Justification par les œuvres

Les adorateurs de Nemrod et de sa femme étaient, disait-on, régénérés et purifiés du péché par le baptême qui tirait son efficace des souffrances de ces deux divinités babyloniennes. Mais pour ce qui est de la justification, les Chaldéens croyaient que l'homme est justifié et accepté par Dieu à cause de ses oeuvres et de ses mérites. C'est ce que confirment les réflexions de Christie, dans ses observations annexées aux "Mystères d'Eleusis", par Ouvaroff. M. Ouvaroff a fait remarquer que l'un des grands objets de ces mystères était de présenter à l'homme déchu les moyens de retourner à Dieu. Ces moyens étaient les vertus catholiques (c'est-à-dire les vertus qui effacent le péché par lesquelles il fallait vaincre une vie matérielle). C'est pourquoi les mystères étaient appelés Teletae, perfection, parce qu'ils étaient censés donner la perfection de la vie. Ceux qui étaient ainsi purifiés étaient appelés Téloumenoi ou Teteles-menoi, c'est-à-dire, amenés à la perfection, ce qui dépendait de l'action individuelle (1). Dans la métamorphose d'Apulie, qui fut initié aux mystères d'Isis, nous trouvons cette doctrine des mérites de l'homme clairement exposée. Ainsi la déesse est représentée comme s'adressant au héros du récit. "Si vous méritez la protection de ma divinité par une obéissance attentive, une dévotion religieuse et une chasteté inviolable, vous comprendrez que c'est grâce à moi, à moi seule, que votre vie peut s'étendre au-delà des limites assignées à votre destinée (2)." Quand la même personne a reçu une preuve de la faveur supposée de la divinité, voici comment les dévots expriment leur joie : "Heureux ! Par Hercule ! et trois fois béni celui qui a mérité par l'innocence et la probité de sa vie passée, une telle protection d'en haut (3) !" Voilà pour la vie. À la mort aussi c'est par ses propres mérites qu'on obtient le grand passeport pour entrer dans le monde invisible, quoique le nom d'Osiris fût donné, comme nous le verrons, à ceux qui mouraient dans la foi. Quand les corps des personnages de distinction étaient embaumés (en Égypte), dit Wilkinson citant Porphyre, on leur enlevait les intestins, on les mettait dans un vase, sur lequel (après les rites ordinaires pour les morts) l'un des embaumeurs prononçait une invocation en faveur du défunt. La formule, d'après Euphrate, qui la traduisit de l'original en grec, était ainsi conçue : "Ô toi soleil ! Notre Maître souverain ! Et vous toutes déesses, qui avez donné la vie à l'homme, recevez-moi et réservez-moi une place parmi les dieux éternels. Pendant tout le cours de ma vie, j'ai scrupuleusement adoré les dieux que mes pères m'avaient appris à adorer ; j'ai toujours honoré mes parents auxquels je dois mon corps. Je n'ai tué personne, je n'ai trompé personne, je n'ai fait de tort à personne (4)." Ainsi les mérites, l'obéissance ou l'innocence de l'homme étaient le grand argument. La doctrine de Rome sur cette question capitale de la justification du pécheur est absolument la même. Sans doute cela prouverait peu la parenté des deux systèmes de Rome et de Babylone ; car depuis Caïn jusqu'à nous, la doctrine du mérite de l'homme et de la justification personnelle a partout été naturelle dans le coeur de l'humanité dépravée. Mais ce qui est remarquable c'est que dans les deux systèmes, les symboles de cette idée sont absolument les mêmes. Dans la légende papale on nous dit que la balance de Dieu a été confiée à Saint Michel l'archange (5), et que dans les deux plateaux opposés de cette balance les mérites et les démérites des morts sont pesés avec équité, et selon que le plateau Penche d'un côté ou de l'autre, ceux-ci sont ou justifiés ou condamnés.

