LA VIE DE
JÉSUS
CHAPITRE II
L'activité publique de
Jésus.
B. L'activité de
Jésus en Galilée.
50. Jésus marche sur la mer.
(Matth.
XIV, 24-36 ;Marc
VI, 47-56 ;Jean
VI, 19.)
Les disciples voguaient vers Capernaüm.Et
la barque était déjà au milieu de la mer, battue des
flots, car le vent était contraire. Ils
sont sur la mer, aux prises avec la violence des
éléments ; mais Jésus prie pour eux sur la montagne,
et protégés par cette prière, ils ne courent aucun
danger. Saint Marc rapporte que Jésus vit qu'ils
avaient beaucoup de peine à ramer. Il se donne à
connaître ici comme celui-là même qui avait dit
autrefois :« J'ai très bien vu l'affliction de mon
peuple qui est en Égypte (Ex.
III, 7) ». Le fait que Jésus, dans son
tout-puissant amour, voit, du haut de sa montagne,
les besoins des siens qui sont sur la terre, a été
de tout temps la plus douce consolation de l'Eglise.
Et à la
quatrième veille de la nuit, Jésus alla vers eux en
marchant sur la mer, et les disciples le voyant
marcher sur la mer, furent troublés et ils dirent :
C'est un fantôme, et de la frayeur qu'ils eurent,
ils s'écrièrent. Mais aussitôt Jésus leur
dit : Rassurez-vous, c'est moi ; n'ayez point de
peur. Jésus sait trouver ses disciples même dans les
ténèbres de la nuit. Il marche sur la mer !
L'élément liquide reconnaît en lui son Seigneur et
son Maître, et se met volontairement à son service.
Les disciples sont effrayés ; ils le
prennent pour un fantôme, et jettent des cris. Ce
qui devait les rassurer, leur cause une plus grande
frayeur, parce qu'ils ne voient pas Jésus des yeux
de la foi. Lorsque Dieu choisit des voies
extraordinaires pour venir en aide à ses enfants,
les croyants eux-mêmes s'effrayent souvent aussi et
craignent de nouvelles afflictions. Cependant, il
n'y a là que la main secourable du Dieu dont la
fidélité atteint jusqu'aux nues. La présence
gracieuse de Jésus est notre puissante consolation
dans tous nos besoins corporels et spirituels. Nous
sourions lorsqu'un enfant vient à nous dans les
ténèbres, et à notre question :
« Qui va là ? » répond :« C'est moi, »
sans se nommer, parce qu'il croit que tout le monde
doit connaître sa petite personne. Mais lorsque le
Sauveur, invoqué par les âmes angoissées, leur dit
:« C'est moi, » alors ce secourable et compatissant«
moi » apporte la consolation et chasse toutes leurs
frayeurs.
Une fois déjà, le Sauveur avait manifesté
sa puissance sur la mer en apaisant la tempête (Matth.
VIII, 24). Par ce premier miracle-là, Christ
veut montrer aux siens qu'il laisse, à la vérité, la
tentation venir à eux, qu'il semble dormir, parce
qu'il voile son secours. Mais quand la faible foi
s'imagine voir l'abîme béant devant elle, quand
l'espérance semble être une insigne folie, alors le
Seigneur vient subitement au secours de l'âme
angoissée. Il ne se montre pas moins glorieux dans
la circonstance présente. Il s'éloigne de ses
disciples qui voguent sur la mer agitée de ce monde
et sont menacés par les tempêtes des tentations
extérieures et intérieures. Il se fait attendre
longtemps. Enfin il s'approche des siens, qui ne le
reconnaissent peut-être pas d'abord, et
immédiatement tout danger disparaît. Il se montre
même plus propice encore que dans la tempête
précédente. Alors il était présent dans la barque ;
maintenant il est absent ; il est sur la montagne et
prie. Là il faisait jour ; ici la sombre nuit
augmente la frayeur et le danger. Et cependant sa
main toute-puissante protège efficacement les siens.
Lorsque la voie du Seigneur est dans
la mer et son pied parmi les grandes eaux, que ton
coeur ne défaille point. Tiens ton oreille ouverte
pour entendre celle parole de délivrance : « C'est
moi ! » Elle ne te fera pas défaut.
Et lorsque l'Eglise ce frêle navire de
Christ, souffre sur la mer du monde, lorsque les
hommes se déchaînent contre lui, lorsqu'il semble
que les vagues vont le submerger et l'abîme
l'engloutir, lorsque les fleuves élèvent leurs
flots, que les ondes s'agitent et font un grand
bruit, alors ouvre les yeux de la foi et regarde :
Le Seigneur est plus grand que toute cette agitation
; il la domine. Il tient sous ses pieds les flots en
courroux. Il faut qu'ils annoncent sa gloire, qu'ils
proclament que les siens sont cependant heureux, et
que le monde fasse même en tremblant l'expérience
que« Jésus est le même hier, aujourd'hui et le sera
éternellement. »
Et Pierre
répondant lui dit : Seigneur, si c'est toi, ordonne
que j'aille vers toi en marchant sur les eaux. Jésus
lui dit : Viens. Et Pierre, étant descendu de la
barque, marcha sur les eaux pour aller à Jésus.
