« De tous les peuples modernes, dit Boyer, il n’en « est aucun qui offre plus d’analogie avec l’ancien « peuple juif, que les Vaudois des Alpes du Piémont : « nulle histoire n’a eu plus de prodiges que la leur, « nulle Église plus de martyrs. »
Ces lignes suffisent à expliquer le titre de cet ouvrage : l’Israël des Alpes (1). En voici maintenant l’origine et le but.
Depuis plus de quinze ans, je me suis occupé d’assidues recherches sur l'Histoire des Vaudois. Mon intention était de reprendre le volume publié en 1834, et de poursuivre ce travail en des proportions qui lui eussent donné une étendue de huit à dix volumes in-8°.
(1) Mon intention, n’était pas, d’abord, de donner ce titre à un ouvrage définitif sur les Vaudois; il ne devait être que celui d'un simple, résumé historique. Mais ce résumé était devenu l'ouvrage définitif, le titre lui est resté.
Mais un ouvrage aussi considérable, ne pouvait répondre aux besoins actuels du public. Je voulus alors publier séparément les Sources de l'histoire des Vaudois, avec les principaux documents qui s’y rattachent, et un exposé rapide mais complet des événements historiques.
D’un côté, j’ai dû renoncer à la publication des Sources, empêchée par les événements ; de l’autre, j’ai reconnu qu’un résumé complet de l'histoire des Vaudois, ne pourrait être contenu en un seul volume : vu que la partie inédite de cette histoire était aussi considérable, si ce n’est même plus étendue, que la partie déjà connue.
La question de l’origine des Vaudois, et de l’organisation de leur Église, antérieurement à la Réformation, nécessitait un nouvel examen. Le caractère primitif de leurs doctrines n’avait pas été complètement déterminé, faute de documents. L’histoire partiallière des Vaudois du Queyras, de Barcelonnette, de Vallouise et de Freyssinières, ne se trouvait nulle part traitée avec ensemble; celle de Mérindol et de Cabrières avait été souvent écrite et jamais éclaircie ; une nouvelle étude des pièces judiciaires qui précédèrent et suivirent l’exécution de l’arrêt du 18 novembre 1540, prononcé par la cour d’Aix, devenait un devoir pour l’écrivain : et nul, que je sache, ne l’avait accompli.
Les faits de détail, relatifs aux martyrs vaudois, se trouvent ici réunis pour la première fois. L’histoire si intéressante des Églises de Saluces était presque inconnue, et forme ici la moitié d’un volume.
Il y avait une lacune entre l’époque où s’arrête la chronique si abondante de Gilles, et celle où commence l’histoire documentaire de Léger. Une nouvelle lacune s’étendait entre Léger et Arnaud; et depuis ce dernier écrivain, jusqu’à nos jours, aucune réunion importante de documents nouveaux ne se présentait plus.
Un très grand nombre d’histoires des Vaudois, générales ou particulières, étendues ou résumées, avaient cependant été écrites. Chacune d’elles renferme quelques faits, ou quelques aperçus intéressants; mais nulle part on ne trouve un ensemble de documents, coordonnés en de justes proportions avec la valeur des faits historiques.
Il est peu d’événements, néanmoins, qui aient joué dans notre histoire, un rôle aussi important que ceux qui amenèrent et qui suivirent le rétablissement officiel des Vaudois dans leur patrie : et c’est à peine si les historiens les plus complets, jusqu’ici, en avaient iudiqué la trace. Un volume tout entier est consacré dans cet ouvrage, à ces faits remarquables, qui n’occupent que quelques pages chez mes prédécesseurs.
L’expulsion des habitants des Vallées, de 1686 à 1687, n’était racontée en détail que dans des bro-chures contemporaines, devenues très rares ; celles de 1698 et de 1730 n’étaient racontées nulle part.
La première partie seulement de l’histoire des colonies vaudoises en Allemagne avait été écrite, mais non pas en français. Cette histoire tout entière se trouve dans l'Israël des Alpes. Celle des Vaudois du Pragela, qui à eux seuls étaient plus nombreux jadis que les habitants réunis de tontes les autres vallées vaudoises, n’avait jamais été écrite en aucune langue; huit chapitres lui sont consacrés dans ce travail.
Enfin, depuis 1730 jusqu’à nos jours, de nouvelles phases historiques ont fait passer les Vaudois sous l’influence indirecte de la philosophie du dix-huitième siècle, sous celle de la révolution française, des invasions austro-russes, et de l’empire de Napoléon.
Rien de tout cela n’avait été relaté selon son importance historique; et depuis la restauration seulement, les documents imprimés commencent de jeter une lumière suffisante sur les destinées de l'Église vaudoise.
Toutes ces lacunes ont été comblées dans l’ouvrage actuel ; et si l’on trouve que ces quatre volumes dépassent les limites d’un abrégé, je dirai : Réunissez les ouvrages écrits sur les Vaudois; parcourez leur table des matières, comparez-la avec celle de ce travail, et voyez si ces quatre volumes ne contiennent pas, à eux seuls, plus de choses que tous les autres livres écrits sur ce sujet. Ces derniers cependant pourraient, à eux seuls, former une abondante bibliothèque : comme on s’en convaincra , en jetant un coup d’œil sur la Bibliographie, qui termine l’Israël des Alpes.
Perrin ( un vol. 1n-8° de 248 pages ) ne m’a fourni que la matière de deux demi-chapitres ; Gillles ( un vol. in-4° de plus de 600 pages) m’a fourni trois chapitres en entier, et sept demi-chapitres; Léger (un volume in-folio de 212 et 385 pages) ne m’a fourni qu’un chapitre en entier et quatre demi-chapitres; Arnaud (in-8° de 407 pages), deux chapitres et demi ; et tous les auteurs allemands qui ont écrit sur les colonies vaudoises, ne m’ont apporté ensemble que la valeur de trois demi-chapitres. Tout le reste a été puisé dans des ouvrages particuliers, ou dans des documents inédits.
Quelle que soit donc l’appréciation qu’on fasse de ce travail, j’ose croire qu’on ne pourra se refuser à reconnaître qu’il a réellement renouvelé l’histoire des Vaudois; et non-seulement, que l'Israël des Alpes renferme la plus complète de toutes les histoires des Vaudois qui ont été publiées jusqu’ici, mais encore, qu’en réunissant tout ce qui a été publié on n’aurait qu’une partie très restreinte de ce qu'on trouvera dans l'Israël des Alpes. Autant que le cadre du livre me l’a permis, j’ai toujours cédé la parole aux auteurs que je devais citer : non-seulement pour faire connaître des textes rares, ou manuscrits ; mais surtout afin d’introduire plus de variété dans la narration, et de lui restituer, autant que possible, l’empreinte des émotions contemporaines.
