La Nativité de Saint-Jean

La fête de la nativité de Saint-Jean est fixée dans le calendrier Romain au 24 juin, ou au jour de la Mi-Été. La même date était également remarquable dans le calendrier Babylonien, c'était l'une des fêtes les plus célèbres. C'était à la Mi-Été, ou au solstice d'été, que commençait le mois appelé en Chaldée, en Syrie et en Phénicie, du nom de Tammuz, et le premier jour, c'est-à-dire vers le 24 juin, on célébrait l'une des grandes fêtes primitives de Tammuz (1). Pour plusieurs raisons, en diverses contrées, d'autres époques ont été choisies pour la commémoration de la mort et de la résurrection du dieu Babylonien ; mais c'est la date que nous avons indiquée, qui paraît, comme le nom même du mois semble le désigner, avoir été la véritable époque où cette fête était primitivement observée dans le pays où cette idolâtrie prit naissance. Et tel était le prestige que cette fête, avec ses rites singuliers, exerçait sur les esprits, que lorsqu'on consacrait d'autres journées aux grands événements relatifs au Messie Babylonien, comme c'était le cas dans quelques parties de l'Angleterre, cette époque sacrée ne pouvait pas s'écouler sans qu'on observât au moins quelques-unes de ces cérémonies. Quand la papauté envoya ses émissaires en Europe, vers la fin du VIe siècle, pour faire rentrer les païens dans le giron de l'Église, on trouva cette fête en grand honneur dans beaucoup de pays. Qu'y avait-il à faire ? Fallait-il la combattre ? Non ; c'aurait été contraire au fameux conseil du pape Grégoire I : "Il faut par tous les moyens aller au-devant des païens et les faire entrer dans l'Église Romaine (2)." La tactique de Grégoire fut soigneusement exécutée, et ainsi le jour de la Mi-été sanctifié par le paganisme dans le culte de Tammuz, fut incorporé comme une fête chrétienne dans le calendrier romain.

Mais il y avait encore une question à résoudre. Quel nom fallait-il donner à cette fête païenne, en la baptisant et en l'admettant dans le rituel de la Rome chrétienne ? L'appeler de son nom ancien Bel ou Tammuz à l'époque reculée où on semble l'avoir adoptée, c'aurait été trop audacieux. Lui donner le nom de Christ était difficile, d'autant plus qu'à cette époque il n'y avait rien de particulier à conserver dans son histoire. Mais la subtilité des agents du mystère d'iniquité ne se déconcerta pas pour si peu. Si le nom du Christ ne pouvait décidément pas lui être donné, pourquoi ne pas lui donner celui de son précurseur Jean-Baptiste ? Jean-Baptiste était né six mois avant le Sauveur. Si donc la fête païenne du solstice d'hiver avait été déjà consacrée comme étant le jour de la naissance de Jésus, il s'en suivait naturellement que pour donner une fête à son précurseur, il fallait mettre cette fête à cette saison ; car entre le 24 juin et le 25 décembre, c'est-à-dire entre le solstice d'été et le solstice d'hiver, il y a exactement six mois. Or, rien ne pouvait mieux servir les desseins de la papauté.

L'un des noms sacrés désignant Tammuz ou Nemrod, lorsqu'il apparut de nouveau dans ses mystères après avoir été mis à mort, était Cannes (3). D'un autre côté, le nom de Jean-Baptiste, dans le langage sacré adopté par l'Église Romaine, était Jean. Pour que la fête du 24 juin satisfît également les chrétiens et les païens, il n'y avait qu'à lui donner le nom de fête de Jean ; et c'est ainsi que les chrétiens étaient censés fêter Jean-Baptiste, tandis que les païens adoraient encore leur ancien dieu Oannes ou Tammuz. Ainsi la même époque où on célébrait, dans l'ancienne Babylone, la grande fête d'été de Tammuz, est aujourd'hui même célébrée dans l'Église papale comme la fête de la nativité de Saint-Jean. Et la fête de Saint-Jean commence exactement le même jour que la fête Chaldéenne. On sait qu'en Orient, la fête commençait le soir. Ainsi, quoique le 24 soit désigné pour la nativité cependant c'est la veille de Saint-Jean, c'est-à-dire le 23 au soir, que commencent les fêtes et les solennités.

