LA VIE DE JÉSUS
 

CHAPITRE IV
suite

 

Résurrection et Ascension de Jésus
137. Thomas.
(Jean XX, 24-28.)

 

Or, Thomas, l'un des douze, appelé Didyme, n'était pas avec eux lorsque Jésus y était venu. Les autres disciples lui dirent donc : Nous avons vu le Seigneur. Mais il leur dit : Si je ne vois les marques des clous dans ses mains, et si je ne mets mon doigt dans la marque des clous, et si je ne mets ma main dans son côté, je ne croirai point. La tristesse qui remplissait le coeur de Thomas, l'avait poussé lui aussi dans la solitude. C'est ainsi qu'il n'avait pas pu voir le Ressuscité. Les autres disciples lui disent qu'ils l'ont vu, mais il ne veut pas les croire. En réalité, dans son profond chagrin au sujet de Jésus, il ne demanderait pas mieux que de croire. Mais dans sa pensée, il est impossible que Jésus, qui est mort, soit revenu à la vie. Et, comme il sent encore la douleur que lui a causée cette mort lui brûler le coeur, il n'ose pas croire à la résurrection, de peur que cette douleur ne soit encore plus vive, s'il arrivait que tout cela ne fût qu'une illusion. Aussi veut-il être prudent. Il faut que ses propres yeux et ses propres mains lui fournissent la preuve de ce qu'il doit croire. Il se dit que Marie et les autres femmes, Pierre et Cléopas et tous les autres peuvent s'être trompés. Il n'a de confiance qu'en lui-même et en lui seul.

On rencontre encore de pareilles dispositions : des esprits qui ne veulent croire que ce qu'ils peuvent voir et toucher. Tout ce qui ne tombe pas sous les sens, est pour eux nul et non avenu. Ce qu'ils n'ont pas expérimenté, ce qu'ils ne peuvent pas comprendre et expliquer, ils le regardent tout simplement comme chimérique et illusoire. Dans de telles dispositions, il n'y a proprement plus de place pour la foi. Or, on ne peut ni voir ni toucher Dieu, pas plus que la vie éternelle. Logiquement, ceux qui font des sens les juges de la foi, devraient rejeter toute espèce de religion. Heureusement que, dans certains coeurs et dans certaines consciences, la soif du Dieu vivant est plus puissante que les raisonnements de l'intelligence et toutes les considérations suggérées par les sens. Tel était aussi le cas de Thomas.

Huit jours après, comme les disciples étaient encore dans la maison, et que Thomas était avec eux, Jésus vint, les portes étant fermées. Et il fût là au milieu d'eux et leur dit : La paix soit avec vous ! Le Sauveur apparaît de nouveau un dimanche et consacre ainsi ce jour comme le jour du Seigneur. Les disciples sont encore tous réunis à Jérusalem, bien que Jésus leur ait donné rendez-vous en Galilée. C'est que les doux souvenirs que leur ont laissés leurs expériences et les apparitions du jour de Pâques, les enchaînent encore dans cette ville. Thomas brisé, profondément triste et plongé dans ses doutes, entend le salut de paix du Seigneur. Mais il n'ose pas l'accepter pour lui-même. Et cependant, c'est à lui aussi que Jésus offre la paix, qu'il a acquise en Golgotha. Même aujourd'hui, ce souhait de paix s'adresse à Thomas plus directement qu'à tous les autres. Car le Seigneur se tourne vers lui et lui dit : Mets ici ton doigt, et regarde mes mains - avance aussi ta main et la mets dans mon côté, et ne sois plus incrédule, mais crois.

Jésus constate l'incrédulité de Thomas, mais il constate aussi que ce n'est pas une incrédulité froide et railleuse, qui, à la face des disciples, se moque de leur foi. Le Seigneur sait que Thomas ne demanderait pas mieux que de croire. C'est pourquoi il vient à lui plein de ménagements, dans son miséricordieux amour de Sauveur. Il lui accorde son désir téméraire ; et par les mêmes paroles dont Thomas s'est servi, il lui permet de se former, au moyen de son doigt et de sa main, une conviction que le témoignage unanime de tous les autres disciples n'avait pas pu faire naître. À l'ouïe de ces paroles, Thomas semble avoir été dans les mêmes dispositions que Nathanaël lorsque le Seigneur lui dit : « Avant que Philippe t'appelât, je t'ai vu, lorsque tu étais sous un figuier. »

Le Seigneur déchire le voile qui obscurcissait l'âme de l'un et de l'autre, lorsque, par ses paroles, il se révèle comme le témoin invisible de toutes les actions et de toutes les paroles, qui voit jusqu'au fond des âmes et auquel rien n'est caché. Thomas est honteux de son incrédulité. Il adore et s'écrie : Mon Seigneur et mon Dieu ! Il est difficile de se figurer que Thomas, profitant de la permission du Seigneur, ait mis la main dans son côté. Du moins, cela n'est pas mentionné. On peut penser que le désir de le faire disparut, lorsque Jésus lui dit, avec une grande douceur, mais en même temps avec un profond sérieux : Ne sois plus incrédule, mais crois. Cela est également rendu invraisemblable par le zèle avec lequel il confesse son Maître, et surpasse tous les autres disciples. Car Thomas est le premier membre de la communauté chrétienne qui se soit écrié, en se prosternant aux pieds de Jésus : Mon Seigneur et mon Dieu ! Cette confession, qui serait un blasphème si elle s'adressait à un homme, Jésus l'accepte. Il sait que cette confession exprime non seulement là véritable essence de sa personne, mais encore qu'elle est l'expression fidèle et sincère de la foi qui remplit le coeur de Thomas.

Cependant le Seigneur ne loue pas la foi de ce disciple comme il le fait volontiers partout où il en trouve, comme il loue celle de la Cananéenne, celle du centenier de Capernaüm, même celle de Simon Pierre. S'il l'avait fait, il aurait paru approuver la voie par laquelle Thomas y est parvenu, et c'est ce qu'il ne voulait absolument pas faire. Au contraire, il veut montrer que le moyen par lequel Thomas a cru, constitue une exception, qu'il veut bien admettre dans son miséricordieux amour. C'est pourquoi il lui dit : Parce que tu m'as vu, Thomas, tu as cru ; Heureux ceux qui n'ont pas vu et qui ont cru ! La véritable voie pour parvenir à la foi est la suivante : Se confier sans condition à sa Parole, et s'appuyer sur celui qui ressuscite les morts et qui appelle les choses qui ne sont pas comme si elles étaient (Rom. IV, 18). Ce qui sauve, ce n'est pas ce qu'on voit des yeux du corps, mais c'est la foi, qui est une vive représentation des choses qu'on espère, et une démonstration de celles qu'on ne voit point.