Il m’est souvent arrivé de reconnaître des erreurs dans les ouvrages que j’avais sous les yeux (même les plus en renom et les plus érudits ) ; je les ai rectifiées, selon mes lumières, mais sans les relever, car cela n’eût pas modifié des pages erronées, et m’eût semblé une atteinte à la reconnaissance que nous devons aux écrivains, qui ont consacré leurs veilles à des sujets qui nous sont chers.
Ces nombreuses inexactitudes me font bien présumer que mon propre travail n’en sera pas exempt. Je serai reconnaissant si l’on me met à même de les faire disparaître. S’il n’avait pas été imprimé au fur et à mesure de sa composition, j’aurais corrigé déjà quelques négligences (1) et, sans doute aussi, bien des expressions parfois trop vives, que l’horreur des faits que j’avais à décrire arrachait involontairement à ma plume indignée. Ces reflets d’un sentiment personnel peuvent rendre une narration plus animée, mais ils sont peu compatibles avec la calme dignité de l’histoire. Indépendamment des négligences de style, et des fautes d’impression, trop tard reconnues pour être corrigées dans cette édition, il y aurait sans doute encore bien des faiblesses à relever dans cet ouvrage. Mais comme il est le premier qui présente l'histoire des Vaudois d’une manière complète, et qu’en somme il est certainement le plus exact de tous ceux qui existent sur ce sujet, j’espère quelque indulgence en faveur des longues et laborieuses recherches qu’il m’a coûtées.
(1) Je doit signaler, entre autres, l'omission des faits relatifs à Pierre Marquisy et à Maurice Mongie dont il est parlé au chap. XIV, du T. 1er. Mais cette omission n'intéresse que le martyrologe.
Ces recherches ont été poursuivies, surtout dans les Archives d’état de la Cour de Turin. Les papiers qu’elles renferment ne m’ayant été offerts que par liasses non classées, j’en ai pris note et je les cite, sauf quelques exceptions, en leur conservant le nu-méro de série, qui indique l’ordre dans lequel ils m’ont été communiqués.
Les Archives diplomatiques de la France, grâce à M. Guizot, alors ministre des affaires étrangères, m’ont fourni de précieux documents.
Les Registres du conseil d’État de Genève ont été compulsés au profit de l'Israël des Alpes, par les soins obligeants de M. le ministre Le Fort.
Les Archives dÉtat du grand duché de Hesse-Darmstadt m’ont été ouvertes par M. Du Thill, alors ministre de l’intérieur.
Celles de Bade, de Stuttgard, de Francfort, de Berlin, et des principaux cantons de la Suisse, ont également été consultées, soit directement, soit par correspondance.
Les Archives de l'ancienne cour des comptes à Grenoble, celles du sénat et de la cour des comptes, à Turin, n’ont pas moins augmenté mes matériaux. Il s’y est joint de nombreux documents sortis des Archives civiles de Pignerol, de Luserne, de Fenestrelles, de Briançon, de Gap, et de quelques autres villes tant du Piémont que de la France. Je dois particulièrement témoigner à ce sujet une affectueuse reconnaissance à mon parent et ami, M. Aillaud, professeur à Pignerol, qui a compulsé pour moi les archives de l’intendance de celte ville.
Celles de l’évêché m'ont été ouvertes par l’auteur des Recherches historiques sur l'origine des Vaudois. ( Voir dans la Bibliographie, section II, §. IV, n° IX. ) Sans entrer ici dans aucune autre considération que celle des recherches qu’il m’a facilitées, j’attache trop de prix à avoir pu les compléter de la sorte, pour ne pas lui témoigner, à cet égard, une juste reconnaissance.
La belle collection d’opuscules rares, et quelques manuscrits précieux, que contient la Bibliothèque du roi, à Turin, m’ont été d’un grand secours. Je dois des remerciements à MM. de Promis, des Ambroix, de Coccillo, de Sahices, Duboin, fils du célèbre légiste dont il poursuit la vaste collection, Bonnino, sous-archiviste à la cour des comptes, et Sclopis, auteur de l'Histoire des lois du Piémont : qui ont facilité mes recherches, par leurs communications, leur bienveillance ou leurs conseils.
Le savant M. Cibrario, membre de la commission historique pour les Monumenta patriœ, et de l'Académie des sciences à Turin, a également eu la bonté de s’y intéresser. Bien plus, il s’est donné la peine de rechercher lui-même et de m’envoyer divers documents d’un haut intérêt, qui m’eussent manqué sans lui.
A Paris, je n’ai pas trouvé moins de bienveillance. M. de Salvandy, alors ministre de l'instruction publique, fit mettre à ma disposition un manuscrit très important, que je n’aurais pu consulter sans son entremise.
M. Michelet a bien voulu me signaler dans les Archives nationales de la France, des documents jusqu’ici inconnus (1).
(1) Une enquête volumineuse sur les vexations commises par Jean de Roma, contre les Vaudois de Provence. — En voici le titre tel qu’il se trouve mentionné sur une étiquette détachée. · Cayer de procédures faites « en 1533, en vertu de la commission de François 1er, roi de France, en « datte du 12 février 1532, contre Jean de Rome, de l’ordre des Jacobins : qui, après avoir été chassé d’Avignon, par le cardinal de Clermont, s’était retiré en Provence, où sans s’être fait connaître ni autoriser légalement, il y faisait les fonctions d’inquisiteur, et exerçait contre les sujets de cette province, les abus et voxations les plus contraires à l’ordre public. »
Ce manuscrit qui, d’après une autre note, était jadis contenu dans un sac, et ne fut pas compris dans l'inventaire : article du gouvernement de Provence : est formé de huit mains de papier, petit in-fol. — Au dos, est fixé le rescrit de François 1er qui autorise les poursuites. — Les dépositions de témoins, commencent au recto du feuillet 84. — Archivée nationales de France, carton J, no 851. — Une lettre inédite de Marguerite de France, duchesse de Savoie, datée de Thurin, ce premier jour de juing 1568, et relative aux Vaudois, m’a aussi été communiquée, par M. le professeur Ch. Bonnet : mais, trop tard, pour que j’aie pu en faire usage. — Elle sera publiée, avec d’autres documents précieux, dus aux recherches du savant professeur, dans une Vie de Rénée de France, duchesse de Ferrare, qu'il doit prochainement livrer à l’impatience de tous les amis des études sérieuses, qui connaissent ses beaux travaux.
M. Sordet, archiviste de l'hôtel de ville à Genève, et M. le professeur Diodati, conservateur de la bibliothèque ,ainsi que MM. les pasteurs La vit, Claparède, Vaucher-Mouchon, etc., ont obligeamment favorisé mes recherches.
