grecs, mais les plus admirés pour leur sagesse,
comme il est facile de s'en convaincre. 176 Cléarque, disciple d'Aristote, qui ne le cédait à
aucun des péripatéticiens, rapporte dans le premier livre du
Sommeil
cette anecdote que son maître Aristote racontait au sujet d'un Juif. Il donne la
parole à Aristote lui-même. Je cite le texte :
177 « Il serait trop long de tout dire, mais il sera bon d'exposer
pourtant ce qui, chez cet homme, présentait quelque caractère merveilleux et
philosophique. Je te préviens, dit-il, Hypérochide, que mes paroles vont te
paraître singulières comme des songes. » Et Hypérochide répondit
respectueusement: « C'est justement pour cela que nous désirons tous t'entendre. 178 - Eh bien alors, dit Aristote, suivant le précepte de
la rhétorique, donnons d'abord des détails sur sa race, pour ne point désobéir à
ceux qui enseignent la narration. - Parle à ta guise, dit Hypérochide. -
179
Cet homme donc était de race juive et originaire de Cœlé-Syrie ; cette race
descend des philosophes indiens. On appelle, dit-on, les
philosophes Calanoi dans l'Inde,
et Juifs en Syrie, du nom de leur résidence; car le lieu qu'ils habitent se
nomme la Judée. Le nom de leur ville est tout à fait bizarre: ils l'appellent
Jérusalémé. 180 Cet homme donc, que beaucoup de gens recevaient
comme leur hôte, et qui descendait de l'intérieur vers la côte, était Grec, non
seulement par la langue, mais aussi par l'âme. 181
Pendant que je séjournais en Asie,
il aborda aux mêmes lieux, et se lia avec moi et quelques autres hommes d'étude,
pour éprouver notre science. Comme il avait en commerce avec beaucoup d'esprits
cultivés, il nous livrait plutôt un peu de la sienne. »
182
Telles sont les paroles d'Aristote dans Cléarque, et il raconte encore que ce
Juif poussait à un point étonnant la force d'âme et la tempérance dans sa
manière de vivre. On peut, si l'on veut, en apprendre davantage dans ce livre
même. Pour moi, je me garde de citer plus qu'il ne faut.
183
Ainsi s'exprime Cléarque dans une digression, - car le sujet qu'il traite est
différent, - et c'est ainsi qu'il nous mentionne. Quant à Hécatée d'Abdère, à la
fois philosophe et homme d'action consommé, qui fleurit en même temps que le roi
Alexandre et vécut auprès de Ptolémée, fils de Lagos, ce n'est pas incidemment
qu'il a parlé de nous; mais il a composé spécialement sur les Juifs mêmes un
livre
dont je veux brièvement parcourir quelques passages. 184 D'abord je vais établir l'époque. Il mentionne la
bataille livrée près de Gaza par Ptolémée à Démétrius ; or, elle eut lieu onze
ans après la mort d'Alexandre
et dans la CXVIIe olympiade, comme le raconte Castor.
185
En effet, après avoir inscrit cette olympiade, il dit : « Dans ce temps
Ptolémée, fils de Lagos, vainquit en bataille rangée, à Gaza, Démétrius, fils
d'Antigone, surnommé Poliorcète. » Or Alexandre mourut, l'accord est unanime,
dans la CXIVe olympiade. Il est donc évident que
sous Ptolémée et sous Alexandre notre peuple florissait.
186
Hécatée dit encore qu'après la bataille de Gaza, Ptolémée devint maître de la
Syrie et que beaucoup des habitants, informés de sa douceur et de son humanité ?
voulurent partir avec lui pour l'Égypte et associer leurs destinées à la sienne.
187 « De ce nombre, dit-il, était Ezéchias, grand-prêtre des Juifs,
âgé d'environ soixante-six ans et haut placé dans l'estime de ses compatriotes,
homme intelligent, avec cela orateur éloquent et rompu à la politique autant
qu'homme du monde. 188
Pourtant le nombre total des prêtres juifs qui reçoivent la dîme des produits et
administrent les affaires publiques est d'environ quinze cents. »
189 Et revenant sur ce personnage : « Cet homme, dit-il, après
avoir obtenu cette dignité
et lié commerce avec moi, réunit quelques-uns de ses familiers… et leur fit
connaître toutes les particularités de sa nation,
car il avait par écrit l'histoire de l'établissement des Juifs dans leur pays et
leur constitution. » 190
Puis Hécatée montre encore comment nous nous comportons à l'égard des lois, que
nous préférons subir toutes les souffrances plutôt que de les transgresser, et
que nous plaçons là notre honneur.
191
« Aussi, dit-il, ni les sarcasmes de leurs voisins et de tous les étrangers qui
les visitent, ni les fréquents outrages des rois et des satrapes perses ne
peuvent les faire changer de croyances; pour ces lois ils affrontent sans
défense les coups et les morts les plus terribles de toutes, plutôt que de
renier les coutumes des ancêtres. »
192
Il apporte aussi des preuves nombreuses de leur fermeté à observer les lois. Il
raconte qu'Alexandre, se trouvant jadis à Babylone et ayant entrepris de
restaurer le temple de Bel tombé en ruines,
donna l'ordre à tous ses soldats sans distinction de travailler au
terrassement ; seuls les Juifs s'y refusèrent et même souffrirent les coups et
payèrent de fortes amendes jusqu'à ce que le roi leur accordât leur pardon et
les dispensât de cette tâche. 193
« De même, dit-il, quand des étrangers venus chez eux, dans leur pays, y
élevèrent des temples et des autels, ils les rasèrent tous et pour les uns
payèrent une amende aux satrapes, pour d'autres reçurent leur grâce. » Et il
ajoute qu'il est juste de les admirer pour cette conduite. 194 Il dit aussi combien notre race est populeuse. « Bien
des myriades de Juifs, dit-il, furent d'abord emmenées à Babylone par les Perses et beaucoup aussi après
la mort d'Alexandre passèrent en Égypte et en Phénicie à la suite des
révolutions de la Syrie. » 195
Ce même auteur donne des renseignements sur l'étendue de la région que nous
habitons et sur sa beauté. « Ils cultivent, dit-il, environ trois millions
d'aroures de la terre la meilleure
et la plus fertile en toutes sortes de fruits; car telle est la superficie de la
Judée. » 196 D'autre part, sur la grande beauté et l'étendue
considérable de la ville même de Jérusalem, que nous habitons depuis les temps
les plus reculés, sur sa nombreuse population et sur la disposition du temple,
voici les détails que donne le même auteur :
197 « Les Juifs ont de nombreuses forteresses
et de nombreux villages épars dans le pays, mais une seule ville fortifiée, de
cinquante stades environ de circonférence ;
elle a une population de cent vingt mille âmes environ, et ils l'appellent
Jérusalem.
