LA VIE DE
JÉSUS
CHAPITRE II
L'activité publique de
Jésus.
B. L'activité de
Jésus en Galilée.
42. Le message de Jean-Baptiste dans sa
prison.
(Matth.
XI, 2-15.)
Jean, ayant ouï parler
dans sa prison de ce que Jésus-Christ faisait, il
envoya deux de ses disciples pour lui dire : Es-tu
celui qui devait venir ou devons-nous en attendre un
autre ?L'homme de Dieu, enfermé dans la
forteresse de Machaerus, est assailli par le doute.
De là sa question. Des chrétiens profondément
sérieux et croyants ont regardé comme impossible que
Jean-Baptiste ait fait cette question pour lui-même.
Ne lui avait-il pas été donné de jeter un regard
profond dans les mystères de Dieu et dans ses
admirables voies pour le salut des pécheurs, et de
reconnaître Jésus comme l'Agneau de Dieu qui ôte le
péché du monde ? N'avait-il pas eu l'insigne
honneur, sur les bords du Jourdain, d'entendre la
voix du ciel qui disait : C'est ici mon Fils
bien-aimé en qui j'ai mis toute mon affection ?
N'avait-il pas vu le Saint-Esprit descendre sur ce
Fils sous la forme d'une colombe ? On a conclu de là
que Jean n'avait pas été envoyé vers Jésus pour
lui-même, mais à cause de ses disciples, qui ne
croyaient pas encore en Jésus, afin de leur fournir
l'occasion d'entendre de la bouche même du Sauveur,
le témoignage qu'il se rendait de lui-même.
Mais il n'y a pas dans ce récit le
moindre indice que la demande doive être ainsi
comprise. D'ailleurs, une pareille conduite de la
part du Baptiste ne répondrait pas à l'idée que nous
nous faisons de sa sincérité. Et si même telle avait
été réellement son intention, Jésus n'aurait pas pu
entrer dans ce pieux mensonge. Au surplus, lesdoutes
ne sont pas dans le coeur de Jean-Baptiste, mais
seulement dans son esprit, dans ses pensées. Il
n'est pas devenu ce qu'on pourrait appeler incrédule
; sa foi était seulement voilée. Ceci peut arriver
aux enfants de Dieu. Moïse, Ésaïe, Jérémie ont aussi
traversé de sombres heures, et en ont été vainqueurs
par la foi. Il ne faut pas estimer heureux l'homme
qui n'a pas eu ces tentations ; mais ceux qui les
ont surmontées. La foi n'est pas un bien dans la
possession duquel nous puissions nous reposer
paresseusement. Elle n'est pas quelque chose de
parfait et de clos une fois pour toutes, mais elle
doit constamment croître et se développer. Elle ne
marche pas toujours sur des hauteurs lumineuses ;
les sentiers ténébreux de la sombre vallée ne lui
sont pas épargnés.
Et combien facilement les tentations et
les doutes ne devaient-ils pas assaillir l'esprit de
Jean ! Il était angoissé par les énigmes de la
Parole de Dieu, dont il ne pouvait trouver le mot.
Ce qui lui rongeait le coeur, c'était la faiblesse
de sa foi et non l'incrédulité. L'incrédulité ne
demande rien ; elle n'a aucun doute sur le point de
savoir si Jésus est celui qui devait venir. Elle
prétend fermement qu'il n'est pas celui-là, ou
plutôt elle nie qu'un Messie ou un Sauveur doive
venir. L'incrédulité n'aurait en aucun cas adressé
une question au Seigneur Jésus. Le fait que Jean la
lui fait, prouve clairement que son coeur n'est pas
dans l'erreur à son sujet ; au contraire, il attend
de Lui du secours contre les tentations.
Jean avait évidemment reçu dans son
cachot de fréquentes visites de ses disciples, et
ils lui avaient raconté les progrès de ce royaume
des cieux, qu'il avait lui-même annoncé. Il ne se
nourrissait pas d'espérances messianiques mondaines,
au sujet d'un règne terrestre, qui aurait commencé
par l'expulsion des Romains, et aurait été couronné
par l'établissement d'un puissant royaume de ce
monde. Ces espérances étaient celles des pharisiens
et des masses populaires. Jean n'a pas annoncé
d'autre royaume des cieux que celui qui commence par
la repentance et s'établit par le pardon des péchés.