Il m’a été permis de consulter les Archives de la vénérable compagnie, connues sous le nom d’Archives de Saint-Pierre.
Un historien célèbre , M. le professeur Merle-d’Aubigné, m’a aidé de ses lumières et de ses documents. Enfin je dois à M. Lombard-Odier, banquier, la copie d’un manuscrit intéressant, rédigé par un Vaudois proscrit en 1729.
Je n’oublierai pas non plus dans mes remerciements ceux de mes jeunes compatriotes, alors étudiants à Genève, qui ont bien voulu s’employer à transcrire des pièces qui m’étaient nécessaires. Ce sont MM. Tron, Geymonat, Parise , Bert, Rivoire et Janavel.
Un écrivain, originaire comme eux des vallées du Piémont, M. Monastier, auteur d’une histoire des Vaudois récente et appréciée, m’a communiqué des notes et des extraits qu’il avait recueillis pendant le cours de ses propres travaux.
Un autre enfant des Vallées, M. Appia en qui l’Église française de Francfort, a perdu depuis peu un pasteur éminent et vénéré, m’a prodigué toutes les ressources de sa riche collection de documents, sur l'histoire de la patrie, toutes les lumières de ses conseils et de ses souvenirs. J’ai le regret de ne pouvoir payer ici qu'à sa mémoire mon juste tribut de gratitude.
Un vénérable pasteur vaudois, successeur de Scipion Arnaud, dans une des colonies vaudoises d’Allemagne, feu M. Mondon,qui, depuis plus longtemps que le révérend Appia, a quitté cette terre , avait témoigné pour mon entreprise la même sympathie. C’est à lui que j’ai dû les premiers cahiers du manuscrit original de la Rentrée, actuellement déposés à Berlin.
Dans les vallées vaudoises, MM. les officiers de la Table ont, plus d’une fois , mis à ma disposition des pièces officielles et des notes d’une exactitude précieuse; M. le pasteur Josué Meille, et son gendre, M. Voile, ont, sous d’autres rapports, contribué à augmenter ma collection de pièces inédites. Je dois en dire autant de M. Gay, du Villar et de M. Antoine Blanc, de La Tour, ainsi que de mon ami M. Amédée Bert, dont les Scènes historiques, récemment publiées, ont excité un si grand intérêt en Italie , en faveur des Vaudois.
A l’étranger, M. le docteur Todd, de Dublin, et surtout le révérend docteur Gilly de Durham, ont mis une obligeance toute particulière à me transmettre des renseignements qu’eux seuls pouvaient me fournir.
Enfin je dois de vifs remerciements à M. le professeur Schmidt (auteur de l'Histoire des Cathares), qui a bien voulu revoir les épreuves de la Bibliographie de l’Israël des Alpes ; ainsi qu’à MM. Mailhet, Arnaud et Olivier, qui ont revu le texte et les épreuves de tout l’ouvrage.
Je ne puis mentionner toutes les bibliothèques publiques, que j’ai mises à contribution pour l’accomplir. Celles de Lyon et de Grenoble contiennent d’anciens manuscrits vaudois, en langue romane ; comme celles de Genève, de Zurich et de Dublin. Celles d’Avignon et de Carpentras possèdent d’autres manuscrits qui, pour être plus modernes, ne sont pas moins intéressants.
M. Frossard, auteur d’une histoire des Vaudois de Provence, et M. Barjavel, auteur du dictionnaire historique de Vaucluse, ont augmenté du résultat de leurs études, les notes que j'avais déjà recueillies, sur le sujet traité par le premier de ces écrivains.
J’ai tenté de nombreuses démarches, dans le but d’obtenir que des recherches fussent faites à Prague afin de découvrir, s’il était possible, quelques vestiges documentaires des anciennes (relations que les Vaudois ont jadis entretenues avec les Églises évangéliques de ce pays; mais ces démarches sont restées sans résultat.
Diverses archives de famille ont été ouvertes à mes investigations : entre autres, celles des comtes de Luseme, mais à une époque où je n’ai pu moi-même aller les parcourir. Je n’en dépose pas moins ici, pour ceux qui y ont droit, l’expression respectueuse de ma reconnaissance.
Il resterait également à voir, si possible, les archives épiscopales de Suze et de Saluces; celles de l’archevêché et de l’ancienne inquisition de Turin ; celles d’Aceil, de Carail, de Dronier et de plusieurs autres villes, dans lesquelles les Vaudois eurent jadis de nombreux adhérents ; enfin celles du saint-office à Rome, et sans doute encore, beaucoup de sources qui me sont inconnues.
J’ai toutefois réussi à former la plus nombreuse collection de documents historiques, sur les Vaudois, que jamais historien ait, je crois , possédée. Je suis heureux surtout d’être parvenu à faire disparaître les lacunes regrettables qui avaient existé, jusqu’ici, dans cette mémorable histoire.
Mais l’opération de réunir un grand nombre de matériaux historiques, ne caractérise pas davantage l’historien, que celle de réunir les matériaux d’un édifice ne caractérise l’architecte.
Avec les mêmes matériaux, on peut élever un mo-miment remarquable ou une construction vulgaire. Ce qui caractérise le monument, c’est de laisser une idée précise de ses dispositions. La France possède, je crois, le plus petit et le plus grand des monuments de l’Europe : la maison carrée de Nîmes et la cathédrale de Strasbourg. L’un comme l’autre, laisse une idée distincte, une image arrêtée; cette image demeurera plus vive et plus entière dans la mémoire du voyageur, que celle d’une rue qu’il aura peut-être longtemps habitée. L’unité, l’harmonie et la proportion distinguent ce qui se fait aisément saisir. Sans ces qualités d’ensemble, une réunion de matériaux n’est, en histoire comme en architecture, qu’un simple entassement; elles seules font le monument, qu’il soit grand ou petit.
Ces qualités monumentales, je ne me défends pas de les avoir ambitionnées pour mon petit travail.
Jusques ici la méthode chronologique était la seule qu’on eut suivie, dans presque toutes les histoires des Vaudois. Cette méthode consiste à faire connaître, année par année, tout ce qui se présente dans les divers pays, ou les différentes séries de faits, dont on doit s’occuper. Elle paraît la plus naturelle au premier abord, et serait la plus juste en réalité, si chaque fait n’avait ni cause ni résultats. L’enchaînement de ces causes et de ces résultats, au contraire, rend seul un fait complet; mais comme les origines sont souvent anciennes et les résultats à distance dans l’avenir, la méthode chronologique interrompt cet enchaînement, en coupant l’exposé d’un fait et de ses conséquences, parle récit des faits comtemporains, qui lui sont étrangers.
