LIVRE 1
PRÉAMBULE
1- [1] La guerre que
les Juifs engagèrent contre les Romains est la plus considérable, non
seulement de ce siècle, mais, peu s'en faut, de toutes celles qui, au rapport
de la tradition, ont surgi soit entre cités. soit entre nations. Cependant
parmi ceux qui en ont écrit l'histoire, les uns, n'ayant pas assisté aux événements,
ont rassemblé par oui dire des renseignements fortuits et contradictoires,
qu'ils ont mis en œuvre a la façon des sophistes; les autres, témoins des
faits, les ont altérés par flatterie envers les Romains ou par haine envers
les Juifs, et leurs ouvrages contiennent ici un réquisitoire, là un panégyrique,
jamais un récit historique exact. C'est pour cela que je me suis proposé de
raconter en grec cette histoire, à l'usage de ceux qui vivent sous la
domination romaine. traduisant l'ouvrage que j'ai composé auparavant dans ma
langue maternelle
à l'usage des Barbares de l'intérieur. Mon nom est Josèphe, fils de Matthias,
Hébreu de nation,
originaire de Jérusalem, prêtre : aux débuts j'ai moi-même pris part
à la guerre contre les Romains ; les événements ultérieurs, j'y ai
assisté par contrainte.
2. [4] Quand se
produisit
3 le grand mouvement dont je viens de parler, les affaires des Romains étaient
malades : chez les Juifs, le parti révolutionnaire profita de ces temps
troublés pour se soulever,
jouissant alors de la plénitude de ses forces et de ses ressources ; tel
était l'excès des désordres, que les uns conçurent l'espoir de conquérir
l'Orient, les autres la crainte d’en être dépouillés. En effet, les Juifs
espérèrent que tous ceux de leur race, habitant au delà de l'Euphrate, se révolteraient
avec eux : d'autre part, les Romains étaient inquiets de l'attitude des
Gaulois, leurs voisins ; la Germanie
demeurait point en repos. Après la mort de Néron, la confusion régnait
partout, beaucoup, alléchés par les circonstances, aspiraient au principat ;
la soldatesque, séduite par l'espoir du butin, ne rêvait que de changements. -
J'ai donc pensé que, s'agissant d'événements si considérables, il était
absurde de laisser la vérité s'égarer. Alors que les Parthes, les
Babyloniens, les Arabes les plus éloignés, nos compatriotes habitant au delà
de l'Euphrate, les Adiabéniens savent exactement, grâce à mes recherches,
l'origine de la guerre, les péripéties les douloureuses qui en marquèrent le
cours, enfin le dénouement, il ne faut pas que, en revanche, les Grecs et ceux
des Romains qui n'ont pas pris part à la campagne continuent à ignorer tout
cela parce qu'ils n'ont rencontré que flatteries ou fictions.
3. [7] Et cependant on
ose donner le titre d'histoires à ces écrits qui, à mon avis, non seulement
ne racontent rien de sensé. mais ne répondent pas même à l'objet de leurs
auteurs. Voilà, en effet, des écrivains, qui. voulant exalter la grandeur des
Romains, ne cessent de calomnier et de rabaisser les Juifs : or, je ne vois
pas en vérité comment paraîtraient grands ceux qui n’ont vaincu que des
petits. Enfin, ils n’ont égard ni à la longue durée de la guerre, ni aux
effectifs considérables de cette armée romaine, qui peina durement, ni à la
gloire des chefs, dont les efforts et les sueurs devant Jérusalem, Si l'on
rabaisse l'importance de leur succès, tombent eux-mêmes dans le mépris [6a].