198 Vers le milieu de la ville s'élève une enceinte de pierre
longue de cinq plèthres environ,
large de cent coudées
et percée de doubles portes. Elle renferme un autel carré, formé d'une réunion
de pierres brutes, non taillées, qui a vingt coudées de chaque côté et dix de
hauteur. A côté se trouve un
grand édifice, qui contient un autel et un chandelier, tous deux en or et du
poids de deux talents.
199 Leur feu ne s'éteint jamais ni la nuit ni le jour. Pas la
moindre statue ni le moindre monument votif. Aucune plante absolument, comme
arbustes sacrés ou autres semblables. Des prêtres y passent les nuits et les
jours à faire certaines purifications et s'abstiennent complètement de vin dans
le temple.
» 200 L'auteur témoigne, en outre, que les Juifs firent campagne
avec le roi Alexandre,
et ensuite avec ses successeurs. Lui-même dit avoir assisté à un incident créé
par un Juif pendant l'expédition et que je vais rapporter. 201 Voici ses paroles : « Marchant vers la mer Erythrée,
j'avais avec moi, parmi les cavaliers de mon escorte, un Juif nommé Mosollamos, homme intelligent,
vigoureux, et le plus habile archer, de l'aveu unanime, parmi les Grecs et les
barbares. 202 Cet homme, voyant de nombreux soldats aller et
venir sur la route, un devin prendre les auspices et décider la halte de toute
ta troupe, demanda pourquoi l'on restait là. 203 Le devin lui
montra l'oiseau et lui dit que, s'il restait posé là, l'intérêt de tous était de
s'arrêter ; s'il prenait son vol en avant, d'avancer ; s'il le prenait en
arrière, de rebrousser chemin. Alors, le Juif, sans dire un mot, banda son arc,
lança la flèche et frappa l'oiseau, qu'il tua.
204
Le devin et quelques autres s'indignèrent et l'accablèrent d'imprécations.
“Pourquoi cette fureur, dit l'homme, ô malheureux ?” Puis, prenant la bête entre
ses mains : “Comment cet oiseau, qui n'a pas su pourvoir à son propre salut,
nous donnerait-il sur notre marche une indication sensée ? S'il avait pu prévoir
l’avenir, il ne serait pas venu ici, de crainte de mourir frappé d'une flèche
par le Juif Mosollamos”. »
205
Mais en voilà assez sur des témoignages d'Hécatée ; si l'on veut en apprendre
davantage, il est facile de lire son livre. Je n'hésiterai pas à nommer aussi
Agatharchide, qui, pour railler notre sottise, à ce qu'il croit, fait mention de
nous.
206 Il raconte l'histoire de Stratonice, comment elle vint de
Macédoine en Syrie après avoir abandonné son mari Démétrius, comment, Séleucus
ayant refusé sa main contre son attente, elle souleva Antioche pendant qu'il
faisait son expédition en partant de Babylone,
207
puis, après le retour du roi et la prise d'Antioche, comment elle s'enfuit à
Séleucie, et, au lieu de gagner rapidement le large ainsi qu'elle le pouvait, se
laissa arrêter par un songe, fut prise et mise à mort.
208
Après ce récit, Agatharchide raille la superstition de Stratonice et cite comme
exemple de faiblesse pareille ce qu'on raconte de nous. 209 Il s'exprime ainsi : « Ceux qu'on appelle Juifs,
habitants de la ville la plus fortifiée de toutes, que les naturels nomment
Jérusalem, sont accoutumés à se reposer tous les sept jours, à ne point, pendant
ce temps, porter leurs armes ni cultiver la terre ni accomplir aucune autre
corvée, mais à prier dans les temples jusqu'au soir les mains étendues.
210 Aussi lorsque Ptolémée fils de Lagos envahit leur territoire
avec son armée, comme, au lieu de garder la ville, ces hommes persévérèrent dans
leur folie, leur patrie reçut un maître tyrannique, et il fut prouvé que leur
loi comportait une sotte coutume.
211
Par cet événement, tout le monde, sauf eux, apprit qu'il ne faut recourir aux
visions des songes et aux superstitions traditionnelles concernant la divinité,
que lorsque les raisonnements humains nous laissent en détresse dans des
circonstances critiques. » 212
Agatharchide trouve le fait ridicule ; mais, si on l'examine sans malveillance,
on voit qu'il y a pour des hommes de la grandeur et un mérite très louable à se
soucier toujours moins et de leur salut et de leur patrie que de l'observation
des lois et de la piété envers Dieu.