II arrive de là, que les lacunes sont voilées sous ces exposés incomplets, et que souvent il s’en produit involontairement sous la plume de l’écrivain : obligée, par la succession des temps, de passer d’un fait à un autre, au lieu de poursuivre d’une manière continue le développement du même fait. Ce développement devient alors comme un portrait brisé, dont les fragmcnts sont épars à de grandes distances.
De là aussi, les idées historiques extrêmement confuses, ou plutôt l’absence d’idées nettes et dominantes, que laisse ordinairement la lecture des histoires, écrites d’après cette méthode.
La méthode analytique, au contraire, après avoir classé les événements, les expose dans toute leur étendue. Leur physionomie se présente entière et distincte : d’où il résulte que l’unité de leurs dispositions peut être saisie plus aisément par l’esprit du lecteur.
Mais cette méthode offre beaucoup de longueurs et de difficultés.
Après avoir recueilli les documents, il faut en faire le triage et la critique ; mettre à part ceux qui servent de source , et distinguer les autorités des témoignages douteux. Il convient ensuite de classer le tout par ordre chronologique, pour avoir un tableau général du sujet dont on doit s’occuper.
Il faut, après cela, diviser cet ensemble en époques distinctes pour détacher les divers plans du tableau historique, destinés à se charger ensuite de détails; puis, établir, dans chaque époque, les séries de documents qui se rapportent aux faits du même genre , et retirer du groupe les pièces relatives à des faits d’un autre ordre. Ils reste enfin à classer ces différentes séries documentaires selon le développement des faits qu’elles tendent à établir, de manière à ce que ces derniers s’éclairent les uns les autres.
Toutes ces opérations ont été faites pour l'histoire des Vaudois que je publie aujourd’hui ; et dont le plan a été peut-être la partie la plus longue et la plus difficile de mon travail. J’ose espérer qu’on ne s’en apercevra pas à sa simplicité.
Quelles que soient les proportions, dans lesquelles il pourrait arriver que l’on reprît un jour l'histoire des Vaudois, que ce fût pour l’étendre en dix volumes ou pour la réduire à un seul : ce plan, je crois, lui conviendrait toujours.
Les deux chapitres qui traitent des martyrs vaudois sont les seuls, dans cet ouvrage, que j’aie empruntés sans modifications à mon travail primitif. Des notes nombreuses ont été ajoutées à ceux que j’ai dû composer en entier sur des documents inédits. Tels sont, en particulier, les deux premiers chapitres du T. IV, dont la matière, quoique peu variée, était fort étendue; et en général, tous ceux qui traitent de l’histoire des Vaudois, depuis 1690, jusques à 1814.
Si les circonstances me permettent, plus tard, de publier le texte complet des pièces justificatives, dont la suppression a surtout contribué à restreindre l’étendue de ce livre, j’aurai réalisé à peu près ce que je désirais et pouvais faire sur l’histoire des Vaudois.
En attendant, j’ai cru devoir indiquer, en tête des chapitres, les sources et autorités qui se rapportent particulièrement à chacun d’eux ; et je terminerai l’Israël des Alpes, par une liste des sources générales qui se rapportent, dans leur ensemble, à toute l’histoire des Vaudois.
Malgré le grand nombre d’auteurs que contient cette liste, il en est peu qui fassent autorité ; la plupart d’entre eux n’ont fait que se copier les uns les autres. Aussi, à l’exception des plus anciens, qui ont puisé aux documents originaux, et de quelques élucidateurs subséquents, qui ont porté les lumières de la critique sur des points obscurs, le reste n’offre qu’un intérêt secondaire. Aucun d’eux n’est cependant à dédaigner, à raison des faits de détail et des aperçus nouveaux qu’ils peuvent présenter.
Si j’avais écrit, selon mon premier projet, une histoire critique et documentaire des Vaudois, j’aurais cité et discuté presque tous ces ouvrages. N’ayant voulu ici que narrer les événements, de la manière la plus complète et la plus rapide possible, je m’en suis tenu aux sources; toute discussion a été écartée, tout ce qui pouvait abréger a été recherché.
Les documents officiels sont presque toujours résumés, les discours réduits, les narrations d’interrogatoires transformées en dialogues directs : faisant disparaître ainsi les formules ralentissantes : « On lui demanda; il répondit, etc... » Quelquefois aussi au lieu de mentionner l’une après l’autre les pièces d’une négociation , je les supprime toutes , en disant simplement : « On proposa...; on répondit, etc....» Enfin, lorsque les documents que j’avais sous les yeux établissaient, à propos d’un personnage historique, et sur des témoignages certains, que ce personnage avait tenu tel ou tel discours, fait telle ou telle réponse, mis en avant telles et telles considérations, j’ai cru pouvoir substituer à cette forme narrative celle de l’allocution directe : faisant ainsi parler le personnage lui-même au lieu de raconter son discours. Cette méthode était familière aux historiens de l’antiquité ; et quoique je n’en aie usé qu’avec beaucoup de réserve , j’ai toujours apporté le plus grand soin à l’exactitude de ces paroles, sous le rapport de ta pensée qu’elles devaient exprimer. On dit quelque-fois que l'historien ne doit ni retrancher ni ajouter, — Mais , à quoi ? — Quel 'est le texte auquel il s’agirait de ne pas changer un seul mot ? Lorsqu’on a sous les yeux plusieurs narrations différentes , plusieurs documents, dont chacun est insuffisant en particulier, mais dont l’ensemble est rempli de lumière; lors-qu’on doit poursuivre la vérité à travers un monceau des pièces judiciaires, de rapports de police, de notes diplomatiques, de correspondances particulières, de publications contemporaines , empreintes de l’esprit de parti, de relations sciemment altérées ou involontairement incomplètes, de journaux plus ou moins bien renseignés, etc.... n’est-ce pas de la comparaison, des rapprochements, de 1a critique persévérante et impartiale de tous ces éléments confus, que l'histoire doit ressortir ?
L’appréciation et le classement des matériaux, dans ce cas, sont aussi importants que leur nombre.
Je n’en dirai pas davantage à ce sujet. Il y a sans doute, dans ce livre, des imperfections que je reconnais, et d’autres que j’ignore. Je ne puis qu’offrir l’expression anticipée de ma reconnaissance, à ceux qui voudront bien me signaler les améliorations dont il serait susceptible. Mais si l’on m’accusait d'être inexact, par cela seul que je me serais écarté des idées reçues jusqu’ici, je dirais : Voyez les sources, informez-vous avant de prononcer.
Je suis loin de dissimuler mes sympathies pour les opprimés contre les oppresseurs : mais jamais je n’ai été sciemment inexact ; et toutes les fois que les faits historiques m’ont appelé à rendre hommage aux adversaires des Vaudois, je crois l’avoir fait sans réserve ni prévention.
