LA VIE DE
JÉSUS
CHAPITRE II
L'activité publique de
Jésus.
B. L'activité de
Jésus en Galilée.
28. Le Sermon sur la montagne.
(Matthieu
V-VI-VII.)
e) De l'attitude dit chrétien vis-à-vis
des biens de ce monde.
(Matth.
VI, 19-34.)
Là où est votre trésor,
là sera aussi votre coeur. Notre coeur
s'attache à ce qui lui parait le plus précieux et
qui a le plus de valeur à ses yeux. Mais dans son
appréciation, il est le plus souvent dominé par un
penchant aveugle. Le Seigneur nous engage à prendre
une décision claire et consciente, en vertu de
laquelle nous le reconnaissions, comme le vrai
trésor de nos âmes, et que nous donnions nos coeurs,
à Lui, et non aux biens périssables de la terre.
Cependant lorsque le Seigneur dit :Ne
vous amassez pas des trésors sur la terre, où les
vers et la rouille gâtent tout, où les larrons
percent et dérobent, il n'entend pas
défendre de posséder et d'acquérir des richesses;
mais il faut que le coeur, avec ses aspirations,
soit dirigé vers Dieu seul. C'est en regardant à lui
que nous accomplirons consciencieusement les travaux
de notre vocation. S'il les bénit en nous accordant
des biens de la terre, nous les acceptons de sa
main, mais nous n'y attachons pas notre coeur.
L'oeil est la
lumière du corps ; si ton oeil est sain, tout ton
corps sera éclairé, mais si ton oeil est mauvais,
tout ton corps sera ténébreux.
Si notre âme a trouvé son repos en Dieu,
si l'oeil de notre coeur est invariablement fixé sur
lui, nous sommes déjà ici-bas remplis de la vie et
de la lumière divines. La simplicité de l'oeil du
coeur, voilà ce que le regard de Jésus découvrit
avec satisfaction dans Nathanaël. De même, aussi
longtemps que l'oeil de Pierre resta fixé simplement
sur Jésus, ce disciple se maintint sur la surface
des flots ; mais dès que son oeil se détourna et
regarda à la violence du vent, Pierre commença à
enfoncer.
Nul ne peut
servir deux maîtres ; ou bien il aimera l'un et
haïra l'autre ; ou bien il s'attachera à l'un et
méprisera l'autre. Vous ne pouvez servir
Dieu et Mammon. L'esprit de frivolité mondaine nous
dit qu'on peut bien aspirer en même temps aux
jouissances terrestres et à la possession des biens
célestes. On ne veut pas se mettre mal avec Dieu,
mais on ne veut pas non plus s'aliéner le monde. En
ceci, notre oeil oblitéré nous trompe. Le Sauveur
nenous défend pas seulement un tel partage du coeur
; mais il le tient pour une chose impossible. La
véritable piété et l'amour du monde sont
incompatibles (Jacq.
IV, 4). L'homme ne peut tenir qu'un seul objet
pour son souverain bien et son trésor. C'est
pourquoi il faut se décider. Cela revient à la
sérieuse exhortation d'Élie :Jusqu'à
quand boiterez-vous des deux côtés ? Si l'Éternel
est Dieu, suivez-le ; si Baal est Dieu, suivez-le (1
Rois XVIII, 21). Du moment que Dieu n'est pas
tout pour toi, il n'est rien. Dieu veut le coeur
tout entier.
C'est pourquoi
ne soyez point en souci pour votre vie, de ce que
vous mangerez, ni pour votre corps de quoi vous
serez vêtus ..... Regardez les oiseaux de l'air
..... Regardez les lis des champs... 0 gens de
petite foi ! .... Ne soyez donc point en souci,
disant : Que mangerons-nous ? que boirons-nous ? de
quoi serons-nous vêtus ? Ce sont les païens qui
recherchent toutes ces choses, et votre Père céleste
sait que vous avez besoin de toutes ces choses-là.