Maintenant si nous examinons ces fêtes en elles-mêmes, nous verrons à quel point elles sont simplement païennes, et combien elles témoignent catégoriquement de leur véritable origine. Les solennités caractéristiques de la veille de la Saint-Jean, sont les feux de la Mi-été. On les allume en France, en Suisse, dans la catholique Irlande, et dans quelques-unes des îles écossaises de l'ouest encore asservies à la papauté. On les allume dans toutes les terres des partisans de Rome, et on promène dans leurs champs de blé des torches enflammées. Voici comment Bell dans ses Tableaux du dehors, décrit les feux de Saint-Jean de Bretagne en France : "Chaque fête est marquée par des traits qui lui sont particuliers. Celle de Saint-Jean est peut-être après tout la plus étonnante. Pendant le jour, les enfants quêtent des souscriptions pour allumer les feux de Monsieur Saint-Jean. Vers le soir, un feu est d'abord suivi d'un autre, puis de deux, de trois, de quatre ; alors un millier de feux s'élancent, du sommet des collines, jusqu'à ce qu'enfin tout le pays apparaît enflammé. Parfois, les prêtres allument le premier feu sur la place du marché ; quelquefois il est allumé par un ange, qu'on fait descendre par un mécanisme du haut de l'église avec un flambeau à la main : il met le feu au bûcher, et disparaît ensuite. Les jeunes gens dansent autour de la flamme avec une rapidité vertigineuse ; car ils disent que si l'on danse autour de neuf de ces feux avant minuit on se mariera l'année suivante. On place des sièges auprès des feux pour les morts dont les âmes dit-on, doivent venir se donner la triste satisfaction d'écouter encore une fois leurs chants nationaux et contempler les joyeux ébats de la jeunesse. On conserve des fragments de ces torches comme talismans préservatifs du tonnerre et des maladies nerveuses ; et la couronne de fleurs qui surmonte le principal feu est tellement convoitée, qu'on se la dispute bruyamment (4)." Voilà comment on célèbre la fête en France.

Passons maintenant en Irlande. "Le jour de cette grande fête des paysans irlandais, la veille de Saint-Jean, nous dit Charlotte Élisabeth, décrivant une fête particulière dont elle avait été témoin, il est d'usage, au coucher du soleil, d'allumer dans tout le pays des feux énormes qui s'élèvent comme nos feux de joie, à une grande hauteur, et forment un bûcher composé de gazon, de roseaux et de toutes les substances inflammables que l'on peut amasser. Le gazon donne un élément solide, substantiel, les roseaux une flamme excessivement brillante, et l'effet de ces grands incendies allumés sur chaque colline est fort curieux. De bonne heure, le soir, les paysans commencent à se réunir, tous vêtus de leurs plus beaux habits, brillants de santé, la figure remplie de cette vive animation et de cet excès de joie qui caractérisent la foule enthousiaste de ce pays. Je n'avais jamais rien vu de semblable ; et je fus enchantée de voir ces figures jolies, intelligentes, joyeuses, la mine fière des hommes, et la contenance folâtre mais modeste des jeunes filles, la vivacité des vieillards, et la gaieté folle des enfants. Le feu allumé, un jet brillant de flamme s'élança dans les airs ; et pendant un moment ils le contemplèrent immobiles, la figure étrangement altérée par la vive lumière qui éclata quand on jeta les roseaux dans le feu. Au bout de quelques instants, on fit place autour d'un vieux musicien aveugle, un type idéal d'énergie, de bouffonnerie, de malice, qui, assis sur une chaise basse, une cruche bien remplie à portée de sa main, éleva son chalumeau aux notes les plus gaies, et une gigue interminable commença. Mais il se produisit un incident qui me surprit fort. Quand le feu eut brûlé pendant quelques heures et qu'il se fut abaissé, alors eut lieu une partie indispensable de la cérémonie. Chacun des assistants s'élança au travers du feu, et plusieurs enfants furent jetés au travers des cendres étincelantes ; puis on apporta un appareil en bois de huit pieds de long, terminé par une tête de cheval fixée à une extrémité et recouvert d'un grand drap blanc qui cachait le bois et l'homme qui le portait sur sa tête. Ce mannequin fut acclamé aux cris bruyants de Cheval blanc ; et après avoir plusieurs fois lestement traversé le feu sans encombre, grâce à l'adresse de celui qui le portait, il se mit à poursuivre la foule qui s'enfuyait dans toutes les directions. Je demandai ce que signifiait ce cheval, on me dit qu'il représentait tout le bétail." "C'était là, ajoute l'auteur, l'ancien culte païen de Baal, sinon de Moloch lui-même, pratiqué ouvertement et par tous, au coeur d'une nation qui se dit chrétienne, et par des millions qui professaient nominalement le christianisme ! J'étais stupéfaite, car je ne savais pas encore que la papauté n'est qu'une adroite adaptation des idolâtries païennes à son propre système (5)."