Il existe déjà un grand nombre d’histoires des Vaudois; elles sont toutes incomplètes. Un résumé de plus eût été inutile. J’ai entrepris d’écrire leur histoire complète ; cette tâche offrait des difficultés qu’on peut croire assez grandes , puisque personne encore ne les avait surmontées.
Puissent les travaux longs et pénibles, auxquels j’ai dû m’assujettir, pour arriver à présenter la vérité sans lacunes, me valoir, à défaut d’autres qualités, l’approbation de mes lecteurs et des Vaudois qui aiment leur patrie.
J’ai prié Dieu de me soutenir dans cette œuvre ; je le prie de la rendre profitable à ma patrie et à la vérité.
Alexis MUSTON.
Boubdeaux (Drôme), ce 18 de septembre 1850.
La liste générale des sources et autorités , ou BLIbliographie de l’Histoire des Vaudois, a été placée à la fin du IVe vol. de l'Israël des Alpes. C’est là que l’examen des principaux arguments par lesquels l’antériorité des Vaudois à Valdo a été récemment contestée, trouvera sa place. — (Relativement à la note de M. Schmidt, sur l'origine des Vaudois 1erepartie, IIe section, § III, art. XXIV. — De l'antiquité des msc. vaudois en langue romane : seconde partie, section I, § I. — De la nobla leyczon, même section, § III, msc. 207, article V. — Notes historiques, partie III. chap. II.)
On trouvera également dans cette Bibliographie, la relation exacte des titres de divers ouvrages, qui ne sont cités qu’en abrégé dans l'Israël des Alpes : l’indication d’un grand nombre de sources et d’autorités qui n’y ont pas été citées, faute d’espace ; et la rectification de quelques chiffres, échappés à la correction des épreuves. — Ainsi, Bekoist (Histoire de l’édit de Nantes), qui n’a que cinq volumes, a été cité, t. VI au lieu de t. IV. — La bulle d’Urbain II, qui est de 1096, s’est trouvée indiquée sous l’année 1069. — A la pag. 33, ligne 20, un manuscrit a été indiqué sous le n° 6, au lieu du n° 60. — La moitié du titre de la Bible d'Olivetan, à la fin de la page 67, a été supprimé. — A la ligne 21e de la pag. suivante, dans cette phrase : le pauvre peuple qui te fait ce présent... Le mot peuple a été omis. — A la note 2 de la p. 4 de ce volume, le mot Pra-du-Tour a été imprimé Pra des Fours.
Bien des errata pourraient encore être signalés, si je ne pensais que l'intelligence des lecteurs rectifiera aisément ces légères imperfections. J’espère même qu’on les excusera, en considération des autres parties de ce long travail, qui a été accompli dans un petit village, dénué de toute bibliothèque savante, et à une grande distance du lieu de l’impression.
Avant de terminer cet avertissement, je crois devoir faire connaître l’opinion de quelques savants, qui ne pensent pas comme moi, sur l’antériorité des Vaudois à Valdo. Les passages que je vais citer sont extraits d’une correspondance particulière ; que l’on veuille bien ne pas y voir une indiscrétion, mais plutôt un hommage rendu aux lumières de ces écrivains, et une preuve de ma propre impartialité.
« Je crois, dit M. Schmidt, que l'Eglise vaudoise n’a pas besoin, pour se rendre glorieuse, de faire précéder sa période historique d’une espèce de période fabuleuse, remontant jusqu’aux apôtres; elle me paraît assez digne de respect, lors même qu’elle ne descend que d’un simple laïque de Lyon, dont la piété, la modération et le courage peuvent à jamais nous servir d’exemple. Avoir remis en lumière la doctrine de l’Evangile trois siècles avant la Réformation, et l’avoir conservée depuis lors avec une fidélité héroïque, au milieu des persécutions et des supplices : c’est, à mes yeux, assez beau, pour que je m’abstienne de vouloir embellir ce fait certain en y ajoutant une longue période qui n’est pas certaine du tout.....Or, j’ai le fait positif de Valdo; pourquoi ne serait-il pas suffisant, aussi longtemps du moins qu’on ne peut pas prouver qu’il y a eu des Vaudois avant lui ? « (Lettre de M. Schmidt auteur de l'Histoire des Cathares ; Strasbourg, 28 avril 1850). «Pour le point, « qui nous occupe, les historiens ecclésiastiques les « plus éminents de l’Allemagne, MM. Gieseler et «Néander, ont depuis longtemps renoncé à l’opinion de la descendance apostolique des Vaudois. « Ils ne les font venir que de Valdo.....Vous alléguez « l’ordonnance rendue en. 1209, par Othon IV, et « vous en concluez que les Vaudois ont dû être nombreux et anciens dans les vallées des Alpes. Nombreux, passe ; quoiqu’à la rigueur on pût le contester.....Mais anciens, c’est-à-dire plus anciens que « Valdo, je ne le pense pas. Voyez, Valdo commence « à Lyon, vers 1170; neuf années après il sollicite du « pape Alexandre III l’autorisation de prêcher ; cinq « années après, en 1184, Lucius III prononce l’anathème contre ses disciples. De 1184 à 1209, il y a « 25 ans; ou plutôt, de 1170 à 1209, il y a 39 ans; a dans cet intervalle de près de 40 ans, les Vaudois « ont pu se répandre assez loin, ce qu’en effet ils ont « fait : songez seulement à la facilité avec laquelle les « adversaires de Rome propageaient alors leurs doctrines ; songez surtout à la disposition des esprits « dans la haute Italie..... Je ne dirai rien des arguments que vous tirez du rit milanais et de l’épître « aux Laodicéens.... Vous avez là-dessus ma manière a de voir dans ma dernière lettre. » (Ces arguments sont jugés insuffisants. ) « Tous les faits positifs, constatés par des documents historiques, sont sans exception postérieurs à 1170, c’est-à-dire à Valdo, « Avant cette époque, il n’y en a pas un seul. Citez-moi le moindre petit fait antérieur à cette époque, « et je mets bas les armes.» (Du même, 26 mai 1850.)
— « Vous me citez une bulle d’Urbain II, signalant « la vallis Gyrontana, comme étant en 1096 un foyer « d’hérésie. D’abord, je vous dirai que je n’ai jamais « prétendu qu’il n’y eût pas eu avant Valdo de manifestations anti-catholiques. Mais pour établir une « connexion historique positive, une identité parfaite « entre les doctrines , il faudrait connaître cette hérésie, dont ladite vallée a dû être le foyer..... En admettant même qu’il s’agisse d’une hérésie analogue à la doctrine vaudoise, cela prouverait seulement qu’avant Valdo déjà, il y a eu des hommes, « croyant quelque chose de semblable à ce qu’il a « cru lui-même ; mais conclure de là qu’il a été le « descendant de ces hommes, c’est faire un grand a saltus in probanda. » (Du même, 10 juillet 1850.)
