LA VIE DE
JÉSUS
CHAPITRE II
L'activité publique de
Jésus.
D. Activité de
Jésus en Samarie.
81. Jésus l'ami des pécheurs.
(Luc
XV.)
Comme les abeilles se réunissent sur le tilleul
en fleur, de même les pécheurs altérés de salut
s'approchent du Sauveur.
Tous les péagers et les gens de mauvaise vie
s'approchaient de lui pour l'entendre.
Mais les pharisiens et les docteurs de la loi, qui
prétendaient n'être point pécheurs, et qui
estimaient être souillés par le contact de ces gens
méprisables, murmuraient et disaient :Cet
homme reçoit les gens de mauvaise vie et mange avec
eux. Ils lui reprochent de témoigner trop
d'égards aux pécheurs et de s'abaisser lui-même par
son commerce intime avec eux. Au surplus, ils
murmurent et se moquent de tous ceux qui ont trouvé
en Jésus leur Sauveur, et qui adorent son amour pour
les plus indignes.
On ne peut cependant reprocher au soleil
de luire. C'est ce que les pharisiens doivent
apprendre des trois paraboles qui suivent : de la
parabole de labrebis égarée, de celle de la
drachme perdue et de celle de l'enfant prodigue.
Toutes les trois parlent du salut des pécheurs par
la miséricorde de Dieu. Les deux premières nous
montrent l'amour de Dieu suivant et cherchant le
pécheur ; la troisième nous apprend comment le
pécheur repentant prend et exécute la résolution de
revenir à Dieu.
La parabole de la brebis égarée dépeint
le pécheur qui peu à peu s'est éloigné de Dieu et
qui éprouve, dans cet éloignement, un vif sentiment
de sa misère et un ardent désir de salut. Celle de
la drachme perdue, au contraire, met sous nos yeux
la condition d'une âme perdue par la faute des
autres, et qui sans avoir aucune conscience de son
état, vit insensible en suivant son sens charnel.
Quel est l'homme
d'entre vous qui, ayant cent brebis, s'il en perd
une, ne laisse les quatre-vingt-dix-neuf au désert
et n'aille après celle qui est perdue, jusqu'à ce
qu'il l'ait retrouvée et qui, l'ayant trouvée ne la
prenne sur ses épaules avec joie et étant arrivé
dans la maison n'appelle ses amis et ses voisins et
ne leur dise : Réjouissez-vous avec moi, car j'ai
retrouvé ma brebis qui était perdue. Je vous dis
qu'il y aura de même plus de joie dans le ciel pour
un seul pécheur qui s'amende que pour
quatre-vingt-dix-neuf justes qui n'ont pas besoin de
repentance. La brebis ne s'est pas
éloignée du bon Berger par méchanceté. Elle a brouté
ici une branche verte, là un brin d'herbe, à un
autre endroit un épi de blé et, sans le savoir, elle
s'est trouvée tout à coup loin du berger.
C'est ainsi qu'Adam se perdit en
cueillant le fruit défendu, et c'est ce qui arrive
aujourd'hui à la plupart de ceux qui se perdent.
Qu'est-ce qui les éloigne de Dieu et les prive de sa
communion ? Pour la plupart, ce n'est pas la
perspective de quelque situation brillante, mais un
gazon desséché, la fleur flétrie de l'herbe des
champs. Le plus grand nombre des brebis sont ainsi
éloignées de Dieu parce que, ayant été baptisées
dans la mort de Christ, elles n'ont pas été nourries
intérieurement de la parole de Dieu et de la prière.
Une fois égarée, la brebis ne retrouve plus son
chemin. Privée d'armes naturelles pour se défendre
contre les animauxféroces, elle erre ça et là pleine
d'angoisses.« Nous avons tous été errants comme des
brebis. »
Heureusement pour nous, le coeur du
Berger bat pour les pauvres âmes égarées. Il laisse
là les quatre-vingt-dix-neuf qui ne sentent pas le
besoin de repentance, et cherche celle qui est
perdue. C'est ainsi que la mère surveille son enfant
malade ; elle le soigne et s'inquiète comme si elle
n'avait que celui-là et ne fait plus attention aux
autres. Jésus suit et cherche le pécheur perdu.
