Habillement et couronnement des statues

Dans l'Église de Rome, l'habillement et le couronnement des statues forment une partie importante du cérémonial. Les images sacrées ne sont pas représentées comme des statues ordinaires avec des vêtements formés de la même matière dont elles sont composées, mais elles ont des vêtements qu'on leur met comme on ferait à de vraies personnes en chair et en os. On dépense souvent de grosses sommes pour ces vêtements ; et ceux qui donnent de belles robes sont l'objet, dit-on, de faveurs spéciales et se préparent une grande provision de mérites.

Ainsi, nous voyons que le duc et la duchesse de Montpensier étaient glorifiés, dans le journal "La Tablette" (septembre 1852), non seulement pour avoir donné 3 000 réaux en aumônes aux pauvres, mais surtout à cause de leur piété : ils avaient en effet donné à la Vierge un magnifique vêtement de brocart d'or, avec une dentelle blanche et une couronne d'argent. Vers la même époque, la reine d'Espagne manifesta sa piété par un bienfait semblable : elle déposa aux pieds de la reine du ciel l'hommage de la robe et des joyaux qu'elle portait un jour d'actions de grâces solennelles, et de plus la robe qu'elle avait lorsqu'elle reçut le coup de poignard de l'assassin Merino. Le manteau, dit le journal espagnol, portait les marques de la blessure, et sa bordure d'hermine était tachée du sang précieux de Sa Majesté. Dans la corbeille qui contenait les vêtements étaient aussi les joyaux qui ornaient la tête et la poitrine de Sa Majesté. Parmi eux était un corsage en diamants, si merveilleusement travaillé, si éblouissant, qu'il paraissait fait d'une seule pierre (1).

Tout cela est assez enfantin et montre la nature humaine sous un aspect bien humiliant ; mais c'est exactement copié sur l'ancien culte païen. La même manière d'habiller et d'orner les dieux se pratiquait on Égypte, et il n'y avait que les personnes sacrées qui pouvaient remplir une si haute fonction. Ainsi dans les inscriptions de Rosette voici comment il est parlé de ces fonctionnaires sacrés : "Les principaux prêtres et les prophètes, et ceux qui peuvent entrer dans le sanctuaire, pour revêtir les dieux, se sont réunis dans le temple de Memphis et ont rendu le décret suivant (2)."

La coutume d'habiller les dieux occupait aussi une grande place dans les cérémonies sacrées de l'ancienne Grèce. Voici comment Pausanias parle d'un présent offert à Minerve : "Quelque temps après, Laodicée, fille d'Agapenor, envoya un voile à Tégée, pour Minerve Alea." L'inscription qui accompagne cette offrande nous montre en même temps l'origine de Laodicée :

Laodicée, de Chypre la divine,

Au pays de son père qui s'étend au loin, Envoie ce voile en offrande à Minerve (3).

De même aussi, lorsqu'Hécube reine de Troie, dans le passage déjà cité, reçut l'ordre de conduire la procession de pénitents à travers les rues de la ville au temple de Minerve, elle fut avertie de ne point aller les mains vides, mais de prendre avec elle, comme la plus grande offrande qu'elle pût faire, "le voile le plus précieux, le plus grand que renferme son palais". La reine obéit ponctuellement. "Elle descend dans sa chambre parfumée, où sont tous ses voiles artistement variés, oeuvre des femmes de Sidon, que Paris amena lui-même de la Phénicie, lorsqu'il eut navigué, sur la vaste mer, dans ce voyage où il ravit Hélène issue d'un père puissant. Hécube choisit un voile et l'emporte pour l'offrir à Minerve. C'est le plus beau par ses couleurs variées, c'est aussi le plus grand ; il brille comme un astre, et il est placé au-dessus de tous les autres (4)."