 


 

 

138. Sur les bords du lac de Tibériade.

 

Les disciples se rendirent en Galilée, d'après l'ordre de Jésus. C'est là qu'ils retrouvèrent vivant, le souvenir de toutes les expériences qu'ils avaient faites avec le Sauveur. La petite ville de Cana leur rappelait le miracle du changement de l'eau en vin, par lequel le Seigneur avait manifesté sa gloire ; Capernaüm ! - que de miracles n'y avait-il pas opérés ! Combien de fois n'avait-il pas enseigné dans la synagogue de cette ville ! À Naïn, il avait ressuscité un jeune homme. C'est sur cette colline qu'il avait prononcé le sermon de la montagne. C'est dans ce désert qu'il avait rassasié des milliers de personnes avec quelques pains. Ici s'élève la montagne de la transfiguration. Là, c'est la mer, au bord et sur les flots de laquelle ils avaient été témoins de sa puissance miraculeuse. C'est sur une de ces hauteurs que le Seigneur avait donné rendez-vous à ses apôtres et à ses disciples. Mais le jour et l'heure n'étaient pas encore venus. C'étaient Simon Pierre, Thomas, Nathanaël, Jacques et Jean et deux autres qui, formant une société particulière dans le cercle plus étendu des disciples, devaient être aujourd'hui témoins de la résurrection du Sauveur. Leurs coeurs étaient plus étroitement unis les uns aux autres, par leur expérience commune des faits divins qui s'étaient produits dans le cours de ces trois dernières années, et par leur commun amour pour Jésus. Dans ces dispositions, et après de telles expériences, les sujets de conversation ne manquaient pas entre eux, et le temps passait rapidement.

Simon Pierre leur dit : Je m'en vais pêcher. Ils lui dirent : Nous y allons aussi avec toi. Ceci a pu paraître extraordinaire à plus d'un chrétien, mais c'est une preuve du calme et de l'humilité de ces disciples. Ils avaient tout abandonné, même leur vocation terrestre, pour suivre Jésus. Ils savaient qu'ils avaient reçu un appel pour travailler à l'établissement du royaume de Dieu. Le Seigneur le leur avait encore rappelé le soir même de Pâques. Mais les dernières instructions qu'ils devaient recevoir, et la vertu d'en haut dont ils devaient être revêtus, ne leur avaient pas encore été communiquées. Ils attendaient donc le Seigneur depuis quelque temps. Mais il était pénible à Pierre de se livrer tout entier aux jouissances spirituelles, en se faisant entretenir par une hospitalité étrangère. Il veut gagner son pain par le travail de ses mains.

Sa parole a trouvé un écho sympathique dans ses compagnons. Ils allèrent donc ensemble, et entrèrent dans une barque, mais ils ne prirent rien cette nuit-là. Bien qu'ils fussent les élus de Dieu et que le Seigneur les eût choisis pour renouveler le monde par leur moyen, ils n'avaient pas honte de leur humble métier de pêcheurs. D'autres se seraient peut-être demandé s'il était convenable pour eux de se montrer aux yeux des hommes, absorbés par une activité ayant trait à des choses aussi minimes et aussi terrestres. Les disciples ne planent pas sur de telles hauteurs. Ils sont sous la croix et ils ont été rendus humbles par la croix. Jésus ne prend pas d'abord part à leur travail, afin de les bénir ensuite d'autant plus richement.

Le matin étant venu, Jésus se trouva sur le rivage, mais les disciples ne savaient pas que c'était Lui. - Jésus se trouve toujours au bon moment partout où l'on a besoin de lui. Mais les disciples le prirent pour un étranger : leurs yeux étaient retenus. Il ne fallait pas qu'ils le reconnussent de leurs yeux, afin de s'habituer à le reconnaître à ses oeuvres, malgré l'obscurité qui pouvait encore l'envelopper. Jésus leur dit : Enfants, n'avez-vous rien à manger ? Ils lui répondirent : Non. Il leur dit : Jetez le filet du côté droit de la barque et vous en trouverez. Ils le jetèrent donc, mais ils ne pouvaient plus le retirer à cause de la grande quantité de poissons. Celui qui s'étonne que les disciples n'aient pas reconnu Jésus à l'ordre de jeter le filet du côté droit de la barque, puisque cet ordre devait leur rappeler celui d'avancer en pleine eau et de jeter leurs filets (Luc V, 6), celui-là oublie combien le pauvre coeur humain perd promptement le souvenir des grâces qu'il a reçues dès qu'il est pressé par une nouvelle épreuve.

Alors le disciple que Jésus aimait dit à Pierre : C'est le Seigneur ! Et quand Pierre entendit que c'était le Seigneur, il se ceignit de sa robe de dessus, car il était nu, et il se jeta dans la mer. Mais les autres disciples vinrent avec la barque, tirant le filet plein de poissons, car ils n'étaient éloignés de terre que d'environ deux cents coudées. Avec le coup d'oeil d'aigle de l'amour, Jean reconnaît celui dont l'amour fait le bonheur et la gloire de sa vie. Même dans son travail de pêcheur, le coeur de Jean n'oublie pas l'origine de sa vie spirituelle. Voilà pourquoi il distingue si promptement la gloire du Fils unique du Père. Cette parole : C'est le Seigneur, fait aussitôt une profonde impression sur Pierre. Elle est pour lui un trait de lumière, et immédiatement il redevient le disciple énergique que nous connaissons. Le court espace qui le sépare du rivage lui parait démesurément long. Son ardent amour le pousse vers le Bien-aimé. Il se jette dans la mer. Jésus l'attire au rivage comme un aimant. Il se sent pardonné. C'est pourquoi il n'y a plus dans son coeur nulle trace de cette frayeur qui lui faisait dire : « Seigneur, retire-toi de moi, car je suis un homme pécheur ! »

Le pécheur reçu en grâce se jette dans les bras de son Sauveur ; il ne veut plus être séparé de lui. Les autres disciples, bien qu'ils aient entendu l'exclamation de Jean et qu'ils aient vu Pierre se jeter dans la mer, s'approchent lentement du bord, de peur de perdre la riche bénédiction renfermée dans leur filet. Quelle diversité de dons dans une même grâce ! chez Jean, Pierre et les autres disciples ? Puissions-nous cependant apprendre quelque chose de chacun d'eux : de Jean, ce simple et limpide regard de la foi qui reconnaît le Seigneur à ses oeuvres ; de Pierre, cet amour actif qui se hâte au-devant du Sauveur, avec un coeur brûlant ; - des autres disciples, la fidélité et l'obéissance au moyen desquelles on s'approche lentement, mais continuellement de Jésus, par la sanctification.

