LA VIE DE
JÉSUS
CHAPITRE III
Les souffrances et la
mort de Jésus.
129. Jésus sur la voie douloureuse.
Ils prirent donc Jésus,
lui ôtèrent le manteau de pourpre, lui remirent ses
habits, et ils l'emmenèrent pour le crucifier. Il
sortit, portant sa croix. Et on conduisit avec lui
deux malfaiteurs pour les crucifier avec lui.
Quelles pénibles marches Jésus a été obligé de faire
pendant ces douze dernières heures ! De Gethsémané
chez Anne, d'Anne chez Caïphe, de Caïphe à Pilate,
de Pilate à Hérode, d'Hérode à Pilate et de Pilate à
Golgotha. Si nos pieds ne s'étaient pas égarés et ne
s'étaient pas écartés du droit chemin pour s'engager
dans les voies de la perdition, Jésus n'aurait pas
eu besoin de faire toutes ces marches pénibles. Le
Sauveur est entré àJérusalem comme Roi le dimanche
des Rameaux : il en sort le vendredi saint comme
l'Agneau de Dieu. Il quitte la Jérusalem terrestre,
chargé de nos offenses, afin que, délivrés de tout
péché, nous puissions entrer dans la Jérusalem
céleste.
C'était un ordre établi par les Romains,
que tout condamné à mort devait porter sa croix
jusqu'au lieu du supplice ; les deux malfaiteurs
portaient la leur, mais la croix du Sauveur était
plus lourde que celles des condamnés ordinaires, car
son corps était fatigué, ses forces épuisées par ce
martyre de douze heures. Ses bras étaient brisés,
son dos déchiré et sanglant ; et avec tout cela, il
portait intérieurement le poids de la colère de
Dieu, et celui de nos péchés. Mais parce qu'il a
porté les péchés du monde entier, il a aussi acquis
la domination sur le monde entier. C'est ainsi que
l'Agneau de Dieu est en même temps Roi.
Depuis que Christ a porté sa croix, elle
est devenue un titre de gloire pour tous les
chrétiens qui souffrent pour leur foi ou qui la
portent avec Christ. L'incrédule a en vérité
beaucoup d'afflictions, mais il n'a pas de croix. Il
est vrai qu'aujourd'hui chacun parle de la croix
qu'il a à porter, sans prendre en considération sa
position vis-à-vis de Christ. Mais ceux-là seulement
ont le droit d'appeler leurs souffrances une croix,
qui, par la repentance et par la foi, sont entrés
dans la communion des souffrances et de la mort
sanglante de Christ. Les anciens, qui comprenaient
mieux que nous les mystères de la croix de Christ,
l'appelaient la« bien-aimée croix ». Ils
l'appelaient aussi une étoile dépouillée de ses
rayons.
Claudius dit : « La croix est une plante
qui, lorsqu'on en prend soin, porte des fruits sans
fleurir ; et le cachet de Luther portait cette
inscription :« Le coeur chrétien marche sur des
roses dès qu'il se tient sous la croix. »
Le corps de Jésus menace de se briser
sous le fardeau de la croix.
Et comme ils sortaient, ils
trouvèrent un homme de Cyrène, nommé Simon, père
d'Alexandre et de Rufus, qui revenait des champs, et
ils le chargèrent de la croix pour la porter après
Jésus. En Gethsémané Jésus fut fortifié
par un ange. Ici, c'est un homme du pays des Maures
qui vient le secourir dans son martyre solitaire.
Simon Pierre n'est plus là. Il a abandonné son
Maître,malgré ses pompeuses promesses. C'est
pourquoi Simon de Cyrène est obligé de le remplacer.
« Ils le contraignirent. » Il ne le fit pas
volontiers. Simon connaissait-il le Seigneur ou lui
était-il étranger ? C'est ce qu'on ne peut pas
clairement conclure des textes sacrés. En aucun cas,
il ne faisait partie de cette foule méchante qui a
crié : Crucifie ! crucifie ! Peut-être l'aspect des
souffrances de Jésus lui toucha-t-il le coeur, et il
n'aurait pas voulu prendre part à l'acte de son
crucifiement. Que dut-il éprouver lorsque, un peu
plus tard, s'il se trouvait au pied de la croix, il
entendit les sept paroles sorties de la bouche de
Jésus ? En tout cas, l'aide qu'il prêta au Seigneur,
en portant sa croix, lui valut une bénédiction
céleste, puisque saint Marc nous apprend qu'il était
père d'Alexandre et de Rufus, lesquels furent de
vrais disciples de Jésus, connus et honorés dans la
communauté chrétienne. Ceux qui les voyaient,
devaient immédiatement penser à l'honneur qui avait
été accordé à leur père, de porter la croix du
Sauveur. Nous serons semblables à Simon, si nous
offrons aussi nos épaules aux âmes travaillées et
chargées, pour les aider à porter le fardeau sous
lequel elles soupirent et gémissent. Tout ce que
nous aurons fait à l'un de ses disciples, le
Seigneur le regardera comme lui ayant été fait à
lui-même. Mais nous portons aussi la croix de
Christ, lorsque nous pouvons dire avec saint Paul :
« Je suis crucifié avec Christ. »
Et une grande
multitude du peuple et des femmes le suivaient, qui
se frappaient la poitrine et se lamentaient.
Après avoir souffert tant d'injustices et de
cruautés, tant de haine, de moqueries et d'outrages,
Jésus voit enfin des yeux qui versent des larmes de
sympathie. C'est un soulagement pour lui. Les larmes
sont au moins une marque de pitié et de compassion.
Qui n'a senti combien une véritable sympathie fait
de bien dans l'affliction ! De telles larmes
restaurent le coeur de ceux qui souffrent. Et
lorsque, dans le désespoir, on avait cru que toute
espèce d'amour avait disparu, on se reprend à croire
à ce sentiment bienfaisant.
Toutefois, le Seigneur n'aime pas cette
sorte de larmes. Il ne veut pas être plaint ; il
veut être invoqué par des coeurs repentants. Il ne
veut pas qu'on pleure sur lui, il veut être accepté
comme le médecin des âmes.
Mais Jésus, se retournant vers elles, leur dit
:Filles de Jérusalem, ne pleurez pas sur moi ;
pleurez sur vous-mêmes et sur vos enfants.
Le Seigneur défend-il à ces femmes de pleurer ?