Recherchez premièrement le royaume de Dieu et sa
justice, et toutes ces choses vous seront données
par-dessus.
Les soucis au sujet des choses terrestres
montrent qu'on ne se sent pas enfant de Dieu. Celui
qui donne les plus grandes choses, se montrera-t-il
avare lorsqu'il s'agit des petites ? D'ailleurs les
soucis au sujet des choses terrestres sont
parfaitement inutiles et sans résultat. De plus, ils
abaissent le noble enfant de Dieu et trahissent un
coeur païen. D'un autre côté la vigilante
sollicitude d'un père de famille pour les siens, est
un sérieux devoir pour le chrétien.
Que si quelqu'un n'a pas soin
des siens et principalement de ceux de sa famille,
il a renié la foi et est pire qu'un infidèle (1
Tim. V, 8). Une telle sollicitude pousse à la
prière et au travail, et est fort éloignée des
soucis des païens.
Le suprême souci, auquel il faut que tous
les autres soient subordonnés, doit être celui qui a
pour objet le royaume de Dieu, la bourgeoisie
céleste. Être membre de la famille de Dieu, et, en
cette qualité, obtenir la félicité éternelle, tel
est le but auquel nous conduit la justice agréable à
Dieu.
f) L'attitude du chrétien vis-à-vis des
péchés du prochain.
(Matth.
VI, v. 1-6 ;Luc
VI, 36-42.)
C'est à ceci que tous reconnaîtront que vous êtes
mes disciples,si vous avez de l'amour les uns pour
les autres, dit le Sauveur (Jean
XIII, 35). Le véritable amour ne cesse jamais ;
il se fortifie au contraire par l'exercice. Il ne se
décourage point devant la grandeur de la tâche, mais
il supporte et espère lorsque le monde a perdu tout
espoir. Le soleil luit chaud et brillant, parce
qu'il ne peut pas faire autrement. La source donne
ses eaux parce qu'il faut qu'elle les donne. De même
l'amour aime, non par suite de la réflexion, non
parce que cela lui est commandé, mais parce qu'il ne
peut pas ne pas aimer. Il faut qu'il aime parce
qu'il est l'amour. Mais là où le véritable amour
existe, il est né de l'amour du Père qui l'a
engendré. C'est pourquoi le Sauveur réunit tous les
préceptes d'amour donnés à ses disciples,
relativement à la conduite qu'ils doivent tenir
vis-à-vis des péchés du prochain : Ne jugez
point, ne condamnez point, donnez, pardonnez, en
une seule exhortation :
Soyez donc miséricordieux comme votre Père est
miséricordieux.
Ne jugez point,
afin que vous ne soyez point jugés. Celui
qui a obtenu miséricorde, sait de quel abîme de
péché la grâce l'a retiré, et son coeur filial
trouve tout naturel l'exercice de la miséricorde.
Malgré son horreur pour le péché, il apprend à
regarder le pécheur comme un malade qui gémit, sans
peut-être s'en rendre compte, sous l'oppression du
péché. L'esprit du Sauveur, qui est venu non pour
juger, mais pour sauver, rend le coeur
miséricordieux, le préserve de l'aigreur, de la
susceptibilité provenant de l'orgueil ; il lui fait
désapprendre l'art trop naturel de tout interpréter
dans un mauvais sens, et de donner à toutes choses
la plus mauvaise signification ; il lui apprend à
espérer, lorsqu'à vues humaines il n'y a plus
d'espoir.