C'est le Seigneur ! Puisse le regard de la foi éclairer nos coeurs, toutes les fois que Dieu nous bénit au-delà de ce que nous demandons et pensons, malgré notre infidélité, tellement que cette bénédiction nous brûle comme des charbons ardents ! - C'est le Seigneur ! Cette parole retentit dans nos coeurs lorsque, après avoir fait une chute, nous pouvons de nouveau croire au pardon de nos péchés. Le disciple que Jésus aime l'adresse en nous au disciple que Jésus a affligé. - C'est le Seigneur ! Puisse cette parole se faire entendre, lorsque les obscurs nuages de l'affliction ou des nécessités terrestres nous voilent la face du soleil de la grâce lorsque l'éternel amour nous blesse en réclamant de nous des sacrifices que notre coeur ne veut pas accepter, lorsque tout s'assombrit à nos yeux ! Puisse alors un rayon de lumière venant du sanctuaire, pénétrer dans nos coeurs défaillants, tellement qu'ils puissent dire : C'est le Seigneur ! et se sentir restaurés ! Et à notre dernière heure, puisse le fidèle Sauveur nous envoyer un des disciples qu'il aime, pour préparer notre âme au passage qui la conduit à la maison du Père, en nous répétant cette parole pleine de consolation : C'est le Seigneur ! Que Dieu nous fasse la grâce d'être prêts! « Les royaumes du monde sont soumis à notre Seigneur et à son Christ, et il régnera au siècle des siècles ! »

Quand il furent descendus à terre, ils virent de la braise qui était là et du poisson dessus et du pain. Il est évident que le Seigneur ne pensait pas à ses propres besoins, lorsqu'il demandait à ses disciples s'ils n'avaient rien à manger. Qu'il se soit procuré ces poissons et ce pain par sa puissance créatrice ou qu'il les ait reçus par l'intermédiaire d'un ange, cela importe peu. Jésus leur dit : Apportez les poissons que vous venez de prendre. Il faut qu'ils contribuent aussi au repas en joignant leurs provisions à celles que le Seigneur leur avait préparées. Simon, Pierre remonta dans la barque et tira le filet à terre, plein de cent cinquante-trois grands poissons ; et quoiqu'il y en eût tant, le filet ne se rompit point. Le Seigneur n'oublie pas plus les siens après sa résurrection glorieuse qu'il ne les avait oubliés dans son état d'abaissement. Voilà ce qu'ils doivent fermement croire lorsque, dans leur carrière future, la disette et la nécessité les assailliront comme un homme armé.
Jésus leur dit : Venez et mangez. Et aucun des disciples n'osait lui demander : Qui es-tu ? sachant que c'était le Seigneur. Jésus donc s'approcha, et prenant du pain, il leur en donna et du poisson aussi. Les disciples sont invités par le Seigneur en qualité d'hôtes. Ils savent que c'est lui, mais ils n'osent pas le questionner. Il semblerait qu'ils eussent dû le saluer cordialement et familièrement, après l'avoir reconnu. Mais le Sauveur leur fait sentir que les anciennes relations ne peuvent plus exister entre eux, mais qu'elles doivent prendre un caractère nouveau. Bientôt ils ne pourront plus le voir de leurs yeux ; il faudra qu'ils le reconnaissent à ses oeuvres.
Ce fut déjà la troisième fois que le Seigneur se fit voir à ses disciples après sa résurrection. Jean ne veut pas dire que c'était la troisième apparition de Jésus après sa résurrection, mais que c'était la troisième fois qu'il apparut à ses disciples, c'est-à-dire à un plus grand nombre d'entre eux. Ces apparitions dans un cercle plus étendu de ses disciples, sont au nombre de cinq :

1° Aux dix disciples le soir de Pâques ;
2° Aux onze disciples huit jours plus tard
3° Aux sept disciples sur le lac de Tibériade
4° Aux onze disciples avec cinq cents frères sur une montagne de la Galilée ;
5° Aux onze disciples lors de son ascension.
Les apparitions qui furent accordées à un seul ou à quelques-uns seulement des disciples sont aussi au nombre de cinq

1° A Pierre ;
2° A Marie-Madeleine
3° Aux femmes Galiléennes
4° Aux deux disciples d'Emmaüs ;
5° A Jacques.


Après qu'ils eurent dîné, Jésus dit à Simon Pierre Simon fils de Jona, m'aimes-tu plus que ne font ceux-ci ? En ce moment, Jésus a quelque chose de particulier à traiter avec Pierre. Il ne le nomme plus par son nom d'apôtre ; il l'appelle par son nom de famille. De sa nature, il était Simon fils de Jona, et il devait devenir toujours plus complètement, par la grâce de Dieu, Simon Pierre. Auprès de cet autre feu, dans la cour du palais du souverain sacrificateur, Pierre avait renié son Maître en disant : « Je ne connais pas cet homme, » et par là il avait perdu son nom de disciple et sa dignité d'apôtre. La grâce du Seigneur l'avait relevé, afin qu'il pût s'asseoir avec joie aux pieds de son Maître avec les autres disciples. Mais, à côté de la grâce, la vérité et la sainteté réclament aussi leur droit. Il fallait que les six autres disciples fussent témoins que la plaie que Pierre s'était faite par son reniement, était guérie et qu'il pouvait, lui aussi, goûter la paix du Ressuscité. Il devait être évident, à la face du ciel et de la terre, et même de l'enfer, qu'il n'y avait plus, ni dans le coeur ni dans la conscience de Pierre, aucun obstacle à sa réintégration dans sa vocation d'apôtre.