4. [9] Cependant je ne
me suis pas proposé de rivaliser avec ceux qui exaltent la gloire des Romains
en exagérant moi-même celle de mes compatriotes :
je rajoute exactement les faits accomplis par les uns et par les autres :
quant à l'appréciation des événements, je ne pourrai m'abstraire de
mes propres sentiments [6b], ni refuser libre cours à ma douleur pour gémir sur les
malheurs de ma patrie. Que ce sont, en effet, les factions domestiques qui l'ont
détruite, que ce sont les tyrans des Juifs qui ont attiré sur le Temple saint
le bras des Romains, contraints et forcés, et les ravages de l'incendie,
c’est ce dont Titus César, auteur de cette dévastation, portera lui-même
témoignage,
lui qui, pendant toute la guerre, eut pitié de ce peuple garrotté par les
factieux, lui qui souvent différa volontairement la ruine de la ville, et, en
prolongeant le siège, voulut fournir aux coupables l'occasion de se repentir.
On pourra critiquer les accusations que je dirige contre les tyrans et leur séquelle
de brigands, les gémissements que je pousse sur les malheurs de ma patrie ;
on voudra bien pourtant pardonner à ma douleur, fût-elle contraire à la loi
du genre historique. Car de toutes les cités soumises aux Romains, c'est la nôtre
qui s'est élevée au plus haut degré de prospérité pour retomber dans le
plus profond abîme de malheur. En effet, toutes les catastrophes enregistrées
depuis le commencement des siècles me paraissent, par comparaison, inférieures
aux nôtres,
et comme ce n'est pas l'étranger qui est responsable de ces misères, il
m'a été impossible de retenir mes plaintes. Ai-je affaire à un critique
inflexible envers l'attendrissement? Qu'il veuille bien alors faire deux parts
de mon ouvrage mettre sur le compte de l'histoire les faits, et sur celui de
l'historien les larmes.
5. [13] Maintenant,
comment ne pas blâmer ces Grecs diserts qui, trouvant dans l’histoire
contemporaine une série d'événements dont l'importance éclipse complètement
celle des guerres de l'antiquité, ne s'érigent pas moins en juges malveillants
des auteurs appliqués à l'étude de ces faits, - auteurs aussi inférieurs a
leurs critiques par l'éloquence que supérieurs par le jugement - tandis
qu'eux-mêmes s'appliquent à récrire l'histoire des Assyriens et des Mèdes
sous prétexte que les anciens écrivains l'ont médiocrement racontée? Et
pourtant ils le cèdent à ces derniers aussi bien sous le rapport du talent que
sous celui de la méthode: car les anciens, sans exception, se sont attachés à
écrire l'histoire de leur propre temps, alors que la connaissance directe
qu'ils avaient des événements donnait à leur récit la clarté de la vie,
alors qu'ils savaient qu'ils se déshonoreraient en altérant la vérité devant
un public bien informé. En réalité, livrer à la mémoire des hommes des
faits qui n'ont pas encore été racontés rassembler pour la postérité
les événements contemporains, est une entreprise qui mérite a coup sûr la
louange et l'estime; le vrai travailleur, ce n'est pas celui qui se contente de
remanier l'économie et le plan de l'ouvrage d'un autre, mais celui qui raconte
des choses inédites et compose avec une entière originalité tout un corps
d'histoire. Pour moi, quoique étranger je n'ai épargné ni dépenses ni peines
pour cet ouvrage, où j'offre
aux Grecs et aux Romains le souvenir de faits mémorables ; tandis que les
Grecs de naissance (7a), si prompts à
ouvrir leur bouche et à délier leur langue quand il s'agit de gains et de
procès, s'agit-il, au contraire, d'histoire, où il faut dire ta vérité et
réunir les faits au prix de grands efforts, les voilà muselés et abandonnant
à des esprits médiocres, mal informés, le soin de consigner les actions des
grands capitaines. Apportons donc cet hommage à la vérité historique, puisque
les Grecs la négligent.
6. [17] L'histoire
ancienne des Juifs, qui ils étaient et comment ils émigrèrent d'Égypte,
les pays qu'ils parcoururent dans leur marche errante, les lieux qu'ils occupèrent
ensuite, et comment ils en furent déportés, tout ce récit je l'ai jugé
inopportun à cette place, et d'ailleurs superflu, car, avant moi, beaucoup de
Juifs ont raconté exactement l'histoire de nos pères, et quelques Grecs ont
fait passer dans leur langue ces récits,
sans altérer sensiblement la vérité.