Telle est la fête de la veille de la Saint-Jean, qu'on célèbre pendant deux jours en France et dans la catholique Irlande. Telle est la manière dont les sectateurs de Rome prétendent commémorer la naissance de celui qui vint "préparer la voie du Seigneur" en détournant son ancien peuple de toutes ses vaines manières de penser et en le mettant dans la nécessité d'embrasser le royaume de Dieu qui ne consiste pas dans les choses extérieures, "mais dans la justice, la paix et la joie par le Saint-Esprit". Nous avons vu que le spectacle même des rites par lesquels on célèbre cette fête amena sur-le-champ l'auteur dont nous avons parlé à cette conclusion, que ce qu'elle avait devant les yeux était vraiment un débris de l'ancien culte païen de Baal. L'histoire de cette fête et la manière dont elle est observée se prêtent une lumière réciproque. Avant l'introduction du christianisme dans les îles Britanniques, la fête païenne du 24 juin était célébrée chez les Druides par des feux éblouissants en l'honneur de leur grande divinité qui, nous l'avons vu, était Baal. "Ces feux et ces sacrifices de midsummer, la Mi-été, dit Toland dans ses relations sur les Druides, étaient destinés à obtenir une bénédiction des moissons de la terre, prêtes alors à être recueillies ; comme ceux du premier jour de mai, afin qu'elles pussent croître et prospérer, tandis qu'au dernier jour d'octobre, c'était des actions de grâces pour la fin de la récolte (6)." Parlant de nouveau des feux des Druides au milieu de l'été, il continue ainsi : "Pour en revenir à nos feux de Saint-Jean, c'était l'usage que le seigneur de l'endroit ou son fils, ou quelque autre personne de distinction prît dans ses mains les entrailles des animaux sacrifiés et marchât trois fois pieds nus sur les charbons après l'extinction des flammes, portant ces entrailles au Druide qui, recouvert d'une peau, officiait à l'autel. Si le seigneur sortait sain et sauf de l'épreuve, c'était un bon présage qu'on accueillait par de grandes acclamations ; mais s'il était blessé, c'en était un mauvais pour lui-même et pour les habitants du village. Ainsi, dit Toland, j'ai vu en Irlande la foule courir et sauter dans les feux de Saint-Jean ; et non seulement on était fier de les traverser sans blessure, mais comme si c'était une espèce de purification, on se croyait en quelque sorte béni par cette cérémonie, dont on ne connaissait point cependant l'origine dans cette imparfaite reproduction (7)."

Nous avons déjà vu qu'il y a des raisons de conclure (p. 82) que Phoronée le premier mortel qui ait régné, c'est-à-dire Nemrod, et la déesse Romaine Feronia, ont des rapports communs. Si on les rapproche des feux de Saint-Jean, ces rapports sont encore mieux établis par les détails que l'antiquité nous fournit sur ces deux divinités ; et en même temps s'explique l'origine de ces feux. Phoronée est dépeint de telle manière qu'il nous paraît se rattacher de près à l'origine du culte du feu. Voici comment Pausanias en parle - "Près de l'image de Biton, les Argiens allument un feu car ils ne croient pas que le feu ait été donné aux hommes par Prométhée, ils croient que c'est Phoronée qui en est l'inventeur (8)." La mort de ce Phoronée inventeur du feu qui le premier réunit les hommes en sociétés, doit avoir eu quelque chose de tragique, car après avoir décrit le lieu de son sépulcre, Pausanias ajoute : "Même de nos jours, on lui fait des cérémonies funèbres (9)." Ce langage montre que sa mort a été entourée d'honneurs comme celle de Bacchus. Le caractère du culte de Feronia coïncide avec celui du culte du feu ; c'est ce qui ressort des rites pratiqués par les prêtres de la cité du pied du mont Soracte, appelée de son nom. "Les prêtres, dit Bryant s'appuyant à la fois sur l'autorité de Pline et de Strabon, marchaient sur un amas de cendres chaudes et de charbons brûlants (10)." Aruns, dans Virgile, parle du même usage lorsqu'il s'adresse à Apollon, le dieu soleil qui avait son sanctuaire à Soracte, où l'on adorait aussi Feronia : et c'était sans doute le même que Jupiter Anxur qu'on lui associait et qu'on appelait le jeune Jupiter, comme Apollon était nommé le jeune Apollon. Voici comment s'exprime Aruns : "Puissant Apollon, gardien du Soracte sacré, toi que nous adorons avant tous les dieux, toi pour qui nous entretenons la flamme de nos pins entassés ; pour qui, dans notre zèle pieux, nous foulons avec confiance les charbons du brasier (11)."