Pressé par un ardent désir, Pierre ne peut pas
attendre que Jésus soit monté près d'eux, dans la
barque. Il lui demande la permission de le rejoindre
par une marche miraculeuse semblable à celle de son
Maître. Et la parole du Seigneur est pour lui un
pont solide ; mais quand il est sur la mer, quand il
a franchi les limites de l'expérience et de la force
humaines et se trouve réduit au seul domaine de la
foi, alors seulement il est saisi par le sentiment
de sa faiblesse.
Mais voyant que
le vent était fort, il eut peur, et comme il
commençait à enfoncer, il s'écria et dit : Seigneur,
sauve-moi. Et incontinent Jésus lui tendit la main
et le prit en lui disant : Homme de peu de foi,
pourquoi as-tu douté ?Pierre avait cessé
de regarder à Jésus pour ne plus voir que le danger
et cette vue le remplit d'angoisses. Il avait quitté
le solide terrain de la foi pour se poser sur le sol
mouvant des forces naturelles, il ne pouvait donc
manquer d'enfoncer. Heureusement pour lui, il avait
à ses côtés la personne secourable du Sauveur qui
lui tendit la main. Pierre n'est plus ici le rocher
de la foi, mais un faible enfant qui appelle au
secours, et qui peut encore être délivré par la
puissance de la grâce. Heureux sommes-nous de ce que
la main d'un libérateur éternellement fidèle et qui
aide glorieusement les misérables, n'est point
raccourcie, mais peut toujours délivrer ceux qui
crient à lui dans leur détresse !Et
quand ils furent entrés dans la barque, le vent
cessa. Alors ceux qui étaient dans la barque vinrent
et l'adorèrent en disant : Tu es véritablement le
Fils de Dieu.
Si les disciples avaient pu se
scandaliser de ce que Jésus s'était soustrait aux
poursuites d'Hérode, l'expérience de cette grande
journée : la nourriture miraculeusement distribuée
aux cinq mille hommes, la marche sur la mer avaient
dû les convaincre que cette fuite n'était due ni à
la crainte ni à la faiblesse. Ces expériences
étaient de nature à fortifier la foi de ceux qui
étaient dans la barque. Ils avaient vu la gloire de
Jésus et l'avaient adoré. Et en effet, cette gloire
divine du Sauveur ne pouvait guère se montrer plus
éclatante que par cetapaisement de la tempête et par
son entrée dans la barque. Sans Jésus, elle eût été
bien impuissante à résister aux vents et aux flots.
Mais dès que Jésus y est entré, elle s'affermit, et
ceux qui s'y trouvent sont délivrés (Ps.
XLVI, 2-4).
Et ayant
passé le lac, ils vinrent dans le pays de
Génésareth. Quand les gens de ce lieu-là l'eurent
reconnu, ils envoyèrent par toute la contrée
d'alentour, et ils lui présentèrent tous les malades
; ils le priaient qu'ils pussent seulement toucher
le bord de son vêtement, et tous ceux qui le
touchèrent furent guéris.
.
51. Jésus enseigne dans la synagogue de Capernaüm.
(Jean
VI, 27-71.)
Une partie du peuple ayant remarqué que Jésus
n'était pas entré avec ses disciples dans l'unique
barque qui se trouvait là, prit le parti de
l'attendre, dans l'espoir de le voir revenir. Mais
comme le lendemain il n'était pas de retour, et que
ses disciples n'étaient pas venus le chercher avec
des barques de Tibériade, ils montèrent dans la
seule barque amarrée au rivage, pour se rendre à
Capernaüm, afin d'en ramener Jésus. La majeure
partie de la foule, sur l'indication de Jésus,
s'était dispersée dans les villages environnants.
Ceux qui étaient restés sur le bord du lac n'étaient
pas disposés à se soumettre à sa parole. C'étaient
en général ceux qui avaient été le moins touchés
intérieurement, et qui avaient eu l'idée de le faire
roi contre sa volonté. C'est à cette troupe animée
de sentiments terrestres, que le Sauveur s'adresse
maintenant. La grande majorité de ceux qui avaient
été témoins de la multiplication des pains, était
probablement tout autrement disposée, et se trouvait
en état de comprendre la signification du miracle.
Autrement le Seigneur aurait manifesté sa gloire
sans trouver un seul coeur croyant, et,
contrairement à sa propre défense, il aurait jeté
ses perles devant les pourceaux.
Ceux qui cherchaient Jésus, l'ayant
trouvé dans la synagogue de Capernaüm, lui dirent :
Maître, quand es-tu arrivé
ici ? Ils espéraient que le Seigneur
ferait un nouveau miracle semblable à celuidont ils
venaient d'être témoins. Si Jésus avait répondu à
leur attente, il les aurait confirmés dans leurs
idées charnelles. Ils auraient pensé que l'homme qui
peut commander à la mer, peut aussi dominer les
flots populaires. Ce doit être un roi qui ne
laissera jamais ses sujets manquer de nourriture.
Pour ne pas fournir un aliment à cette espérance
terrestre, Jésus ne leur fait pas de réponse ; mais
il cherche si, dans ces préoccupations matérielles,
il n'y aurait pas quelque vestige de besoin
spirituel, et dans ce but il leur explique la
signification du miracle de la veille. Il leur
enseigne qu'il est lui-même le pain de vie qui donne
la vie au monde. Et d'abord il les rend attentifs à
leurs propres dispositions.En
vérité, en vérité, je vous le dis : Vous me
cherchez, non parce que vous avez vu des miracles,
mais parce que vous avez mangé des pains et que vous
avez été rassasiés. Les miracles que
Jésus opérait dans le monde visible étaient des
signes destinés à diriger les esprits vers les biens
invisibles et célestes, qu'Il offrait aux coeurs
croyants ; tandis que les Juifs regardaient les
miracles de Jésus comme les arrhes d'un règne futur,
plein de gloire terrestre et de jouissances
charnelles.