-Comment ? Le pécheur peut-il se cacher ? Celui qui
sait toutes choses serait-il incapable de le
découvrir ? Le Sauveur connaît parfaitement sa
demeure, et ses sombres voies ne lui sont point
voilées. Il peut donc, de sa main toute-puissante,
le saisir et le ramener. - Sans doute. Mais, de
cette manière, le coeur ne serait point changé, et
demeurerait cependant loin du Sauveur. Or, il faut
que ce coeur se donne librement.
C'est pourquoi Jésus nous suit
silencieusement dans nos misères et nous retire des
épines de la colère de Dieu. Il lui en est resté une
branche sur la tête : C'est sa couronne d'épines. Ah
! comme il a déchiré ses habits de berger ! Et
continuellement il nous cherche encore, nous
appelant par sa Parole, dans laquelle il nous montre
son amour et le danger que nous courons loin de lui.
Pour nous attirer, il vient tantôt avec la douceur,
tantôt avec la douleur, et, de sa main puissante,
force l'âme irréfléchie de s'apaiser du moins
extérieurement, afin qu'elle parvienne aussi à le
faire intérieurement.
Puis le Sauveur apporte celui
qu'il a retrouvé. Oh ! cet amour de Jésus, qui
supporte tout et espère tout ! Sans lui, personne ne
pourrait être sauvé.
Ou quelle est la
femme qui, ayant dix drachmes, si elle en perd une,
n'allume une chandelle, ne balaye la maison et ne
cherche avec soin jusqu'à ce qu'elle ait trouvé sa
drachme, et qui, l'ayant trouvée, n'appelle ses
amies et ses voisines et ne leur dise :
Réjouissez-vous avec moi, car j'ai trouvé la drachme
que j'avais perdue. Je vous dis qu'il y a, de même
de la joie devant les anges pour un seul pécheur qui
s'amende. Ici l'amour de Jésus est encore
plus évident que dans la précédente parabole, car
une femme qui, n'ayant que dixdrachmes, en perd une,
ne peut pas aussi facilement se consoler qu'un homme
qui ayant cent brebis n'en perd qu'une seule. En
réalité, la patience du berger cherchant sa brebis
ne le cède eu rien au zèle de la femme cherchant sa
drachme. Le choix de l'image d'une femme, sous
laquelle le Sauveur représente son amour pour le
pécheur, a sans doute été motivé par le désir de
communiquer à Son Église, la fiancée de l'Agneau, le
souffle de cet amour, afin qu'elle cherche, avec
zèle la drachme de son fiancé.
L'Église, en effet, étant l'assemblée de
ceux qui ont été trouvés, travaille dans l'amour de
Jésus à amener à la maison ceux qui sont encore
perdus. Elle y travaille par la Parole de Dieu
qu'elle prêche, par la verge de la loi, par la
lumière de l'Évangile ; et lorsque la Parole attaque
une conscience, alors la drachme fait entendre un
son. Que faut-il que je fasse pour être sauvée ? Ce
son pénètre jusque dans le ciel et excite des
sentiments d'allégresse parmi les anges de Dieu.
Quelle affreuse différence ! Au ciel, parmi les
anges, une joie profonde pour chaque pécheur qui
s'approche avec repentance de Jésus, et sur la
terre, parmi les pharisiens, des murmures hostiles !
Si seulement les pharisiens avaient le sentiment de
cette différence. S'ils pouvaient encore en éprouver
de la confusion !
Cependant, que personne ne se comporte
légèrement relativement à la grâce du Sauveur ! Que
nul ne dise : Puisqu'il me cherche fidèlement, il me
trouvera certainement. Il ne trouve aucune âme qui
ne le cherche pas. Le Sauveur qui cherche n'est
trouvé que par ceux qui le cherchent. C'est
pourquoi, dans la parabole de l'enfant prodigue,
Jésus nous montre le coeur du pécheur, après nous
avoir montré le coeur de Dieu dans celles de la
brebis et de la drachme perdues.
Un homme avait
deux fils, dont le plus jeune dit à son père : Mon
père, donne-moi la part de bien qui me doit échoir.
Ainsi le père leur partagea son bien.