Le Seigneur lui dit : « M'aimes-tu plus que ne font ceux-ci ? » Cette question dut immédiatement ramener l'esprit de Pierre à cette nuit terrible et décisive du dernier repas pascal, dans laquelle Jésus institua la sainte Cène et prédit à ses disciples leur défection. Quelle assurance Pierre ne montra-t-il pas alors ! « Quand même tous les autres se scandaliseraient en toi, je ne serai cependant pas scandalisé. » Comment son amour s'était-il montré plus fidèle et plus ferme que celui des autres disciples ? Comment avait-il tenu parole ? Est-ce que son amour est plus fort et plus constant que celui des autres disciples ? Simon aurait pu invoquer, comme preuve toute récente de son ardent amour, l'empressement qu'il avait montré, il y avait à peine une heure, en se jetant dans la mer afin de rejoindre son Maître avant tous les autres. Que pense Simon de lui-même et de son amour ? Il ne peut parler que de celui dont son coeur est rempli. Il ne songe pas à se comparer aux autres, auxquels il ne pense même pas. Il ne s'en rapporte pas non plus à son propre sentiment, mais au seul jugement du Seigneur. Oui, Seigneur, tu sais que je t'aime. Et le Seigneur, qui voit la droiture du coeur de son disciple, lui remet en main son oeuvre de prédilection : Pais mes agneaux.

Après la pêche miraculeuse, qui avait eu lieu trois ans auparavant, il avait dit à Pierre : « Désormais tu seras pêcheur d'hommes vivants. » Par ces paroles, le Seigneur désignait l'apostolat plutôt par son côté extérieur. Ici, il introduit son disciple au coeur même de sa mission, qui consistera à nourrir chaque âme en particulier du pain de la Parole et à la lui amener. Parmi les brebis du troupeau, qu'il s'est acquises par son sang, et que le Père lui a données comme prix de ses souffrances, celles qui lui tiennent le plus au coeur, ce sont les commençants, les enfants nouvellement nés, les pauvres en esprit, les coeurs timides, qui n'osent pas s'approprier le salut et qui, repentants, soupirent après le Sauveur. Ces agneaux, y compris les moins avancés en âge, le bon Berger les confie à ses subordonnés, afin qu'ils prennent soin de leurs âmes.

Le Seigneur demande une seconde fois à Pierre : Simon, fils de Jona, m'aimes-tu ? Dans cette question, Jésus ne parle plus de comparaison. Il demande si Pierre l'aime d'un amour sincère. Voilà ce dont il faut que Simon se rende exactement compte. Cette question pourrait paraître superflue. Il va de soi que celui qui s'est joint au Seigneur, doit nécessairement l'aimer. Le Sauveur ne trouve pas du tout cette question superflue. Il l'adresse, non seulement à Pierre, mais aussi à toi, coeur chrétien. M'aimes-tu en vérité ? Pour un disciple, il est honteux d'être rendu attentif à un manque d'amour, mais ce manque ne peut être comblé que lorsqu'on se laisse reprendre à son sujet. Ce défaut d'amour pour le Sauveur, n'est pas seulement attesté par la froideur ou l'inimitié, mais aussi par l'égoïsme, et l'amour-propre.

Celui à qui il a été beaucoup pardonné, aime beaucoup. Dès lors, il y a manque d'amour, dès qu'on ne se réfugie pas chaque jour auprès de Jésus, avec la foule des péchés qu'on a commis, dès qu'on ne lave pas chaque jour ses vêtements dans le sang de l'Agneau. C'est pourquoi ceux-là seuls aiment avec ardeur, qui, dans le sentiment de leurs péchés, ne vivent que de grâce. C'est aussi pourquoi Simon peut hardiment regarder le Seigneur en face et lui dire : Oui, Seigneur, tu sais que je t'aime, car, dans cette nuit terrible, lorsqu'il sortit et pleura amèrement, il se sentit un pauvre pécheur. Il lui dit : Pais mes brebis. Non seulement ceux qui commencent à croire, mais tout le troupeau de l'Évêque des âmes est confié à la garde fidèle et aux soins diligents de Pierre.

Jésus lui demande pour la troisième fois : Simon, fils de Jona, m'aimes-tu ? Celui-là seul est capable de remplir les fonctions de berger, qui aime Jésus de tout son coeur. Ce que le Seigneur exige de Pierre, c'est un coeur brûlant d'amour pour lui, et une vie qui lui soit absolument consacrée. C'est ce que Pierre est prêt à donner. Mais, lorsque le Sauveur lui demande pour la troisième fois s'il l'aime, cette question lui rappelle douloureusement sa triple infidélité, pendant cette nuit où les assurances qu'il avait données de son amour pour son Maître avaient si ignominieusement tourné à sa confusion. Pierre fut attristé de ce qu'il lui avait dit pour la troisième fois : M'aimes-tu ? Il aurait pu lui répondre : Je t'aime, mais pas autant que je voudrais t'aimer. Il sent qu'après cette chute profonde, les protestations d'amour que sa bouche prononce, n'ont plus guère de valeur. C'est pourquoi il en appelle à l'infaillible jugement du Seigneur lui-même. Il lui dit : Seigneur, tu sais toutes choses ; tu sais que je t'aime.

Ce qui lui avait été enseigné naguère, non par la chair et le sang, mais par le Père qui est dans le ciel, répand de nouveau une brillante lumière dans son coeur, maintenant qu'il s'est douloureusement aperçu que Jésus veut lui rappeler exactement tous les détails de sa chute. Tu sais toutes choses. Par ces paroles, Pierre rend le même témoignage que Thomas rendit par cette exclamation : Mon Seigneur et mon Dieu ! Le triple reniement devait être suivi d'une triple protestation d'amour. C'est ainsi que Jésus l'entend, et il lui confère pour la troisième fois la mission de lui amener les âmes : Pais mes brebis.