Il y a beaucoup de chrétiens qui pensent
comme eux. Bien-être temporel, secours terrestres,
voilà ce que la plupart cherchent auprès du Christ.
Aussi longtemps que ces biens leur sont accordés,
ils lui demeurent attachés. Viennent-ils à leur
manquer, aussitôt ces étranges disciples se
scandalisent et abandonnent leur Maître. Le Seigneur
vent faire tomber un rayon de sa lumière dans cette
obscurité, afin de voir s'il ne découvrira pas
quelque soupir après le salut éternel.
Travaillez non pour avoir la
nourriture qui périt, mais celle qui demeure jusqu'à
la vie éternelle, et que le Fils de l'homme vous
donnera, car Dieu l'a marqué de son sceau.
Il est impossible que la nourriture qui périt, donne
la vie éternelle, car cette vie, la seule digne du
nom de vie, est celle qui dure éternellement. Or,
les efforts de la plupart des hommes ne tendent qu'à
obtenir la nourriture qui périt, comme si l'homme
n'était créé que pour ce monde visible.
Ces discours de Jésus sur la nourriture
qui demeure jusqu'à lavie éternelle, rappellent
étonnamment l'entretien qu'il eut avec la
Samaritaine près du puits de Jacob. De même que là,
il se donne comme l'eau qui jaillit jusqu'à la vie
éternelle, de même il se présente comme la
nourriture qui demeure jusqu'à la vie éternelle.
Toutefois, lorsque le Sauveur recommande
de travailler pour avoir cette nourriture, il ne
veut pas dire que nous devions nous la procurer
nous-mêmes. Il est Lui-même la nourriture qu'il nous
offre afin que nous en jouissions. Lorsqu'il parle
de travail, il veut prévenir un malentendu qui
consisterait à faire de la foi, - dont il est
question au v.
29 - un oreiller de sécurité pour la commodité
de la chair. La foi exige les plus grands efforts
moraux dont l'homme soit capable ; et quiconque
s'endormirait paresseusement, n'arriverait jamais à
une foi vivante. On craint le sérieux de la
repentance, sans laquelle aucune véritable foi n'est
possible ; on craint l'effort qui est obligatoire
pour concentrer sur la seule chose nécessaire ses
pensées errantes pour se plonger dans la communion
du Dieu vivant. Or, partout l'Écriture, bien loin de
représenter la foi comme une douce oisiveté, en
parle au contraire comme d'une vie active et se
manifestant par une obéissance pleine d'amour. Et
l'exhortation de saint Paul aux Philippiens :«
Travaillez à votre salut avec crainte et tremblement
»(Phil.
II.12) concorde parfaitement avec ce
commandement du Sauveur :
Travaillez pour avoir la nourriture qui demeure
éternellement.
Afin que personne ne pense pouvoir se
procurer cette nourriture par ses propres forces, le
Seigneur ajoute que le Fils de l'homme la leur
donnera. Cette nourriture qui demeure jusqu'à la
vie éternelle, est un don de la grâce du Fils de
l'homme, du Seigneur du ciel, qui est apparu comme
un serviteur, et qui, par sa mort et sa
résurrection, la met à la portée des hommes. Il est
prêt à la donner immédiatement à ceux qui viennent à
lui en se repentant et en croyant. Car le Père
l'a marqué de son sceau. Par les oeuvres qu'il a
faites, Jésus a été scellé par le Père, c'est-à-dire
marqué et préparé comme celui qui pouvait donner la
vie éternelle au monde.
Alors ils lui
dirent : Que ferons-nous pour faire les oeuvres de
Dieu ? Les Juifs veulent savoir ce que
Jésus entend partravailler, et quelle oeuvre
agréable à Dieu ils pouvaient faire pour obtenirla
vie éternelle. Jésus leur répond :
C'est ici l'oeuvre de Dieu que
vous croyiez à celui qu'il a envoyé. La
foi, telle est l'oeuvre qu'ils doivent accomplir
pour plaire à Dieu. Et c'est aussi l'oeuvre que Dieu
opère en nous. Mais qu'elle était grande pour les
Juifs ! Il fallait qu'ilsrompissent avec la vaine
manière de vivre qu'ils avaient apprise de leurs
pères(1
Pierre I, 18), avec leurs espérances
messianiques terrestres, avec l'influence qu'ils
exerçaient sur le peuple et qui alors déjà revêtait
un caractère d'hostilité marquée à l'égard de Jésus,
avec l'opinion publique, avec la recherche de. la
gloire qu'ils aimaient à recevoir les uns des autres
(Jean
V, 44). Croire en Christ, c'était pour eux l'oeuvre
des oeuvres. C'était renoncer à tout ce à quoi ils
étaient attachés : faveurs du peuple et joies de la
famille. Les pharisiens étaient convaincus qu'ils
accomplissaient les oeuvres les plus capables de
leur mériter la vie éternelle. Et cependant toutes
ces oeuvres étaient bien loin d'être aussi
difficiles que celle que le Sauveur leur prescrit :
croire en lui.