C'est le premier pas vers sa perte, lorsque le coeur
de l'homme désire être indépendant de Dieu et vivre
sans lui, lorsqu'il refuse de l'écouter et veut être
son propre maître. C'est là l'essence du paganisme.
On pourrait penser que le père, dans notre parabole,
suivant les principes d'une bonne éducation, aurait
dû opposer un refus à la demande de ce fils léger et
amateur de liberté, car il pouvait bien prévoir que
ce malheureux jeune homme gaspillerait son bien et
se perdrait lui-même. Cette demande indigne d'un
fils méritait précisément une sévère punition.
En parlant ainsi, on oublie qu'il
importait avant tout au père que ses enfants lui
fussent attachés, et que le coeur du plus jeune
s'était durement éloigné de lui. Si le père avait
soumis son fils à une sévère discipline et eût ainsi
sauvé son bien, les sentiments du jeune homme à
l'égard de l'auteur de ses jours n'eussent pas
changé. Il fût resté froid, aigri, sombre comme
auparavant ; c'est pourquoi le père s'expose à un
danger, ce que fait aussi le Père qui est au ciel.
Il sacrifie son bien, et même en apparence son fils,
mais il espère que peu à peu le coeur de ce fils
redeviendra un coeur d'enfant et ne restera pas
endurci pour toujours.
C'est ainsi que Dieu permet à celui qui
veut l'abandonner de s'éloigner de lui. Même dans
cette voie qui conduit l'homme loin de lui, Dieu lui
laisse une partie de ses biens. Et de fait, les
hommes étrangers à Dieu jouissent des biens de ce
monde hors de la maison de leur Père, tout autant et
même parfois beaucoup plus que ceux qui y sont
restés. Toutefois, dans ces conditions, ces biens ne
peuvent pas les rendre heureux. Et à la fin l'enfant
prodigue les dissipe et tombe dans le dénûment. Que
de biens donnés par le Père céleste sont ainsi
perdus loin de lui ! biens parmi lesquels ou peut
citer la naïveté de la foi, la confiance en Dieu,
l'habitude de la prière, l'attachement aux choses
invisibles, auxquels il faut joindre la pureté du
coeur et de la vie, la paix inférieure, le bonheur
domestique, la bonne réputation, le bien-être en
général. Quels riches capitaux ont été engloutis de
cette manière !
Le Père céleste sait tout cela d'avance,
et cependant il laisse ses enfants indociles marcher
dans leurs propres voies, espérant que le sentiment
filial comprimé pour le moment, finira par reprendre
le dessus. Cet espoir du Père céleste éclaircit pour
nous ce que nous ne comprenons que difficilement :
la raison pour laquelle Dieu, malgré sa
toute-puissance, laisse le péché se développer sur
la terre avec toutes ses suites corruptibles et
lamentables, et a permis que cette terre, qui devait
être un jardin dedélices, soit devenue une vallée de
misères et de larmes, par suite du péché de l'homme.
Il attend de pouvoir nous faire grâce, et dans son
ardent amour, il épie le moment où la jouissance
d'une existence passée loin de lui ayant été
savourée jusqu'à la lie, le coeur filial se
réveillera dans l'enfant prodigue.
Et peu de temps
après le plus jeune fils, ayant tout amassé, s'en
alla dans un pays éloigné et y dissipa son bien en
vivant dans la débauche. Loin de Dieu,
l'héritage paternel est bientôt dévoré. La
convoitise de la chair, la convoitise des yeux et
l'orgueil de la vie rongent ce patrimoine. Les
divines maximes et les cantiques sacrés sont bientôt
oubliés. La réserve et la morale sont tournées en
ridicule, et la pudeur a disparu.