Je crois aussi devoir citer, sur cette question, les paroles de M. Gieslkr , dans la langue même dont il s’est servi pour me faire connaître sa pensée. — « Primum, mones Petrum de Bruis, teslibus re-« centioribus, a valle quadam oriundum fuisse , a quam Urbanus II, anno 1096, tanquam hæresi in-a festam notet : inde, juve tuo, colligere tibi vi-« deris, doctrinam quæ Petro cum Valdo communis a fuerit, in valle ista, jam ante Valdum viguisse. Dubi-a tari certe nequit, Petrum de Bruys et Henricum jam « ante Valdum , Ecclesiæ catholic« encores, æque ac « catharorum portenta improbasse , atque ad puram « scripturæ sacræ doctrinam redire studuisse. Impro-a babile non est, Petrum, in valle patria, etiam doctri-« nam suam seminasse , atque asseclas reliquisse ; a itaque explicari potest, quod Urbanus vallem istam « hæreticis plenam vocaverit. Neque minus simile « vero est, ex Petri et Henrici asseclis qui superfue-« rint multos ad Valdenses, in quibus simile stadium « deprehenderent, transiisse, itaque factum esse vi-a detur, ut Petrobrusianorum et Henricianorum pos-a tea ne vestigium quidem inveniatur. Sed ipsos Vai-« denses jam ante Petrum fuisse, Petrumque ex iis « prodiisse, concedere nequeo. Nam : 1° Petrus multa « docuit a Valdensium doctrina prorsus aliéna. Infan-« tes baptizandos esse, sacramentuni corporis et san-a guinis Christi, post Christum celebrandum fuisse , « negavit. Monachos ad ducendas uxores coëgit. E « contrario, notum est, Valdenses initio doctrinam « et instituta Ecclesiæ catholicæ non impugnasse , a sed nihil voluisse nisi simplicitem Evangelii doctri-« nam libéré prædicare. Præterea cælibatum magni « fuerunt ; eorumque doctores, ipsi cælibes vixerunt. » (Gottingen, 20 juin 1850.) (voir pdf du livre pour la note en latin) Tel est le principal argument de M. Gieseler, dans cette lettre, qui est plus étendue encore. — C’est aussi, sur le même sujet, l’opinion de MM. Néander, Herzog et Schmidt. — Je ne puis la discuter ici ; mais je ferai observer : 1° que les doctrines de Bruys sont plus exagérées que celles des Vaudois; 2° que des doctrines, de protestation contre l'Eglise romaine, existaient avant la naissance de Bruys, dans la vallée même où l’on prétend qu’il a vu le jour (voir les notes 1 et 2, de la page 32; 3° que Bruys peut avoir pris dans cette vallée où il était né, et qui était une des vallées vaudoises du Dauphiné, les germes d’opposition à l'Eglise romaine, qu’il fit prévaloir ensuite dans ses opinions particulières, devenues indépendantes de celles qui avaient abrité son berceau ; 4° que ce qu’il y eut d’exagéré dans les opinions de Bruys, ne concordant pas avec le caractère modéré des Vaudois, a pu l’engager à s’éloigner d’eux pour aller faire ailleurs des prosélytes; 5° que cet esprit de modération, dont il est bien reconnu que les Vaudois ont fait preuve, est le fruit ordinaire de l’expérience et du temps; et que s’il se manifestait déjà chez eux du temps de Bruys , il attesterait, à celle époque même, l’ancienne durée de ceux qu’il caractérisait. 6° L’ancienneté des Vaudois expliquerait ainsi la calme maturité de leurs doctrines ; et le caractère emporté de Bruys expliquerait la violence des siennes. Toutes les analogies me paraisscnt donc militer en faveur de mon opinion.
Dans ces diverses lettres, on m’oppose encore la difficulté de faire dériver le nom de Vaudois, de Vaux, ou Valdenses, de Vallis (voir la note 10, du 1er chap, de cet ouvr.) ; le vague des expressions d’Othon IV, dans son édit de 1209 (voir id. note 1, de la p. 5), et l’absence de documents antérieurs au XIIe siècle. — J’ai examiné la plupart de ces objections en d’autres parties de cet ouvrage.
Nos lecteurs pèseront eux-mêmes la valeur des objections et des réponses.
Avant de terminer, je dois dire un mot encore de l’Epître aux Laodicéens, dont je parle à la page 33. Saint Jérôme étant le premier qui l’ait déclarée inauthentique, j’avais cru qu’on devait la considérer comme ayant été reconnue authentique avant lui. M Schmidt m’apprend que c’est là une erreur : a Loin de dire « que cette pièce n’a eu cours que jusqu’au IVe siècle, « affirme le savant historien, on devrait dire qu’elle « n’a eu cours que depuis lors. Philastrius et Jérôme, « tous deux de la fin du IVe siècle, sont les premiers a qui en fassent mention... Elle est probablement « d’origine occidentale... Sa présence dans un msc. « du moyen âge ne peut être envisagée ni comme une a preuve du grand âge du msc., ni de l’antiquité a d’une Eglise à laquelle ce msc. aurait appartenu . « Cette pièce apocryphe se trouve dans un grand « nombre de msc. latins de la Vulgate, à partir du « VIe jusqu’au XV· siècle. Je vous en citerai quelques-a uns; msc. de 546, conservé à Fulde ; autre de la « fin du IX· siècle, à Darmstadt; autre du même temps, « à Berne ; un du Xe siècle, à Tolède ; du XI·, à Paris ; « du même temps, à Vienne ; plusieurs du XIIe et du « XIIIe siècle, à Oxford et à Londres; un de 1264, à « Dresde, et deux du XVe siècle, à Leipsick. »
M. le professeur Reuss, l’un des exégètes les plus distingués de notre époque, a bien voulu ajouter quelques indications , à ces renseignements.