Ainsi les feux de Saint-Jean, où les jeunes et les vieux doivent marcher sur les cendres chaudes, remontent jusqu'au "premier des mortels qui ait régné". Il est remarquable qu'une fête entourée de tous les rites essentiels au culte du feu de Baal, soit observée chez les nations païennes, dans des pays fort éloignés l'un de l'autre, vers le mois de Tammuz, à l'époque même où on célébrait autrefois le dieu Babylonien. Chez les Turcs, nous dit Hurd, on célèbre par illumination au moyen de lampes le jeûne du Ramazan, qui commence le 12 juin (12). En Chine, où l'on célèbre la fête du bateau du Dragon de manière à rappeler à ceux qui en ont été les témoins la mort d'Adonis, la solennité commence à la mi-été (13). Au Pérou, pendant le règne des Incas, la fête de Raymi, la plus belle fête des Péruviens, pendant laquelle on allumait chaque année le feu sacré au moyen des rayons du soleil et par un miroir concave en métal poli, cette fête avait lieu précisément à la même époque. À l'approche de la mi-été, il y avait d'abord en signe de deuil, un jeûne général qui durait trois jours ; on n'allumait aucun feu dans les maisons ; puis le quatrième jour, le deuil se changeait en joie, lorsque l'Inca et sa cour, suivis de toute la population de Cuzco, se réunissaient sur la place publique pour fêter le soleil levant. "Ils épiaient fiévreusement, dit Prescott, l'apparition du dieu, et à peine les premiers rayons dorés avaient-ils frappé les tours et les édifices les plus élevés de la capitale, qu'une acclamation joyeuse s'échappait du milieu de la foule assemblée, accompagnée de chants de triomphe et de la mélodie sauvage des instruments barbares, dont le bruit redoublait à mesure que le globe lumineux s'élevait au-dessus des montagnes de l'Orient, versant sur ses adorateurs son éclatante lumière (14)."

Cette alternative de deuil et de joie, au moment même où les Babyloniens se lamentaient et se réjouissaient sur Tammuz, pouvait-elle être accidentelle ? Comme Tammuz était la divinité incarnée du soleil, il est facile de voir à quel point cette tristesse et cette joie se rapportent au culte de ce dieu. En Égypte, la fête des lampes allumées, dans laquelle beaucoup ont été déjà forcés de reconnaître la contrepartie de la fête de Saint-Jean, était ouvertement rattachée au deuil et à la joie éprouvés au sujet d'Osiris. "À Sais, dit Hérodote, on montre le sépulcre de celui qu'il ne me paraît pas juste de mentionner à cette occasion." C'est là la manière constante dont cet historien fait allusion à Osiris, aux mystères duquel il avait été initié, lorsqu'il donne des détails sur quelqu'un des rites de ce culte. "Il est dans l'enceinte sacrée, derrière le temple de Minerve, et près du mur du temple, dont il occupe toute la longueur (15)." On s'assemblait aussi à Sais, pour offrir des sacrifices pendant une certaine nuit où chacun allume en plein air un grand nombre de lampes autour de sa maison. Les lampes sont de petites coupes remplies de sel et d'huile, avec une mèche qui flotte au-dessus, et qui brûle toute la nuit. Cette fête est appelée la fête des lampes allumées. "Les Égyptiens qui ne peuvent s'y rendre observent aussi la fête chez eux et allument des lampes dans leur maison, de telle sorte que ce n'est pas seulement à Sais, mais dans toute l'Égypte, qu'on fait ces mêmes illuminations. Ils disent que c'est par une raison sacrée qu'ils célèbrent la fête pendant cette nuit, et qu'ils l'entourent d'un semblable respect (16)." Wilkinson (17), citant ce passage d'Hérodote, identifie cette fête avec celle des lamentations sur Osiris, et nous assure que l'accomplissement scrupuleux de cette cérémonie était réputé de la plus haute importance pour l'honneur de la divinité.