Après qu'il eut tout dépensé,
il survint une grande famine dans ce pays-là, et il
commença à être dans l'indigence. Le
coeur séparé de Dieu ne peut être apaisé. Il
recherche du repos et n'en trouve point. Sans Dieu,
il ne saurait goûter une complète satisfaction dans
les jouissances du monde. Dans la maison paternelle,
l'enfant sait que, dans la plus sombre nuit de
l'affliction, même pendant les déchaînements de la
tempête et les éclats de la foudre, il est« dans la
retraite secrète du souverain et logé à l'ombre du
Tout-puissant. »
Mais lorsque, loin de Dieu, l'inexorable
nécessité frappe à sa porte ; lorsqu'il aurait
besoin d'un bâton et d'une houlette pour traverser
la vallée de l'ombre de la mort, et qu'en même temps
il a perdu la foi au Dieu vivant dont il s'est
moqué, alors c'est l'indigence. Puis vient le
messager de Dieu, la conscience, qui rappelle les
fautes passées. Les pensées s'accusent les unes les
autres et cherchent vainement à s'excuser. Et du
fond de cet abîme, s'élève une voix qui dit : Tes
péchés sont trop grands pour pouvoir être pardonnés,
et la foi naïve au Sauveur qui les a portés en son
corps sur le bois, est depuis longtemps dissipée.
Alors c'est l'indigence. Privée de paix et dévorée
d'angoisses, l'âme soupire après le secours. Mais
d'où peut-il venir ? Un profond abîme creusé par ses
péchés la sépare de la maison paternelle. Alors
c'est l'indigence.
Alors il s'en
alla et se mit au service d'un des habitants de ce
pays-là, qui l'envoya dans ses possessions pour
garder les pourceaux. Et il eût bien voulu se
rassasier des carouges que les pourceauxmangeaient ;
mais personne ne lui en donnait. Les
rêves des jouissances à savourer dans la liberté ont
disparu. Le coeur humain ne saurait demeurer sans
maître. Lorsqu'il s'est éloigné de Dieu, il devient
esclave du péché. On a secoué la douce et paternelle
autorité de Dieu, et l'on est tombé sous le joug
pesant de la servitude humaine.
Étant donc
rentré en lui-même, il dit : Combien y a-t-il de
gens au service de mon père, qui ont du pain en
abondance, et moi je meurs de faim ! Je me lèverai
et je m'en irai vers mon père, et je lui dirai : Mon
père, j'ai péché contre le ciel et contre toi, et je
ne suis plus digne d'être appelé ton fils ;
traite-moi comme l'un de tes serviteurs.
C'est le moment que le père attendait avec un ardent
espoir. Le coeur filial commence de nouveau à
parler. L'illusion de l'indépendance est dissipée.
Les images trompeuses, aperçues en rêve, se sont
évanouies. Le jeune homme reprend ses sens.« Celui
qui agit selon la vérité vient à la lumière. » La
vérité ici, c'est qu'il est perdu, et il en accepte
toute l'amertume. Voilà pourquoi il vient à la
lumière. Il se souvient qu'il a un père qu'il a sans
doute gravement offensé, mais qui ne peut avoir
renié son coeur de père. Maintenant la confession de
sa faute lui est facile, et l'humiliation naît
d'elle-même.
« J'aime mieux me tenir à la porte dans
la maison de mon Dieu, que de demeurer dans les
tentes des méchants »(Ps.
LXXXIV, 10). Lorsqu'on apprend à dire avec
l'échanson de Pharaon : « Je me souviens aujourd'hui
de mes fautes », lorsqu'on a retiré du rayon le
livre de cantiques, et la vieille Bible couverte de
poussière du coin où elle était enfouie, lorsqu'on
se remet à la lire en silence, les mains jointes, et
que des larmes coulent le long, des joues et tombent
sur le saint livre, alors le fils a retrouvé le
coeur paternel, riche au delà de tout ce qu'on peut
demander et penser. Sans doute les résolutions ne
sont pas encore des actes, de même que les fleurs ne
sont pas encore des fruits. Mais l'enfant prodigue
n'en resta pas aux vains projets. Il se leva et vint
vers son père.
Et comme il
était encore loin, son père le vit et fût touché de
compassion, et courant au-devant de lui, il se jeta
à son cou et le baisa. Et le fils lui dit : Mon
père, j'ai péché contre le ciel et contre loi et je
ne suis plus digne d'être appelé ton fils.
Celui qui nous permet de jeter un regard si profond
dans le coeur du Père céleste, c'est le Fils du Père
éternel. C'est pourquoi nous sentons si
distinctement dans ces paroles le coeur du Dieu
d'amour.