Peut-on penser à ses souffrances sans verser des
pleurs ? N'a-t-il pas lui-même offert à Dieu, en
Gethsémané, des prières et des supplications, avec
de grands cris et des larmes ? Il ne serait
certainement pas bon de rester dur, froid et
indifférent à la pensée des souffrances de Jésus.
Ces souffrances ont ému le ciel et la terre elles
doivent donc émouvoir aussi nos coeurs.
Et cependant ces larmes sont de fausses
larmes, car elles ne sont que le produit de la
sensibilité. Ne pleurez pas sur moi, comme si
j'étais frappé et maudit de Dieu, comme si mes
souffrances ressemblaient à celles des autres
hommes. N'oubliez pas que je porte vos péchés et que
j'expie vos fautes. Ne me plaignez pas, comme si
l'on me faisait violence. C'est par une libre
décision de mon amour, que j'ai choisi de souffrir
pour votre salut. Les larmes versées sur les
souffrances de Jésus, lorsqu'elles ne proviennent
pas de la douleur du péché et de la repentance, sont
des larmes stériles. Elles ne sont pas une semence
qui produise une joyeuse moisson. Les vraies larmes
sont celles de Marie-Madeleine, celles de Pierre,
parce qu'elles provenaient du sentiment du péché.
C'est pourquoi le Seigneur dit aux filles de
Jérusalem : Pleurez sur vous-mêmes et sur vos
enfants. Quiconque ne veut pas répandre les larmes
de la repentance, devra se lamenter lorsque Dieu
viendra dans sa colère pour punir les péchés des
incrédules.
Car les jours
viendront, auxquels on dira : Heureuses les stériles
les femmes qui n'ont point enfanté, et les mamelles
qui n'ont point allaité ! Alors ils se mettront à
dire aux montagnes : Couvrez-nous !
Jérusalem a rejeté le Seigneur de gloire et l'a
attaché au bois maudit ; c'est pourquoi la colère de
Dieu viendra sur elle. Et cette colère est si lourde
à porter, qu'il semblera préférable d'être enseveli
sous les montagnes. Les larmes versées pendant le
temps de la grâce, sur les péchés qu'on a commis,
épargnent les angoisses et les terreurs de l'heure
du jugement. Car si l'on
fait ces choses au bois vert, que fera-t-on au bois
sec ? Le Seigneur Jésus est lui-même cet
arbre toujours vert, dont les branches ne deviennent
jamais sèches, et dont le feuillage ne se flétrit
point. Il est le cep rempli d'une sève opulente, qui
s'écoule dans les sarments et leur donne la vie. Cet
arbre de vie va être coupé et jeté au feu de la
colère divine. Celui qui donne la vie au monde, va
être livré à la mort pour les péchés des hommes.
Telle est la colère du Dieu saint et sa haine contre
le péché, qu'il n'épargne pas son Fils unique, après
que ce Fils a été fait péché pour nous. Si cela
arrive au bois vert, qu'arrivera-t-il au bois sec ?
Lorsque le bois vert brûle pour nous dans le feu de
la colère divine, il répand sa sève vitale, son
divin et sacré sang, dans la fournaise de cette
colère et en éteint le feu. Mais lorsque le bois
sec, c'est-à-dire les pêcheurs, qui n'ont point de
sève en eux-mêmes, sont atteints par les flammes du
courroux céleste, il n'y a pas de sève pour les
éteindre. C'est alors le feu qui ne s'éteint point.
Par cette question, le Sauveur nous montre que ses
souffrances nous font connaître, mieux qu'aucun
autre enseignement, la colère du Dieu saint contre
les péchés des hommes. La croix de Christ est et
demeure la plus éloquente exhortation à la
repentance.
.
130. Crucifiement et mort de Jésus.
Et ils le conduisirent
au lieu appelé Golgotha, c'est-à-dire la place du
crâne ; et ils le crucifièrent là, et les deux
malfaiteurs avec lui, l'un à droite et l'autre à
gauche, et Jésus au milieu. Ainsi celte parole de
l'Écriture fut accomplie : Il a été mis au rang des
malfaiteurs. Il était la troisième heure quand ils
le crucifièrent. Ils lui présentèrent à boire du
vinaigre mêlé de fiel ; mais quand il en eut goûté,
il n'en voulut pas boire. Golgotha est un
monticule qui fait partie de la chaîne des monts de
Morija. C'est là qu'Abraham, le père de tous les
croyants, offrit en sacrifice son fils unique, celui
qu'il aimait. C'est là qu'Isaac, calme et serein,
était prêt à souffrir et à mourir. C'est en Golgotha
que fut consommé le sacrifice dont celui d'Isaac
n'était qu'une figure. Ainsi, Dieu a tellement aimé
le monde, qu'il lui a donné son Fils unique. Il l'a
sacrifié pour l'humanité pécheresse, en l'attachant
au bois, sur un autel qu'il a construit en Golgotha.
Dans le premier cas, Isaac fut épargné, mais Dieu
n'a pas épargné son Fils unique, parce qu'il n'y a
point d'autre sacrifice pour le péché. Et le Fils
reste calme et supporte patiemment les souffrances,
et consent à mourir, bien qu'il n'y eût point de
péché en lui.
C'est en Golgotha que Dieu manifeste
toute l'ardeur de sa colère et de son amour.
Golgotha est le lieu de la plus profonde humiliation
de notre Sauveur. Mais ce sont précisément ces
souffrances expiatoires qui en ont fait un lieu de
bénédictions pour tous les peuples, tellement que
les yeux et les coeurs de toute la chrétienté sont
dirigés vers ce lieu. « J'élève mes yeux vers les
montagnes d'où me vient le secours. » Parmi ces
montagnes, il faut avant tout compter Golgotha.
C'est là qu'a été conclue l'alliance entre les
pécheurs qui succombaient sous le fardeau de leurs
iniquités, et le Dieu de grâce et de miséricorde.
En Golgotha, ma dette a été acquittée.
C'est là que Jésus a fait la paix entre le ciel et
la terre. Golgotha! C'est le sanctuaire de la foi,
c'est là que se posent les mains percées du Sauveur
sur les coeurs blessés. C'est là qu'il arrose
toujours de nouveau les consciences troublées, avec
le sang de la réconciliation. C'est là qu'on apprend
à dire : « Si notre coeur nous condamne, Dieu est
plus grand que notre coeur » et à croire
toujours plus fermement cette vérité : Mon Dieu m'a
pardonné mes péchés ; je suis à lui par sa grâce.