XXIII
213
J'ajoute que ce n'est pas par ignorance de notre nation, mais par jalousie, ou
pour d'autres causes honteuses, que quelques-uns des historiens ont omis de nous
mentionner ; je vais, je crois, en fournir la preuve. Hiéronyme, qui a composé
l'histoire des successeurs d'Alexandre, contemporain d'Hécatée, et ami du roi
Antigone, gouvernait la Syrie. 214
Cependant, tandis qu'Hécatée a écrit un livre entier sur nous, Hiéronyme ne nous
a mentionnés nulle part dans son Histoire,
bien qu'il eût vécu presque dans notre pays, tant ces hommes différaient de
sentiments! A l'un nous avons semblé mériter une mention importante; une passion
tout à fait défavorable à la vérité empêcha l'autre de voir clair.
215 Pourtant il suffit, pour prouver notre antiquité, des annales
égyptiennes, chaldéennes et phéniciennes, auxquelles s'ajoutent tant
d'historiens grecs. 216 Outre ceux que j'ai déjà cités, Théophile, Théodote,
Mnaséas, Aristophane, Hermogène, Evhémère, Conon, Zopyrion et beaucoup d'autres
peut-être - car je n'ai pas lu tous les livres - ont parlé de nous assez
longuement.
217
La plupart de ces auteurs se sont trompés sur les origines pour n’avoir pas lu
nos livres sacrés; mais tous s'accordent à témoigner de notre antiquité dont
j'ai fait l'objet de ce traité. 218
Pourtant Démétrius de Phalère, Philon l'ancien et Eupolémos ne se sont pas
beaucoup écartés de la vérité.
il faut les excuser, car ils ne pouvaient suivre nos annales en toute
exactitude.
XXIV
219
Il me reste encore à traiter un des points essentiels annoncés au début de ce
traité :
montrer la fausseté des accusations et des propos injurieux par lesquels on
s'est attaqué à notre race, et invoquer contre ceux qui les ont écrits leur
propre témoignage. 220
Que beaucoup d'autres peuples aient subi le même sort par l'inimitié de
quelques-uns, c'est un fait connu, je pense, de ceux à qui la lecture des
historiens est plus familière. 221 D'aucuns, en effet, ont essayé
de salir la noblesse des peuples et des villes les plus illustres et de diffamer
leur constitution, Théopompe celle d'Athènes, Polycrate celle de Lacédémone ;
l'auteur des Trois cités - ce n'est
pas Théopompe, comme certains le croient - a aussi déchiré Thèbes. Timée également a, dans
ses Histoires, beaucoup diffamé ces cités et d'autres encore.
222 ils s'attachent surtout aux personnages les plus célèbres,
les uns par envie et par malveillance, d'autres dans la pensée que ce langage
nouveau les rendra dignes de mémoire. Auprès des sots ils ne sont point déçus
dans cette espérance, mais les esprits au jugement sain condamnent leur grande
méchanceté.
XXV
223
Les calomnies à notre adresse vinrent d'abord des Égyptiens, puis, dans
l'intention de leur être agréables, certains auteurs entreprirent d'altérer la
vérité; ils n'avouèrent pas l'arrivée de nos ancêtres en Égypte telle qu'elle
eut lieu, ni ne racontèrent sincèrement la façon dont ils en sortirent.
224 Les Égyptiens eurent bien des motifs de haine et d'envie : à
l'origine la domination de nos ancêtres sur leur pays, et leur prospérité
quand ils l'eurent quitté pour retourner chez eux. Puis l'opposition de leurs
croyances et des nôtres leur inspira une haine profonde, car notre piété diffère
de celle qui est en usage chez eux autant que l'être divin est éloigné des
animaux privés de raison. 225 Toute leur nation, en effet,
d'après une coutume héréditaire, prend les animaux pour des dieux, qu'ils
honorent d'ailleurs chacun à sa façon, et ces hommes tout à fait légers et
insensés, qui dès l'origine s'étaient accoutumés à des idées fausses sur les
dieux, n'ont pas été capables de prendre modèle sur la dignité de notre
religion, et nous ont jalousés en voyant combien elle trouvait de zélateurs.
226
Quelques-uns d'entre eux ont poussé la sottise et la petitesse au point de ne
pas hésiter à se mettre en contradiction même avec leurs antiques annales, et,
bien mieux, de ne pas s'apercevoir, dans l'aveuglement de leur passion, que
leurs propres écrits les contredisaient.
XXVI
227
Le premier qui m'arrêtera, c'est celui dont le témoignage m'a déjà servi un peu
plus haut à prouver notre antiquité.
228
Ce Manéthôs, qui avait promis de traduire l'histoire d'Égypte d'après les Livres
sacrés, après avoir dit que nos aïeux, venus au nombre de plusieurs myriades en
Égypte, établirent leur domination sur les habitants, avouant lui-même que,
chassés plus tard, ils occupèrent la Judée actuelle, fondèrent Jérusalem et
bâtirent le temple; Manéthôs, dis-je, a suivi jusque-là les annales.
229 Mais ensuite, il prend la liberté, sous prétexte de raconter les
fables et les propos qui courent sur les Juifs, d'introduire des récits
invraisemblables et veut nous confondre avec une foule d'Égyptiens lépreux et
atteints d'autres maladies, condamnés pour cela, selon lui, à fuir l'Égypte. 230 En effet, après avoir cité le nom du roi Aménophis,
qui est imaginaire, sans avoir osé, pour cette raison, fixer la durée de son
règne, bien qu'à la mention des autres rois il ait exactement ajouté les années,
il lui applique certaines légendes, oubliant sans doute que depuis cinq cent
dix-huit ans, d'après son récit, avait eu lieu l'exode des pasteurs vers
Jérusalem.
