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Le chapitre précédant concernait la relation entre la forme et le message du texte. Les approches décrites étaient surtout utiles pour l'étude des genres prophétiques, didactiques (sagesse et lois) et poétiques. Une grande partie de la Bible hébraïque contient, cependant, des récits. Dans ce chapitre nous allons déplacer notre intérêt de l'expression et de l'argumentation à la nature narrative des textes. (Ceci n'est pas faire une distinction nette entre textes narratifs et textes rhétoriques, car un récit a souvent un but polémique, et un texte prophétique peut bien se revêtir d'un caractère narratif, cf. l'exemple de Os 2.4ss. que nous venons d'étudier, un texte qui peut aussi être vu dans l'optique de ce chapitre.)
La poétique des textes narratifs est appelée parfois la "narratologie". Dans les domaines bibliques francophones, le courant narratologique le plus connu est structuraliste. Le courant structuraliste et post-structuraliste comprennent de multiples approches, dont la sémiotique (la sémiologie) la science des signes est le plus utilisée dans les études bibliques.
Pour la sémiotique, l'homme construit son propre monde, il le fait en lui accordant un sens au moyen de signes conventionnels; or c'est l'homme lui même qui crée ce sens. On comprend, on sent même, par le moyen de signes. Le sens d'un signe vient dans cet optique de l'opposition et du contraste. Un signe a un sens par opposition à une autre possibilité (rouge n'est pas blanc, ni noir, ni vert etc.).
On peut donc voir un signe comme une partie d'un système binaire, une réalité structurée des oppositions: "The cat sat on the mat" même si on la traduit mot à mot, cette phrase présente plusieurs possibilités en français:
Le sens de cette phrase est conditionné par la culture, c'est-à-dire le système conventionnel des signes, dans lequel il est compris. "Le sens est fonction des structures d'un système culturel."/187
La littérature est, selon la vision structuraliste, un système conventionnel des signes, une culture. Si la littérature est une culture, on peut parler non seulement du sens linguistique, mais aussi du sens littéraire. Comme il y a une syntaxe de la phrase, une science qui étudie les relations structurelles entre les éléments de la phrase et les sens qui y sont formés, on peut parler d'une syntaxe du texte, une science qui voit les relations structurelles des éléments du texte et leurs effets de sens.
Dans ce contexte on cesse de se poser la question romantique ou historiciste "quel sens voulait il (l'auteur ou le rédacteur) donner à son texte?", et on se demande plutôt "quel est le sens de ce texte?". Car le sens n'est pas une idée (cf. Platon) à exprimer à travers le texte, mais le sens est inhérent (à l'objet ou à l'événement) au texte dans son contexte culturel. Ce contexte culturel, nous l'avons dit, est la littérature; car la littérature est une culture. Un mot a son sens linguistique dans le contexte linguistique, mais (seul ou ensemble avec d'autres) en tant qu'unité textuelle il a aussi son sens littéraire dans le contexte de tel ou tel corpus littéraire.
Nous pourrions appuyer cette assertion de la non importance de l'auteur en tant que celui qui donne sens au texte, en posant des questions telles que: "Qui donne son sens à un conte folklorique?", "Qui est l'auteur du sens d'un texte qui a plus d'un seul auteur, ou qui a toute une communauté dans son développement historique comme ’auteur’?". Ici, il est clair que le sens d'un texte ne dépend pas d'un ’auteur’, d'un ’donnant sens’, mais qu'il est inhérent au texte lui même.
L'analyse structurale peut être plus radicale encore/188: "Je ne cherche pas le sens d'un texte. Je parle de sens en référence à ceux qui lisent le texte." Certains analystes s'arrêtent avec l'assertion que le sens réside dans le texte et non dans les intentions supposées d'un auteur; mais d'autres veulent aller plus loin et accorder carrément le rôle de donateur de sens au lecteur. A première vue, ceci semble mener à l'anarchie exégétique. Si c'est le lecteur qui donne sens au texte, toute lecture est l'égale de toute autre. Il n'y a plus de discipline d'exégèse, la fantaisie règne. Mais même les analystes structuraux radicaux ne veulent pas cette anarchie/189: "L'analyse tout à la fois montre que toutes les lectures ne sont pas possibles, et fait surgir des effets de sens qui ont échappé aux lectures (sic)." Dans cette optique, l'intérêt de l'exégèse n'est plus le processus de composition, mais le processus de lecture et de compréhension. La poétique devient une théorie de lecture, et l'exégèse, la science des limites aux lectures et de proposition de lectures nouvelles.
Une telle poétique peut distinguer plusieurs niveaux d'"auteur" et de "lecteur". Il y a eu pour chaque texte un auteur réel (ou des auteurs réels, peut être ensemble avec quelques rédacteurs également réels) à qui correspond le lecteur réel (chaque lecteur?). Mais certains textes nous présentent à l'intérieur d'eux mêmes un narrateur, le personnage qui raconte le récit, et parfois un narrataire, un personnage à qui il est raconté. Entre ses deux extrêmes, historique et littéraire, il existe aussi un domaine quasi littéraire où on peut penser à l'auteur implicite, "l'auteur" que le texte nous présente, et "le lecteur implicite", le lecteur que le texte suppose. Les relations entre ces six permettent des effets narratifs intéressants, objet d'étude de certains critiques, et du chapitre suivant.
L'intérêt de ce manuel est l'étude de l'A.T., sa compréhension et son explication (interprétation). Nous présenterons dans cette section, donc, en quelque sorte une application des résultats de la poétique biblique plutôt que la poétique proprement dite. L'approche sera éclectique, se servant des résultats et des méthodes d'analyse structurales ainsi que post-structuralistes et tout simplement empiriques.
On se concerne ici donc surtout avec un élément
d'organisation textuelle négligée dans le chapitre précédent, le
narratif, c. à d. avec la poétique du récit (la
narratologie). Un narratif se préoccupe avec ce qui arrive à
certaines personnes qu'il nous présente (les
personnages). C'est-à-dire, dans le cadre d'une certaine
structure d'action, des événements qui sont décrits par le récit, ou la
fable (fabula)
dans la terminologie des formalistes russes, et d'une certaine
structure textuelle, les éléments du récit dans leurs relations
séquentielles dans le narratif, ou le sujet (sjuzet) des formalistes;
certains personnages sont présentés et ainsi certains points de vues
sont exprimés. Pour l'exprimer dans une autre optique, chaque narratif
est composé de certaines structures séquentielles (objet de l'analyse
syntagmatique) et d'une certaine structure des relations
entre personnages, thèmes et d'autres éléments textuels (objet de l'analyse
paradigmatique).
Prochaine section: 8.1 Structure narrative
Ce manuel a été rédigé par le Dr Tim Bulkeley à l'intention des étudiants africains de théologie de l'Université protestante du Congo. Il est mis en forme électronique hypertexte par lui en 2003-4.
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