Mais le père dit
aux serviteurs : Apportez la plus belle robe et l'en
revêtez, et mettez-lui des souliers aux pieds et un
anneau ou doigt et amenez le veau gras et le tuez ;
mangeons et réjouissons-nous, parce que mon fils que
voici était mort et il est revenu à la vie ; il
était perdu et il est retrouvé. Et ils commencèrent
à se réjouir. Quel autre que le Fils
unique eût pu nous montrer aussi fidèlement le coeur
du Père céleste, son ardent désir de recevoir ses
fils perdus, son débordant amour, son magnanime
oubli de leurs fautes, sa joie d'avoir retrouvé ses
enfants, joie que rien ne peut plus troubler ?
Ils sont là devant lui, ces enfants
prodigues retrouvés. Et les pharisiens estiment
qu'il devrait avoir honte de frayer avec de telles
gens ! Mais le Sauveur tressaille de joie, et il est
si heureux en voyant ces enfants perdus revenus dans
la maison paternelle, qu'il voudrait se jeter à leur
cou et les baiser.
Les pharisiens ne voient que la vie
passée de ces péagers et de ces gens de mauvaise
vie, et ils n'ont aucune idée du motif qui remplit
d'une telle joie le coeur du Sauveur. Aussi va-t-il
leur présenter le fils aîné comme un miroir :
peut-être s'y reconnaîtront-ils eux-mêmes. Il
revenait des champs. Ayant entendu le bruit des
chants et des danses, il apprit d'un serviteur ce
qui était arrivé.
Alors il se mit en colère et refusa de
prendre part à la joie de son frère. Son père sortit
et le pria d'entrer ; mais il se plaignit de ce
qu'après l'avoir servi pendant tant d'années sans
avoir jamais contrevenu à son commandement, il n'ait
pas même reçu de lui un chevreau pour se réjouir
avec ses amis. Mais le père lui dit :
Mon fils, tu es toujours avec
moi et tout ce que j'ai est à toi. Mais ne
fallait-il pas bien faire un festin et se réjouir,
parce que ton frère que voilà était mort et qu'il
est revenu à la vie, il était perdu et il est
retrouvé ?
Le fils aîné était toujours demeuré
extérieurement avec son père, mais il n'avait pas un
coeur filial. C'est pourquoi son obéissance ne lui
avait procuré aucune joie, et il n'avait recueilli
de son service que des peines, quoique tous les
biens de son père luiappartinssent. De même en ce
moment, il n'a aucun amour pour son père, bien que
celui-ci l'invite et l'engage si cordialement à
prendre part à ce festin. C'est aussi de celle
manière que les pharisiens restent dehors en
murmurant, bien que le Sauveur, qui reçoit d'une
main les péagers et les gens de mauvaise vie, leur
tende cordialement l'autre main.
Mais on ne saurait méconnaître qu'en
proposant cette parabole, le Sauveur n'ait eu une
arrière-pensée. On reconnaît aisément, dans le plus
jeune des fils, les Samaritains et les païens qui
ont été amenés à la maison spirituelle du Père,
taudis que le fils aîné représente les Juifs, qui
ont toujours été dans la maison paternelle, mais qui
n'avaient pas des coeurs d'enfants. Évidemment cette
parabole devait être pour les disciples un indice
que plus tard ils eussent à recevoir cordialement le
monde païen dans l'Église chrétienne.
.
82. L'économe infidèle.
(Luc
XVI, 1-12.)
Dans cette parabole, Jésus montre quel usage on
doit faire des biens de la terre pour les employer
conformément aux intentions de Dieu. Cet
enseignement s'adresse particulièrement aux
disciples. Un homme riche
avait un économe qui fut accusé devant lui de
dissiper son bien. C'est aussi une espèce
d'enfant prodigue, qui se figurait être son propre
maître et oubliait qu'il n'était pas le
propriétaire, mais seulement l'administrateur des
biens qui étaient entre ses mains.
Combien les chrétiens oublient facilement
qu'ils ne sont que les administrateurs des biens que
Dieu leur a confiés, afin qu'ils en fassent un usage
conforme à sa volonté ! Nous prétendons être les
propriétaires de nos biens, et au point de vue
humain nous avons raison, puisque nul n'a le droit
d'y prétendre ; mais, devant Dieu, nous ne sommes
pas des propriétaires, qui peuvent disposer de leur
avoir comme bon leur semble ; nous sommes des
économes chargés d'administrer ces biens seulement
pour quelque temps, et qui doivent ensuite les
restituer. Quiconque en use selon son bonplaisir,
pour son propre profit, dans le seul intérêt, de son
bien-être, et non selon la volonté de Dieu, est un
économe infidèle.