Et ils le
crucifièrent là. On passe souvent sur ces
mots comme s'ils n'exprimaient rien
d'extraordinaire. C'est une vieille vérité qu'on a
entendu répéter mille fois dès l'enfance. Cependant,
réfléchissons à ce que font ces gens, au sommet de
Golgotha. Une croix de bois est couchée par terre ;
on dépouille le condamné de ses vêtements ; on
l'étend sur cette croix, à laquelle on l'attache,
solidement, en lui enfonçant de longs clous dans les
mains et dans les pieds. Puis on dresse la croix, et
le corps du supplicié, suspendu par les clous, pèse
de tout son poids et élargit les blessures. Jésus
souffre tout en silence, comme un agneau devant
celui qui le tond, et n'ouvre pas la bouche. D'après
toutes les descriptions qu'on a faites des supplices
de, ce temps-là, le crucifiement était le plus cruel
et le plus douloureux. La position contre nature du
corps, qui empêchait le sang de couler, la grande
perte de sang en Gethsémané et au prétoire, les
blessures fraîchement faites à la tête par la
couronne d'épines, les plaies faites au dos par la
flagellation, cette inexprimable douleur de tous les
membres, qui sont martyrisés et ne meurent cependant
pas : tout cela présente l'image des tourments de
l'enfer, que nous avons mérités par nos péchés. Le
Seigneur dédaigne le breuvage étourdissant qu'on
donnait au supplicié pour calmer ses douleurs, car
c'est avec une pleine conscience qu'il veut
couronner son oeuvre.
Pilate fit mettre au-dessus de la tête du
crucifié un écriteau qui indiquait le sujet de son
supplice :Jésus de
Nazareth, roi des Juifs. Malgré les
réclamations des principaux sacrificateurs, qui
voulaient qu'on inscrivit :«
Qui a dit : Je suis
le roi des Juifs, » le gouverneur refusa d'y rien
changer. Cet écriteau indique parfaitement la cause
de la condamnation du Seigneur : Jésus est le Roi
des Juifs qui était promis ; il est le Messie ;
voilà pourquoi il est crucifié. La dignité royale de
Jésus est le seul crime qui l'ait fait mettre à
mort. La croix est le trône royal de sa légitime
domination. C'est pourquoi l'écriteau proclame la
royauté de Christ dans les trois langues usitées à
cette époque ; en grec, en hébreu et en latin.
Aujourd'hui, le témoignage de Jésus, le Christ, le
crucifié, le Roi de gloire, est annoncé dans environ
cent cinquante langues, afin qu'au nom de
Jésus-Christ, tous les peuples ploient les genoux
devant lui, et que toute langue confesse qu'il est
le Seigneur à la gloire de Dieu le Père.
Christ a été suspendu à la croix pendant
six heures, depuis la troisième jusqu'à la neuvième
heure ; ainsi, d'après notre manière de compter,
depuis neuf heures du matin jusqu'à trois heures du
soir. Dans cet intervalle, il a prononcé sept
paroles. Les trois premières ont probablement été
prononcées dès le commencement du supplice. Il y a
d'abord :
LA PAROLE DU SOUVERAIN SACRIFICATEUR
Père, pardonne-leur, car
ils ne savent ce qu'ils font. Le Fils de
Dieu est suspendu au bois maudit. Il est envoyé à
l'humanité pour la sauver, et elle le rejette loin
d'elle, elle le met à mort comme un malfaiteur. Le
Dieu du ciel peut-il, doit-il se taire enprésence de
ce crime ? Non ! il faut que la colère de Dieu en
consume les auteurs. La terre s'ouvrit pour
engloutir la bande de Coré, lorsqu'elle se révolta
contre Moïse serviteur de l'Éternel. Comment
pourrait-il garder le silence, quand les pécheurs
crucifient son propre Fils ? Le feu du ciel tomba
sur les deux officiers envoyés par le roi Achab pour
saisir Élie ; quelle punition infligera-t-il à ceux
qui font mourir Jésus ! Le Seigneur sent que le
supplice qu'on lui prépare est comme un soufflet
donné à son Père céleste ; il sait que la colère de
Dieu tombera sur ceux qui répandent son sang en
Golgotha. Et cependant, au sein de son martyre, il
ne cesse pas d'être Jésus, c'est-à-dire, Sauveur. Il
oublie que c'est par ses meurtriers qu'il
souffre, et ne se souvient que de ceci : c'est qu'il
souffre et meurt pour eux. Son sang répandu
crie au ciel et donne efficace à sa« prière,
lorsqu'il intercède pour ses bourreaux, afin
d'arrêter le bras du juste Juge prêt à les frapper.
Père, pardonne-leur !
Ces paroles sont une preuve irréfragable qu'il n'est
pas venu pour condamner le monde, mais pour chercher
et sauver ce qui était perdu.
Car ils ne savent pas ce
qu'ils font. Leur ignorance était en tout
cas coupable. Ils ne voulaient pasreconnaître
leurs péchés, c'est pourquoi ils ne pouvaient pasconnaître
Jésus. Mais le Sauveur crucifié regarde plutôt à
leur misère qu'à leur péché.
Pour qui est cette consolante et
puissante intercession de Jésus ? D'abord pour
les soldats qui lui ont percé les mains et les
pieds, ensuite pourle peuple qui a crié :Crucifie
! crucifie ! Que son sang soit sur nous et sur nos
enfants ! puis pour Pilate, qui a cédé,
contre sa conscience, à la voix de la multitude ;
enfin pour les principaux sacrificateurs qui
ont condamné à mort l'innocent. Tous ceux-là ont
pris part à la mort du Sauveur. C'est donc à chacun
d'eux que l'intercession de Jésus profitera. Mais
elle nous profitera à nous aussi, car tous nous
sommes cause de sa mort. Si nos péchés ne l'avaient
pas crucifié, ses ennemis auraient bien été obligés
de l'épargner. - Jésus sait que son Père l'exauce
toujours. Toutefois, ses meurtriers ne peuvent
obtenir le pardon de leur péché que s'ils apprennent
eux-mêmes à le demander avec des coeurs repentants.
Si même la plupart de ceux pour qui Jésus
crucifié intercède, lui ferment leurs coeurs, il ne
manque cependant pas d'âmes que le Père lui a
données comme récompense de ses douleurs et
exaucement de sa prière. C'est pendant cet
intervalle de six heures, que le brigand se
convertit sur la croix. Bientôt après, le centenier
païen loue Dieu et s'écrie :« Véritablement cet
homme était juste, c'était le Fils de Dieu. » Et
tout le peuple qui était là et voyait ce qui était
arrivé, se frappait la poitrine. Sept semaines plus
tard, trois mille Juifs furent baptisés en la mort
de Jésus. C'est aussi un effet de l'intercession du
Sauveur, que Dieu use encore de patience envers les
païens, envers les chrétiens tombés, et qu'il
diffère le jour du dernier jugement.