C'est donc à l'endroit où cesse le témoignage de ces historiens et
de nos prophètes que je fixerai le début de mon ouvrage. Parmi les événements
qui suivent je traiterai avec le plus de détail et de soin possibles ceux de la
guerre dont je fus témoin; quant a ceux qui précèdent mon temps, je me
contenterai d'une esquisse sommaire.
7. [19] C'est ainsi que
je raconterai brièvement comment Antiochus, surnommé Épiphane, après s’être
emparé de Jérusalem par la force, occupa la ville trois ans et six mois
jusqu'a ce qu'il fut chassé du pays par les fils d'Asmonée : ensuite,
comment les descendants des Asmonéens, se disputant le trône, entraînèrent
dans leur querelle les Romains et
Pompée : comment Hérode,
fils d’Antipater, mit
fin à leur dynastie avec le concours
de Sossius :
comment le peuple,
après la mort d’Hérode, fut livré à la sédition sous le principat
d'Auguste à Rome. Quintilius
Varus étant gouverneur du pays ; comment
la guerre éclata la douzième année
du principat de Néron, les événements
qui se succédèrent sous le
gouvernement Cestius, les lieux que dans leur premier élan les Juifs occupèrent
de vive force.
8.
[21] Je dirai ensuite comment ils fortifièrent les villes voisines : comment
Néron, ému des
revers de Ceslius et
craignant
une ruine complète
de l’empire, chargea Vespasien de la
conduite de la guerre ; comment
celui-ci, accompagné de l’aîné de ses fils, envahit le territoire
des Juifs ; avec quels
effectifs, romains ou alliés, il se répandit dans toute la Galilée ;
comment il occupa
les villes de cette province, les unes par force, les autres par composition. En
cet endroit de mon
livre viendront des renseignements sur la belle discipline des Romains à la
guerre, sur l’entraînement de leurs légions, puis sur l’étendue et la
nature des deux Galilées, les limites de la Judée et les particularités de ce
pays, les lacs, les sources
qu’on y trouve ; enfin,
pour chaque ville, je raconterai les misères de ceux qui y furent pris, le tout
avec exactitude, selon ce que j’ai vu ou souffert moi-même. Car je ne
cacherai rien de mes propres infortunes, puisqu’aussi bien je m’adresse à
des gens qui les connaissent.
9.
[23] Je raconte ensuite
comment, au moment
où déjà la situation des Juifs
périclitait,
Néron mourut, et Vespasien, qui
avançait vers Jérusalem, en
fut détourné pour aller occuper la dignité impériale ;
j’énumère les présages qu’il obtint à ce sujet
, les révolutions de Rome, les soldats le
saluant malgré lui du titre
d’empereur, puis, quand il s’est
rendu en Égypte pour mettre ordre dans l'empire, la Judée en
proie aux factions, des
tyrans surgissant et luttant les
uns contre les autres,
10.
[25]
Je montre alors Titus quittant l'Égypte
et envahissant une seconde fois notre contrée ;
j'explique comment il rassembla ses troupes, en quels lieux, en quel
nombre ; dans quel état à son arrivée, la discorde avait
mis la ville ; toutes les attaques de Titus, tous
ses travaux d'approche, et, d'autre part, la
triple enceinte de nos murailles, leurs dimensions, la force de notre
ville, la disposition de l’enceinte sacrée et du Temple, leurs mesures et
celles de l'autel, le tout avec
exactitude ; je décris quelques rites usités dans nos fêtes, les sept
degrés de la pureté,
les fonctions des prêtres,
leurs vêtements et cieux du grand pontife, enfin le sanctuaire du Temple, le
tout sans rien omettre, sans rien
ajouter aux détails pris sur le fait.