Or, la doctrine chaldéenne de la justification par la foi, c'est là un fait confirmé par les découvertes faites sur les monuments égyptiens, est symbolisée exactement de la même manière, avec cette seule différence que dans le pays de Ham les plateaux de la justice étaient confiés non à l'archange Michel, mais au dieu Anubis et que les bonnes et les mauvaises actions semblent avoir été jugées séparément ; ce dieu tenait un registre distinct, de telle sorte que lorsque les deux étaient additionnées et que la balance touchait à terre, le jugement était aussitôt prononcé. Wilkinson nous dit qu'on représentait souvent Anubis avec ses plateaux ; et que dans certains cas il y a quelques différences de détail. Mais d'après ses déclarations il est évident que le principe est le même. Voici le récit qu'il fait d'une de ces scènes du jugement avant l'admission des morts dans le paradis : "Cerbère est présent comme gardien des portes près desquelles apparaissent les balances de la justice. Anubis, qui dirige le pesage, ayant placé dans un plateau un vase représentant les bonnes actions du défunt et dans l'autre la figure ou l'emblème de la vérité, examine ses titres à l'admission. S'il est trouvé trop léger, Osiris, le juge des morts, inclinant son sceptre, en signe de condamnation, prononce le jugement et condamne son âme à retourner sur la terre sous la forme d'un porc ou de quelqu'autre animal immonde. Mais si, au moment où le total de ses actions est proclamé par Thoth (qui se tient là pour marquer les résultats des différents pesages d'Anubis), si ses vertus sont tellement supérieures qu'elles lui méritent l'entrée au séjour des bienheureux, Horus, prenant dans sa main la tablette de Thoth, l'amène devant Osiris, qui, dans son palais, entouré d'Isis et de Nepthys, siège sur son trône au milieu des eaux, où s'élève le lotus, portant sur ses feuilles déployées les quatre génies d'Amenti (6)." C'est évidemment de la même manière que Babylone a symbolisé la justification par les oeuvres. Aussi le mot écrit par l'Éternel sur la muraille, le jour où il annonça la destinée de Belshazzar, avait-il une profonde signification : "Ttekel, tu as été pesé dans la balance et tu as été trouvé trop léger." (Daniel V, 27).

Dans le système des Parsis, qui a fait de grands emprunts au système chaldéen nous trouvons largement développé le principe du pesage des bonnes et des mauvaises actions. "Pendant trois jours après la décomposition, dit Vaux (« Ninive et Persépolis ») dans son récit des doctrines des Parsis sur les morts, l'âme, dit-on, voltige autour de sa demeure d'argile, dans l'espoir de se réunir à elle ; le quatrième jour, l'ange Seroch apparaît et la conduit au pont de Chinevad. Sur ce pont, qui, dit-on, réunit le ciel et la terre, se tient l'ange de la justice, chargé de peser les actions des hommes ; lorsque les bonnes actions l'emportent, l'âme rencontre sur le pont une apparition éclatante, qui lui dit : Je suis ton bon génie ; j'étais pur à l'origine, mais tes bonnes actions m'ont rendu encore plus pur ; et posant la main sur le cou de l'âme bénie, elle la conduit au paradis. Mais si les mauvaises actions l'emportent, l'âme rencontre un spectre hideux qui lui hurle ces paroles : Je suis ton mauvais génie. J'étais impur à l'origine ; mais tes actions m'ont rendu encore plus impur ; grâce à toi nous demeurerons misérables jusqu'à la résurrection. L'âme coupable est alors entraînée dans l'enfer où Ahriman siège pour lui reprocher ses crimes (7)." Voilà la doctrine du Parsisme. Il en est de même en Chine. Voici ce qu'écrit l'évêque Hurd, relatant les descriptions chinoises des régions infernales et des figures qu'on y trouve : "L'une d'elles représente toujours un pécheur sur les plateaux d'une balance, ses péchés dans l'un, ses vertus dans l'autre." Nous trouvons des descriptions semblables, ajoute-t-il, dans la mythologie grecque (8). Voici comment Sir J. F. Davis décrit la pratique de ce principe telle qu'elle se fait en Chine : "Dans un ouvrage remarquable sur la morale, appelé «Examen des mérites et des démérites», il est ordonné à l'homme de tenir chaque jour un registre actif et passif de toutes ses actions, et à la fin de l'année d'en faire le total. Si la balance est en sa faveur elle sert à établir une provision de mérites pour l'année suivante. Si elle est contre lui, il faut qu'il liquide à l'avenir par de bonnes actions. On donne des listes diverses et des tables comparatives des bonnes et des mauvaises actions dans les différentes actions de la vie ; la bienveillance est fortement recommandée envers l'homme d'abord, ensuite envers les animaux. Causer la mort d'une personne est évalué du côté du démérite par le chiffre cent ; tandis qu'un simple acte d'assistance charitable n'est évalué que par le chiffre un, de l'autre côté. Sauver la vie d'une personne, compte, dans cet ouvrage, autant que l'acte contraire, et il est dit que cet acte méritoire prolongera la vie d'une personne de douze années (9)."