C'est un des traits fondamentaux de
l'esprit qui règne aujourd'hui, de ne parler que des
droits qu'on a sur les biens dont on jouit, et de
passer sous silence les devoirs que Dieu impose par
le don de ces biens. On regarde seulement à ce qu'on
possède et l'on est froid, indifférent en face des
misères et des souffrances des autres. On proclame,
avec une assurance qui touche à l'effronterie, que
l'égoïsme doit être le régulateur des rapports des
hommes entre eux. On dissipe sans le moindre
scrupule de grandes richesses, et l'on se vante de
celle conduite en disant : « J'ai les moyens de
m'accorder cela. » Vivre et laisser vivre, telle est
la maxime de l'économe infidèle.
Et l'ayant fait
venir, il lui dit : qu'est-ce que j'entends dire de
toi ? Rends compte de ton administration ; car tu ne
pourras plus désormais administrer mon bien.
Dieu nous somme aussi de rendre compte, lorsqu'il
nous rappelle à lui et nous fait comparaître en
jugement. Alors nous aurons à rendre compte, non
seulement de chaque parole inutile que nous aurons
prononcée, mais aussi de chaque pièce de monnaie que
nous aurons dépensée contrairement à la volonté de
Dieu. Or, s'il est tellement important d'employer
les biens qu'on a reçus de Dieu d'une manière
conforme à ses intentions, il faut que chacun pense
sérieusement à l'heure où il devra rendre compte.
Alors cet
économe dit en lui-même : que ferai-je, puisque mon
maître m'ôte l'administration de son bien ? Je ne
saurais travailler la terre et j'aurais honte de
mendier. Je sais ce que je ferai, afin que, quand on
m'aura ôté mon administration, il y ait des gens qui
me reçoivent dans leur maison. Cet homme
ne songe ni à confesser sa faute ni à s'excuser. Et
la fraude dont il a usé envers son maître ne lui
cause aucune espèce de souci. Que ferai-je lorsque
j'aurai perdu mon emploi : voilà sa seule
inquiétude. Travailler à la sueur de son front,
serait assurément un honorable moyen de gagner sa
vie ; mais cela ne lui convient pas : ce pain serait
trop amer. Mendier serait honteux et probablement
insuffisant. Il a une heureuse idée. Il emploiera le
temps qui lui reste, à faire une brècheencore plus
grande dans la fortune de son maître. De quelle
manière ? Il n'est pas embarrassé. Il fait venir
tous les débiteurs de son maître, rend à chacun
d'eux son billet, le lui fait changer en réduisant
considérablement sa dette, de manière que ce
débiteur soit son obligé. À l'un, il remet cinquante
mesures d'huile, à un autre vingt mesures de
froment, et à tous les autres en proportion.
Et le maître
loua cet économe infidèle de ce qu'il avait agi
prudemment. Quel maître loue ainsi cet
administrateur ! Ce n'est assurément pas Jésus ;
c'est le maître de l'économe infidèle ; et il le
loue non d'avoir été infidèle, mais d'avoir agi
prudemment. C'est comme s'il avait dit : Bon ! Je me
suis encore laissé duper au dernier moment par ce
rusé compère ! Il faut comprendre cette louange
comme si un maître qui chasse son domestique parce
qu'il l'a volé, écrivait dans son certificat : Si ce
domestique déploie autant, de zèle et d'habileté à
servir ses nouveaux maîtres qu'il en a déployé chez
moi dans son propre intérêt, ce sera son domestique.
hors ligne.
Le Seigneur Jésus ajoute à cette histoire
l'observation suivante :Les
enfants de ce siècle sont plus prudents dans leur
génération que les enfants de lumière.
Les enfants de ce siècle sont extrêmement prudents,
circonspects, zélés à leur manière dans leurs
affaires matérielles, et dans la poursuite de leurs
entreprises terrestres en vue d'acquérir des biens
de ce monde ; tandis que dans leurs affaires
célestes, en vue d'acquérir les biens éternels, les
croyants sont loin de montrer autant de prudence, de
zèle circonspect.