11. [27] Je dépeins
ensuite la cruauté
des tyrans contre des compatriotes, contrastant
avec les ménagements des Romains a l'égard d'étrangers ; je
raconte combien de fois Titus, désirant sauver la ville et le
Temple, invita les factions à traiter. Je
classerai les souffrances et les misères du peuple, provenant soit de la
guerre, soit des séditions, soit de la famine, et qui finirent
par les réduire à la captivité.
Je n’omettrai ni les mésaventures
des déserteurs, ni les supplices infligés
aux prisonniers ; je raconterai
le Temple incendié malgré César,
quels objets sacrés furent arrachés des flammes, la
prise de la ville entière, les signes et les prodiges qui précédèrent
cet événement ; la capture des tyrans,
le grand nombre des captifs
vendus à l'encan,
les destinées si variées
qu’ils rencontrèrent ;
puis la manière dont les
Romains étouffèrent les dernières convulsions de cette guerre
et démolirent les remparts
des forteresses, Titus parcourant toute la contrée pour l’organiser,
enfin son départ pour l’Italie et son triomphe.
12. [30] Tel est
l’ensemble des événement que je
compte raconter et embrasser dans sept livres. Je ne laisserai à ceux
qui connaissent les faits et qui ont assisté à, la guerre aucun prétexte de
blâme ou d'accusation, - je parle de ceux qui cherchent dans l'histoire la vérité,
et non le plaisir. Et je commencerai mon récit par où j'ai commencé le
sommaire
qu'on vient de lire.
LIVRE
IER
I
1.
[31] La discorde s'éleva parmi les notables juifs, dans le temps où Antiochus
Épiphane disputait la Cœlé-Syrie à
Ptolémée, sixième du nom. C'était une querelle d'ambition et de pouvoir,
aucun des personnages de marque ne pouvant souffrir d’être subordonné à
ses égaux. Onias, un des grands-prêtres, prit le dessus et chassa de la ville
les fils de Tobie : ceux-ci se réfugièrent auprès d’Antiochus et le
supplièrent de les prendre pour guides et d'envahir la Judée. Le roi, qui
depuis longtemps penchait vers ce dessein, se laisse persuader et, à la tête
d'une forte armée, se met en marche et prend d'assaut la ville ;
il y tue
un grand nombre des
partisans de Ptolémée, livre la ville
sans restriction au pillage de ses soldats, et lui-même dépouille le
Temple et interrompt durant trois ans et six mois la célébration solennelle
des sacrifices quotidiens.
Quant au grand-prêtre Onias, réfugié auprès de Ptolémée, il reçut
de ce prince un territoire dans le nome d'Héliopolis : là il bâtit une
petite ville le plan de Jérusalem et un temple semblable au notre ; nous
reparlerons de ces évènements en
temps et lieu.
2. [34] Antiochus ne se
contenta pas d'avoir pris la ville contre toute espérance, pillé et massacré
à plaisir ; entraîné par la violence de ses passions, par le souvenir
des souffrances qu'il avait endurées pendant le siège, il contraignit les
Juifs, au mépris de leurs lois nationales, à laisser leurs enfants incirconcis
et à sacrifier des porcs sur l'autel. Tous désobéissaient à ces
prescriptions, et les plus illustres furent égorgés. Bacchidès,
qu’Antiochus avait envoyé comme gouverneur militaire,
exagérait encore par cruauté naturelle les ordres impies du prince ; il ne
s’interdit aucun excès d'illégalité, outrageant individuellement les
citoyens notables et faisant voir chaque jour à la nation toute entière
l'image d'une ville captive, jusqu'à ce qu'enfin l'excès même de ses crimes
excitât ses victimes à oser se défendre.
3.
[36] Un prêtre, Matthias,
fils d'Asamonée, du bourg de Modéin, prit les armes avec sa propre famille, -
il avait cinq fils - et tua Bacchidès
à coups de poignard ; puis aussitôt, craignant la multitude des
garnisons ennemies, il s'enfuit dans la montagne.