231 En effet, c'est sous le règne de Tethmôsis qu'ils partirent ;
or, suivant l'auteur, les règnes qui succèdent à celui-là remplirent trois cent
quatre-vingt-treize ans jusqu'aux deux frères Séthôs et Hermaios, dont le
premier reçut, dit-il, le nouveau nom d'Ægyptos, et le second celui de Danaos.
Séthôs, ayant chassé son frère, régna cinquante-neuf ans, et l'aîné de ses fils,
Rampsès, lui succéda pendant soixante-six ans.
232 Ainsi, après avoir avoué que tant d'années s'étaient écoulées
depuis que nos pères avaient quitté l'Égypte, intercalant dans la
suite le fabuleux roi Aménophis, il raconte que ce prince désira contempler les
dieux comme l'avait fait Or, l'un de ses prédécesseurs au trône, et fit part de son
désir à Aménophis, son homonyme, fils de Paapis, qui semblait participer à la
nature divine par sa sagesse et sa connaissance de l'avenir.
233 Cet homonyme lui dit qu'il pourrait réaliser son désir s'il
nettoyait le pays entier des lépreux et des autres impurs. 234
Le roi se réjouit, réunit
tous les infirmes de l'Égypte - ils étaient au nombre de quatre-vingt mille -
235
et les envoya dans les carrières à l'est du Nil
travailler à l'écart des autres
Égyptiens. Il y avait parmi eux, suivant Manéthôs, quelques prêtres savants atteints de la lèpre.
236
Alors cet Aménophis, le sage devin, craignit d'attirer sur lui et sur le roi la
colère des dieux si on les forçait à se laisser contempler ; et, voyant des
alliés dans l'avenir se joindre aux impurs et établir leur domination en Égypte
pendant treize ans, il n'osa pas annoncer lui-même ces calamités au roi, mais il
laissa le tout par écrit et se tua. Le roi tomba dans le découragement.
237 Ensuite Manéthôs s'exprime ainsi textuellement : « Les hommes
enfermés dans les carrières souffraient depuis assez longtemps, lorsque le roi,
supplié par eux de leur accorder un séjour et un abri, consentit à leur céder
l'ancienne ville des Pasteurs, Avaris, alors abandonnée.
238
Cette ville, d'après la tradition théologique, est consacrée depuis l'origine à
Typhon. Ils y allèrent et,
faisant de ce lieu la base d'opération d'une révolte, ils prirent pour chef un
des prêtres d'Héliopolis nommé Osarseph
et lui jurèrent d'obéir à tous ses ordres.
239
Il leur prescrivit pour première loi de ne point adorer de dieux,
de ne s'abstenir de la chair d'aucun des animaux que la loi divine rend le plus
sacrés en Égypte,
de les immoler tous, de les consommer et de ne s'unir qu'à des hommes liés par
le même serment. 240 Après avoir édicté ces lois et un très grand
nombre d'autres, en contradiction absolue avec les coutumes égyptiennes, il fit
réparer par une multitude d'ouvriers les murailles de la ville et ordonna de se
préparer à la guerre contre le roi Aménophis. 241
Lui-même s'associa quelques-uns des autres prêtres contaminés comme lui, envoya
une ambassade vers les Pasteurs chassés par Tethmôsis, dans la ville nommée
Jérusalem, et, leur exposant sa situation et celle de ses compagnons outragés
comme lui, il les invita à se joindre à eux pour marcher tous ensemble sur
l'Égypte. 242
Il leur promit de les conduire d'abord à Avaris, patrie de leurs ancêtres, et de
fournir sans compter le nécessaire à leur multitude, puis de combattre pour eux,
le moment venu, et de leur soumettre facilement le pays.
243
Les Pasteurs, au comble de la joie, s'empressèrent de se mettre en marche tous
ensemble au nombre de deux cent mille hommes environ et peu après arrivèrent à
Avaris. Le roi d'Égypte Aménophis, à la nouvelle de leur invasion, ne fut pas
médiocrement troublé, car il se rappelait la prédiction d'Aménophis, fils de
Paapis. 244 Il réunit d'abord une multitude d'Égyptiens, et après
avoir délibéré avec leurs chefs, il se fit amener les animaux sacrés les plus
vénérés dans les temples et recommanda aux prêtres de chaque district de cacher
le plus sûrement possible les statues des dieux. 245
Quant à son fils Séthôs, nommé
aussi Ramessès du nom de son grand-père Rampsès,
et âgé de cinq ans, il le fit emmener chez son ami.
Lui-même passa (le Nil) avec les autres Égyptiens, au nombre de trois cent mille
guerriers bien exercés, et rencontra l'ennemi sans livrer pourtant bataille ;
246 mais pensant qu'il ne fallait pas combattre les dieux, il
rebroussa chemin vers Memphis, où il prit l'Apis et les autres animaux sacrés
qu'il y avait fait venir, puis aussitôt, avec toute son armée et le peuple
d'Égypte, il monta en Éthiopie ; car le roi d'Éthiopie lui était soumis par la
reconnaissance.
247 Celui-ci l'accueillit et entretint toute cette multitude à
l'aide des produits du pays convenables à la nourriture des hommes, leur assigna
des villes et des villages suffisants pour les treize ans d'exil imposés par le
destin à Aménophis loin de son royaume, et n'en fit pas moins camper une armée
éthiopienne aux frontières de l'Égypte pour protéger le roi Aménophis et les
siens.
