Olenos, celui qui porte le péché.

Dans diverses parties de cet ouvrage, nous avons prouvé que Saturne, le père des dieux et des hommes, était sous un certain aspect notre premier parent. Or, on nous dit que Saturne dévorait ses enfants (1). Dans l'histoire ésotérique, parmi ceux qui ne connaissaient pas le fait dont il est question, on le comprenait sous la forme où on le raconte d'ordinaire, c'est-à-dire qu'il dévorait tous ses enfants dès leur naissance. Mais ce qui était réellement caché sous cette histoire de Saturne dévorant ses enfants, c'est exactement le fait scripturaire de la chute, savoir, qu'il détruisait ses enfants, non pas en les mangeant, mais en mangeant le fruit défendu. Les choses en étant là, le récit païen dit que la destruction des enfants du père des dieux fut arrêtée par le moyen de sa femme Rhéa. Rhéa, comme nous l'avons déjà vu, avait dans la destruction des enfants de Saturne une aussi grande part que Saturne lui-même ; mais dans le progrès de l'apostasie et de l'idolâtrie, Rhéa ou Ève obtint de la gloire aux dépens de Saturne. Saturne ou Adam était représenté comme une divinité morose ; Rhéa ou Ève comme une divinité extraordinairement aimable ; et dans sa douceur elle offrait à son mari une pierre entourée de bandelettes ; il la dévorait avec avidité et les enfants de ce cannibale étaient sauvés (2). La pierre liée de bandelettes se dit en langage sacré : Ebn-Hatâl ; mais Ebn-Hatâl (3), veut dire aussi : le fils qui porte le péché. Cela ne signifie pas nécessairement qu'Ève ou la mère de l'humanité mit au monde elle-même la postérité promise (quoiqu'il y eût plusieurs mythes, qui tendent aussi à ce but) mais qu'ayant reçu elle-même la bonne nouvelle et l'ayant embrassée, elle la présenta à son mari qui la reçut d'elle par la foi, et que cette foi établit le fondement de son propre salut et celui de sa postérité. Le fait de Saturne dévorant une pierre enroulée est exactement l'expression symbolique de l'avidité avec laquelle Adam reçut par la foi la bonne nouvelle de la semence de la femme : car l'acte de foi, dans l'Ancien et le Nouveau Testament est symbolisé par l'action de manger. Voici ce que dit Jérémie : "J'ai recueilli tes paroles et je les ai dévoré ; et tes paroles ont fait la joie et l'allégresse de mon coeur" (Jérémie XV, 16). C'est ce que montre aussi notre Seigneur Jésus-Christ lui-même, lorsque disant aux Juifs qu'il est indispensable de manger sa chair et de se nourrir de lui, il leur dit en même temps : "C'est l'Esprit qui vérifie, la chair ne sert de rien ; les paroles que je vous dis sont esprit et vie." (Jean VI, 63). Que Adam ait reçu avidement la bonne nouvelle de la semence promise et l'ait enfermée comme un trésor dans son coeur, comme si elle était la vie de son âme, c'est ce qui ressort évidemment du nom qu'il donne à sa femme dès qu'il l'a entendue : "Et Adam appela sa femme du nom d'Ève, parce qu'elle était la mère des vivants." (Genèse III, 20). (Voir Dr. Candlish, La Genèse, p. 108.)

L'histoire de la pierre enroulée ne finit pas au moment où elle est avalée et où cesse la mort des enfants de Saturne. Cette pierre fut, dit-on, conservée près du temple de Delphes, où l'on prenait soin de la frotter chaque jour avec de l'huile, et de la couvrir de laine (MAURICE, Antiquités Hindoues, vol. II, p. 348). Si cette pierre symbolise le fils qui porte le péché, elle symbolisait aussi naturellement l'Agneau de Dieu immolé depuis la fondation du monde, dont nos premiers parents étaient revêtus d'une manière symbolique, alors que Dieu les revêtit de peaux d'animaux. Ainsi donc, quoique représenté à l'oeil par une pierre, il doit avoir le vêtement de laine qui lui convient. Lorsqu'il était représenté comme une branche, la branche de Dieu, cette branche était aussi entourée de laine (POTTER, vol. I, Religion de la Grèce, ch. V, p. 208). L'onction quotidienne d'huile est très significative. Si la pierre représentait le Fils qui porte le péché, que pouvait signifier l'onction quotidienne de ce Fils qui porte le péché ? N'est-il pas évident qu'elle le désignait comme l'oint du Seigneur, le Messie que les idolâtres adoraient en opposition au vrai Messie qui n'avait pas encore été révélé ? L'un des noms donnés à cette pierre ointe et enroulée confirme fortement cette conclusion. Ce nom est Baitulos. Nous le trouvons dans Priscien, (liv. V vol. I, p. 180, note et liv. VI, vol. I, p. 294), qui parlant de cette pierre que Saturne, dit-on, dévora au lieu de Jupiter, ajoute "quem Graeci Baitulon vocant", que les Grecs appellent Baitulos. Or, B'hai-tuloh veut dire l'enfant qui rend la vie (4). Le père des dieux et des hommes avait détruit ses enfants en les mangeant, mais en avalant cette pierre enroulée il leur rendit la vie, paraît-il (HÉSIODE, Théogonie, 1. 495, p. 41). De là le nom de Baitulos, et le sens de ce nom s'accorde exactement avec ce qui nous est dit dans Sanchoniathon (liv. 1, ch. 6, p. 22) sur les Baithulia faites par le dieu Phénicien Ouranos : "Ce fut le dieu Phénicien Ouranos qui inventa les Baithulia : il fit des pierres qui se remuaient comme si elles avaient la vie." Si la pierre Baithulos représentait l'enfant qui rend la vie, il était naturel que cette pierre fût faite de telle sorte qu'elle parût avoir la vie en elle-même.