Le patient amour de Jésus enseigne la
patience à tous ceux qui lui sont unis par la foi.
Étienne prie pour les Juifs qui le lapident
:« Seigneur, ne leur impute point ce péché. »
Jacquess'écria, lorsqu'ils le précipitèrent du
haut du temple : « Seigneur, pardonne-leur, car ils
ne savent ce qu'ils font ! »Jean Huss et
Henri de Zutphen ont prié pour leurs meurtriers.
D'innombrables chrétiens, qui ont été initiés par la
foi au mystère de l'amour et des douleurs de Jésus,
sont entrés dans la vie de la charité et ont appris
sous la croix de Christ à aimer leurs ennemis. Nous
ne devons pas porter envie à Pierre, comme s'il
jouissait d'un avantage dont nous sommes privés,
dans cette parole du Seigneur : « J'ai prié pour
toi, afin que la foi ne défaille point », car cette
intercession nous profite aussi. Oh ! puissions-nous
en être véritablement reconnaissants !
Après donc que
les soldats eurent crucifié Jésus, ils prirent ses
habits et en firent quatre parts, une part pour
chaque soldat ; ils prirent aussi la robe, mais elle
était sans couture, d'un seul tissu, depuis le haut
jusqu'au bas. Ils dirent donc entre eux : Ne la
mettons pas en pièces, mais tirons au sort à qui
l'aura de sorte que celle parole de l'Écriture fut
accomplie : Ils ont partagé mes vêtements et ils ont
jeté le sort sur ma robe. C'est ce que firent les
soldats. Il s'agit ici d'une succession,
mais celui qui n'avait pas où reposer sa tête ne
pouvait pas laisser d'héritage. Ceux qui estiment un
homme d'après les biens qu'il a acquis pendant sa
vie et qu'il laisse après sa mort, ne peuvent avoir
que du mépris pourJésus. Car il n'avait pour toute
fortune que ses vêtements, et ils appartenaient aux
soldats. Mais la foi connaît un meilleur héritage du
Sauveur : « Je vous laisse ma paix ; recevez le
Saint-Esprit. »
Ce doit être une grande consolation pour
les déshérités de la fortune, que Jésus ait vécu
pauvre et soit mort pauvre. Cela montre que la
pauvreté n'est en aucun cas un obstacle à une
heureuse mort, ni à l'entrée dans la gloire
éternelle. Les soldats ne reçurent de Jésus que ses
vêtements. Que n'ont-ils cherché sa grâce, comme le
brigand sur la croix ! Ils auraient pu hériter,
comme ce malfaiteur, du paradis de Dieu. Il en est
ainsi de tous ceux qui veulent porter les vêtements
de Jésus et se parer de son nom. Ils font métier de
la piété, afin d'acquérir, par son moyen, des
avantages terrestres. Ils ne cherchent ni la
personne ni la grâce de Jésus. Aussi sont-ils privés
de la paix et du Saint-Esprit.
Le Sauveur est pendu à la croix, nu et
dépouillé. C'est ainsi qu'il supporte le châtiment
que nous avons mérité par nos voluptés, notre vanité
et notre orgueil, par notre recherche de la mode et
du luxe dans les vêtements ; toutes choses qu'on ne
retrouve encore que trop souvent parmi les
chrétiens. La vie cachée en Dieu, sous la croix de
Christ, doit paraître horriblement ennuyeuse aux
chrétiens imbus de pareilles idées. La foi reçoit de
Christ un meilleur vêtement que ceux qui furent
abandonnés aux soldats : c'est le sang et la justice
du Sauveur. Couverts de ce vêtement, nous pouvons
subsister devant Dieu.« Car vous qui avez été
baptisés en Christ, vous avez revêtu Christ. »(Gal.
III, 27).
Alors les traits empoisonnés de la
raillerie lancés par la foule qui entoure la croix,
pleuvent sur le crucifié.
Et ceux qui passaient par là, lui disaient des
outrages, branlant la tête et disant : Toi qui
détruis le temple et le rebâtis en trois jours,
sauve-toi toi-même ; si tu es le Fils de Dieu,
descends de la croix. De même aussi les principaux
sacrificateurs avec les scribes et les sénateurs
disaient en se moquant : Il a sauvé les autres, et
il ne peut se sauver lui-même. S'il est le Roi
d'Israël, qu'il descende maintenant de la croix et
nous croirons en lui. Il se confie en Dieu ; que
Dieu le délivre maintenant, car il a dit : Je suis
le Fils de Dieu. Les soldats l'outrageaient aussi,
en disant : Si tu es le Roi d'Israël, sauve-toi
toi-même. Si quelqu'un veut savoir ce qui
se passait dans le coeur de Jésus, pendant qu'il
était en butte aux plus grossières moqueries, qu'il
lise le Psaume
XXIIe. D'abord, ils ont cloué son corps à la
croix, puis ils ont crucifié son âme en le
transperçant des pointes acérées de leurs outrages.
Tout le venin d'aspic qui est sous la langue des
hommes, et par lequel ils pèchent contre Dieu, vient
au jour dans la Passion de Christ. Judas lui
témoigne un attachement hypocrite ; Pierre le renie
; les faux témoins mentent ; Caïphe et le Sanhédrin
prononcent un jugement inique ; le peuple se
déchaîne devant le prétoire ; Hérode se moque ; les
soldats de Pilate outragent le Seigneur ; le
gouverneur confirme le jugement du Sanhédrin.
Et maintenant tous se réunissent autour
de la croix, Juifs et païens, savants et ignorants,
vieux et jeunes, pour railler et outrager le Sauveur
expirant. Le diable tente encore un dernier effort
contre le Fils de Dieu et contre son oeuvre de
salut, en excitant les enfants de l'incrédulité
voués à son service, à accabler Jésus de leurs
moqueries. De même que dans la nuit bénie, les cieux
et leur armée éclatèrent en cris de joie et de
louanges, au sujet de l'enfant couché dans la
crèche, ainsi dans l'enfer il aurait sans doute
éclaté un cri de réjouissance si Jésus, en Golgotha,
avait donné une preuve de sa toute-puissance en
descendant de la croix, et n'avait pas été obéissant
jusqu'à la mort. Alors on eût dit : Il a essayé de
sauver les pécheurs, mais il a trouvé l'oeuvre trop
difficile, et a été obligé de l'abandonner
éternellement. Il a commencé à construire une tour,
mais il n'a pas calculé la dépense. Jésus demeure
sur la croix, et il savoure toutes les ignominies
contenues dans la coupe que le Père lui a donnée à
boire. Il ressent les douleurs de David, lorsqu'il
disait : « Mes ennemis m'ont outragé, ce qui a été
une épée dans mes os, lorsqu'ils me disaient chaque
jour. Où est ton Dieu ? »(Ps.