248
Les choses se passaient ainsi en Éthiopie. Cependant les Solymites firent une
descente avec les Égyptiens impurs et traitèrent les habitants d'une façon si
sacrilège et si cruelle que la domination des Pasteurs paraissait un âge d'or à
ceux qui assistèrent alors à leurs impiétés. 249 Car non seulement ils incendièrent villes et
villages, et ne se contentèrent pas de piller les temples et de mutiler les
statues des dieux, mais encore ils ne cessaient d'user des sanctuaires comme de
cuisines pour rôtir les animaux sacrés qu'on adorait, et ils obligeaient les
prêtres et les prophètes à les immoler et à les égorger, puis les dépouillaient
et les jetaient dehors. 250
On dit que le prêtre d'origine héliopolitainne qui leur donna une constitution
et des lois, appelé Osarseph,
du nom du dieu Osiris adoré à Héliopolis, en passant chez ce peuple changea de
nom et prit celui de Moïse. »
XXVII
251
Voilà ce que les Égyptiens racontent sur les Juifs, sans compter bien d'autres
histoires que je passe pour abréger. Manéthôs dit encore que dans la suite
Aménophis revint d'Éthiopie, suivi d'une grande armée, ainsi que son fils
Rampsès, à la tête d'une armée lui aussi, que tous deux ensemble attaquèrent les
Pasteurs et les impurs, les vainquirent, et qu'après en avoir tué un grand
nombre, ils les chassèrent jusqu'aux frontières de Syrie. Voilà, avec des faits
du même genre, ce qu'a raconté Manéthôs.
252 Or il dit manifestement des sottises et des mensonges, comme
je vais le montrer en retenant d'abord ce fait, pour réfuter plus tard d'autres
auteurs ; il nous a accordé et il a reconnu que notre race ne tire pas son
origine des Égyptiens, mais que nos ancêtres vinrent du dehors s'emparer de
l'Égypte et qu'ils la quittèrent. 253 Mais nous n'avons pas été
mêlés dans la suite aux Égyptiens infirmes, et Moïse, qui conduisit le peuple,
loin d'être des leurs, avait vécu bien des générations plus tôt, comme je vais
essayer de le prouver par les propres discours de Manéthôs.
XXVIII
254
D'abord la cause sur laquelle il édifie sa fable est ridicule : « Le roi
Aménophis, dit-il, désira voir les dieux. » Lesquels? Si ce sont les dieux
consacrés par leurs lois, le boeuf, la chèvre, les crocodiles et les
cynocéphales, il les voyait. 255
Quant à ceux du ciel, comment le pouvait-il? Et pourquoi eut-il ce désir ? -
Parce que, par Zeus
déjà avant lui un autre roi les avait vus. - Il avait donc appris de lui leur
nature et comment celui-ci avait pu les voir ; alors il n'avait pas besoin d'un
nouveau moyen. - 256
Mais le devin grâce auquel le roi pensait réussir était, dit-on, un sage. -
Alors comment n'a-t-il pas prévu que le désir du roi était irréalisable ? et en
fait il ne s'est pas réalisé. Et pour quelle raison la présence des mutilés et
des lépreux rendait-elle les dieux invisibles ? Les dieux s'irritent contre
l'impiété, non contre les infirmités du corps.
257
Puis, comment quatre-vingt mille lépreux et malades ont-il pu être réunis
presque en un seul jour ? Comment le roi n'a-t-il pas écouté le devin ? Il lui
avait prescrit, en effet, de faire passer la frontière d'Égypte aux infirmes, et
le roi les enferma dans les carrières, comme un homme qui a besoin d'ouvriers,
mais non qui a décidé de purifier le pays.
258
D'après Manéthôs, le devin se tua parce qu'il prévoyait la colère des dieux et
le sort réservé à l'Egypte, et il laissa au roi par écrit sa prédiction. Alors
pourquoi dès le début le devis n'a-t-il pas eu la prescience de sa mort ?
259 Pourquoi n'a-t-il pas combattu tout de suite la volonté
qu'avait le roi de voir les dieux? Puis, était-il raisonnable de craindre des
maux qui ne se produiraient pas de son vivant ? Et pouvait-il lui arriver rien
de pire que ce suicide précipité ?
260
Mais voyons le trait le plus absurde de tous. Informé de ces faits, et redoutant
l'avenir, le roi, même alors, ne chassa pas du pays ces infirmes dont il devait,
suivant la prédiction, purger l'Égypte, mais, sur leur demande, il leur donna
pour ville, d'après Manéthôs, l'ancienne résidence des pasteurs, nommée Avaris.
261 Ils s'y réunirent en masse, dit-il, et choisirent un chef parmi
les anciens prêtres d'Héliopolis, et ce chef leur apprit à ne point adorer de
dieux, à ne point s'abstenir des animaux honorés d'un culte en Égypte, mais à
les immoler et à les manger tous et à ne s'unir qu'à des hommes liés par le même
serment; il fit jurer au peuple l'engagement de rester fidèle à ces lois, et,
après avoir fortifié Avaris, il porta la guerre chez le roi.
262
Il envoya une ambassade à Jérusalem, ajoute Manéthôs, pour inviter le peuple de
cette ville à s'allier à eux, avec la promesse de leur donner Avaris, car cette
ville avait appartenu aux ancêtres de ceux qui viendraient de Jérusalem ; ils
partiraient de là pour s'emparer de toute l'Égypte. 263 Puis, dit-il, ceux-ci firent invasion avec deux cent
mille soldats, et le roi d'Égypte Aménophis, pensant qu'il ne fallait pas lutter
contre les dieux, s'enfuit aussitôt en Éthiopie après avoir confié l'Apis et
quelques-uns des autres animaux sacrés à la garde des prêtres.
264
Alors les Hiérosolymites, qui avaient envahi le pays, renversèrent les villes,
incendièrent les temples, égorgèrent les prêtres, en un mot ne reculèrent devant
aucun crime ni aucune cruauté. 265
Le fondateur de leur constitution et de leurs lois était, d'après notre auteur,
un prêtre originaire d'Héliopolis, nommé Osarseph du nom d'Osiris, le dieu
d'Héliopolis, mais il changea de nom et s'appela Moysès. 266 Treize ans plus tard - c'était la durée fixée par le
destin à son exil - Aménophis, suivant Manéthôs, arriva d'Éthiopie avec une
armée nombreuse, attaqua les Pasteurs et les impurs, remporta la victoire, et en
tua un grand nombre après les avoir chassés jusqu'aux frontières de la Syrie.