Le pieux Newton disait un jour : Il y a
surtout trois choses qui nous rempliront
d'étonnement dans le ciel. C'est d'abord de voir
parmi les bienheureux beaucoup de ceux que nous n'y
cherchions pas ; ensuite de n'y pas trouver
plusieurs de ceux que nous croyions devoir y être ;
enfin et surtout de nous y trouver nous-mêmes. Sans
doute il est du devoir du pasteur d'éprouver les
esprits pour savoir s'ils viennent de Dieu (1
Jean IV, 1), de convaincre ceux qui s'opposent à
la doctrine salutaire (Tite
I, 9) sans doute, un père doit châtier son
enfant indocile et ne pas dire « Je ne le châtierai
pas parce que je n'étais pas meilleur dans ma
jeunesse ». Car le devoir de châtier nous est imposé
par Dieu. Mais remplissons-nous ce devoir au nom du
Dieu de miséricorde ? C'est ce que nous pouvons
savoir si nous l'accompagnons des larmes,
miséricordieuses de l'apôtre Paul (Philipp.
III, 18).
Car on vous
jugera du même jugement que vous aurez jugé et on
vous mesurera de la même mesure que vous aurez
mesuré les autres. Le jugement dont nous
jugeons les autres et la mesure que nous leur
appliquons, montrent de quel esprit nous sommes
animés. Chacun mesure les autres d'après ce qu'il
est lui-même, et se mesure ainsi lui-même pour
l'éternité. S'il y a en nous un miséricordieux
amour, nous avons le témoignage d'être passés de la
mort à la vie (1
Jean III, 14), de n'avoir plus dès lors à
craindre le jugement et d'être en possession de la
vie éternelle.
Et pourquoi
regardes-tu une paille qui est dans l'oeil de ton
frère, tandis que tu ne vois pas une poutre qui est
dans ton oeil ? L'homme, naturel connaît
mieux et plus clairement les péchés des autres que
les siens propres. Mais c'est se tromper soi-même
que de dire : Nous voulons, en haine du péché et par
amour pour notre frère, l'aider à s'affranchir du
mal et à sauver son âme - tandis qu'on est soi-même
esclave du péché.
Mais cette aveugle illusion est surtout
évidente, lorsqu'on veut corriger, non les péchés
grossiers d'un frère, mais une paille, c'est-à-dire
une simple faiblesse. Dans cette disposition, on ne
trouve pas un coeur assez croyant ni assez pieux, et
la paille est vite découverte. Dans un moment
d'oubli, un frère aura dit un mot de trop, aussitôt
il est accusé d'être violent et despote, ou bien
trop exact et trop économe, ou encore d'accorder
trop de liberté à ses enfants, tandis qu'il est trop
sévère et même bourru avec ses subordonnés. Tout est
passé en revue. On ne veut pas précisément condamner
; mais on veut cependant morigéner.
On donne à comprendre à ce frère que sa
piété laisse réellement à désirer, mais on s'offre
volontiers à l'aider, afin qu'il puisse avancer
d'une manière plus satisfaisante. Mais ce qui nous
rend si perspicaces, c'est notre présomption et
notre orgueil. Cette poutre qui est dans notre oeil,
nous la verrons aussitôt que nous aurons été reçus
en grâce, comme de pauvres pécheurs. Quiconque a été
pardonné, efface continuellement sa propre personne
vis-à-vis des autres, même lorsqu'il enseigne et
exhorte. Il adresse les âmes au médecin qui l'a
guéri lui-même. Quiconque a joui, dans une maladie,
des soins de la charité, s'entend à soigner les
malades avec de tendres précautions.
D'un autre côté, il est absolument
contraire à la volonté du Sauveur que nous
regardions, sans examen et sans distinction, chaque
homme comme un frère. Car il est dit :
Ne donnez point les choses
saintes aux chiens et ne jetez pas vos perles devant
les pourceaux, de peur qu'ils ne les foulent à leurs
pieds et que, se tournant, ils ne vous dévorent.
Lorsque le Seigneur désigne les incrédules comme deschiens,
à cause de leur inimitié contre Dieu et les choses
divines, et comme des pourceaux à cause de
leur répugnance impure pour la sainteté, ces
expressions ne sont pas aussi grossières dans sa
bouche que dans la nôtre, parce qu'il a plus
d'égards que nous pour les animaux.
En reniant l'image de Dieu, qui (Gen.