Là beaucoup de gens du peuple se joignirent à lui ; il reprit confiance,
redescendit dans la plaine, engagea le combat, et battit les généraux d'Antiochus,
qu'il chassa de la Judée. Ce succès établit sa puissance ;
reconnaissants de l'expulsion des étrangers, ses concitoyens l'élevèrent au
principat ; il mourut en laissant le pouvoir a Judas, l'aîné de ses fils.
4.
[38]
Celui ci, présumant qu'Antiochus ne resterait pas en repos, recruta des troupes
parmi ses compatriotes. Et, le premier de sa nation, fit alliance avec les
Romains.
Quand Epiphane envahit de nouveau le territoire juif,
il le repoussa en lui infligeant 1111 grave échec. Dans la chaleur de sa
victoire, il s'élança ensuite contre la garnison de la ville qui n'avait pas
encore été expulsée. Chassant les soldats étrangers de la ville haute, il
les refoula dans la ville basse, dans celte partie de Jérusalem qu'on nommait
Acra. Devenu maître du sanctuaire, il en purifia tout l'emplacement,
l'entoura de murailles, fit fabriquer de nouveaux vases sacrés et les
introduisit dans le temple, pour remplacer ceux qui avaient été souillés, éleva
un autre autel et recommença les sacrifices expiatoires,
Tandis que Jérusalem reprenait ainsi sa constitution sacrée, Antiochus
mourut ; son fils Antiochus hérita de son royaume et de sa haine contre
les Juifs.
5.
[41] Ayant donc réuni cinquante mille fantassins, environ cinq mille cavaliers et
quatre-vingts éléphants,
il s'élance à travers la Judée vers les montagnes. Il prit la
petite ville de Bethsoura,
mais près du lieu appelé Bethzacharia, où l'on accède par un défilé étroit,
Judas, avec toutes ses forces, s'opposa à sa marche. Avant même que les
phalanges eussent pris contact, Éléazar, frère de Judas, apercevant un éléphant,
plus haut que tous les autres, portant une vaste tour et une armure dorée,
supposa qu'il était monté par Antiochus lui-même ; il s'élance bien
loin devant ses compagnons, fend la presse des ennemis, parvient jusqu'à l'éléphant ;
mais comme il ne pouvait atteindre, en raison de la hauteur, celui qu'il croyait
être le roi, il frappa la bête sous le ventre, fit écrouler sur lui cette
masse et mourut écrasé. Il n'avait réussi qu'à tenter une grande action et
à sacrifier la vie à la gloire, car celui qui montait l'éléphant était un
simple particulier ; eût-il été Antiochus, l'auteur de cette audacieuse
prouesse n'y eût gagné que de paraître chercher la mort dans la seule espérance
d'un brillant succès. Le frère d'Éléazar vit dans cet événement le présage
de l'issue du combat tout entier. Les Juifs, en effet, combattirent avec courage
et acharnement ; mais l'armée royale, supérieure en nombre et favorisée
par la fortune, finit par l’emporter ; après avoir vu tomber un grand
nombre des siens, Judas s'enfuit avec le reste dans la préfecture de Gophna,
Quant à Antiochus, il se dirigea vers Jérusalem, y resta quelques jours, puis
s'éloigna à, cause de la rareté des vivres, laissant dans la ville une
garnison qu'il jugea suffisante, et emmenant le reste de ses troupes hiverner en
Syrie.
6.
[47]
Après la retraite du roi, Judas ne resta pas inactif; rejoint par de nombreuses
recrues de sa nation, il t'allia les soldats échappés à la défaite, et livra
bataille près du bourg d'Adasa aux généraux d'Antiochus.
Il fit, dans le combat, des prodiges de valeur, tua un grand nombre d'ennemis,
mais périt lui-même.
Peu de jours après, son frère Jean tomba dans une embuscade des partisans
d'Antiochus et périt également.
1.