Chez les Yezidis, ou adorateurs du diable, dans la Chaldée moderne, on célèbre aujourd'hui encore la même fête, avec des rites presque semblables, autant que les circonstances le permettent, à ceux d'il y a des milliers d'années, alors que dans ces mêmes pays, le culte de Tammuz était dans toute sa gloire. Voici la description exacte que donne M. Layard d'une de ces fêtes auxquelles il a assisté :

"À la chute du crépuscule, les Fakirs, ou prêtres d'un ordre inférieur, vêtus de vêtements bruns en drap grossier collant sur leurs membres, et coiffés de turbans noirs, sortaient des tombeaux portant chacun d'une main une lumière et de l'autre un vase contenant de l'huile et une mèche de coton. Ils remplissaient et préparaient des lampes placées dans les niches des murs de la cour, parsemées sur les édifices des bords de la vallée, même sur des rocs isolés et dans le creux des arbres. Des étoiles innombrables semblaient briller sur le fond noir des montagnes et dans les sombres profondeurs de la forêt. À mesure que les prêtres s'avançaient à travers la foule pour achever leur ouvrage, les hommes et les femmes mettaient la main droite à travers la flamme, et après s'être frotté le sourcil droit avec la main ainsi purifiée dans l'élément sacré, la portaient dévotement à leurs lèvres. D'autres portant leurs enfants dans les bras les purifiaient de la même manière ; d'autres tendaient les mains pour se laisser toucher par ceux qui, moins heureux, ne pouvaient atteindre la flamme. À mesure que la nuit s'écoulait, ceux qui étaient réunis (il y avait alors près de cinq mille personnes) allumaient des flambeaux qu'ils portaient avec eux en parcourant la forêt. L'effet était magique ; les différents groupes se voyaient à peine dans l'obscurité ; les hommes couraient ça et là ; des femmes étaient assises avec leurs enfants sur les toits des maisons, et la foule s'assemblait autour des colporteurs qui exposaient leurs marchandises dans la cour. Des milliers de lumières se reflétaient dans les fontaines et dans les ruisseaux, brillaient à travers le feuillage, et dansaient dans le lointain. Comme je contemplais ce spectacle extraordinaire, le bourdonnement des voix humaines cessa tout à coup et un chant s'éleva de la vallée, grave et mélancolique, il ressemblait à un chant majestueux que j'avais admiré il y a bien des années dans la cathédrale d'un pays éloigné. Jamais je n'ai entendu en Orient une musique si douce et si émouvante. Les voix des hommes et des femmes se mêlaient harmonieusement aux douces notes des flûtes. À des intervalles réguliers le chant était interrompu par le bruit éclatant des cymbales et des tambourins, et ceux qui étaient dans l'intérieur des tombeaux se joignaient à cette mélodie. Les tambourins frappés en cadence interrompaient seuls par intervalle, le chant des prêtres. Leurs coups devenaient de plus en plus fréquents. Au chant succéda graduellement une mélodie enjouée, qui augmentant de mesure, se perdit enfin dans une confusion de sons. Les tambourins étaient frappés avec une énergie extraordinaire ; les flûtes jetaient un flot rapide de notes, les voix montaient au diapason le plus élevé ; les hommes du dehors s'unissaient à ces clameurs, tandis que les femmes faisaient résonner les rochers de leur cri perçant : Tahlehl ! Les musiciens, se laissant aller à leur entraînement, jetèrent leurs instruments en l'air, et se livrèrent à mille contorsions jusqu'à ce qu'épuisés, ils tombèrent sur le sol. Jamais je n'ai entendu un hurlement plus épouvantable que celui qui s'éleva dans la vallée. Il était minuit. Je regardais avec stupéfaction l'étrange spectacle qui m'entourait. C'est ainsi sans doute qu'on célébrait, il y a bien des siècles, les rites mystérieux des Corybantes, lorsqu'ils s'assemblaient dans un jardin consacré (18).” - Layard ne dit pas à quelle époque de l'année avait lieu cette fête, mais son langage laisse peu douter qu'il ne la regardât comme une fête de Bacchus, en d'autres termes, du Messie Babylonien dont la mort tragique et le relèvement glorieux formaient le fondement de l'ancien paganisme. La fête était ouvertement observée en l'honneur du Cheikh Shems ou le soleil, et du Cheikh Adi ou le prince d'éternité ; c'est autour de sa tombe néanmoins que se faisait la solennité, comme la fête des lampes en Égypte en l'honneur du dieu Osiris se célébrait à Sais autour de la tombe de ce dieu.