Cette mission du Crucifié impose une lourde croix et conduit sur un chemin qui répugne absolument à la nature. Pierre en a appelé à la toute-science du Seigneur, et le Seigneur lui en donne immédiatement une nouvelle preuve. En vérité, en vérité je te dis, lui dit-il, - et Pierre ne doutera pas une seconde fois de l'infaillibilité de cette parole, - lorsque tu étais jeune, tu te ceignais toi-même et tu allais où tu voulais ; mais lorsque tu seras vieux, tu étendras les mains, et un autre le ceindra et te mènera où tu ne voudrais pas. Jésus lui dit cela, pour marquer de quelle mort Pierre devait glorifier Dieu. Avant que ses forces naturelles fussent brisées, Pierre suivait sa propre voie, et bien que le Seigneur lui eût dit : « Tu ne peux pas me suivre maintenant », il l'avait cependant suivi. La volonté propre, attestée par cette démarche, devait être détruite. Lorsque Pierre mourut sur la croix, il étendit ses mains dans la libre obéissance de la foi, se laissa ceindre et conduire d'une manière qui répugnait à la nature. Mais la grâce lui donna la force de sceller de son sang le témoignage d'amour qu'il rendit au Seigneur.

Après avoir ainsi parlé, Jésus lui dit : Suis-moi. Si Pierre n'avait pas bien compris la parole : « Tu étendras les mains », le « Suis-moi » dut la lui expliquer. Cet ordre devait immédiatement lui rappeler cette autre parole : Si quelqu'un veut venir après moi, qu'il renonce à soi-même, qu'il se charge de sa croix et qu'il me suive. Il dut lui rappeler aussi ce que Jésus lui avait dit à lui-même la nuit de la Passion : Tu me suivras ci-après. Et Pierre a suivi l'Agneau de Dieu sur le chemin du martyre. Celui qui eut part aux souffrances de Christ et qui en fut témoin, n'a rien de commun avec l'éclat mondain et la pompe de ceux qui se disent les successeurs de Pierre.

Et Pierre s'étant retourné, vit venir à lui le disciple que Jésus aimait, celui qui, pendant le souper, était penché sur le sein de Jésus et lui avait dit : Seigneur, qui est celui qui te trahira ? Pierre donc l'ayant vu, dit à Jésus : Seigneur, et celui-ci, que lui arrivera-t-il ? Pierre ne comprend évidemment pas que son amour pour le Seigneur doive être si rudement éprouvé, tandis que Jean devait avoir une vie plus douce. En comparant son avenir avec celui de Jean, il craignait sans doute que le martyre qu'on lui annonçait, ne fût encore un châtiment de son reniement. Il y avait en tout cas, dans cette question, quelque chose qui n'était pas né de la grâce. C'est pourquoi le Seigneur le reprend en lui disant : Si je veux qu'il demeure jusqu'à ce que je vienne, que t'importe ? Toi, suis-moi. Le Seigneur repousse avec une sévérité inattendue cette question de son disciple. Il est probablement mû par le même motif qui l'avait porté à signifier à sa mère, aux noces de Cana, de se renfermer dans la sphère de son humanité. La doctrine de la primauté de Pierre, avec toutes les prétentions qu'on a fondées sur elle, semblerait appuyée sur l'Écriture, si le Seigneur avait révélé à ce disciple l'avenir de saint Jean ! Le fait que Jésus a repoussé celle question indiscrète relativement à ses desseins, et cette immixtion téméraire dans son gouvernement, ce fait contredit directement cette doctrine anti-biblique, d'après laquelle Pierre serait le représentant de Christ sur la terre.

Ce qui fit courir le bruit parmi les frères que ce disciple ne mourrait point. Cependant Jésus n'avait pas dit : Il ne mourra point, mais il avait seulement dit : Si je veux qu'il demeure jusqu'à ce que je vienne, que t'importe ? Même parmi les frères, qui cependant aimaient la vérité, la parole du Seigneur avait été mal interprétée. L'apôtre a rectifié cette erreur en écrivant son Évangile. Nous voyons par là, combien la parole écrite est plus sûre que la tradition orale. À la vérité, le Seigneur parle conditionnellement : Si je veux. Mais Jean s'approprie par la foi cette expression de son Maître, et est convaincu qu'il demeurera jusqu'à ce que le Seigneur vienne. En effet, Pierre avait depuis longtemps terminé sa carrière, que Jean demeurait encore. Il demeurait, lorsqu'aucun des apôtres n'existait plus. Il ne demeura pas jusqu'à ce que le Seigneur vint sur les nuées du ciel pour juger les vivants et les morts, mais il vit le premier et terrible signe de son avènement : la destruction de Jérusalem. Il demeura jusqu'à ce que le Seigneur vint à lui dans l'île de Pathos, et lui révéla l'avenir de son Église, afin qu'il en tendit témoignage à ses frères.

 

 


 

139. Sur la montagne, en Galilée.

 

Dans les apparitions dont le Seigneur avait jusqu'ici favorisé ses disciples, il avait seulement pour but de les convaincre de la réalité de sa résurrection. Déjà le soir de Pâques, il leur avait parlé de leur mission future ; plus tard, sur le lac de Tibériade, il avait expressément réintégré Pierre dans sa charge d'apôtre. Cependant, une ordination solennelle, par laquelle il les consacrait comme ses envoyés, n'avait pas encore en lieu. De plus, le Seigneur ne s'était pas encore montré vivant à la foule des croyants. Cette ordination devait avoir lieu en Galilée, où il avait donné rendez-vous à tous ses disciples. En présence de plus de cinq cents frères, le Seigneur investit ses apôtres de leur charge, et les consacre solennellement pour leur mission, afin que tous les considèrent comme ses messagers. Le Sauveur avait un grand peuple en Galilée. Il veut se présenter publiquement à tous ceux qui ont cru en lui, afin de les consoler et les réjouir. Et les onze disciples s'en allèrent en Galilée, sur la montagne où il leur avait ordonné d'aller ; et quand ils le virent, ils l'adorèrent, même ceux qui avaient douté. Aussitôt que la multitude des croyants le vit, elle tomba à ses pieds, comme naguère Thomas, pour l'adorer.

Quelques-uns avaient douté, non de la réalité de la résurrection de Jésus, mais de l'identité de leur Jésus avec celui qu'ils voyaient maintenant de leurs yeux. Il n'y avait plus désormais en eux aucun doute provenant de l'incrédulité, mais les disciples ne pouvaient pas immédiatement se ressaisir en présence de cette merveilleuse alliance d'une gloire céleste, unie à une bienveillance et à une affabilité tout humaines qu'ils trouvaient en Jésus. C'est pourquoi le Seigneur ne les blâme point. Il s'approche d'eux, leur parle et leur dit : Toute-puissance m'a été donnée dans le ciel et sur la terre. Cette toute-puissance au ciel et sur la terre, il la partageait comme Fils de Dieu, de toute éternité, avec le Père. Mais maintenant, son humanité, inséparablement unie à sa divinité, est aussi en possession de cet attribut.