Alors ils lui
dirent : Quel miracle fais-tu donc afin que nous le
voyions et que nous croyions en toi ? Quelle oeuvre
fais-tu ? Nos pères ont mangé la manne au désert,
selon qu'il est écrit : Il leur a donné à manger le
pain du ciel. Telle fut la réponse
ironique des Juifs à l'exhortation de Jésus :«
Travaillez pour avoir la nourriture qui demeure
jusqu'à la vie éternelle. » Ils retournent la pointe
contre lui et lui adressent cette question : «
Quelle oeuvre fais-tu ? » Ils ont un pressentiment
de la gravité de la parole par laquelle le Seigneur
les met en demeure de croire en lui. Ils pensent
qu'il n'est pas suffisamment légitimé comme Messie,
pour avoir le droit de montrer une pareille
exigence. Cet homme demande plus que Moïse et il
donne moins que lui. Le pain terrestre qu'il leur a
procuré une seule fois leur parait peu de chose en
comparaison de ce pain du ciel, dont Dieu avait
nourri leurs pères pendant quarante ans au désert.
Ils exigent de Jésus qu'il surpasse le miracle de la
manne, et dans leur prétendue finesse, ils veulent
le ramener insensiblement à l'événement de la veille
afin de lui faire comprendre quel Messie ils
souhaitent, savoir un Messie qui leur donne le pain
du corps, sans se préoccuper de « la vie éternelle
».
Jésus part du passage de l'Écriture
qu'ils viennent de citer,pour leur expliquer ce
qu'est le vrai pain de vie, en le comparant avec la
manne. Ils demandent le pain du ciel, et voici, le
vrai pain du ciel, qui donne la vie au monde, se
trouve déjà au milieu d'eux.
Et Jésus leur dit : En vérité,
en vérité, je vous le dis : Moïse ne vous a point
donné le pain du ciel ; mais mon Père vous donne le
vrai pain du ciel. Ce n'est pas Moïse qui
a donné le pain du ciel dans le désert, c'est Dieu.
La manne du désert était une nourriture périssable
qui alimentait seulement le corps. Ce n'était donc
pas le vrai pain de vie. Elle était une prophétie du
pain qui doit nourrir l'âme jusqu'à la vie
éternelle. C'est maintenant seulement qu'est apparu
le vrai pain du ciel, qui procure au monde la
nourriture impérissable de l'âme.
Car le pain de
Dieu est celui qui est descendu du ciel et qui donne
la vie au monde. Le monde entier est
devenu, par le péché, la proie de la mort. Il est
complètement en la puissance de cet ennemi, dont le
souffle le pénètre. Christ est la seule source de là
vie véritablement pure et heureuse. Hors de lui, il
n'y a plus qu'une apparence de vie. Cette pensée
était pour les Juifs complètement nouvelle. Ils
croyaient que le Messie était exclusivement destiné
aux Juifs, et ils apprennent ici qu'il est le Messie
du monde entier. Toutefois ils feignent de ne pas
entendre, alléchés qu'ils sont par la perspective
d'une nourriture plus excellente que la manne du
désert.Ils lui dirent :
Seigneur, donne-nous toujours de ce pain-là.
On serait presque tenté de croire que le Sauveur a
enfin réussi à tirer une faible étincelle de besoin
spirituel du coeur de pierre de ses auditeurs. Cette
demande nous reporte encore à celle que la
Samaritaine adressait à Jésus près du puits de Jacob
: « Seigneur, donne-moi de cette eau afin que je
n'aie plus soif. »Cependant, ni dans l'un ni dans
l'autre cas, nous n'avons l'expression d'un pareil
besoin. Un bien inappréciable est offert : là un
breuvage excellent, ici un précieux aliment. Mais
c'est seulement lorsqu'on exprimera le désir d'en
faire usage que le Sauveur pourra marquer la liaison
qui existe entre ce bien incomparable et sa
personne. Puisse l'expression de ce besoin : «
Seigneur, donne-nous toujours de ce pain-là, »n'être
jamais étouffée dans nos coeurs !
Et Jésus leur
dit : Je suis le pain de vie ; celui qui vient à moi
n'aura point de faim, et celui qui croit en moi
n'aura jamais soif. Jésus est lui-même le
pain qui donne la vie au monde, auquel il révèle
toujours plus clairement sa gloire. Dans son amour
de Sauveur, il invite d'une manière de plus en plus
pressante les Juifs à venir à lui. Jusqu'alors ils
ne l'avaient pas encore fait, parce qu'ils n'avaient
ni faim ni soif. Ils étaient rassasiés et n'avaient
besoin de rien (Apoc.
III, 17). Jésus est le pain de vie, mais il est
absolument inutile aux incrédules, car ils n'en
veulent rien. C'est seulement lorsqu'on va à lui
affamé, qu'on peut être rassasié de la plénitude de
ses biens.
Mais je vous
l'ai déjà dit, que vous m'avez vu et cependant vous
ne croyez point. Les Juifs avaient vu
Jésus guérissant des malades, nourrissant des
milliers de personnes avec quelques pains ; ils
avaient été illuminés des rayons de sa gloire, et
cependant ils ne croyaient pas en lui. Tout ce que
le Père me donne vient à moi. Le Père donne les âmes
au Fils, mais non arbitrairement. Il ne choisit pas
aveuglément de manière à donner les uns à son Fils
pour être sauvés, tandis que les autres seraient
abandonnés à la perdition.« Dieu veut que tous les
hommes soient sauvés et parviennent à la
connaissance de la vérité »(I
Tim. II, 4). Ceux qui se laissent attirer et
éprouvent le besoin de sa grâce, il les donne à son
Fils. Le Père ayant donné son Fils à tous, ne
demande pas mieux que de les donner tous à son Fils.