[48] Jonathas, son frère, qui lui succéda,
sut se préserver des embûches
des indigènes et affermit
son pouvoir par son amitié avec
les Romains ; il conclut aussi un accord avec le fils d'Antiochus.
Malgré tout, il ne put échapper à son destin. Car le tyran Tryphon, tuteur du
fils d'Antiochus, et qui conspirait dès longtemps contre son pupille, s’efforçant
de se débarrasser des amis du jeune roi, s'empara par trahison de Jonathas
lorsque celui-ci, avec une suite peu nombreuse, fut venu a Ptolémaïs
rencontrer Antiochus. Tryphon le charge de fers et part en campagne contre la
Judée ensuite, repoussé par
Simon, frère de Jonathas et furieux de sa défaite, il met à mort son captif.
2.
[50] Simon, qui conduisit les affaires avec énergie, s'empara de Gazara,
de Joppé, de Jamnia, villes du voisinage, et rasa la citadelle (Acra), après
avoir réduit la garnison a capituler. Puis il se fit l'allié d'Antiochus
contre Tryphon, que le roi assiégeait dans la ville de Dora avant de partir
pour son expédition contre les Mèdes. Pourtant, il eut beau collaborer a la
perte de Tryphon,
il ne réussit pas a conjurer l'avidité du roi ; car Antiochus,
peu de temps après, envoya Cendébée, son général, avec une armée pour
ravager la Judée et s'emparer de Simon. Celui-ci, malgré sa vieillesse, commença
la guerre avec une ardeur juvénile ; il envoya en avant ses fils avec les
hommes les plus vigoureux contre le général ennemi ; lui-même, prenant
une partie des troupes, attaqua sur un autre point. Il posta a diverses reprises
des embuscades dans les montagnes et obtint l'avantage dans tous les
engagements. Après ce brillant succès, il fut proclamé grand-prêtre et délivra
les Juifs de la domination des Macédoniens, qui pesait sur eux depuis cent
soixante-dix ans.
3.
[54] Il mourut lui-même dans des embûches que lui dressa au cours d'un festin son
gendre Ptolémée. Le meurtrier retint prisonniers la femme et deux des fils de
Simon, et envoya des gens pour tuer le troisième, Jean, surnommé
Hyrcan. Le jeune homme, prévenu de leur approche, se hâta de gagner la ville,
ayant toute confiance dans le peuple, qui gardait le souvenir des belles actions
de ses ancêtres et haïssait les violences de Ptolémée. Cependant Ptolémée
se hâta d'entrer lui aussi par une autre porte ; mais il fut repoussé
par le peuple, qui s'était empressé de recevoir Hyrcan. Il se retira aussitôt
dans une des forteresses situées au-dessus de Jéricho, nommée Dagon. Hyrcan,
succédant à son père dans la grande-prêtrise, offrit un sacrifice à Dieu,
puis se lança à la' poursuite de Ptolémée pour délivrer sa mère et ses frères.
4. [57] Il assiégea la
forteresse, mais, supérieur sur tous les points, il se laissa vaincre par son
bon naturel. Lorsque Ptolémée se trouvait vivement pressé, il faisait
conduire sur la muraille, en un endroit bien visible, la mère et les frères
d'Hyrcan, les maltraitait et menaçait de les précipiter en bas si Hyrcan ne s'éloignait
sur-le-champ. Devant ce spectacle, la colère d'Hyrcan cédait à la pitié et
à la crainte. Mais sa mère, insensible aux outrages et aux menaces de mort,
tendait les bras vers lui et le suppliait de ne pas se laisser fléchir par la
vue de l'indigne traitement qu'elle endurait, au point d’épargner cet impie :
elle préférait à l'immortalité même la mort sous les coups de Ptolémée,
pourvu qu'il expiât tous les crimes qu'il avait commis contre leur
maison. Jean, quand il considérait la constance de sa mère et entendait ses prières,
ne songeait plus qu’à l'assaut ; mais quand il la voyait frapper et déchirer,
son cœur s'amollissait, et il était tout entier à sa douleur. Ainsi le
siège traîna en longueur, et l'année
de repos survint ; car tous les sept ans les Juifs consacrent une année à
l'inaction comme ils font du septième jour de la semaine. Ptolémée, délivré
alors du siège, tua la mère et les frères de Jean et s'enfuit auprès de Zénon,
surnommé Cotylas, tyran de Philadelphie.