XXIX
267
Là encore Manéthôs ne comprend pas l'invraisemblance de ses mensonges. Les
lépreux et la foule qui les accompagnait, en admettant qu'ils fussent irrités au
début contre le roi et ceux qui leur avaient infligé ce traitement suivant la
prédiction du devin, se seraient en tout cas adoucis à son égard quand ils
sortirent des carrières et reçurent de lui une ville et un pays.
268
Et Si même ils lui en avaient voulu, ils auraient conspiré contre sa personne et
n'auraient point déclaré la guerre à tous les Égyptiens, alors qu'évidemment ils
avaient parmi ceux-ci une foule de parents, nombreux comme ils étaient. 269 Même résolus à combattre aussi les Égyptiens, ils
n'auraient point osé faire la guerre à leurs propres dieux et n'auraient point
non plus rédigé des lois absolument contraires à celles de leurs pères, dans le
respect desquelles ils avaient été élevés.
270
Nous devons savoir gré à Manéthôs de dire que, si les lois furent violées, ce ne
fut point sur l'initiative des gens venus de Jérusalem, mais sur celle des
Égyptiens eux-mêmes, et que leurs prêtres surtout s'en sont avisés et ont fait
prêter serment à la foule. 271
Mais cette invention-ci n'est-elle point absurde ? Alors qu'aucun de leurs
proches ou de leurs amis ne les suivit dans leur révolte ni ne prit sa part de
leurs dangers, les contaminés envoyèrent à Jérusalem, et en ramenèrent des
alliés ! 272 Quelle amitié, quelle parenté existait donc entre
eux auparavant ? Au contraire, ils étaient ennemis et les moeurs les plus
différentes les séparaient. Suivant lui, les gens de Jérusalem prêtèrent tout de
suite l'oreille à la promesse qu'ils occuperaient l'Égypte, comme si eux-mêmes
ne connaissaient point parfaitement le pays dont ils avaient été chassés par la
force ! 273 Encore si leur situation avait été embarrassée ou
mauvaise, peut-être se seraient-ils exposés au danger. Mais, habitant une ville
opulente, et recueillant les fruits d'un vaste pays plus fertile que l'Egypte,
pourquoi, dans l'intérêt d'anciens ennemis et d'estropiés qu'aucun même de leurs
proches ne supportait, allaient-ils s'exposer au danger en les secourant ? Car
certainement ils ne prévoyaient pas que le roi s'enfuirait.
274
Au contraire, Manéthôs dit lui-même qu'à la tête de trois cent mille hommes le
fils d'Aménophis
marcha à leur rencontre dans la direction de Péluse.
La nouvelle en était notoire dans tous les cas parmi ceux qui étaient là; en
revanche, d'où auraient-ils conjecturé qu'il changerait d'avis et prendrait la
fuite ? - 275 Vainqueurs de l'Égypte, dit-il ensuite, les
envahisseurs venus de Jérusalem commettaient mille sacrilèges qu'il leur
reproche, comme s'il ne les avait pas introduits en qualité d'ennemis ou comme
s'il était juste de faire un crime de cette conduite à des hommes appelés de
l'étranger, alors qu'avant leur arrivée des Égyptiens de race commettaient ces
mêmes impiétés et avaient juré de les commettre.
276 D'autre part, dans la suite Aménophis revint à la charge, gagna
une bataille, et, tout en massacrant les ennemis, il les chassa jusqu'en Syrie.
Ainsi, pour tous les envahisseurs, d'où qu'ils viennent, l'Égypte est une proie
facile ; 277 ainsi, ses conquérants d'alors, informés qu'Aménophis
était vivant, n'ont ni fortifié les routes par où l'on vient d'Éthiopie, bien
qu'ils eussent pour le faire de nombreux armements, ni préparé leurs autres
forces ! « Le roi, dit Manéthôs, les poursuivit jusqu'en Syrie en les
massacrant, à travers le sable du désert ». Or, on sait que même sans combattre,
il est difficile à une armée de le traverser.
XXX
278
Donc, d'après Manéthôs (lui-même), notre race n'est point originaire de
l'Egypte, et elle n'a point été non plus mélangée d'hommes de ce pays ; car
beaucoup de lépreux et de malades moururent vraisemblablement dans les carrières
où ils avaient longtemps séjourné et souffert, beaucoup dans les combats qui
suivirent, la plupart dans le dernier, et dans la fuite.
XXXI
279
Il me reste à réfuter ses assertions sur Moïse. Les Égyptiens, qui considèrent
ce personnage comme admirable et divin, veulent en faire un des leurs par une
calomnie invraisemblable: ils disent qu'il appartenait au groupe des prêtres
chassés d'Héliopolis pour cause de lèpre.
280
Or, on voit dans les annales qu'il a vécu cinq cent dix-huit ans plus tôt
et qu'il conduisit nos pères de l'Égypte dans le pays que nous habitons
aujourd'hui. 281 Et il n'était pas non plus affecté d'une maladie
de ce genre, comme ses propres paroles le prouvent. En effet, il défend aux
lépreux et de séjourner dans une ville et de résider dans un village; ils
doivent errer seuls, les vêtements déchirés. Celui qui les a touchés ou a vécu
sous leur toit est, selon lui, impur. 282 Si même, grâce aux soins apportés à la maladie, le
lépreux revient à la santé, il lui prescrit force purifications: de laver ses
souillures en se baignant dans des eaux de source, et de raser complètement sa
chevelure; il lui ordonne aussi de faire des sacrifices nombreux et divers avant
d'entrer dans la ville sainte.