Le lecteur a certainement remarqué que dans cette fête des Yezidis les hommes, les femmes et les enfants étaient purifiés en se mettant en contact avec l'élément sacré, le feu. Dans les rites de Zoroastre, le grand dieu Chaldéen, le feu occupait exactement la même place. C'était un principe essentiel de ce système que celui qui s'approchait du feu recevait des lumières de la divinité (19) et que par le feu, on se purifiait entièrement de toutes les souillures produites par l'enfantement (20). C'est pour cela qu'on faisait passer les enfants par le feu de Moloch (Jérémie XXXII, 35) ; on les arrachait ainsi au péché originel, et cette purification rendait plus d'un nouveau-né victime de la divinité sanguinaire. Parmi les païens de Rome on pratiquait aussi cette purification par le feu ; c'est ce que confirme Ovide quand il nous dit : "Le feu purifia le berger et le troupeau (21).” - Chez les Hindous, on adorait depuis longtemps le feu à cause de ses vertus purificatrices. Voici comment Colebroke dépeint la supplication d'un de ces adorateurs du feu d'après les livres sacrés : ”Salut ! (Ô feu) toi qui t'empares des sacrifices, toi qui brilles, toi qui scintilles ! Puisse ta flamme d'heureux présage consumer nos ennemis ; puisses-tu, toi le purificateur, nous être favorable (22) !” Il en est qui gardent un feu continuel et lui font chaque jour leurs dévotions, et en terminant leurs serments à leur dieu, lui présentent ainsi leur prière quotidienne : ”Ô feu ! tu expies le péché contre les dieux, puisse cette offrande t'être agréable ! Tu expies un péché contre l'homme ; tu expies un péché contre les mânes ; tu expies un péché contre ma propre âme ; tu expies les péchés renouvelés, tu expies tous les péchés que je puis avoir commis volontairement ou involontairement ; puisse cette offrande être salutaire (23) !” - Chez les Druides, le feu était aussi considéré comme un purificateur. Voici ce que dit une chanson druidique : ”Ils célébraient les louanges des saints devant le feu purificateur, que l'on faisait monter vers les cieux (24).” Si du temps des Druides, on attendait des bénédictions du feu qu'on allumait, et parce qu'on y faisait passer des jeunes gens ou des vieillards, des créatures humaines ou du bétail, c'était simplement parce qu'on croyait purifier ainsi des souillures du péché inhérent à tous les êtres humains et à tout ce qui les touchait de près. Il est évident que la même vertu purificatrice est attribuée au feu par les catholiques romains d'Irlande si zélés pour faire passer leurs enfants et pour passer eux-mêmes à travers les feux de Saint-Jean (25). Toland affirme que ces feux sont allumés comme pour une lustration : et tous ceux qui ont examiné attentivement ce sujet doivent arriver à la même conclusion.

Or, si Tammuz était, comme nous l'avons vu, le même que Zoroastre, le dieu des anciens adorateur du feu, et si la fête de ce dieu à Babylone correspondait si exactement à la fête de la nativité de Saint-Jean, quoi d'étonnant que cette fête soit encore célébrée par les feux éclatants de Baal, et qu'elle présente une image si fidèle de ce que Jéhovah condamnait autrefois chez son ancien peuple "quand il faisait passer ses enfants par le feu de Moloch" ? Mais quel homme, s'il connaît un peu l'Évangile, pourrait appeler chrétienne une fête semblable ?