Il y a certainement une ressemblance étonnante entre la piété de la reine de Troie et celle de la reine d'Espagne. Mais dans l'ancien paganisme cet usage de vêtir les dieux cachait un mystère. Si les dieux et les déesses étaient si heureux d'être ainsi revêtus, c'est parce qu'il y eut un temps dans leur histoire où ils en eurent grand besoin. Oui, on peut nettement établir comme nous l'avons déjà indiqué, que plus tard le grand dieu et la grande déesse du paganisme, tandis que les faits de leur histoire étaient mêlés à leur système d'idolâtrie, furent adorés comme des incarnations de nos premiers parents dont la chute fatale les dépouilla de leur gloire primitive, si bien que la main divine dut couvrir leur nudité avec un vêtement spécialement fait pour eux. Je ne puis le démontrer ici d'une manière approfondie ; mais qu'on étudie le passage où Hérodote nous parle de cette cérémonie qu'on pratiquait chaque année en Égypte et dans laquelle on immolait un bélier pour habiller de sa peau le père des dieux (5). Que l'on compare cette déclaration avec ce passage de la Genèse où il est dit que le père de l'humanité était vêtu d'une peau (Genèse III, 21), et après tout ce que nous avons vu de la déification des morts, peut-on avoir des doutes sur la fête qui se célébrait ainsi chaque année ? Nemrod lui-même, lorsqu'il fut mis en pièces, fut nécessairement dépouillé. Son état était identifié avec celui de Noé et plus tard avec celui d'Adam. Ses souffrances, disait-on, il les avait volontairement subies pour le bien de l'humanité. Aussi sa nudité comme celle du "père des dieux"; dont il était une incarnation, était censée être volontaire. Lorsque sa souffrance fut terminée et que son humiliation eut pris fin, le vêtement qu'il portait fut regardé comme méritoire, avantageux non seulement pour lui-même, mais aussi pour tous ceux qui étaient initiés à ses mystères. Dans les rites sacrés du dieu Babylonien, cette nudité et cet habillement qui, disait-on, avaient eu lieu l'un et l'autre, furent renouvelés pour tous ses adorateurs conformément à une déclaration de Firmicus, qui nous dit que les initiés passaient par les mêmes circonstances que leur dieu (6). Après avoir été dûment préparés par des rites et des cérémonies magiques, on les introduisait, entièrement nus, dans les parties les plus reculées du temple. C'est ce qui ressort de la citation suivante de Proclus : "Dans la partie la plus sacrée des mystères, on dit que les mystiques rencontrent d'abord les esprits aux formes diverses (c'est-à-dire les démons malfaisants) qui se précipitent violemment au-devant des dieux ; mais en entrant dans l'intérieur du temple, où ils sont tranquilles et gardés par des rites mystiques, ils reçoivent dans toute sa pureté l'illumination divine, et, dépouillés de leurs vêtements, ils participent à la nature divine (7)." Quand les initiés, ainsi illuminés et rendus participants de la nature divine, étaient recouverts de nouveaux vêtements, ces derniers étaient regardés comme sacrés, et possédaient, disait-on, des vertus extraordinaires. Le vêtement de peau que le père de l'humanité avait reçu de Dieu, après avoir senti si douloureusement sa nudité, était, de l'avis de tous les théologiens éminents, l'emblème typique de la glorieuse justice de Christ, "la robe de salut", qui est "pour tous et sur tous ceux qui croient".

Les vêtements dont on couvrait les initiés après leur avoir ôté les premiers étaient évidemment la contrefaçon de cette vérité. Les vêtements des initiés aux mystères d'Eleusis, dit Botter, étaient réputés sacrés, et aussi efficaces pour détourner le mal que les charmes et les incantations. On ne les quittait plus avant qu'ils ne fussent complètement usés (8). Et autant que possible, c'est dans ces vêtements sacrés qu'on les ensevelissait ; car Hérodote parlant de l'Égypte, d'où ces mystères étaient sortis, nous dit que cette religion ordonnait de mettre les vêtements des morts (9). L'efficace des vêtements sacrés, comme moyen de salut, et comme ayant le pouvoir de délivrer du mal dans le monde invisible et éternel, occupe une place fort importante dans beaucoup de religions. Ainsi les Parsis, dont le système repose sur des éléments empruntés à Zoroastre, croient que "Sadra" ou le vêtement sacré tend essentiellement à préserver l'âme du mort des calamités envoyées par Ahriman, ou le diable ; et ils représentent ceux qui négligent l'usage de ce vêtement sacré comme souffrant dans leur âme, et comme poussant les cris les plus terribles et les plus effrayants, à cause des tourments que leur infligent toutes sortes de reptiles et d'animaux nuisibles qui les assaillent à coup de dents et d'aiguillon, et ne leur laissent pas un instant de répit (10). Comment a-t-on pu être entraîné à attribuer une pareille vertu à un vêtement sacré ? Admettons que c'est exactement le travestissement du vêtement sacré donné à nos premiers parents, et tout s'explique facilement. Cela explique aussi les sentiments superstitieux du papisme, sans cela incompréhensibles, qui amenèrent tant d'hommes, dans des époques de ténèbres, à se fortifier contre les terreurs du jugement à venir, en cherchant à se faire ensevelir dans une robe de moine. Être enseveli dans une robe de moine, avec des lettres qui enrôlaient le mort dans l'ordre monastique, c'était, pensait-on, le moyen infaillible d'être délivré de la condamnation éternelle ! Dans le Credo du laboureur, de Piers, on nous présente un moine qui enjôle un pauvre homme pour avoir son argent, en lui assurant que s'il veut seulement contribuer à la construction de son monastère :

Saint François lui-même le revêtira de cette chape, Le présentera à la Trinité, et priera pour ses péchés (11).

Grâce à la même croyance superstitieuse, le roi Jean d'Angleterre fut enseveli dans un capuchon de moine (12), et plus d'un noble et royal personnage, avant que "la vie et l'immortalité" ne fussent de nouveau "mises en évidence" à la Réformation, ne connaissaient pas de meilleur moyen pour revêtir à l'approche de la mort leur âme nue et souillée, que de s'envelopper de la robe d'un moine ou d'un frère qui, après tout, n'était certainement pas plus saint qu'eux-mêmes. Or, 263

tous ces expédients de mensonge dans la papauté aussi bien que dans le paganisme, si on les compare d'un côté avec l'usage d'habiller les saints, de l'autre avec celui d'habiller les dieux, montrent bien, quand on remonte à l'origine, que depuis l'entrée du péché dans le monde, l'homme a toujours senti le besoin de se revêtir d'une justice meilleure que la sienne, et que le moment était venu où toutes les tribus de la terre devaient comprendre que la seule justice qui puisse servir à cet effet, est "la justice de Dieu", et celle de "Dieu manifesté en chair".

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