283 Et pourtant il eût été naturel, au contraire, s'il avait été
victime de cette calamité, qu'il usât de soins prévoyants et d'humanité envers
ceux qui avaient eu le même malheur.
284 Or, non seulement il a ainsi légiféré sur les lépreux, mais
ceux même dont le corps porte la moindre mutilation n'ont point le droit d'être
prêtres, et si un accident de ce genre arrive à un prêtre même en exercice,
Moïse lui enlève cet honneur.
285 Est-il probable ou qu'il ait établi sans bon sens, ou que des
hommes rassemblés à la suite de semblables calamités aient accepté des lois
faites contre eux-mêmes à leur honte et à leurs dépens ? 286
Mais, de plus, Manéthôs a transformé son nom de la manière la plus
invraisemblable. On l'appelait, dit-il, Osarseph. Ce mot n'a point de rapport
avec celui qu'il remplace. Le vrai nom signifie: « celui qui fut sauvé de l'eau
», car l'eau chez les Égyptiens se dit « Môü ».
287
La preuve est assez claire, je pense : tant que Manéthôs suivait les antiques
annales, il ne s'écartait guère de la vérité ; mais lorsqu'il s'est tourné vers
les légendes sans autorité, il les a combinées sans vraisemblance ou il a cru
des propos dictés par la haine.
XXXII
288
Après lui, je veux examiner Chærémon.
Cet auteur également déclare qu'il écrit l'histoire d'Égypte, et, après avoir
cité le même nom de roi que Manéthôs,
289
Aménophis, et Ramessès son fils, il raconte qu'Isis apparut à Aménophis dans son
sommeil, lui reprochant la destruction de son temple pendant la guerre.
L'hiérogrammate Phritobautès dit que, s'il purifiait l'Égypte des hommes
atteints de souillures, ses terreurs cesseraient. 290 Le roi réunit deux cent cinquante mille de ces hommes
nuisibles et les chassa. A leur tête étaient Moïse et Joseph, également
hiérogrammates. Leurs noms égyptiens étaient Tisithen pour Moïse, et Peteseph
pour Joseph. 291
Ces exilés arrivèrent à Péluse et rencontrèrent trois cent quatre-vingt mille
hommes abandonnés par Aménophis, qui n'avait pas voulu les amener en Égypte.
292 ils conclurent avec eux un traité d'amitié et marchèrent sur
l'Egypte. Aménophis, sans attendre leur attaque, s'enfuit en Éthiopie, laissant
sa femme enceinte. Elle se cacha dans des cavernes et mit au monde un enfant du
nom de Ramessès, qui, devenu homme, chassa les Juifs en Syrie au nombre
d'environ deux cent mille, et reçut son père Aménophis revenu d'Ethiopie.
XXXIII
293
Voilà ce que raconte Chærémon. Il résulte claire¬ment, je pense, des récits
précédents que l'un et l'autre ont menti.
Car s'ils s'étaient appuyés sur quelque fait réel, un pareil désaccord était
impossible. Mais ceux qui composent des livres mensongers ne mettent point leurs
écrits d'accord les uns avec les autres ; ils façonnent les faits à leur
fantaisie. 294 Ainsi, pour Manéthôs, le désir qu'avait le roi de
voir les dieux fut l'origine de l'expulsion des contaminés; Chærémon y substitue
sa propre invention, l'apparition d'lsis en songe. 295
Pour celui-là, c'est Aménophis qui, dans sa prédiction, conseilla au roi la
purification; pour celui-ci, c'est Phritobautès. Voyez aussi combien se
rapprochent leurs évaluations de cette multitude : l'un parle de quatre-vingt
mille hommes, l'autre de deux cent cinquante mille !
296
De plus, Manéthôs jette d'abord les contaminés dans les carrières ; puis il leur
donne Avaris comme résidence, les excite à la guerre contre les autres
Egyptiens, et c'est alors que, selon lui, ils appelèrent à leurs secours les
Hiérosolymites. 297
Pour Chærémon, chassés d'Égypte, ils trouvèrent auprès de Péluse trois cent
quatre-vingt mille hommes abandonnés par Aménophis et, avec eux, revenant sur
leurs pas, ils attaquèrent l'Égypte et Aménophis s'enfuit en Éthiopie. 298 Mais le plus beau, c'est qu'il ne dit ni qui étaient,
ni d'où venaient tant de milliers de soldats, s'ils étaient Égyptiens ou arrivés
du dehors. Il n'a pas même révélé pour quelle raison le roi n'avait pas voulu
les amener en Égypte, lui qui, au sujet des lépreux, a imaginé l'apparition
d'Isis. 299 A Moïse Chærémon a adjoint Joseph, chassé avec lui,
croit-il, dans le même temps, alors qu'il mourut quatre générations avant Moïse,
ce qui fait à peu près cent soixante-dix ans.
300 Ramessès, fils d'Aménophis, suivant Manéthôs, est un jeune
homme qui combat avec son père,
et partage son exil après la fuite en Éthiopie ; suivant la version de Chærémon,
il naît dans une caverne, après la mort de son père,
puis remporte une victoire sur les Juifs et les chasse en Syrie au nombre
d'environ deux cent mille. 301
Ô légèreté ! il n'avait pas dit d'abord qui étaient les trois cent quatre-vingt
mille hommes et il ne dit pas non plus comment périrent les quatre cent trente
mille
(qui manquaient), s'ils tombèrent dans le combat, ou s'ils passèrent dans le
camp de Ramessès. 302
Mais voici le plus étonnant : il est impossible d'apprendre de lui à qui il
donne le nom de Juifs et qui il désigne ainsi : les deux cent cinquante mille
lépreux ou les trois cent quatre-vingt mille hommes de Péluse.