Les prêtres de Rome, s'ils ne l'enseignent pas ouvertement, trompent du moins leurs sectateurs en leur laissant croire aussi fermement que les anciens adorateurs du feu, que le feu peut purifier des souillures et des fautes du péché. Nous verrons plus loin combien cette erreur tend à consolider, dans l'esprit de leurs sujets tenus dans les ténèbres, l'une des fables les plus monstrueuses, mais aussi la plus utile, de tout leur système. Les initiés seuls pouvaient savoir que le nom de Oannes était celui du Messie païen ; il fallut tout d'abord quelque prudence pour l'introduire dans l'Église. Mais peu à peu, et à mesure que l'Évangile s'obscurcissait et que les ténèbres devenaient de plus en plus épaisses, la même prudence ne fut plus nécessaire. Aussi voyons-nous que dans les époques d'ignorance, le Messie païen ne fut pas introduit dans l'Église d'une manière clandestine. C'est sous les noms classiques bien connus de Bacchus et de Denys qu'il a été ouvertement canonisé et proposé au culte des fidèles. Oui, Rome qui prétend être l'épouse du Christ, la seule Église dans laquelle on puisse être sauvé, a eu l'impudente audace de donner une place dans son calendrier au grand adversaire du Fils de Dieu, et cela sous son propre nom ! Le lecteur n'a qu'à consulter le calendrier romain, il verra que c'est là un fait incontestable : il verra que le 7 octobre est mis à part pour être observé en l'honneur de Saint-Bacchus-le-martyr. Or, sans doute, Bacchus fut un martyr ; il mourut d'une mort violente ; il perdit sa vie pour la cause de la religion ; mais la religion pour laquelle il mourut était la religion des adorateurs du feu ; car il fut mis à mort, comme nous l'avons vu dans Maimonide, pour avoir maintenu le culte de l'armée du ciel. Ce patron de l'armée céleste et du culte du feu (les deux marchaient toujours d'accord), Rome l'a canonisé ; il est évident en effet, si on considère l'époque de cette fête, que Saint-Bacchus-le-martyr est absolument le Bacchus des païens, le dieu de l'ivrognerie et de la débauche ; car le 7 octobre tombe bientôt après la fin des vendanges. À la fin des vendanges,en automne, les anciens païens célébraient ce qu'on appelait "la fête rustique" de Bacchus (26), et c'est à peu près à cette même date que tombe la fête papale de Saint-Bacchus-le-martyr.

Si le dieu chaldéen a été admis dans le calendrier sous le nom de Bacchus, il a été aussi canonisé sous son autre nom de Dionysus (27). Les païens avaient coutume d'adorer le même dieu sous des noms différents ; aussi non contents de la fête de Bacchus, nom sous lequel il était le plus connu à Rome, les Romains, sans doute pour plaire aux Grecs, célébraient une fête rustique en son honneur, deux jours après, sous le nom de "Dionysus Eleutherus", nom sous lequel il était adoré en Grèce (28). Cette fête rustique était appelée par abréviation Dionysia, ou pour la désigner plus explicitement "Festum Dionysi Eleutherei rusticum," c'est-à-dire la fête rustique de Denys Eleuthère (29). Or, la papauté dans son zèle excessif pour les saints, a divisé en deux Denys Eleuthère, et fait deux saints distincts avec le double nom d'une divinité païenne ; il y a plus encore, elle a fait de l'innocente épithète "rusticum", qui chez les païens n'avait certainement aucune prétention à la divinité, une troisième personne ! Nous lisons en effet dans le calendrier à la date du 9 octobre : "Fête de Saint-Denys (30) et de ses compagnons, Saint-Eleuthère et Saint-Rustique (31)." Or, ce Denys, que la papauté a si étrangement entouré de deux compagnons, est le fameux Saint-Denys, patron de Paris ; et en comparant le saint de la papauté et le dieu païen, on aura de grands éclaircissements sur cette question.

Saint-Denys, après avoir été décapité et jeté dans la Seine, flotta quelque temps à la surface des eaux, si l'on en croit la légende, et prenant sa tête dans sa main au grand étonnement des spectateurs, marcha ainsi vers le cimetière, En souvenir d'un miracle si extraordinaire, on chanta pendant bien des siècles dans la cathédrale de Saint-Denys, à Paris, un hymne qui contenait le verset suivant :

Se cadaver mox erexit, Truncus truncum caput vexit, Quem. ferentem hoc direxit.

Angelorum legio (32).