Mais il espérait que Jésus se ferait franchement
connaître, comme le Messie, qu'il rassemblerait les
croyants autour de lui, exclurait les incrédules et
les moqueurs, et exercerait le jugement contre eux.
Or, il n'entendait rien dire de pareil.
Jésus va, vient,prêche, guérit les malades, console
les affligés, restaure les coeurs brisés. Jean
attend vainement une déclaration publique en
présence du peuple, une réunion de tous les
croyants, une manifestation de Jésus comme Roi et
comme juge, tellement que tous soient mis en demeure
de se prononcer pour on contre lui. Cette manière de
Jésus, d'exercer sa puissance en secret, confondait
toutes les idées du Baptiste. Il ne pouvait
comprendre que le royaume des cieux dût commencer
comme le grain de moutarde et se développer, peu à
peu, en procédant de l'intérieur à l'extérieur, ou
comme le levain, pour pénétrer graduellement et
sanctifier tous les détails de la vie humaine. De là
sa question. Elle signifie en réalité : Je crois
Seigneur, aide-moi dans mon incrédulité.
Jésus répondant
leur dit : Allez et rapportez à Jean ce que vous
entendez et ce que vous voyez : les aveugles
recouvrent la vue, les boiteux marchent, les lépreux
sont nettoyés, les sourds entendent, les morts
ressuscitent et l'Évangile est annoncé aux pauvres.
Le royaume des cieux ne se fonde pas par une
nouvelle doctrine, mais par des actes divins que la
doctrine doit expliquer. Voilà pourquoi Jésus
renvoie les disciples de Jean à ce qu'ils ont
entendu et vu. Jean, qui avait sondé les Écritures,
connaissait certainement la description que fait le
prophète Ésaïe de celui qui devait venir (Ésaïe
XXXV, 5-6 ). Les disciples de Jean peuvent voir
de leurs yeux et entendre de leurs oreilles
l'accomplissement littéral de toutes ces prophéties.
Cela doit fortifier leur maître. Le Sauveur ne veut
pas forcer la foi du martyr assailli de tentations.
C'est pourquoi il ne répond pas : Oui, certainement,
je suis le Messie ; mais ses actes doivent parler
pour lui. Ils sont de nature à soutenir la foi de
Jean-Baptiste, et à rassurer complètement son coeur
découragé. Et le Seigneur ne parle pas de ses actes
comme de simples prodiges ou comme des miracles
dépourvus de toute vertu consolante ; il les
représente comme de véritables oeuvres messianiques
lorsqu'il ajoute : Et
l'Évangile est annoncé aux pauvres.
L'heureux temps de la grâce est arrivé, où le joyeux
message du pardon des péchés est proclamé, où les
coeurs brisés seront guéris, les humbles encouragés
; ceux qui sont fatigués et chargés seront restaurés
et trouveront le repos de leurs âmes. Il ne fallait
donc pas laisser lesguérisons de malades inaperçues,
mais les regarder comme des sujets de consolations,
puisqu'elles montraient que l'amour secourable de
Jésus avait avant tout pour but le salut des âmes,
et qu'ainsi il était bien le Messie promis, qui
devait délivrer son peuple de tous leurs péchés.
Jean ne s'était pas trompé, mais il était
assailli de tentations. C'est pourquoi il avait
besoin de cette parole :
Heureux celui qui ne se scandalisera pas de moi !
Cette parole était de nature à avertir Jean et à
l'encourager. Quel besoin n'avons-nous pas aussi
nous-mêmes de cet avertissement ! Plus nous
apprécions la personne et le règne de Jésus, plus
nous sommes tentés de nous scandaliser quand nous
voyons combien cette personne et ce règne sont
méprisés, même par la plupart de ceux qui sont
baptisés dans sa mort et appelés de son nom. Sa
parole est annoncée et nous reconnaissons avec
actions de grâces que, pour beaucoup d'âmes, elle ne
demeure pas sans effet. Mais cela ne nous suffit pas
; nous voudrions, comme Jean, voir et entendre de
plus grandes choses. L'Église de Christ avance dans
l'humilité ; nous aimerions tant voir les croyants
réunis, une oeuvre opérée en grand, la conversion du
peuple en masse ! Nous nous plaignons que le
Seigneur a détourné sa face de son peuple. Et sous
l'empire de ces préoccupations, nous ne voyons pas
comment il établit cependant son règne, comment il
peuple son ciel. Inclinons-nous donc devant cette
douce parole : Heureux celui qui ne se scandalisera
pas de moi !