XLII, 11). Il reste calme, lors même que la
honte lui brise le coeur.
L'un des
malfaiteurs qui avaient été crucifiés, l'outrageait
aussi en disant : Si tu es le Christ, sauve-toi
toi-même et nous aussi. Mais l'autre, le reprenant,
lui dit : Ne crains-tu point Dieu, puisque tu es
condamné au même supplice ? pour nous, nous lesommes
avec justice, car nous souffrons ce que nos crimes
méritent ; mais celui-ci n'a fait aucun mal.
L'un des malfaiteurs exhale sa douloureuse fureur en
paroles outrageantes contre le Seigneur. Telle est
la profondeur de l'abîme dans lequel tombe l'homme
qui vit sans Dieu, que, même en face de la mort et
du jugement, même lorsque la grâce libératrice
s'approche de lui dans la personne du Sauveur, il
exhale, par des blasphèmes, la rage impuissante de
son coeur endurci ! C'est une espérance absolument
vaine que celle de ce christianisme sentimental et
malsain, qui admet la possibilité pour les damnés
d'être amenés à la repentance par les souffrances
qu'ils endurent dans l'enfer. Ils cherchent par des
blasphèmes à soulager leurs coeurs angoissés, et ne
parviennent qu'à rendre leurs tourments plus
insupportables. Même déjà sur la terre, la plupart
de leurs blasphèmes ne sont que l'expression de
leurs déchirements intérieurs et de leur désespoir.
En revanche, l'autre brigand prépare au
Seigneur une douce consolation. Il est les prémices
de cette moisson produite par le grain de blé semé
en ce moment et destiné à mourir. Déjà les
railleries de la foule qui entoure ce criminel l'ont
indigné ; mais que son compagnon de péché et de
supplice ne tremble pas sur le seuil de l'éternité
et en face du jugement de Dieu ; qu'au contraire il
se répande en paroles blasphématoires, c'est ce
qu'il ne saurait supporter. C'est pourquoi il ouvre
la bouche pour lui adresser une sérieuse réprimande,
laquelle se convertit immédiatement en une
confession de ses péchés, pleine d'humilité et de
repentance. - Avons-nous déjà, surtout lorsque le
poids du fardeau de nos souffrances fait couler nos
larmes, avons-nous déjà fait cette confession
franche et sans réserve : Nous souffrons ce que nos
péchés méritent. Parce qu'il agit selon la vérité,
le brigand converti vient à la lumière. Il a aussi
des yeux pour reconnaître le Seigneur qui est près
de lui, plein de grâce et de vérité.
Puis il dit à Jésus :
Seigneur, souviens-toi de moi quand tu seras entré
dans ton règne. Malgré le martyre, malgré
toutes les ignominies que souffre le Crucifié, ce
malfaiteur reconnaît en lui le Roi d'Israël, le
Sauveur des pécheurs. Il croit que ce Roi reparaîtra
sous une autre forme, dans la gloire, pour fonder
son royaume. C'est pour ce moment qu'il prie le
Sauveur de garder de lui un souvenir miséricordieux.
Jésus entend tous les outrages sans rien dire ; mais
à ce pauvre pécheur, il lui accorde plus qu'il ne
lui a demandé. Il le console en proportion de sa foi
; puis il ouvre la bouche pour prononcer la deuxième
parole de la croix.
LA PAROLE ROYALE
Je le dis en vérité
- par cette parole il fait briller sa gloire royale
- que tu seras aujourd'hui
avec moi en paradis. Il parle comme ayant
dans sa main percée les clefs de la mort et de
l'enfer. « Je n'attendrai pas le jour de mon
avènement pour me souvenir de toi. Aujourd'hui déjà,
tu seras heureux avec moi dans le paradis. » Jésus
accorde sa grâce à un pécheur désespéré, à la
dernière heure de sa vie, et il nous montre par là,
afin de nous humilier et en même temps de nous
consoler, que pour nous admettre dans son royaume,
il n'attend de nous ni oeuvres ni mérites. Jésus
crucifié, dont la croix est plantée en terre, mais
dont les mérites atteignent jusqu'au ciel, nous
ouvre seul la porte du paradis. Il n'y a nulle autre
voie pour parvenir au salut, que celle suivie par le
brigand pardonné. Ainsi tenons ferme ceci c'est que
l'homme est justifié par la foi sans les oeuvres de
la loi uniquement par la foi en Christ crucifié. Si
quelqu'un, imbu de sa propre justice, pensait en son
coeur : Puisque ce brigand, attaché à la croix, a
encore pu être sauvé, combien plus le salut doit-il
être assuré à ma vie irréprochable ! Que celui qui
raisonne ainsi, sache que le brigand n'a obtenu sa
grâce que parce qu'il a reconnu qu'en le punissant,
Dieu agissait avec justice, et parce qu'il soupirait
après le Sauveur avec un coeur brisé.
Or, la mère de
Jésus et la soeur de sa mère, Marie, femme de
Cléopas, et Marie-Madeleine se tenaient au pied de
la croix. En voyant sa mère, le Seigneur
ouvre la bouche pour prononcer la troisième parole
de la croix.
LA PAROLE FILIALE
Jésus voyant sa mère, et près d'elle le disciple
qu'il aimait, dit à sa mère :
Femme, voilà ton fils ; puis
il dit au disciple : Voilà lamère. Et,
dès cette heure, le disciple la prit chez lui.