Mais ceux qui ne veulent pas, qui résistent à
l'attrait du Père, il les abandonne à la puissance
du péché et de la mort. Comme ils ne veulent pas
croire pour être sauvés, ils ne doivent pas non plus
l'être.
Et je ne mettrai
point dehors celui qui viendra à moi.
Souvenons-nous que Jésus a adressé ces paroles à des
Juifs remplis de vues et de désirs charnels, et nous
comprendrons quelle consolante invitation elles
renferment, même pour ceux qui le méprisent encore
et font une opposition hostile à ses enseignements.
Quiconque vient à lui, fût-ce à la onzième heure,
trouve en lui un Sauveur prêt à le recevoir. Aucun
péché, quelque grand et horrible qu'il soit, fût-il
rouge comme le vermillon (Ésaïe
I, 18), ne fera rejeter le pécheur dans les
ténèbres du dehors. Jésus accepte tous les pécheurs
qui viennent à lui, sans faire aucune différence
entre eux. Quelle douce consolation pour ceux qui,
sous le poids de leurs iniquités et dans le
sentiment de leur misère, sont tourmentés par les
remords, et ne peuvent trouver la paix ! Nous
n'avons pas à craindre que Jésus se présente comme
un juge irrité, qui frappe du glaive. Il veut se
faire connaître comme le Bon Berger, comme le fidèle
ami des âmes qui seul peut les rendre heureuses.
Seulement il faut que nous aillions à lui.
Car je suis
descendu du ciel non pour faire ma volonté, mais la
volonté de celui qui m'a envoyé. Et c'est ici la
volonté de celui qui m'a envoyé, que je ne perde
aucun de ceux qu'il m'a donnés, mais je les
ressusciterai au dernier jour. C'est ici
la volonté de celui qui m'a envoyé, que quiconque
contemple le Fils et croit en lui, ait la vie
éternelle, et je le ressusciterai au dernier jour.
Comment le Sauveur aurait-il pu rejeter ceux que le
Père lui a donnés et qui viennent à lui pauvres,
affamés et souffrants ? Il n'a d'autre volonté que
celle du Père. Bien loin de les repousser, il veut
les protéger, afin que personne ne les ravisse de sa
main et qu'aucun ne se perde. Quiconque contemple le
Fils des yeux de la foi, comme les Israélites mordus
par les serpents brûlants regardaient le serpent
d'airain, sera comme eux délivré de la mort et aura
la vie éternelle. Sans doute la mort atteindra aussi
les croyants et séparera leur âme de leur corps ;
mais celui qui nourrit nos âmes pour la vie
éternelle, qui a arraché son propre corps à la
puissance du sépulcre, celui-là ressuscitera nos
corps au dernier jour, afin que, semblables à son
corps glorifié, ils aient aussi part à la vie
éternelle.
Mais les Juifs
murmuraient contre lui de ce qu'il avait dit : Je
suis le pain descendu du ciel. Et ils disaient :
N'est-ce pas là Jésus, le fils de Joseph, dont nous
connaissons le père et la mère ? Comment donc dit-il
: Je suis descendu du ciel ? Les Juifs
comprenaient très bien les paroles du Sauveur. Leurs
murmures ne sont pas provoqués par un malentendu,
mais par le scandale que leur donnent ces paroles
dont ils saisissent parfaitement le sens. Ils
murmurent contre le Fils de Dieu fait homme, comme
leurs ancêtres murmuraient continuellement contre
lui dans le désert, lorsqu'Il se révélait à eux
comme Jéhovah, le Dieu de l'alliance. Jésus adéclaré
qu'il est le pain de vie, et les Juifs le
comprennent si bien qu'ils l'accusent de vouloir,
par ces paroles, prétendre à la participation de la
gloire divine. S'il avait consenti à renoncer, à
être égal à Dieu en puissance et en gloire, les
Juifs l'auraient volontiers reconnu comme le Messie,
et lui auraient rendu les plus grands honneurs. Mais
sa prétendue descendance de Joseph semblait être en
contradiction avec sa divinité. Les Juifs ne
regardaient qu'à la bassesse de sa naissance et de
sa condition, et fermaient les yeux sur les miracles
qu'il opérait au milieu d'eux. La prétention de
Jésus de descendre du ciel leur paraissait
insupportable, et ainsi ils s'éloignaient
obstinément de lui.
C'est ce qui arrive encore aujourd'hui.
Le coeur naturel qui est orgueilleux, ne soupire pas
après un Sauveur, s'éloigne avec indignation de
Jésus, lorsqu'il l'entend déclarer qu'il est le pain
de vie descendu du ciel, et qui donne la vie au
monde. Le même fait, qui console et restaure
l'humble croyant, aveugle l'orgueilleux incrédule.
Jésus leur
répondit : Ne murmurez point entre vous. Personne ne
peut venir à moi si le Père qui m'a envoyé ne
l'attire, et je le ressusciterai au dernier jour.
Les Juifs croyaient avoir des motifs suffisants pour
se scandaliser de Jésus ; mais il leur montre que la
vraie cause de ce scandale, c'est leur incrédulité.