Comme ils s'en
allaient, Jésus se mit à parler de Jean au peuple.
Ce peuple inconstant avait entendu le message du
Baptiste. Et afin qu'on ne le méprisât pas à cause
de ses afflictions, le Seigneur le prend sous sa
protection. Il leur dit :
Qui êtes-vous allés voir au désert ? était-ce un
roseau agité du vent ? Jean n'était pas
une âme vacillante, ni un homme capricieux,
semblable à une girouette.Mais
encore qu'êtes-vous allés voir ? était-ce un homme
vêtu d'habits précieux ? Voilà, ceux qui portent des
habits précieux sont dans les maisons des rois.
Jean n'était pas un courtisan efféminé. S'il avait
voulu vivre dans le plaisir et jouir de la vie, il
ne languirait pas entre les murs d'un cachot. Il
aurait fait l'hypocrite ; il aurait été flatté par
Hérode, mais il n'aurait pas été le sérieux
prédicateur dela repentance. - Êtes-vous allés voir
un prophète ?Oui, vous
dis-je, un prophète. Car c'est de lui qu'il est dit
: Voici, j'envoie mon ange devant ta face, qui
préparera ton chemin devant toi. Non un
prophète qui prédit les choses à venir, mais un ange
qui prépare le chemin, un messager, un témoin des
événements actuels.Je vous
dis en vérité que parmi ceux qui sont nés de femme,
il n'en a été suscité aucun plus grand que
Jean-Baptiste. Malgré la tentation à
laquelle Jean était en proie, Jésus le confirme dans
toute sa dignité et sa gloire. Aucun homme n'a
jamais eu une vocation aussi élevée et aussi
honorable que Jean, puisque cette vocation
consistait à montrer du doigt Jésus comme l'Agneau
de Dieu qui ôte le péché du monde. Mais cette
grandeur de Jean réside seulement dans la charge qui
lui était confiée d'être le serviteur du Sauveur et
d'annoncer son règne. C'est pourquoi
celui qui est le plus petit
dans le royaume des cieux, est plus grand que lui.
Quiconque a reçu Jésus par la foi, est membre de ce
royaume.Tous ceux qui l'ont
reçu, il leur a été donné le droit d'être faits
enfants de Dieu, savoir à ceux qui croient en son
nom(Jean
I, 12). Ce n'est pas à cause de quelque mérite
personnel, mais parce qu'ils croient et sont unis au
Fils de Dieu, que les moindres membres de la
Nouvelle Alliance sont au-dessus du plus glorieux
témoin de l'Ancienne Alliance.
Mais depuis le
temps de Jean, le royaume des cieux est forcé et les
violents le ravissent. Le temps où
l'appel à la repentance a été adressé au peuple par
Jean, porte cette empreinte : Le royaume des cieux
est forcé. Comme cet homme qui lutta jusqu'à
l'aurore avec Jacob au gué de Jabok, fut vaincu par
ses prières et par ses larmes (Osée
XII, 5), et lui confessa que, lui Jacob, avait
été le plus fort en luttant avec Dieu et avec les
hommes (Gen.
XXXII, 28), et comme le Sauveur se laissa
vaincre si volontiers par la femme cananéenne, de
même le royaume des cieux, dans la personne de son
Roi, s'est de tout temps laissé vaincre avec une
sainte joie par les âmes humbles, mais sérieusement
attachées au Sauveur par la foi. Cette violence
consiste à s'emparer de ce royaume. Lorsque des
consciences endormies s'éveillent, alors les coeurs
altérés, pressés par le sentiment de leurs péchés,
s'avancent violemment, comme le cerf, vers les eaux
courantes, et étanchent leur soif. Ilne nous sera
pas fait de violence pour nous forcer à pénétrer
dans le royaume des cieux contre le désir de nos
coeurs ; mais, d'un autre côté, le salut ne nous
sera pas donné sans que nos coeurs soupirent
ardemment après lui. Le royaume des cieux n'est pas
accordé aux coeurs tièdes, endormis, paresseux, mais
à ceux qui suivent ces exhortations : Tendez à la
perfection (Héb.