Marie, la mère de douleurs, se tient au pied de la
croix de son Fils, et fait l'expérience de la
prédiction de Siméon : « Une épée te transpercera
l'âme. » Amer est son nom, mais plus amère encore
est sa douleur. Sans ce Fils, la vie n'a plus de
prix pour elle, et ses yeux ne seront désormais que
des fontaines de larmes. Mais celui qui, par la
croix, apporte la consolation au monde entier, ne
veut pas laisser sa mère dans la désolation. Afin
que Marie ne soit pas privée d'un coeur qui l'aime,
il la donne au disciple qu'il aime, afin qu'il le
remplace auprès d'elle par son amour filial. Ce
n'était pas pour Jean un devoir difficile, mais
plutôt un legs précieux. Pouvoir témoigner dans
Marie son amour pour le Sauveur, c'était le sceau
apposé sur ce qui faisait le bonheur de sa vie : «
être le disciple que Jésus aimait. »
Jésus ne donne pas à Marie le doux nom de
mère. On a pensé qu'il l'avait fait par ménagement,
pour ne pas déchirer davantage son coeur maternel.
Cela est possible, mais nous avons certainement à
nous souvenir ici des noces de Cana, et de plusieurs
autres occasions où le Seigneur s'est appliqué avec
intention à écarter d'avance l'idée que sa mère
exerçât une médiation quelconque dans les choses du
règne de Dieu, médiation qu'on lui a attribuée dans
les temps postérieurs. Par cette expression de«
femme », le Sauveur veut inspirer à Marie cet amour
qui ne connaît plus personne selon la chair. Il veut
témoigner à l'Église de tous les siècles, que dans
son oeuvre de réconciliation, il se sent uni à tous
les pécheurs par un égal lien, et qu'il ne l'est pas
plus à Marie qu'à tout autre.
Jésus ne pouvait assurément pas prendre
un plus grand soin de l'âme de sa mère, qu'en la
confiant à la protection pleine d'amour de Jean,
qui, comme nul autre, avait vu la gloire du Fils
unique venu du Père. Ce disciple pouvait et devait
être un puissant soutien, pour assurer à Marie que
ce que lui avait annoncé la salutation angélique, à
laquelle elle avait été si heureuse de croire,
n'était pas menacé, et que la royauté céleste
qu'elle avait contemplée avec joie en esprit,
n'avait pas péri sur la croix, mais qu'au contraire
une nouvelle aurore et un nouvel épanouissement
allaient commencer pour elle.
Jésus est attaché à la croix depuis trois
heures. Les moqueurs se sont tus peu à peu et le
silence s'établit autour de l'instrument du
supplice. Il était environ
la sixième heure, et il se fit des ténèbres sur
toute la terre, jusqu'à la neuvième heure.
La gloire du Seigneur avait resplendi sur les champs
de Bethléem, parce que la lumière du monde était
apparue. Ici, en Golgotha, une obscurité enveloppe
tout le pays, parce que la lumière du monde s'est
éteinte dans la mort. Le juge Denis, mentionné Actes
XVII, 34, qui vivait alors en Égypte et était
encore païen, doit avoir dit à propos de ces
ténèbres : « Ou bien la Divinité souffre, ou bien
elle sympathise avec quelque être souffrant. »Cette
obscurité extérieure était un emblème de celle qui
régnait dans l'âme du Sauveur. Il éprouvait les
épouvantes de la mort et se plongeait dans les
tourments éternels, parce que tous nos péchés
pesaient sur lui. Notre corruption le séparait de
son Dieu.
Il souffre depuis trois heures sous le
fardeau de nos péchés, sans laisser échapper une
plainte. Il épuise jusqu'à la dernière goutte la
coupe de la colère, que son Père lui adonnée à
boire. Ce qui s'est passé dans son âme pendant ces
trois sombres heures, il a voulu le tenir caché.
C'est seulement dans l'éternité que cela sera
révélé, au milieu des louanges des bienheureux. Nous
pouvons cependant avoir un pressentiment de ces
douleurs, par ce passage du Psaume
XVIlle, 5, où le Saint-Esprit prédisant les
souffrances du Sauveur, met dans la bouche du
prophète ces paroles : « Les cordeaux de la mort
m'avaient environné, les torrents des méchants
m'avaient entouré. Les cordeaux du sépulcre
m'avaient environné, les pièges de la mort m'avaient
surpris. Quand j'étais dans l'adversité, j'ai crié à
l'Éternel, j'ai crié à mon Dieu. » Les mêmes
plaintes se trouvent dans les passages suivants : Psaume
LXIX, 2. 3.« Délivre-moi, ô Dieu, car les eaux
sont entrées jusque dans mon âme. Je suis enfoncé
dans un bourbier fangeux, dans lequel je ne puis
prendre pied ; je suis entré au plus profond des
eaux, et les eaux débordées m'entraînent. » Psaume
XLII, 8 : « Un abîme appelle un autre abîme au
bruit de tes ondées. Toutes. tes vagues et tes flots
ont passé sur moi. » Psaume
XIII, 2.« Éternel jusques à quand m'oublieras-tu
toujours, jusques àquand cacheras-tu ta face de moi
? » Psaume
LXXXIX, 47.« Jusques à quand, ô Éternel, te
cacheras-tu ? Ta colère s'embrasera-t-elle comme un
feu ? »
Alors, tout à coup, à la neuvième heure,
Jésus cria à haute, voix, et prononça la quatrième
parole de la croix.
LA PAROLE DE LA VICTIME
Eli, Eli, lamma
sabbachtani ! Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu
abandonné ? Ces paroles résonnent comme
un lugubre cri d'angoisse sortant de l'enfer. Et
c'est Jésus qui les prononce ! Mon âme, ne les
oublie jamais et ne laisse jamais sortir de ta
pensée combien il en a coûté à Jésus pour te sauver
! Ton Sauveur, abandonné de Dieu ! terrible
obscurité ! « Moi et mon Père, nous sommes un, » et
maintenant abandonné de Dieu ! Ainsi les ténèbres
ont donc complètement envahi même l'âme du Sauveur !
On se plaint souvent, dans le feu de l'affliction,
d'être oublié, abandonné de Dieu. Mais c'est
seulement notre oeil qui est obscurci et qui ne
reconnaît pas Dieu. Dans ces cas, on pourrait
certainement dire avec plus de raison :« Lorsque
l'affliction est à son comble, c'est alors que Dieu
est le plus près. » Ceux-là seulement sont
abandonnés de Dieu, qui persévèrent dans leurs
iniquités, privés de la grâce de Dieu et des
consolations que donne le pardon des péchés. La
colère de Dieu demeure sur eux. Ils sont déjà la
proie du feu qui ne s'éteint point et du ver qui ne
meurt point. Voilà ce qu'on peut appeler être
abandonné de Dieu. Âme chrétienne, écoute encore une
fois ce cri de Jésus : Mon
Dieu, Mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ?