Tandis qu'un pareil moyen de justification est d'un côté entièrement démoralisateur, de l'autre, il ne pourrait jamais donner à une conscience éclairée un sentiment de paix intérieure ou d'assurance sur ce qui lui est réservé dans le monde éternel. Quel homme pourrait jamais dire, quelque bon qu'il puisse se croire, si la somme de ses bonnes actions contrebalancerait ou non la somme des péchés et des transgressions que sa conscience peut lui reprocher ? Comme tout cela est différent du plan scripturaire, du plan divin de la justification "par la foi, par la foi seule, sans les oeuvres de la loi", sans aucun égard pour les mérites de l'homme, simplement et seulement "par la justice de Christ qui est sur tous ceux et pour tous ceux qui croient", qui délivre dès maintenant et pour toujours de toute condamnation, ceux qui acceptent le Sauveur que Dieu leur offre et qui par la foi s'unissent à lui d'une manière vivante ! Ce n'est point la volonté de notre Père Céleste que ses enfants soient toujours sur cette terre dans le doute et les ténèbres sur ce qui touche le point capital de leur salut éternel. Un saint parfait peut lui-même être pour un temps abattu dans ses nombreuses tentations, mais ce n'est pas l'état naturel, normal, d'un chrétien véritable, qui connaît la plénitude et la libéralité des bénédictions de l'Évangile de paix. Dieu a donné à tout son peuple des raisons sérieuses de dire avec Jean : "Nous avons connu et nous avons cru l'amour que Dieu a pour nous" (I Jean IV, 16) ou avec Paul : "Je suis assuré que ni la vie, ni la mort, ni les anges, ni les principautés, ni les puissances, ni les choses présentes, ni les choses à venir, ni la hauteur, ni la profondeur, ni aucune autre créature, ne pourra nous séparer de l'amour que Dieu nous a témoigné en Jésus-Christ" (Romains VIII, 38, 39). Mais aucun homme ne peut tenir ce langage, "s'il cherche à établir sa propre justice" (Romains X, 3), s'il cherche de n'importe quelle manière "à être justifié par ses oeuvres". Une telle assurance, une telle paix ne peut venir que d'une confiance dans la grâce libre et gratuite de Dieu, donnée au Christ et avec le Christ qui est le don ineffable de l'amour du Père. C'est elle qui rendait l'esprit de Luther, comme il le déclarait lui-même "aussi libre qu'une fleur des champs (10)" lorsque seul et sans escorte, il se rendit à la Diète de Worms, pour affronter tous les prélats et tous les potentats réunis afin de condamner sa doctrine. C'est elle qui dans tous les âges poussait les martyrs à affronter avec un sublime héroïsme, non seulement la prison, mais aussi la mort. C'est elle qui affranchit l'âme, rétablit la vraie dignité de l'homme, et sape à leur base toutes les prétentions hautaines du clergé. C'est elle seule qui peut produire une vie d'obéissance affectueuse, cordiale, fidèle, à la loi et aux commandements de Dieu ; c'est elle seule, lorsque la nature vient à manquer, et que le roi des épouvantements s'approche, qui peut donner aux pauvres et coupables enfants des hommes, la force de dire dans le sentiment profond de leur indignité : "Ô mort, où est ton aiguillon ? Ô sépulcre, où est ta victoire ? Grâces soient rendues à Dieu qui nous a donné la victoire par Jésus-Christ, notre Seigneur" (I Corinthiens XV, 55, 57).

Or, dans tous les âges le despotisme spirituel, celui du paganisme comme celui de la papauté, s'est toujours montré hostile à cette confiance en Dieu, à cette assurance du salut. Son grand objet a toujours été de tenir les âmes de ses partisans loin de la communion directe et immédiate d'un Sauveur vivant et miséricordieux, pour inspirer le sentiment de la nécessité d'une médiation humaine et pour s'établir ainsi sur les ruines des espérances et du bonheur de l'homme. Si l'on considère les prétentions de Rome à l'infaillibilité, et les pouvoirs surnaturels qu'elle attribue aux fonctions de ses prêtres pour la régénération et le pardon des péchés, on pourrait supposer, comme une chose naturelle, que tous ses sectateurs seraient encouragés à se réjouir dans l'assurance continuelle de leur salut personnel. Mais c'est tout le contraire qui a lieu. Après toute sa forfanterie et ses hautes prétentions, elle enseigne que le doute est pour l'homme un devoir jusqu'à la fin de sa vie sur la question de son salut. C'est ce que fait un article de foi du concile de Trente : "Nul homme ne peut savoir avec l'assurance infaillible de la foi s'il a obtenu la grâce de Dieu (11)." Cette déclaration de Rome, tout en étant directement opposée à la Parole de Dieu, imprime sur ses hautaines prétentions le sceau de l'imposture ; car si nul homme, après avoir été régénéré par le baptême romain et après avoir reçu l'absolution de ses péchés, ne peut, malgré cela, avoir une assurance certaine de la possession de la grâce de Dieu, à quoi peut servir son opus operatum ? Cependant, en cherchant à tenir ses sectateurs dans le doute et l'incertitude naturelle au sujet de leur condition finale, elle est sage après l'avoir fait naître.