XI, 40) ; efforcez-vous d'entrer (Luc
XIII, 24) ; travaillez à votre salut avec
crainte et tremblement (Philip.
II, 12).
.
43. Plaintes de Jésus provoquées par l'incrédulité
des villes, et la joie que Lui cause la foi de ses
disciples.
(Matth.
XI, 16-30.)
Si Jésus n'avait regardé qu'à ce qui frappe les
yeux, son coeur eût été rempli de joie et
d'espérance. Car le peuple venait à lui et le
suivait en foule pour entendre la Parole de Dieu, et
proclamait avec enthousiasme les miracles opérés par
son miséricordieux amour, miracles dans lesquels il
reconnaissait une gracieuse intervention du Dieu
vivant. Son activité produisait un immense et
puissant mouvement. En effet, ce n'était pas
seulement de la Galilée qu'on se pressait autour de
lui, mais aussi de la Décapole, des contrées au delà
du Jourdain, de la Judée et de Jérusalem. Même au
delà des frontières de son pays, son nom était connu
et ses actions admirées. Mais le Sauveur, qui savait
ce qui est dans l'homme, et qui les connaissait
tous, ne se laissait pas éblouir par cet
empressement et ces louanges. Il savait que le coeur
du peuple était rempli d'espérances messianiques
terrestres, et attendait la restauration du royaume
de David. Plus Jésus déployait sa puissance divine,
plus le peuple se réjouissait, car il espérait que
chaque nouvelle manifestation de la gloire du
Seigneur était un nouveau pas en avant vers la
réalisation de ses espérances grossières.
Les Juifs croyaient être en possession de
la faveur de Dieu sans le secours de Jésus. Ainsi
ils se réjouissaient des guérisons, des
résurrections, des expulsions des mauvais
esprits.accomplies par le miséricordieux amour de
Jésus, et ils louaient tous ses bienfaits avec
enthousiasme ; mais ils ne reconnaissaient pas dans
ces signes l'apparition de l'année de la
bienveillance de l'Éternel. Ils voulaient se laisser
guérir par le merveilleux médecin ; mais le Sauveur,
le libérateur des âmes, ils l'évitaient avec soin.
Plus Jésus se révélait clairement lui-même, en
montrant toujours plus distinctement que le salut de
l'âme, la vie et la félicité dépendaient du rapport
dans lequel on se trouvait avec sa personne, plus
ils se sentaient trompés dans leurs espérances, et
plus ils ouvraient leurs coeurs aux instigations et
aux accusations des pharisiens.
Il faut que nous nous représentions bien
cette situation si nous voulons comprendre les
douloureuses plaintes du Sauveur sur l'incrédulité
du peuple.Mais à qui
comparerai-je celle génération ? Elle ressemble à
ces petits enfants qui sont dans les places
publiques, et qui crient à leurs compagnons et leur
disent : Nous avons joué de la flûte et vous n'avez
point dansé ; nous avons chanté des plaintes devant
vous et vous n'avez point pleuré. Car Jean est venu,
ne mangent ni ne buvant, et ils disent : Il a un
démon. Le Fils de l'homme est venu mangeant et
buvant, et ils disent : Voilà un mangeur et un
buveur, un ami des péagers et des gens de mauvaise
vie. Mais la sagesse a été justifiée par ses enfants.
Dieu a essayé de tous les moyens pour toucher le
coeur de ce peuple tant favorisé ; mais ils sont
comme ces enfants entêtés et maussades, qui ne sont
jamais contents du jeu qu'on leur propose, qu'il
soit gai ou sérieux, et qui ne prennent pas plus de
plaisir en représentant une noce qu'un enterrement.
Jean demeure isolé dans le désert ; il
mène une vie de privations, et ils lui reprochent
d'être un obscurantin, un bigot, et finalement ils
le traitent de possédé. Jésus vient ; il se montre
affable, bienveillant ; il mange, boit, se réjouit
avec ceux qui se réjouissent, et ils le blâment
également parce qu'à leurs yeux il s'avilit en
recevant les péagers et les gens de mauvaise vie.
Jean leur paraissait trop sérieux, et
Jésus l'était trop peu. Selon eux, Jean se séparait
trop complètement du monde ; s'il s'était mêlé
davantage au peuple, il aurait pu gagner les coeurs.