« Marcion, me marque-t-il, donne le nom l’Épitre aux Laodicéens, à celle que nous nommons « Ep. aux Ephésiens. Ce n’est pas de celle-là que «vous voulez parler, mais d’une pièce apocryphe imprimée dans Fabricius ( Codex A poor. N. T. I. 855 ). «Le plus ancien auteur qui en parle est Jérome. «{Catal. Script. Eccl. S. Tit. Paulus. ) Je ne compte « pas Philatrius au quatrième siècle ( Hœres. 88 ), «parce que ses expressions sont douteuses: {Alii aautem Lmte evangelists aiunt epistolam etiam ad « Laodic. scriptam. voir pdf pour le latin) Il parait qu’il voulait parler de «l’Ep. aux Hébr., que plusieurs ont confondue avec « celle dont parle saint Paul : Coloss. IV, 16; opinion a récemment encore défendue. Jerome dit : Léguât qui-a dam, et ad Laodiceos, sed ab omnibus exploditur. L’épitre apocr. est mentionnée comme telle par Théodoret (ad Coloss. IV, 16). Le second concile de « Nicée (787) la proscrit formellement : Labbe Concil. VII, 470. Elle n’existe qu’en latin , et doit son « origine à l’interprétation de Coloss. IV, 16. La traduction grecque actuelle a été faite au seizième siècle; « cependant il est probable qu’il y avait autrefois un a original grec. Elle n’a jamais été reçue au canon; a mais le moyen âge latin l’adoptait assez fréquemment, sans y être officiellement autorisé. Tous les «modernes, depuis Erasme, à peu près, l’ont rejetée; « on la trouve cependant dans divers manuscrits et « même dans plusieurs Bibles imprimées : (d’abord « catholiques et anabaptistes : Worms, 1529 ; Mayence, « 1534; Bible bohémiène du seizième siècle, etc.—Le « premier protestant qui l’ait insérée, fut Elie Hutter : 1599; etc. ).
« Vous voyez, par tout cela , qu’elle n’a jamais été « rejetée du canon, parce qu’elle n’y a jamais été « reçue. Haymo Halbert. (Sect. IX.) la cite comme « utile (ad Coloss. IV. 16). Pseudo Axselmus (ad aeumdem locum), croit également que Paul y mentionne cette pièce, et explique son absence du canon « comme Grégoire. (Greg. magn. in Job , I. 35. 15. « dit que Paul a écrit 15 épîtres , mais que l'Eglise « s’en tient à 14, à cause des 10 commandements et des « 4 Evangiles !) Thomas d’Aquin (ad Coloss. IV, 16) « dit qu’elle n’est pas au canon, non plus que celle citée : 1er Cor. V : quia non constabat de earum auctoritate, quia forte erant depravatœ, et perierant in ecclesia ; vel quia non contiùehant aliud quam ista, etc.(voir pdf pour le latin) (Lettre de M. E. Reuss. Strasb. 9 juillet 1850).
Nos lecteurs seront en mesure, sur ces indications , d’admettre ou de rejeter l'argument de détail, que j’avais cru pouvoir tirer de la présence de l’épitre en question, dans la Bible Vaudoise, de la bibliothèque du palais des Arts, à Lyon ; n° 60.
Depuis que les premiers Volumes de cet ouvrage ont été imprimés, une discussion de dates s’est établie sur les éléments de la troisième note qui se trouve à la page 5, du chapitre Ie (1). Voici pour la remplacer.
(1) D’après cette cote, le pape Lucius dont il est parlé dans Bernard de Fontcaud, serait Lucius II ; d’après M.Schmidt ce ne peut-être que Lucius III ; et l'expression qui a fait croire à une dédicace devrait être autrement entendue. — N’ayant pas maintenant le texte sous les yeux, je ne puis que mentionner ces observations, avec toute la déférence qu’elles méritent, et présenter de nouveaux arguments à l’appui de la même thèse.
I. Des deux écrivains cités dans cette note, l’un était le contemporain de Valdo (2), et l’autre, son successeur peu éloigné (3). Or, ils parlent des Vaudois, comme si ces derniers étaient originaires de leurs vallées (4).
(2) Bernard ou Evrard de Fontcaud (de fonte calido) , mort en 1193. (HerzoG : De orig. et pristino statu Wald. etc., p. 2.
(3) Ebibhabd di Bîthukk (bibliotb. max. PP. T. XXIV). On ignore la date de sa mort: mais elle fut peu éloignée de celle de l’auteur précédent.
(4) Dicti sunt... a valle densa. (BERnabd : Contra Valdenses et Arianos, dans Gretxeri opera T. XII; préliminaires de l’œuvre.) — Valdenses... eo quod in valle... (Ebibhard: liber antihaeresie ; cap. XXV.) — Cet écrivain appelle ailleurs les Vaudois du simple nom de Montagnards, ce qui fortifie encore l’idée que. selon lui, ils étaient originaires de leurs montagnes. (Voir max. bibl. Patrum, vol. XX, col. 1039.)
II. C’est dans ces Vallées que, d’après les écrivains du pays, opposés aux Vaudois, Pierre de Bruys, précurseur de Valdo, a pris naissance (1). D’où il résulterait que les doctrines communes à ces deux réformateurs, devaient être connues dans ces vallées, avant l’apparition de Valdo.
(1) (voir pdf) I-e P. Aliiit îu Aiocitt i’Emtmm... T. I, p. 56), et le jésuite Foukxikr (Hi!l. de! Alpes maritimes ou coltiennes et particulièrement d’Embrun leur métropolitaine : MSC. in-fol. dont l'original, en latin, est à Lyon et la traduction, que je cite, à la bibliothèque du petit séminaire de Gap), ainsi que Raymond Juvbnis (auteur de Mémoire! historiques inédits et procureur du roi, à Gap, sur la fin du XVIle siècle), disent que Pierre de Bruys, était originaire de Val-Louise , l'une des vallées vaudoises du Dauphiné.
III. Ces doctrines, en effet, sont déjà signalées avant cette époque, même par des documents officiels (2).
(2) (voir pdf) La Val-Louise est signalée comme infestée àl'hérésie, dès l'année 10Φ6 dans une bulle d'Urbain II, citée par Bbdnbt, seigneur de l'Argentière : Recueil des actes, pièces et procédures, concernant l’Emphyléose perpétuelle de! dîme! du Briançonnais, p. 55. — Dans cette bulle la Val-Louise est nommée Valli! Gyrontana, du nom du Gyron ou Gyr, torrent qui la tra-verse. — Voir sur les différents noms de cette vallée, au commencement du chapitre III, de la première partie de cet ouvrage.
IV. Le nom de Valdo semble n’avoir dû être ni un nom de baptême (3), ni un nom de famille (4). S’il n’est qu’une épithète, on pourrait croire qu’elle lui fut donnée, par suite des relations qu’il avait eues avec les Vaudois des Alpes (1), et de la propagation qu’il fit de leurs doctrines. — Mais lors même que ces doctrines eussent été partagées à Lyon, par un chrétien nommé Valdo (2), et que ce dernier eût laissé des disciples nommés Vaudois י ils n’en résulterait pas que les Vaudois des Alpes, fussent les disciples de Valdo.
(3) (voir pdf) Car il se nommait PIERRE. {Prœdiclo Pbtbo, quidam 8e adjunxit qu· dictus erat Johannes, et eratde Lugduno. (Philichdorfius, de hæresi Val-densium, chap. 1er. — Bibliotheca max. P. P. T. XXV, p. 278.)