Dans le système païen, le prêtre seul pouvait prétendre à anticiper sur l'action d'Anubis et, dans le confessionnal, il y avait de temps en temps une répétition mimique du terrible pesage qui devait avoir lieu le jour du jugement devant le tribunal d'Osiris. Le prêtre s'asseyait pour juger les bonnes et les mauvaises actions de ses pénitents ; et comme son pouvoir et son influence étaient fondés dans une large mesure sur le principe d'une crainte servile, il prenait ordinairement soin de faire pencher la balance du mauvais côté, afin qu'ils soient plus dociles à sa volonté en jetant dans l'autre plateau une dette assez ronde de bonnes actions. Comme il était le grand juge de la nature de ces actions, il était de son intérêt de désigner celles qui seraient le plus profitables à son élévation personnelle ou à la gloire de son ordre, et dès lors de peser les mérites et les démérites de telle manière qu'il y aurait toujours une balance à établir, non seulement par le pénitent lui-même, mais aussi par ses héritiers. Si un homme était autorisé à se croire à l'avance absolument sûr de la gloire éternelle, les prêtres auraient pu se croire en danger d'être volés de ce qui leur serait dû après sa mort, éventualité qu'il fallait prévenir à tout prix.

Or, les prêtres de Rome ont copié dans tous les détails les prêtres d'Anubis, dieu des balances. Dans le confessionnal, lorsqu'ils ont un but à atteindre, ils augmentent le poids des péchés et des transgressions et alors, quand ils ont affaire à un homme riche ou puissant, ils ne lui laissent pas le plus faible espoir, aussi longtemps qu'il n'a pas jeté dans le plateau des bonnes oeuvres de bonnes sommes d'argent, pour la fondation d'une abbaye ou quelqu'autre oeuvre qu'ils ont à coeur. Dans la fameuse lettre du Père La Chaise, confesseur de Louis XIV, roi de France, où nous trouvons le récit du système qu'il suivit pour décider ce licencieux monarque à la révocation de l'Édit de Nantes, par lequel ses innocents sujets huguenots souffrirent tant de cruautés, on voit combien la crainte des plateaux de Saint-Michel contribua à produire le résultat désiré : "Bien des fois depuis, dit ce jésuite si achevé, (faisant allusion à un odieux péché que le roi avait commis), bien des fois je lui ai agité l'enfer aux oreilles, je l'ai fait soupirer, craindre et trembler avant de lui donner l'absolution. Par là j'ai vu qu'il avait encore un faible pour moi, et qu'il voulait demeurer sous ma direction ; aussi lui démontrai-je la bassesse de son action en lui racontant toute l'histoire, je lui montrai combien elle était vile, et lui dis qu'elle ne pourrait lui être pardonnée avant qu'il eût fait quelque bonne action pour la balancer et expier son crime. Là-dessus il me demanda ce qu'il devait faire ! Je lui dis qu'il lui fallait extirper l'hérésie de son royaume (12)." C'était là la bonne action qu'il fallait jeter dans le plateau de Saint-Michel l'archange, pour balancer son crime. Le roi, tout corrompu qu'il était, consentit à regret ; la bonne action fut jetée dans le plateau, les hérétiques furent exterminés et le roi absous. Mais cependant cette absolution n'était pas de telle nature que plus tard, lorsqu'il prit "le chemin de toute la terre", il n'y eut encore bien des bonnes actions à jeter dans le plateau avant que l'équilibre ne pût s'établir. Ainsi le paganisme et la papauté trafiquent également des âmes (Apocalypse XVIII, 13). Ainsi l'un avec les plateaux d'Anubis, l'autre avec les plateaux de Saint-Michel, répondent exactement à la description divine d'Éphraïm dans son apostasie : "Éphraïm est un marchand ; les balances de tromperie sont dans sa main" (Osée XII, 7). L'Anubis des Égyptiens est exactement le même que le Mercure des Grecs (13), c'est-à-dire le dieu des voleurs. Saint-Michel dans le système Romain répond exactement au même caractère. Grâce à lui, à ses plateaux et à la doctrine des mérites humains, ils ont fait de ce qu'ils appellent la maison de Dieu "une caverne de voleurs" ! (Jérémie VII, 11 ; Luc XIX, 46 ; Marc XI, 17). Voler aux hommes leur argent est déjà bien mal, mais leur voler leurs âmes, c'est bien pis encore !