Mais les papistes eux-mêmes finirent par avoir honte de célébrer une pareille absurdité au nom de la religion ; et en 1789, "l'office de Saint-Denys" fut aboli. Mais voyez cependant la marche des événements. Le monde est pendant un temps revenu aux époques d'ignorance. Le bréviaire romain qu'on avait abandonné en France, a depuis six ans été imposé de nouveau par l'autorité papale à l'Église gallicane, avec toutes ses légendes, et celle-ci entre autres ; la cathédrale de Saint-Denys a été de nouveau rebâtie, et l'ancien culte restauré dans toute sa grossièreté (33). Comment donc l'esprit humain a-t-il jamais pu inventer une folie si monstrueuse ? Il ne faut pas en chercher bien loin la raison. L'Église de Rome représente ceux de ses saints canonisés qui passaient pour avoir souffert le martyre de l'épée, par des images sans tête ou des statues tenant à la main la tête séparée du tronc. "J'ai vu, dit Eusèbe Salverté, dans une église de Normandie, Saint-Clair ; à Arles, Saint-Mithra ; en Suisse, tous les soldats de la légion Thébaine, portant leur tête à la main. Saint-Valérius est représenté de cette manière à Limoges sur les portes de la cathédrale, et sur d'autres monuments. Le grand sceau du canton de Zurich représente dans la même attitude Saint-Félix, Sainte-Regula et Saint-Exsuperantius." Voilà certainement l'origine de la pieuse fable qu'on raconte sur ces martyrs, tels que Saint-Denys et beaucoup d'autres (34). C'est là l'origine immédiate de l'histoire du saint mort qui se lève et qui marche tenant sa tête à la main. Mais il paraît que cette manière de représenter est empruntée au paganisme, de telle sorte que le Saint-Denys catholique de Paris est semblable non seulement au Dionysus païen de Rome, mais encore à celui de Babylone. Dionysus ou Bacchus, dans une de ses transformations, était représenté comme un capricorne, "le poisson aux cornes de bouc" ; et il y a lieu de croire que c'est sous cette forme qu'il avait le nom de Oannes. Dans l'Inde, sous cette forme, il a fait sous le nom de Souro, c'est-à-dire évidemment la semence, des choses merveilleuses (35). Or, dans la sphère des Perses, il n'était pas seulement représenté sous les traits du capricorne, mais aussi sous une forme humaine, et cela exactement comme Saint-Denys est représenté par la papauté. Voici comment un ancien écrivain décrit cette figure de la sphère des Perses : "Le capricorne, le 3e Décan. La moitié de la figure est sans tête parce que la tête est dans sa main (36)." Nemrod eut la tête coupée ; et c'est en souvenir de cette mort que ses adorateurs déploraient si amèrement, qu'on le représentait ainsi dans la sphère. Cette tête séparée du tronc fit, d'après quelques versions de son histoire, des exploits aussi merveilleux que le tronc inanimé de Saint-Denys. Bryant a prouvé dans son histoire d'Orphée que c'est exactement une légère variante de l'histoire d'Osiris (37). Comme Osiris fut déchiré en Égypte de même Orphée fut déchiré en Thrace. Et lorsque les membres mutilés de celui-ci eurent été jetés ça et là dans les champs, sa tête, flottant sur l'Hèbre, prouva le caractère merveilleux de celui à qui elle appartenait. "Alors, dit Virgile, alors que séparée de son cou aussi blanc que le marbre, la tête d'Orphée était entraînée par les eaux rapides de l'Hèbre, Eurydice, répétaient sa voix expirante et sa langue glacée. Ah ! Malheureuse Eurydice, murmurait son dernier soupir, et tous les échos du rivage redisaient : Eurydice (38) !" Il y a là de la différence, mais sous cette différence il y a une unité évidente. Dans les deux cas, la tête séparée du tronc occupe le premier plan du tableau ; dans les deux cas, le miracle s'accomplit sur un fleuve. Or, si les fêtes de Saint-Bacchus-le-martyr et de Saint-Denys Eleuthère s'accordent d'une manière si extraordinaire avec l'époque de la fête du dieu du vin chez les païens, sous le nom de Bacchus ou Dionysus, ou Eleuthère, et si la manière de représenter ce Dionysus moderne et l'ancien Denys est évidemment la même, tandis que leur légende s'accorde si extraordinairement, qui peut douter du caractère réel de ces fêtes de Rome ? Elles ne sont pas chrétiennes ; elles sont païennes ; elles sont évidemment Babyloniennes.

correspondant à Tammuz, soit le mois d'Epep, commençait le 25 juin. WILKINSON, vol. IV, p-l4.

lui, obliger leurs enfants à passer par les feux de Baal !

Chapitre 3

Festivités

Article 4

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