Et moi je vous
dis aussi : Faites-vous des amis avec les richesses
injustes, afin que, quand elles viendront à vous
manquer, ils vous reçoivent dans les tabernacles
éternels. Le Seigneur appelle injustes
non seulement les richesses acquises injustement,
mais toute espèce de richesse. Et nous partagerons
sa manière de voir, si nous nous représentons toutes
les mauvaises dispositions que Mammon fait naître
dans les hommes : la dureté de l'avare, l'orgueil du
riche, l'envie du pauvre, les parjures, les
assassinats, la passion du jeu, les suicides.
Il faut que nous usions des biens
terrestres de manière à pouvoir en remporter une
bénédiction dans l'éternité, lorsqu'ils nousseront
ôtés, c'est-à-dire, lorsque nous serons obligés de
les abandonner. Cela nous arrivera si nous imitons
l'économe infidèle, c'est-à-dire si nous usons des
biens dont notre Maître nous a confié
l'administration de manière à nous faire des amis
qui nous reçoivent dans les tabernacles éternels ;
si au lieu de prétendre que ces biens nous
appartiennent, nous les offrons à Christ et à ses
membres, si nous lui donnons à manger, à boire, si
nous le vêtons et prenons soin de lui dans la
personne de ceux qui croient en lui.
Lorsque nous entrerons dans l'éternité,
et que les croyants seront devenus, comme membres du
corps de Christ, les juges du monde (I
Cor. VI, 2), alors le Seigneur dira à ceux qui
auront fait du bien aux siens : « Possédez en
héritage le royaume des cieux, car j'ai eu faim et
vous m'avez donné à manger, j'ai eu soif et vous
m'avez donné à boire, j'étais étranger et vous
m'avez recueilli, j'étais nu et vous m'avez vêtu. En
considération de ceux dont, au moyen de l'injuste
Mammon, nous nous serons fait des amis, Christ nous
recevra dans les tabernacles éternels. »
Quesnel donne aux membres pauvres
du corps de Christ le beau titre d'héritiers
présomptifs du ciel, qui se trouvent dans
l'indigence. Heureux ceux qui s'en font des amis ! »
À coup sûr, le Sauveur ne veut pas dire
que nous méritions l'entrée aux tabernacles éternels
par nos oeuvres de charité. Nous ne sommes sauvés
que par la libre grâce de Dieu en Christ, mais si la
foi est de bon aloi, elle porte nécessairement les
fruits d'un amour reconnaissant. Si nous demandons
comment nous avons servi Jésus par nos oeuvres de
charité, il nous renvoie à ses membres et nous dit :
« Tout ce que vous avez fait au plus petit d'entre
mes frères, vous me l'avez fait à moi-même. » Sans
doute ces oeuvres ne nous méritent pas le ciel, mais
elles témoignent de notre foi au moyen de laquelle
nous nous sommes approprié la libre grâce de Dieu.
Le Sauveur n'avait pas à craindre d'être mal
compris, puisqu'il parlait à ses disciples, aux
enfants de lumière, qui avaient déjà été éclairés
par le don du salut. Il leur manquait seulement
d'être bien instruits dans l'usage des biens
temporels.
Le missionnaire Chapman se rendit un jour
auprès du lit d'un nègre moribond, pour lui parler
des choses de Dieu. Remarquant que le mourant était
extrêmement joyeux, il lui demanda s'il espérait
guérir. «Oh ! non, répondit le nègre ; je vais vers
Jésus et je me réjouis de le voir. Lorsque
j'arriverai au ciel, j'ira! vers lui et je lui
baiserai les mains et les pieds en reconnaissance de
ce qu'il est mort aussi pour moi sur la croix et m'a
sauvé. Ensuite je reviendrai et je m'assiérai à la
porte du ciel et je l'attendrai. Et quand tu
arriveras, je te prendrai par la main, je te
conduirai à lui et je lui dirai : Cher Sauveur,
voilà l'homme qui m'a amené à toi, reçois-le,
sauve-le. »C'est probablement ainsi que Jésus veut
que nous comprenions notre réception dans les
tabernacles éternels. |