Dans les plateaux d'Anubis, les anciens païens, pour s'assurer de leur justification, devaient mettre non seulement les bonnes actions à proprement parler, mais des actions d'austérité et de mortification personnelle, afin de détourner la colère des dieux (14). Les plateaux de Saint-Michel doivent être équilibrés exactement de la même manière. Les prêtres de Rome enseignent que lorsque le péché est pardonné, la punition n'est pas encore entièrement détournée. Aussi parfait que soit le pardon que pieu peut accorder par les prêtres, il reste cependant aux hommes un châtiment à subir plus ou moins grand et cela afin de satisfaire la justice de Dieu. Nous avons montré plus d'une fois que l'homme ne peut rien faire pour satisfaire la justice de Dieu ; qu'il doit à cette justice une dette qu'il ne peut espérer de payer et qu'il n'a absolument rien pour la payer ; et plus que cela, qu'il n'a pas besoin d'essayer de payer un denier, parce que pour ceux qui croient, Christ a expié la transgression, mis fin au péché et satisfait à toutes les exigences de la loi. Et cependant Rome insiste sur cette théorie que chaque homme doit être puni pour ses péchés, et que Dieu ne peut être satisfait (15), sans des gémissements et des soupirs, des macérations de la chair, des tortures du corps et des pénitences sans nombre de la part de l'offenseur, quelque brisé, quelque contrit de coeur qu'il puisse être. En considérant simplement l'Écriture, cette demande perverse de torture volontaire, chez ceux pour qui le Christ a fait une expiation complète et parfaite, paraîtra fort extraordinaire ; mais si l'on considère le caractère de ce Dieu que la papauté a présenté à l'adoration de ses sectateurs trompés, il n'y a rien d'étrange. Ce Dieu est Moloch, le dieu de la barbarie et du sang. Moloch signifie roi, et Nemrod fut le premier après le déluge qui viola le système patriarcal, et s'établit comme roi sur ses compagnons. Il fut tout d'abord adoré comme le révélateur de la beauté et de la vérité, mais peu à peu son culte correspondit à son aspect menaçant et à son teint noir. Le nom de Moloch ne présente à l'origine aucune idée de cruauté ou de terreur ; mais maintenant les rites bien connus qui sont associés à ce nom en ont fait pendant des siècles le synonyme de tout ce qu'il y a de plus révoltant pour le coeur de l'homme et justifie la description de Milton : "Moloch le premier, roi horrible, souillé du sang des sacrifices humains, et des larmes des parents n'entendait cependant pas, malgré le bruit des tambours et des timbales retentissantes, le cri de leurs enfants, lorsqu'ils passaient à travers le feu devant son idole hideuse (16)."

Dans presque tous les pays, ce culte sanglant se répandit ; une cruauté horrible, mêlée à une abjecte superstition, remplit non seulement les pays ténébreux de la terre, mais même des nations qui se vantaient de leurs lumières. La Grèce, Rome, l'Égypte, la Phénicie, l'Assyrie et même l'Angleterre (à l'époque des Druides sauvages) adorèrent de la même manière la même divinité, à une période ou à une autre de leur histoire. Ses offrandes préférées étaient les sacrifices humains, la plus douce musique qui pût frapper ses oreilles, c'était les gémissements, les lamentations humaines ; les tortures humaines, disait-on, réjouissaient son coeur. Son image portait un fouet (17) comme symbole de majesté, et ses adorateurs avaient un fouet pour se flageller sans pitié. "Après les cérémonies du sacrifice, dit Hérodote, parlant de la fête d'Isis à Busiris, toute l'assemblée se flagellait au nombre de plusieurs milliers, mais je ne puis dire en l'honneur de qui ils le faisaient (18)." Hérodote parle ordinairement avec cette réserve, par respect pour son serment, en homme initié ; mais des recherches subséquentes ne laissent aucun doute sur le dieu en l'honneur duquel se faisaient ces flagellations. Dans la Rome païenne, les adorateurs d'Isis observaient la même pratique en l'honneur d'Osiris (19). En Grèce, les marins qui visitaient la chapelle d'Apollon, dieu de Délos, identique à Osiris, se le rendaient propice par des pénitences semblables.

Nous l'apprenons par les lignes suivantes de Callimaque dans son hymne à Délos :

Dès qu'ils ont atteint ton rivage Ils laissent retomber les voiles et tous les agrès des vaisseaux, On amarre le navire ; l'équipage ne songe point À s'éloigner de tes limites sacrées avant d'avoir enduré Une terrible pénitence ; sous les coups de fouet qui les écorchent

Ils se flagellent trois fois en tournant autour de ton autel (20).