La toute-puissance divine de Christ remplit d'une douce et bien heureuse consolation tous ceux qui l'adorent du fond de leur coeur comme leur Seigneur et leur Dieu. Allez donc et instruisez toutes les nations (allez vous-en par tout le monde et prêchez. l'Évangile à toute créature) les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Ce n'est pas seulement aux brebis perdues de la maison d'Israël, que les disciples sont envoyés pour leur annoncer l'Évangile, mais au monde entier ; car c'est pour toute l'humanité pécheresse que le Bon Berger a donné sa vie et versé son sang. Les disciples de Jésus doivent se répandre sur toute la surface de la terre, et le devoir de chacun d'eux est de faire de tous les peuples des disciples de Christ.
Les apôtres rempliront leur mission par ce triple travail :

1° prêcher l'Évangile,
2° recevoir tous les peuples dans la communion du Père, du Fils et du Saint-Esprit par le baptême, et
3° enseigner tout ce que Christ leur a commandé.


Il faut que tout pécheur entende la Bonne Nouvelle. Le Dieu saint pardonne les péchés par le sang de son Fils. Mais les pensées de paix dont Dieu est animé envers les hommes, vont plus loin. Il ne veut pas seulement exempter du châtiment les pécheurs croyants ; il ne veut pas seulement les traiter selon la grâce et non selon la justice ; il veut encore leur conférer l'adoption, c'est-à-dire non seulement les considérer comme ses enfants, mais faire d'eux véritablement ses enfants par la nouvelle naissance d'eau et d'Esprit. Il veut les introduire dans la communion du nom et de l'essence du Dieu Père, Fils et Saint-Esprit. Seulement, il faut que ceux qui sont devenus enfants de Dieu par leur baptême, se montrent enfants de Dieu par leur conduite. C'est pourquoi ils doivent être instruits dans la doctrine et dans les commandements de Christ.

Le Seigneur ajoute au triple commandement une triple promesse. Celui qui croira et sera baptisé, sera sauvé ; celui qui ne croira point, sera condamné. Le Seigneur, qui préside aux destinées de son Église, est en tout temps fidèle à sa parole. Partout où le baptême est administré conformément à son institution, le Seigneur agit par les mêmes moyens de grâce qu'il promet ici. Le sacrement opère le pardon des péchés, la délivrance de la mort, et du diable, et donne la vie éternelle à tous ceux qui croient.

L'incrédulité de ceux qui sont baptisés ne peut que changer la bénédiction du baptême en malédiction et en condamnation, mais elle ne peut pas l'anéantir. Ceux qui ont reçu le baptême sans la foi, ont néanmoins reçu la puissance régénératrice du sacrement par laquelle ils auraient pu être amenés à la foi ; mais, parce qu'ils n'ont pas voulu croire, ils en recevront une plus grande condamnation. De même que la foi seule sauve sans les oeuvres, ainsi l'incrédulité seule précipite dans la condamnation. Nos transgressions et nos mauvaises oeuvres ne nous condamneront pas si nous cherchons un refuge par la foi dans la grâce du Fils de Dieu. Mais toute notre honorabilité, toute une vie d'honnêteté ne peuvent nous préserver de la condamnation, si par incrédulité nous méprisons Jésus et le sang qu'il a versé pour nous.

La deuxième promesse est la suivante: Voici les miracles qui accompagneront ceux qui auront cru : Ils chasseront les démons en mon nom ; ils parleront de nouvelles langues, ils chasseront les serpents ; quand ils auront but quelque breuvage mortel, il ne leur fera pas de mal : ils imposeront les mains aux malades et ils seront guéris. Ces miracles étaient destinés à légitimer les apôtres aux yeux du monde, afin qu'ils fussent reconnus et respectés comme les messagers du Seigneur, lorsqu'il ne serait plus visiblement avec eux. Même pendant sa vie, les soixante-dix disciples, après leur tournée d'évangélisation, s'étaient réjouis en disant : « Seigneur, les démons même nous sont assujettis par ton nom. » À Philippes, saint Paul commande à l'esprit de Python qui s'était emparé d'une servante, en lui disant : « Je t'ordonne, au nom du Seigneur Jésus-Christ, de sortir de cette fille, » et il en sortit au même instant, et elle fut affranchie de la puissance de cet esprit. - Le jour de la Pentecôte, les disciples parlèrent diverses langues. - Nous lisons au livre des Actes des Apôtres que saint Paul, se trouvant dans l'île de Malte, une vipère s'attacha à sa main, tellement que ceux qui étaient présents s'attendaient à ce qu'il enflât et tombât mort. Et, voyant qu'il n'en éprouvait aucun mal, ils s'écrièrent avec étonnement : « C'est un dieu ! » Paul n'était pas un dieu, mais, comme apôtre de Jésus-Christ, il marchait dans la force en la promesse de son Dieu Sauveur. - Quant à des guérisons de malades opérées par les apôtres au nom de Jésus, les Actes en rapportent presque à chaque page. Le Seigneur leur a fidèlement tenu sa promesse, et il s'est manifesté dans leur prédication et dans leurs prières. Car il opérait lui-même avec eux et confirmait leur parole par les miracles qui l'accompagnaient.

Mais le Sauveur n'a pas promis aux apôtres seuls le pouvoir d'opérer des miracles : il l'a fait à tous ceux qui croiraient en lui, c'est-à-dire à toute son Église. Aussi longtemps que l'Église de Christ persiste dans la foi, elle peut compter avec assurance sur cette promesse. Mais dès que la foi des apôtres disparaît, les miracles opérés par les apôtres disparaissent naturellement avec elle. C'est pourquoi il n'y a rien d'étonnant à ce que de nos jours il s'opère si peu de miracles. Ils ne sont pas complètement supprimés, mais ils sont rares, parce que la foi qui regarde à Jésus avec simplicité est rare. Cependant, l'oeil de la foi distingue beaucoup plus de miracles que l'incrédulité ne le voudrait. Ils se produisent là où l'on porte la connaissance du nom de Dieu au delà de l'ancienne chrétienté ; là où l'on fonde de nouvelles églises parmi les païens ; là où il faut arracher l'Église à une décadence générale pour la remettre sur son fondement primitif. Seulement, ces miracles suivent ceux qui ont cru en Jésus ; ils ne précèdent pas la foi. Quiconque cherche les miracles avant de croire en Jésus, ou qui cherche Jésus pour pouvoir opérer des miracles, ne trouvera ni Jésus ni les miracles.