Nous avons un pressentiment des
épouvantables ténèbres qui ont enveloppé l'âme de
Jésus. Dans cette heure de profonde obscurité
intérieure et extérieure, il a réellement et
véritablement enduré l'angoisse et les tourments des
damnés. La malédiction de la loi pénètre dans ses os
comme de l'huile bouillante. Toutes les souffrances
de l'enfer réservées à l'humanité pécheresse, tout
ce qui bourrèle une conscience coupable, tout cela
assiège et angoisse, dans cette heure ténébreuse,
l'âme du Sauveur. Le malheur et le bonheur, la vie
et la mort de toute l'humanité pécheressedépend de
l'issue du combat qui se livre en ce moment en
Golgotha.« Abandonne Dieu et meurs ! » tel est le
conseil que le prince des ténèbres donne à Jésus.
Toutefois, à peine le Seigneur a-t-il
ouvert la bouche pour laisser échapper ce cri
d'angoisse, que déjà la victoire lui est assurée. Il
a traversé, en combattant et en priant, l'océan
d'angoisses causées par les péchés du monde. Il
s'écrie : « Mon Dieu, mon Dieu ! » et il se fortifie
par cette pensée : Je demeure cependant toujours
près de toi, lors même que les flots de ta colère et
de tes jugements fondent sur moi ! Tu es cependant
mon Dieu, et toujours mon Dieu. Privé
du sentiment de la présence de Dieu, hors d'état de
goûter les douceurs de l'amour divin, il se sent
séparé de son Père par les péchés du monde.
Toutefois, par dessus l'abîme creusé entre ces deux
êtres, Jésus étend la main de la foi jusqu'au coeur
de Dieu, et s'écrie : Mon
Dieu, mon Dieu !
Il est vrai qu'il est dit : Mon Dieu
et non : Mon Père. Un instant auparavant, il
disait encore :Père, pardonne-leur. Un
instant après, il dit : Père, je remets mon
esprit entre tes mains. Mais pendant ces trois
heures d'angoisse, Dieu ne se présente plus à lui
comme le Père plein d'amour, mais comme le Juge,
dont la colère foudroyante éclate dans l'âme de
celui qui porte nos péchés. Jésus le sait, c'est
pourquoi il s'écrie :Mon Dieu et non : Mon
Père. Toutefois il se tient fortement attaché à
lui et pense : Tu es cependant mien. Je ne
t'abandonnerai pas. C'est ainsi qu'il remporte la
victoire. Or, sa victoire est la nôtre. Nous sommes
agréables à Dieu, si nous sommes trouvés en son
Bien-aimé. Parce qu'il a traversé en vainqueur la
colère de Dieu et est arrivé jusqu'à lui ; parce
qu'il s'est chargé de nos péchés et est parvenu
victorieusement jusqu'à Dieu, il nous a ouvert
l'accès auprès de lui, tellement qu'il n'y a plus
maintenant aucune condamnation pour ceux qui sont en
Jésus-Christ.
Et quelques-uns
de ceux qui étaient présents, ayant ouï cela,
disaient : Il appelle Elie. Et d'autres disaient :
Attendez, voyons si Élie viendra le délivrer.
Les moqueurs sont effrayés et rendus muets par ces
ténèbres du vendredi saint mais ces phénomènes ne
les amènent ni à la repentance ni à la foi. Pour les
impies, lesmiracles du Seigneur sont inutiles. -
Après cela, Jésus, voyant que tout était accompli,
prononça la cinquième parole de la croix.
LA PAROLE DE L'AMOUR QUI S'IMMOLE
J'ai soif, Il y avait là
un vaisseau rempli de vinaigre. Ils emplirent de
vinaigre une éponge, et l'ayant fixée à une branche
d'hysope, ils l'approchèrent de sa bouche.
Les tourments de la soif dont Jésus souffrait depuis
longtemps en silence, il aurait pu les supporter,
avec tous les autres, pendant le peu de temps qui
lui restait à vivre. Mais il annonce sa soif à haute
voix, avec une pleine conscience, afin que ce détail
de l'Écriture fût aussi accompli (Psaume
LXIX, 22) :« Dans ma soif, ils m'ont donné du
vinaigre. » Jésus a supporté la soif corporelle
lorsque, dans son ardent amour, il se laissait
consumer par le feu de la colère divine, afin de
soulager dans leurs peines ceux qui croiraient en
lui, et de les restaurer sur leur lit de mort. Il a
supporté cette soif, afin que, lorsque la faim et la
soif commencent à se faire sentir après les
satisfactions et les rassasiements de cette terre,
nous ne languissions pas, dans l'éternité, après une
goutte d'eau pour rafraîchir notre langue, et afin
de pouvoir donner gratuitement à nos âmes un
breuvage puisé aux sources des eaux vives.
J'ai soif !
Le Seigneur pousse ce cri vers le coeur
de son Père. Sa soif corporelle était une fidèle
expression de sa soif de Dieu, du Dieu fort et
vivant. Toutes les aspirations du Fils avaient
toujours été dirigées vers le Père. Mais comme la
soif de son âme devait être brûlante après les
combats qu'il avait soutenus, et pendant cette heure
de ténèbres ! J'ai soif ! Jésus adresse cet
appel au Père, non seulement dans le silence de son
coeur, mais à haute voix. C'est que ce cri est
poussé pour nous. Comme Agneau de Dieu, il expie nos
péchés, et maintenant il a soif de présenter nos
âmes à son Père comme récompense de ses souffrances.
Chrétien ! chaque fois que le cri de ton Sauveur :
J'ai soif ! se fait entendre à ton coeur,
pense constamment :
Il lutte, altéré, pour sauver ton âme ;
Donne-lui l'amour que sa voix
réclame.
« Donne-moi à boire », dit-il un jour à la
Samaritaine près du puits de Jacob. Mais il avait
plus soif de l'âme de cette femme que de l'eau
qu'elle allait puiser. Il fut désaltéré, lorsqu'elle
lui dit : « Seigneur, donne-moi de cette eau, afin
que je n'aie plus soif. » Il a soif de notre soif.
C'est pourquoi il proclame heureux ceux qui ont faim
et soif de justice, car ils seront rassasiés.