Outre ces flagellations il y avait aussi des balafres et des coupures dans la chair, considérées par les adorateurs, comme des rites obligatoires et propitiatoires. Dans la célébration solennelle des mystères, dit Julius Firmicus, il fallait faire tout ce que ce jeune homme avait fait ou avait souffert à sa mort (21). Osiris avait été mis en pièces, en conséquence, pour imiter son sort, autant qu'un homme vivant pouvait du moins le faire, ils devaient se couper et se faire des blessures dans leur propre chair. Aussi quand les prêtres de Baal luttaient avec Élie pour obtenir les faveurs de leur dieu et l'amener à faire le miracle qu'ils lui demandaient, ils criaient à haute voix et se faisaient des incisions avec des couteaux et des lancettes, selon leur coutume, jusqu'à ce que le sang ruisselât sur leur corps (22). En Égypte les indigènes en général, quoique prodigues de l'usage du fouet, étaient assez avares de l'emploi des couteaux et, cependant, il y avait encore chez eux des hommes qui reproduisaient sur eux-mêmes le démembrement d'Osiris. Les Cariens d'Égypte, dit Hérodote dans un ouvrage déjà cité, se traitaient à cette solennité avec plus de sévérité encore, car ils se balafraient le visage à coups d'épée (23). Il y a évidemment une allusion à cette coutume dans la loi de Moïse : "Vous ne vous ferez point d'incisions dans la chair pour un mort (24)." Ces incisions dans la chair sont largement en usage dans le culte des divinités Hindoues, comme rites propitiatoires ou pénitences méritoires. On sait qu'elles étaient pratiquées dans les rites de Bellone (25), soeur ou femme de Mars, le dieu de la guerre, dont le nom "celui qui se lamente sur Bel" montre clairement l'origine de son mari auquel les Romains aimaient tant à faire remonter leur origine. On les pratiquait aussi de la manière la plus sauvage dans les représentations des gladiateurs si appréciées des Romains malgré toute cette civilisation dont ils étaient si fiers. Les malheureux qui étaient destinés à se produire dans ces sanglantes exhibitions ne le faisaient pas d'ordinaire de leur propre volonté. Mais cependant le principe de ces exhibitions était le même que chez les prêtres de Baal. On les célébrait comme des sacrifices propitiatoires. Fuss nous apprend que les représentations des gladiateurs étaient consacrées à Saturne (26) et, dans Ausone, nous lisons que l'amphithéâtre réclame ses gladiateurs pour lui-même lorsque à la fin de décembre ils se rendent propices au moyen de leur sang le fils du ciel portant sa faux (27). Voici comment Juste Lipse explique ce passage qu'il rapporte : "Vous remarquerez ici deux choses, l'une que les gladiateurs luttaient aux Saturnales, l'autre qu'ils le faisaient pour apaiser Saturne et se le rendre propice (28)." La raison de cette coutume, ajoute-t-il, c'est, je suppose, que Saturne n'est pas parmi les dieux célestes, mais parmi les dieux infernaux (29). Plutarque, dans son livre sur les Sommaires, dit que les Romains considéraient Saturne comme un dieu souterrain et infernal (30). C'est bien vrai, il ne peut y avoir là-dessus aucun doute, puisque le nom de Pluton n'est qu'un synonyme de Saturne, le caché. Mais à la lumière de la véritable histoire du Saturne historique, nous avons une raison plus convaincante de cette coutume barbare qui déshonore l'écusson de Rome dans toute sa gloire, lorsque, maîtresse du monde, elle faisait égorger une multitude d'hommes pour faire une fête romaine.

En se rappelant que Saturne lui-même fut mis en pièces il est aisé de voir comment vint l'idée de lui offrir un sacrifice qui lui fût agréable en faisant combattre des hommes le jour de sa naissance afin de s'attirer ses faveurs.

L'usage de ces pénitences chez des païens qui se coupaient ainsi et se balafraient, avait pour but de plaire au dieu et de se le rendre propice, et partant, de se préparer une provision de mérites qui pourraient faire pencher en leur faveur la balance d'Anubis. Dans la papauté les pénitences sont non seulement censées répondre au même but, mais elles sont identiques. Je ne sache pas en vérité que l'on fasse usage du couteau comme chez les prêtres de Baal ; mais il est certain que les prêtres regardent l'effusion de leur sang comme une pénitence très méritoire, qui leur gagne les hautes faveurs de Dieu et efface bien des péchés. Que le lecteur regarde les pèlerins de Lough Dergh, en Irlande, rampant les genoux nus sur les pointes des rochers, laissant derrière eux des traces sanglantes, et qu'il dise s'il y a une différence sérieuse entre cette coutume et celles des taillades faites à coups de couteau. Quant à la flagellation cependant, les sectateurs de la papauté ont littéralement emprunté le fouet d'Osiris. Tout le monde a entendu parler des Flagellants, qui se flagellent en public lors des fêtes de l'église romaine et qu'on regarde comme des saints de la plus belle eau. Dans les premiers âges de la chrétienté, ces flagellations étaient considérées comme purement et entièrement païennes. Athenagoras, l'un des premiers chrétiens apologètes, livre les païens au ridicule pour avoir cru qu'on peut par de pareils moyens expier le péché, ou se rendre Dieu propice (31).