Le Père ne peut pas les attirer au Sauveur, parce
que leurs coeurs sont trop aveuglés pour reconnaître
les choses divines, et trop indifférents pour les
recevoir. Comme l'aimant ne peut pas attirer toutes
les substances, mais seulement le fer, de même le
Père ne peut attirer au Fils que les coeurs affamés
de salut. L'importance de cette attraction paraîtra
seulement au dernier jour. Ceux qui se seront laissé
attirer, participeront à la résurrection des justes,
pour posséder la plénitude de la vie éternelle. Ceux
qui auront résisté ressusciteront aussi, mais pour
la condamnation, et leur partage sera la plénitude
des souffrances réservées aux pécheurs impénitents.
Il est écrit
dans les prophètes : Ils seront tous enseignés de
Dieu. Quiconque a écouté le Père et a été
instruit par lui, vient à moi. Le Père n'attire pas
à Christ directement, mais il se sert de la Parole
et des sacrements. En vain ceux qui méprisent ces
moyens, compteraient sur l'attrait du Père. Tous
sont instruits, mais ce sontseulement, ceux qui
écoutent comme des pécheurs affamés de grâce, qui
viennent à Jésus. Les Juifs ne se laissaient pas
instruire par le Père, c'est pourquoi ils ne
pouvaient pas reconnaître le Fils de Dieu.
Ce n'est pas que quelqu'un ait
vu le Père, si ce n'est celui qui vient de Dieu.
Celui-là a vu le Père. Le Père n'attire
pas les âmes sans la médiation du Fils. Il lui a
donné toutes choses, et nul ne connaît le Père que
le Fils et celui auquel le Fils aura voulu le faire
connaître (Matth.
XI, 27). Hors de Jésus, il n'y a point de
communion avec Dieu. Ces paroles amènent le Sauveur
à faire un nouvel exposé des biens célestes dont les
croyants jouiront en Christ.
En vérité, en
vérité, je vous le dis : Celui qui croit en moi a la
vie éternelle. Je suis le pain de vie. Vos pères ont
mangé la manne dans le désert et ils sont morts.
C'est ici le pain descendu du ciel, afin que celui
qui en mange ne meure point. La manne du
désert, dont les Juifs étaient si glorieux, n'était
qu'un pain périssable qui ne pouvait pas préserver
de la mort. Le vrai pain du ciel ne préserve pas non
plus de la mort corporelle, mais il la change en un
sommeil pour ceux qui mangent de ce pain par la
foi.« C'est en mangeant de l'arbre de la
connaissance du bien et du mal, que nos premiers
parents ont introduit la mort dans l'humanité
pécheresse ; c'est en mangeant du fruit céleste de
l'arbre de vie qui est Christ, que la vie et
l'immortalité sont rentrées dans l'humanité. »
Vos pères, dit le Seigneur, et non :nos pères,
expression par laquelle il témoigne encore une fois
de son origine divine, et redresse les paroles des
Juifs,v.
42 : « N'est-ce pas là Jésus, le fils de Joseph,
dont nous connaissons le père et la mère ? » -
Je suis le pain de vie qui est
descendu du ciel. Si quelqu'un mange de ce pain, il
vivra éternellement ; et le pain que je donnerai,
c'est ma chair, que je donnerai pour la nourriture
du monde. Jésus est un don que Dieu fait
au monde. Il est la médecine de l'âme, qui doit la
guérir de tous les ravages causés en elle par le
péché, et de toutes les infirmités qui accompagnent
la mort.
Jésus parle dans ce discours tout
autrement qu'il ne l'a fait jusqu'ici.« Ce n'est pas
seulement par ce que vous entendez de moi et voyez
en moi, que vous pouvez parvenir à la vie éternelle.
Il fautque je devienne moi-même une partie
constitutive de votre être. » Ces paroles montrent
toujours plus clairement qu'il faut qu'il meure,
afin de devenir pour le monde la nourriture qui
demeure éternellement. La vie de son Fils est le
premier don que Dieu a fait au monde ; il faut qu'il
lui fasse encore le second : la mort de ce Fils, par
laquelle seulement le monde aura obtenu toute la
plénitude des biens que Dieu veut lui donner en
Christ. La Parole s'est faite chair. Le Fils de Dieu
ne s'est pas contenté de prendre la nature humaine,
il s'est fait homme. Et cette chair, c'est-à-dire
son humanité, il la donne pour la vie du monde. Mais
il ne peut donner son humanité au monde, que parce
qu'elle est complètement pénétrée de sa divinité. La
force vivifiante qu'il communique au monde, gît dans
sa divinité ; mais la possibilité de communiquer au
monde sa vie divine, gît dans son humanité,
c'est-à-dire dans sa chair, parce qu'il ne pouvait
accomplir l'oeuvre de notre rédemption que par son
humanité. Quiconque pense à Dieu ou cherche Dieu en
dehors de la personne de Jésus-Christ, l'a perdu et
ne le trouve plus ; mais quiconque le cherche
suivant les indications de Jésus, le trouve.