L'homme naturel connaît, celle soif brûlante de
l'âme ; mais il ne peut pas l'apaiser. Le coeur de
l'homme est un abîme que la mer du monde ne saurait
combler. Jetez-y toutes les jouissances et toutes
les joies, tous les honneurs et tous les biens de la
terre ; ils ne rempliront point ses vides ; ils
n'étancheront point sa soif. Le monde entier, avec
toutes ses satisfactions, est hors d'état de
restaurer véritablement un coeur. Le bon Berger qui,
dévoré de soif, est attaché à la croix, lui donne
seul la vie et un plein contentement. Sous sa garde,
on fait l'expérience de cette parole d'Asaph : « Ma
chair et mon coeur défaillaient, mais Dieu est le
rocher de mon coeur et mon partage à toujours. (Psaume
LXXIII, 26.)
Lorsque Jésus eut pris le vinaigre, il
prononça la sixième parole de la croix :
LA PAROLE DE LA VICTOIRE
Tout est accompli.
L'oeuvre que le Père avait donnée à faire au Fils
est accomplie. L'Évangile qui est annoncé au monde
entier, sur la vie, les souffrances et la mort de
Jésus, est une explication de cette parole : Tout
est accompli, car cette parole n'est elle-même
autre chose que cette Bonne Nouvelle : « Venez, car
tout est prêt. » Le travail est achevé, la foi a été
gardée, la course est terminée, le calice est vidé,
le combat a fini par la victoire, la voie est
aplanie ; le chérubin qui gardait la porte du
paradis s'est éloigné, les chaînes de la malédiction
sont rompues, les traits enflammés de Satan sont
éteints, le péché est détruit, le monde est purifié,
la loi est accomplie, la rançon est payée, les
fautes sont effacées, le sacrifice est consommé, le
châtiment a été subi, la colère est apaisée ; Dieu
est réconcilié, la délivrance est parfaite, la
justice est rétablie, le ciel est ouvert, l'Écriture
est accomplie. Marie tressaille de joie à l'ouïe de
ce cri de victoire ; le brigand se réjouit en voyant
ses espérances couronnées ; les serviteurs de
Dieulouent le grand acte de la rédemption, et le
Tout-Puissant prononce son Amen sur la parole de son
Fils mourant.
L'oeuvre est accomplie, ainsi il n'y
manque rien. Peu importe ce que le monde et Satan en
disent, l'oeuvre de Dieu est parfaite. Tous les
droits de sa justice sont satisfaits. Le nom du Père
a été glorifié en présence de toutes les créatures.
La tête du serpent est écrasée, et un fondement
inébranlable a été posé pour la création de nouveaux
cieux et d'une nouvelle terre. Cette oeuvre n'a
besoin d'aucun complément ; elle n'est susceptible
d'aucun perfectionnement. Aussitôt que cette parole
: Tout est accompli, est prononcée, tous les
hommes, quelque grands et horribles que soient leurs
péchés, peuvent participer par la seule foi et être
assurés et joyeux de leur délivrance et de leur
adoption. Désormais aucun pécheur ne sera
nécessairement perdu. Ceux-là seulement périront,
qui ne veulent pas avoir part à l'oeuvre parfaite du
Sauveur. Quiconque, en travaillant à son salut, veut
ajouter peu ou beaucoup, soit par ses oeuvres, soit
par sa propre satisfaction, à l'oeuvre du Sauveur,
l'accuse de mensonge lorsqu'il s'écrie : Tout est
accompli. Un tel homme renie et déshonore Dieu
dans la personne de son Fils Jésus-Christ.
Tout est accompli. Tout est donc
prêt pour moi. Je n'ai donc plus qu'à tendre la main
pour m'approprier cette oeuvre. Je serai justifié
par la grâce sans aucun mérite de ma part, et
j'aurai droit à la délivrance opérée par
Jésus-Christ. Ce sera ma consolation dans la vie et
dans la mort.
Enfin Jésus se prépare à mourir. Personne
ne lui ôte la vie. Il la remet lui-même librement et
volontairement entre les mains du Père ; c'est alors
qu'il prononce à haute voix la septième parole de la
croix :
LA PAROLE D'ADIEU
Père, je remets mon
esprit entre tes mains. Le souverain
sacrificateur annonce la consommation du sacrifice
de lui-même, qu'il vient d'accomplir, et par lequel
il a vaincu la mort. Père, dit-il ! Le Fils a donc
vaincu, et il repose de nouveau sur le coeur du
Père. -Jésus crie à haute voix : De même qu'un
hérosvictorieux fond sur l'ennemi avec un cri
éclatant de triomphe, ainsi celui qui a brisé tous
les liens, terrassé avec un cri de victoire le
dernier ennemi, la mort, remet son esprit entre les
mains du Père. Et les mains de son Père, c'est le
Paradis. Ce n'est pas seulement l'âme du brigand
qu'il a attirée à lui dans ce lieu de délices, ce
sont les âmes de tous ceux qui croient en lui, et
qu'en sa qualité de médiateur et de souverain
sacrificateur, il remet avec la sienne entre les
mains du Père. C'est ce qu'il a promis à ses brebis
lorsqu'il a dit : « Je leur donne la vie éternelle,
et nul ne les ravira de ma main. Mon Père qui me les
a données est plus grand que tous, et nul ne les
ravira de la main de mon Père. Moi et mon Père nous
ne sommes qu'un. »
La dernière parole de Jésus en croix est
le bienheureux mot d'ordre de tous les croyants sur
leur lit de mort. Jésus, vie de ma vie, aide-moi à
vivre saintement ; Jésus, mort de ma mort, aide-moi
à mourir en paix ! Étienne s'était approprié cette
dernière parole de Jésus lorsque, succombant sous
les pierres que lui lançaient les Juifs, il
s'écriait : Seigneur Jésus, reçois mon esprit.
Jean Huss, en marchant au bûcher, répéta plusieurs
fois cette prière :« Je remets mon esprit entre tes
mains ; tu m'as sauvé, Seigneur Jésus, qui es le
Dieu de vérité ». (Psaume
XXXI, 6.)
Et ayant dit
cela, il baissa la tête et expira. Jésus
a traversé jusqu'au bout les épouvantements de la
mort en Gethsémané et dans les dernières heures de
ténèbres qu'il passa sur la croix. Maintenant la
lumière a de nouveau brillé dans son âme. Par un
libre amour, il a donné sa vie en sacrifice
expiatoire, afin d'arracher à notre propre mort son
aiguillon et à notre sépulcre sa victoire. La mort
n'avait aucun droit sur lui qui était parfaitement
saint. Sa mort est une rançon qu'il a payée pour
nous. Cette mort n'est pas la fin, elle est la
perfection de sa vie ; elle n'est pas la clôture,
elle est le point culminant de son histoire ; elle
n'est pas l'ombre, elle est le point lumineux de
l'Évangile. |