Jésus fréquentait le peuple ; il partageait ses
joies et ses peines ; et l'ondisait qu'il manquait
de dignité. Absolument comme aujourd'hui où les
chrétiens commodes trouvent qu'en été il fait trop
chaud et en hiver trop froid pour se rendre à
l'église, et qui ont toujours un motif pour excuser
leur indifférence. Mais ces âmes paresseuses seront
jugées comme ayant émoussé la pointe de la Parole de
Dieu.
On donne à entendre que si Jésus avait su
trouver la note juste, sa Parole aurait été
acceptée. S'il avait su entrer dans les voeux et les
espérances du peuple, les choses auraient pris une
tout autre tournure. - Ce qui arriva alors au
Seigneur, arrive aujourd'hui à ses serviteurs. Mais
lui, juge autrement. Il donne une autre raison de
son insuccès : Celui qui est de Dieu écoute les
paroles de Dieu. C'est pourquoi vous ne les écoutez
pas, parce que vous n'êtes pas de Dieu (Jean
VIII, 47). Mais la sagesse divine, incarnée en
Christ, n'a pas seulement des juges et des censeurs,
qui veulent la dominer ; elle a aussi des enfants
qui sont nés d'elle et qui écoutent attentivement sa
Parole, et suivent docilement ses directions.
Mais la sagesse a été
justifiée par ses enfants. Du moment que
la sagesse divine est arrivée à ses fins dans ses
enfants humbles et croyants, et les a conduits au
but désiré, elle est justifiée dans son action.
Alors il se mit
à faire des reproches aux villes où il avait fait
plusieurs miracles, de ce qu'elles ne s'étaient
point amendées. Malheur à loi Corazim ! Malheur à
toi Bethsaïda ! car si les miracles qui ont été
faits au milieu de vous avaient été faits à Tyr et à
Sidon, il y a longtemps qu'elles se seraient
repenties en prenant le sac et la cendre. C'est
pourquoi je vous dis que Tyr et Sidon seront
traitées moins rigoureusement au jour du jugement
que vous. Et toi Capernaüm, tu as été élevée
jusqu'au ciel ; tu seras abaissée jusqu'en enfer ;
car si les miracles qui ont été faits au milieu de
toi avaient été faits à Sodome, elle subsisterait
encore aujourd'hui. C'est pourquoi je te dis que
ceux de Sodome seront traités moins rigoureusement
au jour du jugement que toi. La
repentance, l'amendement, tel était le but de tous
les miracles de Jésus. Les villes païennes de Tyr,
de Sidon, de Sodome se seraient amendées, si elles
avaient été témoins des actes accomplis par lui,
tandis que les villes de la Galilée, où il avait
déployé tant d'amour pour sauver les âmes, étaient
restéesinsensibles. Leur incrédulité était pour lui
le sujet d'une poignante douleur. C'est ce même
amour, qui pleurait plus tard sur Jérusalem,
laquelle n'avait pas connu les choses qui
appartenaient à sa paix. Les coeurs semblent avoir
été endurcis par l'habitude d'entendre la vérité
divine que leurs pères leur avaient transmise. Ces
miracles de l'amour de Dieu, qui étonnaient les
païens, les Juifs les regardaient comme des faveurs
toutes naturelles, et qui leur étaient dues. Quant à
être conviés à la repentance par la bonté de Dieu,
cette pensée leur était parfaitement étrangère. Ils
étaient convaincus - non seulement qu'ils vivaient
honnêtement devant les hommes, - mais encore qu'ils
observaient toutes les prescriptions de la loi de
Dieu. Mais il sera beaucoup redemandé à qui il aura
été beaucoup donné. Plus la grâce est grande, plus
sera sévère la punition de l'ingratitude.
En ce temps-là,
Jésus prenant la parole, dit : Je le loue, ô Père,
Seigneur du ciel et de la terre, de ce que tu as
caché ces choses aux sages et aux intelligents et de
ce que tu les as révélées aux enfants.
Dans cette prière, Jésus répand joyeusement son
coeur devant son Père, ce qu'il dit de nouveau plus
tard, lors du retour des septante disciples. Au sein
de l'amère douleur que lui cause l'endurcissement
des villes de la Galilée, il cherche et trouve une
consolation et une joie pleine de louanges dans la
sainte volonté du Père, qui a caché aux uns la grâce
et la vérité du royaume des cieux, le salut et celui
qui l'apporte, tandis qu'il a révélé toutes ces
choses aux autres.