Mais aujourd'hui, dans les hauts rangs de l'église papale, on regarde ces pratiques comme de grands moyens d'attirer les faveurs de Dieu. Le Jeudi Saint, à Rome et à Madrid, et dans d'autres sièges importants de l'idolâtrie romaine, les foules s'assemblent pour contempler les actes de ces saints flagellants, qui se flagellent jusqu'à ce que le sang coule à flots de toutes les parties de leur corps (32). Ils prétendent agir en l'honneur du Christ, au jour de fête mis spécialement à part pour la commémoration de sa mort, exactement comme les adorateurs d'Osiris le faisaient le jour où ils se lamentaient sur sa perte (33). Mais pour peu qu'on ait de connaissances chrétiennes, pourra-t-on croire que le Sauveur glorifié considère ces rites comme lui faisant honneur, alors qu'ils versent le mépris sur son expiation parfaite, et qu'ils représentent la vertu de son sang si précieux comme ayant besoin d'être augmentée par celui qui coule du dos de ces pécheurs misérables et égarés ? Une pareille offrande convenait parfaitement au culte de Moloch ; mais celui qui la fait est absolument impropre au service du Christ.

Ce n'est pas seulement sur un point ; mais c'est sur plusieurs que les cérémonies de la Semaine Sainte (comme on l'appelle à Rome) nous remettent en mémoire le grand dieu Babylonien. Plus nous examinons ces rites, plus nous sommes frappés de la ressemblance merveilleuse qu'il y a entre eux et ceux qu'on observait en Égypte à la fête des lampes et d'autres cérémonies des adorateurs du feu dans diverses contrées. En Égypte la grande illumination se faisait près du sépulcre d'Osiris, à Saïs (34). À Rome lors de la semaine sainte, il y a un sépulcre de Christ avec une illumination brillante de cierges allumés (35). En Crête où l'on exposait le tombeau de Jupiter, cette tombe était un objet de culte pour les Cretois (36). À Rome, si les dévots n'adorent pas ce soi-disant sépulcre de Christ, ils adorent ce qu'il contenait (37).

De même qu'il y a des raisons de croire que la fête païenne des lampes allumées était observée en souvenir de l'ancien culte du feu, de même il y a, à Rome, pendant la semaine de Pâques, une cérémonie qui est indubitablement un acte d'adoration du feu, car on y voit une croix de feu qui est un grand objet de culte. Voici comment cette cérémonie nous est dépeinte par l'auteur de "Rome au XIXe siècle" : "Cette éblouissante croix de feu suspendue dans le dôme au-dessus du confessionnal ou de la tombe de Saint-Pierre était pendant la nuit, d'un effet saisissant. Elle est couverte de lampes innombrables qui simulent une gerbe de feu. L'Église entière était encombrée d'une immense foule de toutes les classes et de tous les pays, depuis le roi jusqu'au plus vil mendiant, tous fixant les yeux sur le même objet. Au bout de quelques minutes, le pape et tous ses cardinaux descendirent dans la cathédrale, et les Suisses leur ayant réservé des places, le pontife aux vêtements blancs s'agenouilla dans une adoration silencieuse devant la croix de feu. Une longue file de cardinaux s'agenouilla derrière lui, et leurs robes magnifiques, avec les bedeaux qui escortaient le cortège, formaient un contraste frappant avec l'humilité de leur attitude (38)." Où trouvera-t-on un acte plus clair et moins équivoque du culte du feu ? Maintenant rapprochez ceci du fait suivant extrait du même ouvrage et voyez combien l'un sert à éclairer l'autre : "Avec le Jeudi Saint commencent nos misères (c'est-à-dire, à cause de la foule). Ce jour-là, jour funeste, nous allâmes avant neuf heures à la chapelle Sixtine. Voici une procession menée par les ordres inférieurs du clergé, suivie par les cardinaux en vêtements superbes, portant dans leurs mains de longs cierges de cire, et terminée par le pape lui-même, qui marchait sous un dais cramoisi, la tête découverte, et portant l'hostie dans une boîte. Cette hostie, qui était, comme vous savez, la vraie chair et le vrai sang de Jésus-Christ, fut portée de la chapelle Sixtine à la chapelle Pauline, à travers la halle qui les sépare, et là elle fut déposée dans le sépulcre préparé pour la recevoir sur l'autel. Jamais je n'ai pu comprendre pourquoi le Christ était enterré avant d'être mort, car la crucifixion n'ayant eu lieu que le vendredi il semble bizarre de l'enterrer le jeudi. Cependant son corps est mis au sépulcre, dans toutes les églises de Rome où cette cérémonie se pratique, dans l'après-midi du jeudi et il y demeure jusqu'au samedi, à midi (39), d'où, pour des raisons qu'ils connaissent sans doute, il est censé sortir ce jour-là, au milieu du fracas du canon, des sonneries de trompettes, du tintement des cloches qui ont été soigneusement attachées depuis l'aurore du Jeudi Saint, de peur que le diable n'y entrât." Le culte de la croix de feu explique sur-le-champ l'anomalie si embarrassante que Christ soit enterré le jeudi, et qu'il ressuscite le samedi. Si la fête de la semaine sainte est réellement, comme les rites le montrent, l'une des anciennes fêtes de Saturne, le dieu du feu des Babyloniens, qui, bien qu'étant un dieu infernal, était cependant Phoronée, le grand libérateur, il est bien naturel que le dieu de l'idolâtrie papale, bien que portant le nom de Christ, ressuscite le jour qui lui est propre, Dies Saturni, ou le jour de Saturne (40). La veille de ce jour, on chante le miserere avec un tel pathos, que bien peu peuvent l'entendre sans être remués et beaucoup s'évanouissent par suite de leurs émotions. Quoi d'étonnant si c'est là le vieux chant de Linus (41), dont Hérodote dépeint d'une manière frappante le caractère touchant et mélancolique. Il est certain que beaucoup de ce pathos du Miserere résulte de la partie chantée par les sopranos, et il est également certain que Sémiramis, femme de celui qui, historiquement, fut l'original de ce dieu dont la mort était pathétiquement célébrée dans beaucoup de pays, jouit de la renommée d'avoir été l'initiatrice de cette coutume de chanter le soprano (42).