Or il y a une grande analogie entre cette pierre enroulée qui représentait le fils porteur du péché et cet Olenos mentionné par Ovide, qui prit sur lui une faute qui n'était pas la sienne et fut ensuite changé en pierre. Nous avons déjà vu qu'Olenos, lorsqu'il fut changé en pierre, fut placé en Phrygie sur la sainte montagne d'Ida. Nous avons des raisons de croire que la pierre qui, dit-on, fut si utile aux enfants de Saturne et fut élevée près du temple de Delphes, était précisément une représentation de ce même Olenos. Nous lisons qu'Olen fut le premier prophète de Delphes qui fonda le premier temple de cette ville (PAUSANIAS, liv. X, Phocica, ch. 5, p. 321). Comme les prophètes et les prêtres portaient d'ordinaire le nom du dieu qu'ils représentaient (Hesychius dit expressément que le prêtre qui représentait le grand Dieu sous le nom de la branche, était lui-même appelé dans les mystères du nom de Bacchus, p. 179), cela indique un des noms les plus anciens du dieu de Delphes. Si donc, il y avait sur le mont Ida une pierre sacrée appelée la pierre d'Olenos, s'il y avait une pierre sacrée dans l'enceinte du temple de Delphes, fondé par Olenos, peut-on douter que la pierre sacrée de Delphes représentât la même que celle du mont Ida ? La pierre enroulée de Delphes était appelée expressément un dieu par Priscien dans le passage déjà cité.

Ce dieu donc qui en symbole avait reçu l'onction divine avait la vie aux enfants de Saturne père des dieux hommes, identifié à l'Olenos du mont Ida, était regardé, on le sait, comme occupant la place même du Messie, le grand porteur du péché, qui vint prendre les péchés des hommes, prit leur place et souffrit pour eux : Olenos, en effet, comme nous l'avons vu, prit volontairement sur lui une faute dont il était personnellement innocent.

Fig. 60 — Dans l'Iconographie de Dioron.


En considérant ainsi combien les symboles mystiques du paganisme cachaient de foi patriarcale, nous trouvons encore une circonstance remarquable concernant la pierre enroulée ; elle montre combien le mystère d'iniquité de Rome s'est efforcé d'introduire la pierre du paganisme dans ce qu'on appelle le symbolisme chrétien. Le Baitulos ou la pierre enroulée était onpOYYUÂoZ Ài0oZ, (BRYANT, vol. II, p. 20, note) une pierre ronde ou ovale. Cette pierre ovale nous apparaît souvent entourée et recouverte tantôt de plusieurs, tantôt de deux ou trois bandelettes. Dans Bryant (vol. III, p. 246) la déesse Cybèle est représentée comme Spes Divina, ou l'espoir divin ; nous voyons le fondement de cet espoir divin proposé au monde sous l'image de la pierre enroulée dans sa main droite de différentes bandelettes. Dans David (Antiquités Étrusques, vol. IV, fig. 27) nous voyons une déesse représentée avec la boîte de Pandore, source de tous les maux, dans sa main étendue, avec un globe enroulé qui y est suspendu ; ici ce globe n'a que deux bandelettes, l'une croisant l'autre. Et qu'est-ce que ce globe à bandelettes du paganisme sinon la contrepartie du globe entouré d'un bandeau et surmonté du Tau mystique ou de la croix, qui est appelé l'emblème du pouvoir, et qu'on représente souvent comme dans la figure 60, dans les mains des images profanes de Dieu le père ? Le lecteur n'a pas besoin qu'on lui dise maintenant que la croix est le signe choisi et la marque de ce même Dieu que représentait la pierre bandée, et de ce dieu dont on dit à sa naissance : "Le Seigneur de toute la terre est né." (WILKINSON, vol. IV, p. 130).

Comme le dieu symbolisé par la pierre bandée non seulement rendait la vie aux enfants de Saturne, mais rendait à Saturne lui-même la domination universelle qu'il avait perdue par la transgression, il ne faut pas s'étonner si on nous dit quequelques-unes de ces pierres étaient consacrées à Jupiter, d'autres au soleil, et qu'elles étaient regardées d'une manière plus particulière encore comme consacrées à Saturne, le père des dieux, (MAURICE, vol. II, p. 348) ; il ne faut pas s'étonner non plus par conséquent, que Rome ait mis la pierre ronde dans la main de la statue, portant le nom de Dieu ainsi profané, et qu'avec cette origine le globe à bandelettes surmonté de la marque de Tammuz, soit devenu le symbole de la domination dans tous les états de l'Europe papale !

Appendice

Note G, p. 115

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