Les Juifs donc
disputaient entre eux : Comment cet homme peut-il
nous donner sa chair à manger ?On ferait
tort aux habitants de Capernaüm si on leur
reprochait d'avoir compris d'une manière grossière
les paroles de Jésus. S'il en était ainsi, le
Seigneur n'eût certainement pas manqué d'éclaircir
ce malentendu. Au lieu de cela, il répète en les
accentuant plus fortement ces mêmes paroles qui
avaient choqué les Juifs. Aussi est-ce à la suite de
ces discours, que plusieurs de ses disciples
l'abandonnèrent, sans qu'il fît la moindre tentative
pour leur expliquer les paroles qui les avaient
scandalisés. Ceci montre que ce qui scandalisait, ce
n'était pas la forme, mais bien le contenu de
l'enseignement du Sauveur. Du moment qu'un homme
veut être sauvé de la mort éternelle, il faut qu'il
mange la chair de Jésus, c'est-à-dire qu'il
s'approprie complètement sa personnalité divine et
humaine, et la fasse demeurer en lui (v.
56, Ephés.
III, 17). Tous les envoyés de Dieu ont détourné
les regards du peuple d'eux-mêmes, pour les diriger
sur le Dieu vivant, le seul qu'on doive servir.
Quant à Jésus, il n'exigepas seulement qu'on accepte
sa parole et son message, mais encore sa personne,
comme seule capable de garantir la vie et le salut.«
Les Juifs se scandalisaient de la chair du Fils de
l'homme, mais le Seigneur veut que nous nous y
attachions, si nous avons à coeur de vivre et d'être
sauvés. »
Jésus leur dit :
En vérité, en vérité, je vous
le dis : Si vous ne mangez la chair du Fils de
l'homme et si vous ne buvez son sang, vous n'aurez
point la vie en vous-mêmes. Sans doute,
celui qui voyait d'avance avec une parfaite clarté
son oeuvre de rédemption, savait qu'à la prochaine
fête de Pâques, il instituerait la sainte Cène ;
sans doute la multiplication miraculeuse des pains,
avec les discours qui la suivirent, était une
indication anticipée et pleine d'expression de cette
sainte cérémonie.
Toutefois, le repas sacré n'étant pas
encore institué, il n'est pas encore expliqué dans
ces paroles du Sauveur. Elles ne font que l'annoncer
prophétiquement. Ainsi par les expressionsmanger
et boire, la foi est ici admirablement
caractérisée, non comme une opinion froide et morte,
ou comme une simple adhésion de l'intelligence, mais
comme une expérience vivante, comme une
appropriation intime, comme une acceptation du
Seigneur Jésus dans notre vie intérieure. La foi ne
laisse pas Jésus dehors ; elle se l'approprie de
telle sorte que nous soyons revêtus de lui (Rom.
XIII, 14), trouvés en lui (Philip.
III, 9), et le fassions habiter dans nos coeurs
(Ephés.
III, 17). La chair et le sang des hommes
pécheurs n'hériteront point du royaume des cieux ;
ils ont mérité la perdition éternelle. Mais un moyen
de salut est préparé pour l'homme naturel, dans la
chair et le sang de la Parole faite chair, afin que
sa personne divine et humaine pénètre et sanctifie
toute notre vie et la garde ainsi pour la vie
éternelle.
Mais le point culminant de cette oeuvre
d'assimilation est la sainte Cène que le Seigneur
annonce ici. Celui qui
mange ma chair et boit mon sang, a la vie éternelle,
et je le ressusciterai au dernier jour.
Ce que le Seigneur attribue à la foi au Fils de
Dieu,v.
40, il l'attribue ici à sa chair qu'il faut
manger, et à son sang qu'il faut boire.
Car ma chair est véritablement
une nourriture et mon sang est véritablement un
breuvage. Quiconque n'est pas nourri et
abreuvéde Christ, souffrira éternellement de la faim
et de la soif. C'est en lui seul que l'âme est
pleinement satisfaite.
Celui qui mange ma chair et boit mon sang, demeure
en moi et moi en lui. S'il s'agit ici non
d'une union apparente, mais d'une union réelle de
l'homme avec Christ, il faut que le moi naturel soit
éliminé, afin que le coeur puisse saisir Jésus. « Il
faut qu'il croisse et que je diminue. » Cette parole
est vraie aussi dans la vie intérieure des
chrétiens. Comme le Père
qui est vivant m'a envoyé, et que je vis par le
Père, ainsi celui qui me mangera, vivra par moi.
Au début de l'histoire de l'humanité, il
est dit : « Au jour que tu en mangeras, tu mourras
de mort. » Maintenant, Christ est venu en chair, et
il est dit au contraire :« Au jour que tu en
mangeras, tu vivras. » Car, en Dieu est la source de
la vie (Ps.
XXXVI, 10), et cette vie est communiquée à
l'humanité par Christ. Maintenant le Seigneur résume
encore tout ce qu'il a dit jusqu'ici sur cette
manière. C'est ici le pain
qui est descendu du ciel. Il n'en est pas comme de
la manne que vos pères ont mangée et ils sont morts.
Celui qui mangera de ce pain vivra éternellement.
Jésus dit ces choses, enseignant dans la
synagogue de Capernaüm. De cette synagogue, il
dirigeait ses regards vers la chambre haute, où ses
disciples lui préparèrent l'agneau pascal et où il
institua le sacrement de la sainte Cène. Lorsque,
pendant la célébration de la dernière fête de
Pâques, les disciples entendirent ces paroles de la
bouche de leur Maître : « Prenez, mangez, ceci est
mon corps ; prenez, buvez, ceci est mon sang, »
elles durent réveiller en eux le souvenir de ce
qu'ils avaient entendu dans la synagogue de
Capernaüm, et ils purent immédiatement savoir
pourquoi Jésus instituait ce sacrement et ce qu'il
offrait.