(4) Les noms de famille n’existaient pas à cette époque. On désignait les individus par une épithète empruntée à leur profession, aux caractères de leur personne ou à leur genre de vie. Exemples *. Jacques le tisserand, Thomas Le Roux, Richard Cœur-de-Lion, etc.
(1) Par suite de son état de marchand forain. — On oppose à cette idée la difficulté de faire dériver les mots Valdo et Valdenses de vallis, vallée. Mais combien n’avons-nous pas de mots qui n'ont pas suivi, dans leur formation, les règles d’une exacte étymologie? Ces dérivations arbitraires étaient surtout nombreuses au moyen Age. L'objection n’aurait de valeur que si cette dérivation contestée était le fait d'une hypothèse qui nous fût propre : mais elle existait déjà du temps de Valdo. Valdenese... dicti sunt... a valle dénia. (Voir la note cinquième de ce chapitre.) Eberhard de Béthune nomme du reste les Vaudois, Vallenses, en donnant à ce mot la même étymologie. (Note précitée.) De Thou les appelle indifféremuent Vallenses, Valdenses ou Convallenses. (Histor. lib. XXVII, etc.)
(2) « Le nom de Valdo n'était pas rare au moyen Age. — En 739, on a • Valdo, abbé de Saint-Maximin, à Trêves; en 769 et en 630, le même « nom se retrouve parmi les hommes libres, signataires de donations faites « à l’abbaye de Wissembourg; en 786 vivait Valdo, abbé de Richenau, • près de Saint-Denys; en 881, Valdo, signataire d'une charte de Charles le-Gros; en 896, Valdo, évêque de Freissingen; en 907, Valdo membre « du Synode de Vienne; en 960, Valdo, évéque de Corne, etc. » (Lettre de M. Schmidt, du 26 mai 1850.)
V. On trouve en effet ce nom et ces doctrines dans un poëme en langue romane, antérieur d’un demi-siècle à Valdo. La date de ce poëme a été contestée; nous l’examinerons plus tard (3). ·
(3) La Nobla Leyczon, datée de l’an MC. — Voir pour la discussion de cette date, dans la Bibliographie de l'Israël des Alpes, Partie I, Section II, § 3, art. XXIV; et Partie II, Section I, § 3; MSC. 207, art. V.
VI. L’édit d’Othon IV, daté de l’an 1209, attribue aux Vaudois du Piémont, une notoriété et une influence assez grandes pour faire présumer qu’à cette époque ils étaient déjà anciens dans le pays (1).
(1) Voy. Monuments Patries, T. III, col. 488. — Le grief porté contre les Vaudois dans ce décret, est ainsi conçu : Zizaniam seminant : ce qui dit-on, semblerait indiquer que leur présence était récente dans le pays; à mon avis, cela impliquerait plutôt que leur activité s’était accrue.
VII. A supposer que les disciples de Valdo se soient réfugiés dans les Alpes, sur la fin du douzième siècle, il serait bien difficile d’admettre qu’ils eussent peuplé à la fois les vallées vaudoises du Dauphiné et celles du Piémont, en moins d’une génération, au point d’y acquérir l’influence que leur attribuent simultnément cet édit d’un côté et celui d’Alphonse d’Arragon, marquis de Provence, de l’autre (2).
(2) En 1192, selon d’ARGENTRé (Collectio judic. de noms errorib. T. I, fol. 83); en 1194, selon Eymeric (Directorium Induisit. p. 282.) — Alphonse II était marquis de Provence. — Les Vaudois, sont nommés dans cet édit. Il est donc permis de les considérer comme existant en Provence, à cette époque.
VIII. On ne pourrait se rendre compte d’une pareille extension que dans le cas où les nouveaux réfugiés auraient déjà eu des coreligionnaires dans ce pays (3) : comme aussi, on ne peut guère expliquer leur arrivée dans ce pays que par l’existence de ces coreligionnaires antérieurs (1). Dans les deux cas, les Vaudois des Alpes eussent précédé les disciples de Valdo.
(3) On ne peut guère s'expliquer, sans cela, comment ils auraient sû d'avance qu’ils y trouveraient un asile.
(1) A supposer que les disciples de Valdo se soient réellement réfugiés dans les Alpes.
IX. L’idiome de la Nobla Leyczon, étant le langage des Alpes et non celui du Lyonnais (2), c’est par des habitants de ces montagnes et non par des étrangers que ce poème a dû être écrit. Mais, comme il ne peut avoir été composé que de l’an 1100 à l’an 1190 (3) : comme, en 1100, les disciples de Valdo de Lyon n’existaient pas encore : comme en 1190, il y avait à peine six ans qu’ils étaient bannis de Lyon (4), et qu’en si peu de temps, il n’est pas probable qu’ils eussent pu apprendre une langue nouvelle, au point de la doter soudain des œuvres les plus parfaites quelle eût encore produites; comme, en outre, dans la position précaire où ils se trouvaient, ils devaient avoir bien autre chose à faire qu’à écrire des poèmes ; comme enfin, dans la Nobla Leyczon, il n’est parlé ni de Valdo, ni de ses disciples, et qu’il n’est pas même fait allusion à leur existence : je suis porté à croire que ce n’est point parmi les disciples de Valdo, qu’il faut chercher l’auteur de ce poëme.
(2) Voir dans la Bibliographie de L'Israël des Alpes, Partie 1(. Section I. § 1, article Vil; et § 2 ; MSC. VII.
(3) Même Bibliographie : Partie I, Sect. II, § 3, art. XXIV.
(4) Valdo fut déclaré hérétique au concile de Latran (1179) et anathématise à celui de Verone (par Luce III , en 1184) : où l,empereur s’engagea à travailler à l'extirpation des hérétiques. C’est à la suite de cette dernière condamnation (de 1685 à 1688), que Valdo fut expulsé de Lyon, avec ses disciples.
X. En effet, si les Vaudois de Lyon avaient dû écrire un pareil ouvrage, il est évident qu’ils l’auraient écrit dans la langue qui leur était familière : c’est-à-dire, dans l’idiome du Lyonnais, et non dans celui des Alpes. Et, à supposer qu’ils eussent connu ce dernier idiome, je dis qu’ils ne s’en seraient pas servis : à moins qu’il n’y eût eu déjà, dans les Alpes, des indigènes partageant leurs doctrines; car, sans cela, ces indigènes eussent été leurs adversaires, et les disciples de Valdo, qui avaient pour but de se cacher, auraient évité la langue de leurs adversaires au lieu de la rechercher. D’où je conclus : 1° que ces poèmes ne sont pas leur ouvrage ; 2° qu’ils sont dûs aux indigènes des Alpes, qui parlaient cette langue ; 3° que ces indigènes sont des Vaudois antérieurs à Valdo.