I, 26. 27) distinguait l'homme de tous les
autres êtres vivants, et faisait de lui une créature
à part, en cédant à ses appétits sensuels et
charnels (Jude
19), il s'est laissé dominer sans résistance par
ses passions et ses convoitises, et il s'est abaissé
jusqu'à se laisser guider par ses instincts animaux
; car le sens charnel et l'instinct animal sont très
proches parents.
Sans doute, le sang du Sauveur a aussi
une vertu purificatrice pour les hommes impurs et
charnels, et il veut aussi attirer ses plus obstinés
contradicteurs et ses plus mortels ennemis ; mais
pour ceux qui préfèrent l'impureté à la pureté, et
qui veulent resterchiens et pourceaux,
il faut éloigner d'eux les choses saintes, de peur
qu'ils ne les souillent et ne les profanent. C'est
pourquoi les serviteurs de Dieu doivent refuser les
choses saintes, c'est-à-dire les sacrements, aux
ennemis de la croix de Christ, et à ceux qui
scandalisent l'Église en vivant dans des vices
grossiers, et cela afin de ne pas participer au
péché d'autrui (1
Tim. V, 22). De même que tous les croyants sont
en possession du précieux trésor du royaume des
cieux (le Seigneur dit : vos perles) de même
ils doivent prendre à coeur ce sérieux avertissement
du Seigneur. C'est ainsi que maint chrétien,ayant
pris cet avertissement à la légère, et s'étant
laissé aller à fréquenter trop familièrement les
enfants du monde, même dans l'intention de gagner
leurs âmes, a dû faire l'expérience qu'une telle
société a été nuisible à sa propre âme.
g) Les promesses faites à la prière.
(Matth.
VII, 7-11.)
Celui qui désire sérieusement venir en aide aux
mondains et les rendre accessibles à la grâce de
Dieu, renonce d'abord à toute intervention
personnelle, prédication, exhortation, qu'il
commence d'abord par la prière.
Demandez et on vous donnera,
cherchez et vous trouverez ; heurtez et on vous
ouvrira. C'est déjà un bonheur de pouvoir
parler à Dieu ! mais un plus grand d'éprouver
l'exaucement de la prière. Pourtant si nos prières
n'étaient jamais exaucées, qui donc aurait encore le
courage de prier ?
Le coeur du Père, qui s'incline vers son
enfant en Christ, nous donne l'assurance que nos
prières seront exaucées ; car son enfant ne demande
que des choses conformes à sa volonté. Une pareille
prière sera en tout cas exaucée. Seulement elle ne
le sera pas toujours immédiatement, et elle sera
peut-être tout autrement que nous l'avions espéré et
attendu.
Les pères humains,
bien que mauvais, savent bien donner de bonnes
choses à leurs enfants, et ne leur offrent pas une
pierre pour du pain, ni un serpent pour un poisson,
combien plus votre Père, qui est dans les cieux,
donnera-t-il ses biens à ceux qui les lui demandent
!
h) Résumé des exhortations à marcher dans
les voies du salut qui ont été indiquées.
(Matth.
VII, 12-19.)
Toutes les choses que
vous voulez que les hommes vous fassent, faites-les
leur aussi de même, car c'est là la loi et les
prophètes. Remarquez que le Seigneur ne
dit pas : Toutes les choses que les hommes vous
font, faites-leur aussi de même, car cela
signifierait : Si les hommes vous font du bien,
faites-leur aussi du bien : mais s'il vous font du
mal, rendez-leur la pareille. Mais il dit : Faites
aux autres ce que vous souhaitezqu'ils vous
fassent. Luther dit, à propos de ce passage : « Le
Seigneur termine par ces paroles la doctrine
enseignée dans ces trois chapitres, et la lie en un
petit faisceau, dans lequel on peut trouver beaucoup
de choses que chacun peut facilement conserver dans
son coeur. C'est comme s'il disait à ses auditeurs :
Voulez-vous savoir ce que je vous ai prêché et ce
que Moïse et les prophètes vous ont enseigné ? Je
vais vous le résumer de manière que vous ne puissiez
pas vous plaindre que ce soit trop long et trop
difficile à garder. »Pour l'homme naturel, cette
parole n'a pas plus d'importance que tout le sermon
sur la montagne ; mais elle en a infiniment pour
l'enfant de Dieu. L'homme naturel s'aime lui-même,
et cet amour le rend aveugle à l'égard du prochain.