Plusieurs de ses
disciples l'ayant ouï, dirent entre eux : Celle
parole est dure ; qui peut l'écouter ?
Ils trouvent cette parole dure, parce qu'elle leur
parait incompréhensible. Jésus avait déclaré que
tous ceux qui ne mangeraient pas sa chair pour avoir
la vie éternelle, mourraient éternellement. Ce
langage leur parait intolérable, parce qu'ils n'ont
pas la clef indispensable pour le comprendre : la
connaissance de leurs péchés et de la dignité divine
de Christ. Et comme l'une et l'autre leur manquent,
ils se révoltent à la pensée de ce dépouiller
complètement d'eux-mêmes pour revêtir Christ. Il n'y
a donc rien d'étonnant à ce que, en présence de ce
doux témoignage de l'Évangile : « Dieu manifesté en
chair (I
Tim. III, 16) »,l'aveugle déraison et le coeur
endurci se scandalisent et se révoltent ; car ce qui
plaît à l'aveugle raison et au sens terrestre des
hommes ne se trouve assurément pas dans le coeur de
l'Homme-Dieu. Mais Jésus,
connaissant en lui-même que ses disciples
murmuraient de cela, il leur dit : Ceci vous
scandalise-t-il ? Que sera-ce donc si vous voyez le
Fils de l'homme monter où il était auparavant ?L'ascension
de Christ fournit aux disciples la preuve que cette
faiblesse de la chair, qui les avait scandalisés, il
ne l'avait revêtue que par une condescendance
volontaire et pleine d'amour. « Car celui qui,
contrairement à la nature humaine, peut rendre sa
propre chair céleste, peut aussi faire de sa chair
une nourriture vivante pour les hommes. » Celui qui
domine dans les cieux veut habiter en nous.
C'est l'Esprit
qui vivifie, la chair ne sert de rien. Les paroles
que je vous dis sont esprit et vie. En
partant ainsi, le Sauveur n'a pas en vue sa propre
chair, car il vient de dire que sa chair, à lui, est
une nourriture qui demeure jusqu'à la vie éternelle.
Il parle ici de la chair de l'homme pécheur, celle
dont il est dit : « Ce qui est né de la chair est
chair »(Jean
III, 6). Si la chair de Jésus eût été telle que
les Juifs le pensaient, elle ne servirait réellement
de rien. Cette chair portant en elle-même le germe
de la mort, ne saurait donner la vie. Mais la chair
de Jésus était pénétrée de l'Esprit, pénétrée de
Dieu, et pouvait par conséquent donner la vie. Car
l'Esprit qui émane de la personne de Jésus et dont
ses actions et ses paroles sont imprégnées, est la
source de la vie pour l'humanité.
Mais il y en a
quelques-uns d'entre vous qui ne croient point. Car
Jésus savait dès le commencement qui seraient ceux
qui ne croiraient point et qui serait celui qui le
trahirait. Tout le scandale causé par
l'abaissement de Christ, provient de l'incrédulité
du coeur. Dès le commencement, c'est-à-dire dès le
moment où les disciples avaient été mis en rapport
avec lui, Jésus les avait connus, parce qu'il sonde
les coeurs. Il n'avait pas besoin de vivre longtemps
avec eux pour les pénétrer. La société de Christ
n'est enbénédiction qu'à ceux qui se donnent à lui
de tout leur coeur et sans condition, et qui
persévèrent dans la vigilance et dans la prière. -
Et il dit : C'est à cause
de cela que je vous ai dit que personne ne peut
venir à moi s'il ne lui a été donné par mon Père.
Jusqu'alors, ils avaient été attirés à Jésus, non
par Dieu, mais par leur appétit charnel.
De cette heure-là, plusieurs
de ses disciples se retirèrent et n'allaient plus
avec lui.
Plusieurs, non pas tous.
Ces plusieurs étaient du nombre de ceux qui avaient
reçu la semence sur le roc. Ils avaient d'abord
accepté la Parole avec joie, mais ils étaient
vacillants, et bientôt ils se scandalisèrent (Matth.
XIII, 21). Après avoir été rassasiés dans le
désert, ils avaient conçu l'espoir que Jésus serait
pour eux un Roi qui les conduirait à la puissance et
à la gloire terrestres.
C'est dans cet espoir qu'ils l'avaient
suivi. Jésus, connaissant de loin leurs pensées,
leur explique que la nourriture miraculeuse qu'il
leur a donnée, est un signe destiné à leur faire
comprendre et rechercher une autre nourriture,
également miraculeuse, mais spirituelle, qui
consiste dans sa chair et son sang. Ils ne pouvaient
demeurer avec lui. Ils avaient été désillusionnés
quant à leurs espérances terrestres. Ils lui avaient
offert, ce qui à leurs yeux, constituait le bien le
plus excellent, la couronne royale, et Jésus l'avait
refusée. Dès lors, leur enthousiasme pour lui devait
promptement se refroidir.
Nous sommes arrivés à une époque décisive
de la vie de Jésus. C'est la première séparation qui
s'opère parmi les disciples qui l'avaient suivi en
grand nombre. En résistant aux paroles par
lesquelles il leur marquait la nécessité de manger
sa chair et de boire son sang, ils manifestent leurs
dispositions à son égard. Le Seigneur les laisse
aller, car il ne regarde pas au nombre de ses
disciples, mais à leur pureté. |