303
Mais ce serait sottise, sans doute, de réfuter plus longuement des auteurs qui
se réfutent eux-mêmes ; d’être réfuté par d'autres serait moins extraordinaire.
XXXIV
304
Après eux je présenterai Lysimaque,
qui a pris pour ses mensonges le même thème que les écrivains précités, la fable
des lépreux et des infirmes, mais qui les surpasse par l'invraisemblance de ses
inventions; aussi est-il clair que son ouvrage est inspiré par une profonde
haine. 305 D'après lui, sous Bocchoris, roi d'Égypte, le peuple
juif atteint de la lèpre, de la gale et d'autres maladies, se réfugia dans les
temples, et y mendiait sa vie. Comme un très grand nombre d'hommes étaient
tombés malades, il y eut une disette en Égypte. 306
Bocchoris, roi d'Égypte,
envoya consulter l'oracle d’Ammon au sujet de la disette. Le dieu ordonna de
purger les temples des hommes impurs et impies en les chassant de là dans des
lieux déserts, de noyer les galeux et les lépreux, car, selon lui, le soleil
était irrité de leur existence, et de purifier les temples; qu'ainsi la terre
porterait des fruits. 307
Bocchoris, informé de l'oracle, appela près de lui les prêtres et les serviteurs
de l'autel, leur ordonna de faire un recensement des impurs et de les livrer aux
soldats pour qu'ils les emmenassent dans le désert, et de lier les lépreux entre
des feuilles de plomb pour les jeter à la mer. 308 Les lépreux et les galeux noyés, on réunit les autres
et on les transporta dans des lieux déserts pour qu'ils périssent. Ceux-ci
s'assemblèrent, délibérèrent sur leur situation; la nuit venue, ils allumèrent
du feu et des torches, montèrent la garde, et, la nuit suivante, après un jeûne,
ils prièrent les dieux pour leur salut. 309 Le lendemain un certain Moïse leur conseilla de
suivre résolument une seule route jusqu'à ce qu'ils parvinssent à des lieux
habités et leur prescrivit de n'avoir de bienveillance pour aucun homme, ni de
jamais conseiller le meilleur parti, mais le pire, et de renverser les temples
et les autels des dieux qu'ils rencontreraient. 310 Les autres y consentirent et mirent à exécution leurs
décisions; ils traversèrent le désert, et, après bien des tourments, arrivèrent
dans la région habitée, puis, outrageant les hommes, pillant et brûlant les
temples, ils vinrent dans le pays appelé aujourd'hui Judée, y bâtirent une ville
et s'y fixèrent. 311
Cette ville fut nommée Hiérosyla (sacrilège) à cause de leurs dispositions
d'esprit. Plus tard, devenus maîtres du pays, avec le temps, ils changèrent
cette appellation pour éviter la honte, et donnèrent à la ville le nom de
Hiérosolyma, à eux-mêmes celui de Hiérosolymites.
XXXV
312
Lysimaque n'a donc même pas trouvé moyen de nommer le même roi que les
précédents, mais il a imaginé un nom plus nouveau, et, laissant de côté le songe
et le prophète égyptien, il s'en est allé chez Ammon pour en rapporter un oracle
sur les galeux et les lépreux. 313
En disant qu'une foule de Juifs était réunie dans les temples, a-t-il voulu
donner ce nom aux lépreux, ou seulement à ceux des Juifs qui avaient été frappés
de ces maladies ? 314
Car il dit : « le peuple juif ». Quel peuple ? Etranger ou indigène ? Pourquoi,
si ces hommes sont Égyptiens, les appelez-vous Juifs ? S'ils étaient étrangers,
pourquoi ne dites-vous pas leur origine ? Et comment, si le roi en a noyé
beaucoup dans la mer et chassé le reste dans des lieux déserts, en a-t-il
survécu un si grand nombre ?
315 Ou de quelle manière ont-ils traversé le désert, conquis le
pays que nous habitons aujourd'hui, fondé une ville et bâti un temple célèbre
dans l'univers ? 316 Il fallait aussi ne pas se contenter de dire le nom
du législateur, mais encore nous informer de sa race et de sa famille. Et
pourquoi se serait-il avisé d'établir pour eux de semblables lois sur les dieux
et sur les offenses à faire aux hommes pendant le voyage ? 317 Égyptiens, ils n'eussent point changé si facilement
les coutumes de leur patrie. S'ils venaient d'ailleurs, ils avaient de toute
façon des lois conservées par une longue habitude. 318 S'ils avaient juré contre ceux qui les chassèrent une
éternelle hostilité, c'eût été un récit vraisemblable ; mais qu'ils aient engagé
contre toute l'humanité une guerre implacable, eux qui avaient besoin du secours
de tout le monde, vu leur état misérable qu'il dépeint lui-même, cela dénote une
très grande folie, non de leur part, mais de la part de l'historien menteur.
319
Il a encore osé dire qu'ils ont dénommé leur ville en souvenir du pillage des
temples et ont changé son nom dans la suite. Il est clair que ce nom attirait la
honte et la haine sur leurs descendants ; et eux, les fondateurs de la ville,
auraient pensé se faire honneur en la nommant ainsi ! Et le digne homme, dans
l'ivresse de l'injure, n'a pas compris que le pillage des temples n'est pas
désigné par le même mot chez les Juifs et chez les Grecs.
320
Que pourrait-on ajouter contre un menteur si impudent ? Mais comme ce livre est
déjà d'une étendue convenable, je vais en commencer un second où j'essaierai de
présenter le reste des observations relatives à mon sujet.
suite
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