En 1540, Frédéric Myconius gisait mourant sur son lit dans la ville de Meissen, tellement que chaque jour on attendait sa fin. Lorsqu'il sentit approcher le dernier moment, il écrivit d'une main tremblante à son ami Luther un cordial adieu. Luther, après avoir lu la lettre, s'écria : « A Dieu ne plaise ! » Et s'étant immédiatement assis à son bureau, il écrivit les lignes suivantes à son ami expirant : « Non ! un ouvrier zélé comme toi dans l'oeuvre du Seigneur, ne peut pas encore mourir. Au nom de Jésus-Christ, je t'ordonne de vivre, parce que tu es encore trop utile pour le relèvement de l'Église. M. LUTHER. » Post-scriptum : « Que le Seigneur ne permette pas que j'apprenne ta mort pendant ma vie ; mais qu'il fasse que tu me survives, voilà ce que je demande instamment. » Et il lui fut fait selon sa foi. Myconius avait déjà perdu l'usage de la parole, lorsque cette lettre lui parvint et lui fut lue. Dès ce moment, il se trouva mieux ; il guérit et vécut encore six ans. Il mourut deux mois après Luther.

Et voici, je suis toujours avec vous jusqu'à la fin du monde. Telle est la troisième précieuse promesse du Seigneur. Elle n'est pas faite seulement à ceux qui l'entendirent les premiers de la bouche de Jésus, sur la montagne de Galilée, car ils sont morts et n'ont pas vécu jusqu'à la fin du monde. Cette promesse est sans doute faite aux apôtres et aux premiers disciples du Sauveur ; mais elle est faite aussi à tous ceux qui demeurent fermes dans la doctrine des apôtres. Le Seigneur est en tout temps présent dans son Église, par sa protection et par l'efficace de sa puissance ; mais il promet ici d'être personnellement présent. Sa présence perpétuelle au milieu de son Église est un gage assuré qu'elle ne sera jamais ébranlée. « Les ruisseaux du fleuve réjouiront la ville de Dieu, qui est le lieu saint des tabernacles du Très-Haut. Dieu est au milieu d'elle : elle ne sera point ébranlée. Dieu la secourra en tournant son visage vers elle dès le matin. » (Ps. XLVI, 5.) La présence permanente de Christ dans son Église, la rend capable d'être et de rester ce qu'elle doit être, c'est-à-dire son corps. Aussi chaque manifestation de la vie de l'Église est une manifestation de la vie de Christ, qui veut se servir d'elle pour accomplir sa propre oeuvre. Par eux-mêmes, les serviteurs de Christ sont aussi impuissants que tous les autres membres de l'Église. L'action puissante et mystérieuse de Dieu, par la Parole et les sacrements, est due non aux serviteurs, mais à Christ lui-même, présent et vivant au milieu des siens.

Voici, je suis toujours avec vous jusqu'à la fin du monde. Lorsque Dieu nous conduit par des chemins obscurs, où nos yeux sont pleins de larmes, et où nous marchons solitaires, privés des consolations de l'amour fraternel ; lorsque nous sommes vaincus dans nos luttes contre le péché et que nos amis et nos frères s'éloignent de nous, parce qu'ils doutent de la sincérité de notre foi ; lorsque notre propre coeur nous condamne et que tout se tourne contre nous, que l'ennemi de nos âmes nous plonge dans un désespoir semblable à celui de Caïn ; lorsque tout espoir s'effondre et que toute consolation nous est refusée ; qu'à notre dernière heure, notre âme est écrasée, et que les traits du Tout-Puissant nous ont transpercés ; que notre coeur saigne par toutes ses blessures ; lorsqu'enfin tout en nous est ébranlé, alors il nous reste comme unique rocher la promesse du Témoin fidèle et véritable : Voici, je suis toujours avec vous jusqu'à la fin du monde. Heureux celui qui a jeté son ancre sur ce rocher !

 

 


 

140. Ascension de Jésus.

 

De la montagne de Galilée, les disciples sont envoyés par le Sauveur à Jérusalem. C'est là qu'il leur apparaîtra pour la dernière fois. il s'est montré pendant quarante jours, et leur a donné plusieurs preuves de sa résurrection.

Et les ayant assemblés, il leur commanda de ne point partir de Jérusalem, mais d'y attendre la promesse du Père, laquelle dit-il, vous avez ouïe de moi. Car Jean a baptisé d'eau, mais vous serez baptisés du Saint-Esprit dans peu de jours. Eux donc, étant assemblés, lui demandèrent : Seigneur, sera-ce dans ce temps-là que tu rétabliras le royaume d'Israël ? Mais il leur dit : Ce n'est pas à vous de connaître les temps et les moments dont le Père a réservé la disposition à sa propre puissance. Mais vous recevrez la vertu du Saint-Esprit, qui descendra sur vous, et vous me servirez de témoins, tant à Jérusalem que dans toute la Judée et la Samarie et jusqu'aux extrémités de la terre. Lorsque les disciples interrogent le Seigneur au sujet de l'établissement de son royaume, il ne faut pas croire qu'ils eussent en vue un royaume messianique terrestre. Le Seigneur les en eût repris. Or, il ne le fait pas. Depuis sa résurrection, il leur a plusieurs fois parlé du règne de Dieu et leur a promis de le fonder lui-même. Mais lorsqu'ils veulent connaître le temps auquel ce royaume sera établi, il leur répond que le Père a réserve à sa propre puissance la disposition des temps et des moments. Avant de paraître dans la gloire, il faut que ce règne paraisse comme règne de grâce, et renouvelle le monde pécheur par la Parole et les sacrements.

Avant que le Seigneur revienne sur les nuées du ciel, il faut que les apôtres soient ses témoins en prêchant la repentance et la rémission des péchés par la puissance du Saint-Esprit.