Jésus loue le Père, pour l'un et pour
l'autre : pour avoir caché aussi bien que pour avoir
révélé. Dieu cache le salut aux sages, non
arbitrairement, mais en vertu d'un juste jugement.
Ils refusent de suivre la voie de la félicité qu'il
leur indique ; ils prétendent en connaître une
meilleure. Du moment qu'ils se retirent eux-mêmes du
salut, il est juste que ce salut leur soit retiré.
Ils ne veulent pas exposer devant Dieu le fond de
leur coeur ; ils haïssent la lumière et ne viennent
point à la lumière, de peur que leurs oeuvres ne
soient reprises (Jean
III, 20). Ils se cachent devant Dieu, il est
juste que Dieu leur cache aussi sa sainteté, sa
vérité, son salut. Ce qu'ils ont voulu dans
leur incrédulité, c'est ce qu'ilsobtiendront
en vertu du jugement de Dieu. Dieu ne peut se
révélerà nous que dans la mesure où nous nous
révélons à lui et venons à sa lumière. L'orgueilleux
sentiment de dignité, qui fait dire à l'homme : « Je
dois savoir moi-même ce qui est bien et ce qui est
mal », voilà la science et la sagesse auxquelles le
mystère de piété est caché, en vertu de la juste
volonté de Dieu.
Jean nous dit aussi que le Sauveur
appelait cette sagesse « amour des ténèbres, haine
de la lumière »(Jean
III, 19-20). C'est aux petits enfants, aux
pauvres en esprit que Dieu se révèle. Ce sont les
humbles, les âmes altérées de salut, simples et
naïves, dépouillées de toute prétention à une fausse
indépendance, et de toute orgueilleuse confiance
dans leur force, et leur dignités, pressées de se
réfugier vers le Sauveur comme les poussins sous les
ailes de leur mère, ce sont ceux-là seulement qui se
trouvent heureux sous la tutelle divine. Oui, mon
Père, cela, est ainsi parce que tu l'as trouvé bon.
Cette sainte volonté du bon, plaisir divin, à
laquelle Jésus dit : « Oui, et amen », le console de
toutes les douleurs que lui causent l'endurcissement
et l'incrédulité du peuple.
Toutes choses
m'ont été données par mon Père, et nul ne connaît le
Fils que le Père, et nul ne connaît le Père que le
Fils et celui auquel le Fils aura voulu le faire
connaître. Le Père se révèle à ses petits enfants
par le Fils, auquel il a donné toutes choses.
Toutes choses : la terre, le ciel, l'enfer, les
hommes, les anges, les démons, le temps et
l'éternité, la puissance de ressusciter les morts et
le jugement, l'honneur et la gloire célestes, la
félicité et la condamnation, la vie et la mort, la
grâce et la vérité, la paix et la joie, le triomphe
sur le monde et la victoire sur la tentation,
l'amour de Dieu et la vie éternelle. Le Père a tout
donné au Fils, qui a paru sur la terre sous la forme
de serviteur. On dit, et avec raison, que Jean, le
disciple que Jésus aimait, a vu d'une manière
particulièrement claire sa gloire divine cachée sous
son humilité humaine, et l'a mise en relief dans son
Évangile et dans ses Épîtres. Toutefois, il ne faut
pas méconnaître que dans notre passage, Matthieu et
Luc ont vu Jésus avec les yeux de Jean, et nous
permettent de jeter un regard dans sa gloire divine.
Mais que personne ne connaisse le Fils
que le Père et celui auquel le Père aura voulu le
faire connaître, c'est ce qui se voit aujourd'hui
comme alors. Les sages de ce monde ne savent ce
qu'ils doivent faire de Jésus. Le Père le leur a
caché. C'est que cette connaissance n'est autre
chose qu'une profonde expérience intime. On ne
connaît un fruit que lorsqu'on l'a goûté ; on ne
connaît la flamme que lorsqu'on en a été brûlé.
Toute vraie connaissance provient de l'union dans
l'amour, lorsque les âmes et les esprits se sont
rencontrés et pénétrés. On peut connaître la
puissance de Dieu dans ses oeuvres, et sa providence
dans le gouvernement du monde ; mais le connaître
lui-même, avec son coeur paternel, c'est à quoi l'on
ne parvient que par Jésus-Christ son Fils. Quiconque
n'a pas jeté un regard dans le coeur de Dieu, en se
plaçant sous la croix de Golgotha, ne le connaît pas
encore et vit sans Dieu dans le monde. De cette
communion intime avec Dieu, découle l'amour pour
cette pauvre humanité que le Père a donnée au Fils.