Or, les flagellations qui forment une partie si importante des pénitences de Rome la veille du vendredi saint, formaient une partie aussi importante des rites du dieu du feu, auquel, nous l'avons vu, la papauté a tellement emprunté. Ces flagellations de la semaine sainte, réunies à d'autres cérémonies de cette époque, témoignent du caractère de ce dieu dont Rome célèbre alors la mort et la résurrection. Il est étrange de voir que dans le siège central de ce que l'on appelle la chrétienté catholique, les rites essentiels d'aujourd'hui sont précisément les rites des anciens adorateurs du feu en Chaldée.

incarnation d'Osiris ou Nemrod. Or, Hérodote appelle Horus du nom d'Apollon (liv. II, p. 171. C). Diodore de Sicile aussi (liv. I, p. 15) dit que Horus, le fils d'Isis passe pour être Apollon. Si Wilkinson met ici en doute cette identité d'Horus et d'Apollon, partout ailleurs, il admet que l'histoire d'Apollon luttant avec le serpent Python vient évidemment de la mythologie Égyptienne (vol. IV, p. 395) où il y a une allusion à la représentation d'Horus, perçant un serpent avec une épée. Plusieurs considérations peuvent montrer que cette conclusion est juste :

2° Osiris, qui représentait Horus, était le grand révélateur ; Apollon le Pythien était le dieu des oracles.

3° Osiris, en tant que Horus, naît alors que sa mère est persécutée par ses ennemis. Latone, mère d'Apollon, fuyait pour la même raison quand Apollon naquit.

4° Horus, suivant une version du mythe, fut, comme Osiris, mis en pièces (PLUTARQUE, vol. II, De Iside, p. 358. E). Dans l'histoire classique de la Grèce, cette partie du mythe d'Apollon était d'ordinaire tenue au second plan ; on le représentait comme ayant vaincu le serpent ; mais même alors on admettait parfois qu'il avait souffert une mort violente, car Porphyre nous dit qu'il fut tué par le serpent et Pythagore affirme qu'il avait vu sa tombe à Tripos à Delphes (BRYANT, vol. II, p. 187).

5° Horus était le dieu de la guerre, Apollon était, comme le grand dieu dans Layard, représenté avec l'arc et la flèche : c'était le dieu Babylonien, titre bien connu d'Apollon, Arcitenens (celui qui porte l'arc) étant emprunté évidemment à cette même source. Fuss nous dit qu'Apollon était regardé comme l'inventeur de l'art de chasser à l'arc, ce qui l'identifie au sagittaire dont nous avons vu l'origine.

6° Enfin, d'après Ovide (Métam. liv. I, 8, v. 442) nous voyons qu'avant de lutter contre Python, Apollon ne s'était servi de ses flèches que pour des daims, des cerfs, etc. Tout cela prouve assez son identification substantielle avec le puissant passeur de Babel.

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