L'enfant de Dieu s'aime aussi lui-même, mais cet
amour l'éclaire sur ce qu'il doit aux autres.
Pour les brebis qui connaissent la voix
du bon Berger, cette parole :
Entrez par la porte étroite,
a la même signification que cette miséricordieuse
invitation : Venez à moi
vous tous qui êtes travaillés et chargés et je vous
soulagerai. Ceux qui, dans le sentiment
de leurs péchés, se décourageraient en présence des
conditions à remplir pour entrer dans le royaume des
cieux, respireront à l'ouïe de ce joyeux message :
Malgré vos péchés qui vous en excluent, il y a une
porte ouverte, un infaillible chemin, qui donnent
accès à ce royaume ; c'est pourquoi, entrez !
Et celui qui adresse cette invitation est lui-même
la porte (Jean
X, 9), et le chemin (Jean
XIV, 6). Le Seigneur indiquait cette porte à
Nicodème dans la nouvelle naissance d'eau et
d'Esprit. Oui, notre baptême est la porte qui
conduit au ciel. De même que cette parole du
patriarche Jacob : Certainement l'Éternel est en ce
lieu (Gen.
XXVIII, 16), peut être appliquée au baptême, de
même cette autre parole : C'est ici la porte des
cieux (Gen.
XXVIII, 17) peut avoir la même signification. La
porte et le chemin, le Seigneur les a montrés dans
les Béatitudes. Mais il y a un autre chemin sur
lequel beaucoup préfèrent marcher. C'est celui qui
consiste à écouter la Parole, mais à ne pas la
mettre en pratique.
Ce chemin large et commode est fréquenté
par la foule.
Laisser libre cours aux inspirations du
coeur naturel, se livrer à la colère, à l'impureté,
à la haine, aux querelles, à l'avarice, rechercher
la piété comme un moyen d'être honoré des hommes,
critiquer avec malveillance, travailler d'une
manière importune à la conversion des autres, - tout
cela se trouve parmi ceux qui se réclament du nom de
Christ. Et ils sont si nombreux, qu'on serait tenté
de croire que le chemin qu'ils suivent est la
véritable voie chrétienne.
En revanche, la voie du Sauveur, d'après
le sermon sur la montagne, est si étroite, qu'il
faut, pour la trouver, des yeux éclairés de la
lumière d'en haut, et le nombre de ceux qui le
suivent est si restreint qu'on se demande si l'on ne
se trompe pas en s'y engageant, et si les autres ne
pourraient pas aussi à la fin être sauvés. Mais
rappelons-nous cette parole du Sauveur : Il y aura
beaucoup d'appelés, mais peu d'élus (Matth.
XXII, 14).
Gardez-vous des
faux prophètes qui viennent à vous en habits de
brebis, mais qui, au dedans sont loups ravissants.
Voyez comme le Sauveur tient à la vraie doctrine !