Et après qu'il eut dit ces paroles, il les mena hors de la ville, jusqu'à Béthanie ; puis, levant les mains, il les bénit. Et il arriva, comme il les bénissait, qu'il se sépara d'eux et fut enlevé au ciel pendant qu'ils le regardaient. Une nuée l'emporta de devant leurs yeux et il fut enlevé au ciel et s'assit à la droite de Dieu. Le Seigneur conduit ses disciples par le chemin qu'ils avaient suivi la nuit où il fut trahi. C'est alors qu'avant de franchir le torrent de Cédron, il avait prononcé sa prière sacerdotale, dans laquelle il avait demandé la bénédiction de Dieu pour lui-même, pour ses disciples et pour toute l'humanité. Le Père a exaucé cette prière. - Aux lieux mêmes qui avaient été témoins de ses plus cruelles souffrances, où son âme avait été saisie de tristesse jusqu'à la mort, où il avait crié, tremblé, pleuré, en ces mêmes lieux devait se révéler sa gloire. Si le Seigneur choisit, pour opérer son Ascension, le théâtre de son plus profond abaissement, c'est pour montrer à ses disciples et à tous les croyants, que notre chemin nous conduit par les souffrances à la gloire. C'est en bénissant que Jésus est monté au ciel. Il nous apprend par là que de même qu'il a vécu et souffert pour nous, qu'il est mort et ressuscité pour nous, de même il vit et prie pour nous dans le ciel. Le Seigneur a été élevé au ciel aux yeux de ses disciples. Ils étaient dés lors certains que les apparitions dont ils avaient été favorisés depuis les fêtes de Pâques, devaient cesser. Ils n'attendaient plus désormais aucune nouvelle révélation du Ressuscité. Ils n'attendaient plus que la réalisation de la promesse du Saint-Esprit, qui devait avoir lieu dans peu de jours.

Le Seigneur est monté au ciel. Ce terme ne désigne pas la voûte azurée qui s'étend au-dessus de nos têtes, car il est expressément dit qu'il est monté par-dessus tous les cieux, et qu'il est plus élevé que les cieux. Il ne saurait être non plus exclusivement question de la participation de son humanité glorifiée à la majesté, à la puissance, à la gloire divines, car cette participation est caractérisée par l'expression : être assis à la droite de Dieu, ce qui a lieu par l'ascension. Le ciel, c'est la maison du Père, où il y a plusieurs demeures ; la cité de Dieu vivant, où des milliers d'anges chantent avec adoration les louanges de Dieu Père, Fils et Saint-Esprit, et où l'assemblée des bienheureux régénérés et rachetés par le sang de l'Agneau, contemplent leur Roi face à face dans toute sa beauté.

Quelle joyeuse fête a dû être célébrée dans le ciel, lorsque le Fils de l'homme glorifié reprit possession de la gloire qu'il avait eue auprès du Père avant que le monde fût fait ! Lorsque l'enfant prodigue revint dans la maison paternelle, le père lui fit une fête, car, dit-il, mon fils était mort et il est revenu à la vie ; il était perdu et il est retrouvé. - Comme les anges durent saisir leurs harpes d'or, lorsque le Fils unique de Dieu revint vers son Père, après avoir accompli le rachat des enfants prodigues et leur avoir frayé le chemin de la maison paternelle ! Un chant de triomphe retentit alors, qui n'a pas encore cessé de se faire entendre, et résonnera pendant toute l'éternité.

Et les disciples adorèrent le Seigneur s'élevant au ciel. Et comme ils avaient les yeux attachés au ciel pendant qu'il y montait, deux hommes se présentèrent devant eux en vêtements blancs et leur dirent : Hommes galiléens, pourquoi vous arrêtez-vous à regarder au ciel ? Ce Jésus, qui a été élevé d'avec vous dans le ciel, en reviendra de la même manière que vous l'y avez vu monter. De même que les disciples ont vu le Ressuscité monter au ciel avec son corps glorifié, pour s'asseoir à la droite de Dieu, de même aussi le Fils de l'homme reviendra avec une grande puissance et une grande gloire pour juger les vivants et les morts.

Et eux étant partis, prêchèrent partout, le Seigneur opérant avec eux et confirmant leur parole par les miracles qui l'accompagnaient. Le Seigneur est fidèle. Il accomplit sa promesse : Voici, je suis toujours avec vous jusqu'à la fin du monde. Et sa présence au milieu des siens n'est pas un repos, c'est un travail agissant constamment avec toutes les forces du Tout-Puissant ; car Celui qui opère avec eux est assis à la droite du Père ! Lui-même, non pas seulement ses oeuvres, sa Parole, ses pensées, mais lui-même, personnellement, agit dans les siens et par les siens. Lui même, le Seigneur, qui marche au milieu des sept chandeliers d'or. Lui-même conduit et gouverne son Église. Il lui fraye le chemin, afin qu'elle puisse marcher en avant jusqu'à la fin du monde.

Ainsi l'ascension du Seigneur n'est pas seulement la fin et le couronnement de son activité terrestre : elle est aussi le commencement de son activité céleste. Elle n'est pas seulement un adieu à la terre : elle est aussi le signal de son avènement auprès des siens. L'ascension du Seigneur ne consiste pas dans un changement de séjour, car elle ne l'empêche pas d'être toujours avec nous jusqu'à la fin du monde. Sa présence au milieu de nous n'a pas lieu malgré son ascension, mais au contraire, grâce à son ascension. Le monde terrestre n'est point fermé au Seigneur qui est assis à la droite de Dieu ; il lui est au contraire largement ouvert. Il n'est lié à aucun espace, et par conséquent, il est partout en même temps. Revêtu de son essence divine et rentré dans sa gloire divine, il agit dans le ciel et sur la terre en vertu de sa toute-présence et de sa toute-puissance divines. Et comme c'est pour nous qu'il est monté au ciel, et que son humanité glorifiée a été reçue dans le sein de la Trinité divine, son ascension est le gage le plus assuré de l'ascension de ceux qui croient en lui.

Nous faisons donc cette confession avec toute la chrétienté qui est sur la terre :

Je crois en Jésus-Christ Fils unique de Dieu, notre Seigneur, qui a été conçu du Saint-Esprit et est né de la Vierge Marie ; il a souffert sous Ponce-Pilate ; il a été crucifié ; il est mort ; il a été enseveli ; il est descendu aux enfers ; le troisième jour, il est ressuscité des morts ; il est monté au ciel ; il s'est assis à la droite de Dieu, le Père tout-puissant ; de là il viendra pour juger les vivants et les morts.
Amen.


 

 

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