Venez à moi vous
tous qui êtes travaillés et chargés et je vous
soulagerai. Venez à moi, vous tous qui
désirez être sauvés et parvenir à la vie éternelle.
Venez à Jésus, vous âmes altérées, qui avez fait
l'expérience que le monde n'offre que des citernes
crevassées qui ne contiennent point l'eau nécessaire
pour étancher votre soif. Les sages et les
intelligents, auxquels le Père a caché ces choses,
ne viendront pas à Jésus, parce qu'ils ne désirent
nullement être soulagés par lui. Et si quelqu'un
d'entre eux se mettait à le chercher, c'est qu'il
aurait déjà oublié sa sagesse et serait devenu comme
un petit enfant. Par ces douces paroles, Jésus nous
annonce le même amour qui disait un jour, par la
bouche du prophète Ésaïe (XL)
: Consolez, consolez mon
peuple, dira votre Dieu, parlez à Jérusalem selon
son coeur ; et dites-lui que son temps marqué est
accompli, que son iniquité est acquittée.
Oui, le pardon des péchés, la vie et le salut, voilà
le soulagement que Jésus procure à ceux qui sont
travaillés et chargés, qui se sont fatigués dans la
multitude de leurs voies, et qui maintenant
soupirent après la paix de Dieu.
Chargez-vous de
mon joug et apprenez de moi que je suis doux et
humble de coeur, et vous trouverez le repos de vos
âmes. Car mon joug est aisé et mon fardeau léger.
Le joug de Christ se concilie très bien avec le
soulagement qu'il procure au coeur. Prendre sonjoug
sur soi, n'est autre chose que se donner à lui dans
l'obéissance de la foi.
Apprenez de moi ! Comme Christ soumettait
sa volonté à celle de son Père, au point de n'en
avoir pas d'autre, de même il faut que nous
apprenions de lui à soumettre absolument notre
volonté à la sienne. Et si cela nous effraye, si
nous sommes indociles, il use de patience envers
nous. Je suis doux.
Il bande nos plaies douloureuses avec le tendre
amour d'une mère pour son enfant. Il prend sur ses
épaules les âmes fatiguées et les porte avec la
douceur pleine d'amour du Bon Berger. Il repousse la
dureté orgueilleuse ; il attire la douce humilité.
Il est humble de coeur.
il n'a pas regardé comme une usurpation d'être égal
à Dieu, mais s'est abaissé jusqu'à prendre la forme
de serviteur. Il s'abaisse Jusqu'aux plus petits et
aux plus chétifs, pour les prendre sur son coeur de
Sauveur, plein de sympathie et de tendresse
fraternelle.
Et vous
trouverez le repos de vos âmes. Depuis
que le patriarche Lémec, lors de la naissance de Noé
(Gen.
V, 29), exprimait l'espoir que cet enfant leur
procurerait du repos et disait : « Celui-ci nous
soulagera de notre oeuvre, et du travail de nos
mains sur la terre que l'Éternel a maudite
»,l'ardente espérance des âmes travaillées et
chargées est dirigée vers Celui qui devait être la
consolation d'Israël. Il n'y a point de paix pour
les méchants. Ils sont comme la mer agitée qui ne
peut être apaisée. Mais Christ est le vrai, l'unique
repos de l'âme. Dès que quelqu'un a pris son joug
sur lui, son coeur est en paix. C'est pourquoi nous
répétons avec saint Augustin : « 0 Dieu, c'est toi
qui nous as créés. C'est pourquoi notre coeur est
constamment agité, jusqu'à ce qu'il se repose en
toi. » Car mon joug est
aisé et mon fardeau léger. Le fardeau de
Christ porte celui qui s'en charge, plutôt qu'il
n'est porté par lui.
Il est vrai que ce joug semble
insupportable au monde et à la chair. Et c'est en
effet le cas lorsqu'on l'a pris à contre coeur ou
avec un coeur partagé. Mais il est doux et léger dès
qu'on le porte avec droiture, même il nous rend
légers et faciles tous les autres fardeaux. |