Les prophètes sont envoyés de Dieu pour enseigner
aux hommes la vie du salut. Quiconque rend
témoignage du haut de la chaire ou de toute autre
manière, que Jésus est le seul chemin qui conduit à
la vie, qu'il n'y a de salut en aucun autre, et
qu'ainsi le salut nous est accordé par pure grâce
sans aucun mérite de notre part, mais uniquement par
la foi en Jésus-Christ, celui-là est un vrai
prophète. Les faux prophètes sont ceux qui, sous les
apparences de la piété (en habits de brebis) font
sortir les hommes de cette voie et les engagent dans
une autre. Ce ne sont ni des blasphémateurs, ni des
athées. Les enfants de Dieu n'auraient pas besoin de
prendre de grandes précautions contre de tels
hommes. Ils seraient immédiatement reconnus comme
des méchants. Mais les habits de brebis, les paroles
pieuses, trompent beaucoup d'âmes. On parle sans
doute de Dieu, du ciel, du salut, mais la porte
étroite est élargie, le chemin étroit est rendu
spacieux, les faux prophètes assurent qu'il est tout
à fait superflu de travailler à son salut avec
crainte et tremblement, puisque après la mort tous
seront cependant finalement sauvés.
Un homme sent-il les accusations de sa
conscience ? Aussitôt ilslui présentent cette fatale
consolation : « D'autres ont fait pire que toi. »
Singulière consolation ! C'est comme si un homme qui
m'a volé dix écus prétendait me consoler en me
disant qu'un autre m'en a volé cent. Dès lors il
n'est plus question de se repentir, de crucifier la
chair, ni de faire mourir le vieil Adam. Dieu n'est
plus représenté comme celui qui menace et punit les
transgresseurs de ses commandements. Il n'est plus
question ni de jugement ni de condamnation. Ces
hommes suivent l'exemple du grand prêtre Héli, qui
connaissait fort bien les méfaits de ses fils, mais
qui n'osait pas les reprendre même par un regard
sévère. Ils laissent dans l'ombre la sévérité et la
justice du Père céleste. On ne sait plus rien de
l'épée à deux tranchants, qui atteint jusqu'au fond
de l'âme et de l'esprit, des jointures et des
moelles (Héb.
IV, 12), ni du marteau qui brise la pierre (Jérém.
XXIII, 29). Tout se fait doucement et avec
ménagements ! Ce sont encore les habits de brebis.
Le monde est plein de ces faux prophètes. Il y en a
peut-être sous votre toit ou dans la maison voisine.
Ils s'asseyent dans les hôtels ; ils vous parlent
dans les livres, dans les journaux, organes de
l'incrédulité. Votre salut vous tient-il à coeur ?
En ce cas soyez prudent !
Vous les
reconnaîtrez à leurs fruits. Cueille-t-on des
raisins sur des épines et des figues sur des
chardons ? Tout arbre qui est bon, porte de bons
fruits ; mais un mauvais arbre porte de mauvais
fruits. Un bon arbre ne peut porter de mauvais
fruits, ni un mauvais arbre, de bons fruits. Tout
arbre qui ne porte pas de bons fruit ; sera coupé et
jeté au feu ; vous les connaîtrez donc à leurs
fruits. D'abord le bon arbre, ensuite les
bons fruits. Car au fruit on reconnaît la semence et
aussi celui qui l'a répandue : Dieu ou le
destructeur. Le bon arbre, c'est le coeur uni à
Christ par la foi. On reconnaît un coeur croyant à
ceci, c'est qu'il prouve sa foi par sa vie. Mais
pour juger la foi par son fruit, il faut connaître
ce fruit. Et on le connaît non pas en le regardant,
mais en le goûtant. Il ne faut donc pas non plus se
laisser tromper par l'apparence des soi-disant
bonnes oeuvres, afin de ne pas prendre les feuilles
pour les fruits, ni les fruits artificiels pour des
naturels. Les ronces et les chardons portent des
épines, et non des figues ni des raisins.
Les faux prophètes, qui ne sont pas
fondés sur Christ, mais sur la sagesse humaine, ne
peuvent pas porter des fruits mûrs pour le ciel,
tels que la douceur, la pureté du coeur, l'amour de
la paix, la patience dans les afflictions. De tels
raisins croissent seulement sur le sarment vivant,
lequel puise sa sève dans le cep qui est Christ.
Les enfants du monde sont d'accord, en
apparence, avec cette parole du Sauveur :Vous
les reconnaîtrez à leurs fruits. Ils
disent bien haut : Oui, certainement, les fruits
sont la chose principale ; l'essentiel, c'est de
faire le bien. La foi est accessoire. Seulement, en
parlant ainsi, ils n'ont pas en vue les fruits qui
mûrissent pour le ciel, mais seulement une honnêteté
bourgeoise, une apparence extérieure, qui frappe les
yeux. Le monde n'aime pas les bons fruits ; il ne
plante pas volontiers de bons arbres.
Tous les parents ne demanderaient pas
mieux que d'avoir des enfants bien élevés, qui leur
obéissent, les aiment et les respectent. Mais ils ne
se donnent aucune peine pour les rendre tels, en
leur inspirant la crainte et l'amour de Dieu.
Singulière doctrine ! On demande des fruits ; la foi
est accessoire. Que penseraient les cultivateurs si
on leur disait : l'essentiel, c'est la moisson. Les
semailles sont chose accessoire. Les poires et les
pommes sont l'essentiel, les arbres sont
accessoires. - Pour moissonner, il faut ensemencer,
et pour recueillir des fruits, il faut planter des
arbres et les cultiver. Pour recueillir les fruits
du royaume des cieux, il faut que le coeur soit
planté en Christ qui est l'arbre de vie. Celui qui
ne porte pas de bons fruits est mûr pour le feu !
Ceux qui me
disent : Seigneur, Seigneur, n'entreront pas tous
dans le royaume des cieux ; mais celui-là seulement
qui fait la volonté de mon Père qui est aux cieux.
Non pas tous ! C'est-à-dire ceux-là n'y entreront
pas, qui adorent de bouche le Sauveur, sans lui
donner leur coeur, comme le veut le Père céleste (Jean
VI, 40). Le monde tourne volontiers cette parole
du Sauveur, comme s'il disait : Tous ceux qui me
disent : Seigneur, Seigneur, n'entreront point dans
le royaume des cieux. Ainsi les croyants qui
fléchissent les genoux au nom du Seigneur Jésus,
n'auraient aucune chance d'y entrer.- Il est
probable que tous ceux qui prient ne seront pas tous
sauvés :mais il est certain que ceux qui ne prient
pas ne le seront pas. La volonté du Père céleste
n'est pas que nous fassions des oeuvres extérieures,
mais que nous croyions en Celui qu'il a envoyé (Jean
VI, 40).
Plusieurs me
diront en ce jour-là, Seigneur, Seigneur,
n'avons-nous pas prophétisé en ton nom ?
n'avons-nous pas chassé les démons en ton nom ?
n'avons-nous pas fait des miracles en ton nom ? À
lors je leur dirai ouvertement : Je ne vous ai
jamais connus ! relirez-vous de moi, vous qui faites
métier d'iniquité. La simple confession
de bouche, le simple combat extérieur contre le
malin, l'accomplissement de quelques soi-disant
bonnes oeuvres, ne seront pas admis par le Sauveur
comme des fruits du royaume des cieux. Toutes ces
confessions extérieures du nom de Christ, toutes ces
bonnes oeuvres peuvent être le fruit de l'égoïsme,
de l'orgueil et marcher de front avec la colère, la
haine, l'impureté, l'avarice, etc. Et tous ceux qui
agissent ainsi, sont aux yeux du Sauveur des
ouvriers d'iniquité. Le Seigneur ne connaît pas
leurs oeuvres, et ce mot du Bon Berger : Je connais
mes brebis et mes brebis me connaissent (Jean
X, 14) ne s'applique pas à eux. Ils se
glorifient peut-être de connaître le Sauveur ; mais
ils le connaissent seulement pour avoir entendu
parler de lui, et non par une relation personnelle
de leur coeur avec lui. C'est pourquoi lui-même ne
les reconnaît pas pour les siens.
Quiconque donc
entend les paroles que je dis et les met en pratique
je le compare à un homme prudent qui a bâti sa
maison sur le roc .... Mais quiconque entend les
paroles que je dis et ne les met pas en pratique, je
le compare à un homme insensé, qui a bâti sa maison
sur le sable.... La mise en pratique des
paroles de Jésus consiste en ceci : Faire habiter
Christ dans son coeur par la foi et être enraciné et
fondé dans la charité (Éphés.
III, 17. 18). Cette foi fortifie et donne la
force de résister dans les détresses, empêche de
succomber dans les tentations, et de s'irriter dans
les afflictions et les persécutions qu'on souffre à
cause de la Parole. On croit que le poison des
maladies contagieuses est porté au loin par le vent.
Il en est de même du poison spirituel des fausses
doctrines et des passions mondaines, qui s'est
emparé des masses populaires et quiles pousse comme
un tourbillon. Alors, tout ce qui n'est pas fondé
sur Christ comme sur l'inébranlable rocher, est
emporté et détruit. Dans la cour du souverain
sacrificateur, près du feu, soufflait un vent qui
vint battre la maison de celui qui avait été
surnommé le rocher. Elle était bâtie sur le sable de
la confiance en soi-même aussi subit-elle
l'épouvantable chute du reniement.
Lorsque, devant le palais de Pilate, un
vent de tempête soufflait dans la foule du peuple ce
cri meurtrier : Crucifie, crucifie ! ceux qui
le poussaient n'étaient certainement pas tous des
ennemis déclarés de Jésus. Il y en avait sans doute
beaucoup parmi eux, ceux qui avaient écouté avec un
recueillement respectueux les paroles de vie qui
sortaient de sa bouche, et qui, lors de son entrée
solennelle à Jérusalem, s'étaient écriés avec
enthousiasme : Hosanna ! Mais ils ne croyaient pas
de tout leur coeur ; ils n'étaient pas fondés sur le
roc. C'est pourquoi ils s'associèrent à ceux qui
clouèrent Jésus au bois maudit. Les temps
d'afflictions et de persécutions sont des temps
d'épreuve, où les vraies pensées des coeurs se
manifestent. Que celui qui croit être debout prenne
garde qu'il ne tombe (1
Cor. X, 12) ! Recevoir les paroles de Jésus avec
une foi simple et se livrer à leur efficace, voilà
ce qui donne la force de mettre en pratique les
enseignements qu'on a entendus. Car cette parole
n'est pas une lettre morte ; elle produit elle-même
ce qu'elle commande.
Et quand Jésus
eut achevé tous ces discours, le peuple fut étonné
de sa doctrine, car il enseignait comme ayant
autorité et non comme les scribes. Il
enseignait comme ayant autorité, c'est-à-dire qu'il
enseignait les choses, tandis que les scribes
n'enseignaient que des idées. Il enseignait avec un
amour qui pénétrait et saisissait les âmes, et
chacun de ceux qui l'entendaient se disait en
lui-même : C'est de moi qu'il parle ; il veut me
sauver. Il ne faut donc pas être surpris que le
peuple fût étonné de cette doctrine. Il n'en pouvait
pas être autrement, du moment que chacun était
obligé de se dire : « Tel que je suis, je ne puis
pas entrer dans le royaume des cieux. »
Les prédications puissantes excitent
l'étonnement, les prédications intéressantes, si
instamment réclamées aujourd'hui, provoquent des
louanges et des félicitations. Heureux les
prédicateurs auxquels ces louanges ne sont pas
nuisibles, comme ce fut le cas pour levieux père
Jaenike, dans l'église de Bethléem à Berlin. Un de
ses auditeurs, ayant trouvé son sermon très beau,
éprouva le besoin de lui en faire compliment. Il le
suivit dans la sacristie et le remercia pour sa
belle prédication. Jaenike, plutôt confondu
qu'enorgueilli par cette louange, répondit
brièvement : « Pendant que je descendais les degrés
de la chaire, le diable me faisait le même
compliment. » |