5.
[61] Antiochus, irrité du mal que lui avait causé Simon, fit une expédition en
Judée, se posta devant Jérusalem et y assiégea Hyrcan. Celui-ci fit ouvrir le
tombeau de David, le plus riche des rois, en tira une somme de plus de trois
mille talents
et obtint d'Antiochus, au prix de trois cents talents, qu'il levât le siège ;
avec le reste de cet argent, il commença à payer des troupes mercenaires qu'il
fut le premier des Juifs a entretenir.
6.
[62] Plus tard, Antiochus, parti en guerre contre les Mèdes, fournit
à
Hyrcan l'occasion d'une revanche. Celui-ci se jeta alors sur les villes de
Syrie, pensant, comme ce fut le cas, qu'il les trouverait dépourvues
de défenseurs valides. Il prit ainsi Médabé, Samaga et les villes voisines,
puis Sichem et Garizim ; en outre, il soumit la race des Chuthéens, groupée
autour du temple bâti à l'instar de celui de Jérusalem. Il s'empara encore de
diverses villes d'Idumée, en assez grand nombre, notamment d'Adoréon
et de Marisa.
7.
[64] Il s'avança jusqu'à la ville de Samarie, sur l'emplacement de laquelle est
aujourd'hui Sébasté, bâtie par le roi Hérode. L'ayant investie de toutes
parts, il en confia le siège à ses fils Aristobule et Antigone ; ceux-ci
exercèrent une surveillance si rigoureuse que les habitants, réduits à une
extrême disette, se nourrirent des aliments les
plus répugnants. Ils appelèrent à leur secours Antiochus, surnommé
Aspendios.
Celui-ci répondit volontiers à leur appel, mais fut vaincu par Aristobule.
Poursuivi par les deux frères jusqu'à Scythopolis, il se sauva ;
ceux-ci, se retournant ensuite contre Samarie, renfermèrent de nouveau le
peuple dans ses murs ; ils prirent la ville, la détruisirent et réduisirent
les habitants en esclavage. Poussant leurs succès, sans laisser refroidir leur
ardeur, ils s'avancèrent avec leur armée jusqu'à Scythopolis, firent des
incursions sur son territoire et livrèrent au pillage tout le pays en deçà
du mont Carmel.
8.
[67] Les prospérités de Jean et de ses fils provoquèrent dans le peuple la
jalousie, puis la sédition ; un grand nombre de citoyens, après avoir
conspiré contre eux, continuèrent à s'agiter jusqu'au jour où leur ardeur
les jeta dans une guerre
ouverte, où les rebelles succombèrent. Jean passa le reste de sa vie dans le
bonheur, et après avoir très sagement gouverné pendant trente-trois ans
entiers,
il mourut en laissant cinq fils. Il avait goûté la véritable félicité, et
rien ne permit d'accuser la fortune à son sujet. Il fut le seul a réunir trois
grands avantages : le gouvernement de sa nation, le souverain pontificat et
le don de prophétie. En effet, Dieu habitait dans son cœur, si bien qu’il
n'ignora jamais rien de l'avenir ; ainsi il prévit et annonça que ses
deux fils aînés ne resteraient pas maîtres des affaires. Il vaut la peine de
raconter leur fin et de montrer combien ils déchurent du bonheur de leur père.
III
1.
[70] Après la mort d'Hyrcan, Aristobule, l'aîné de ses fils, transforma le
principat en royauté; il fut le premier à, ceindre le diadème, quatre cent
soixante et onze ans
et trois mois après que le peuple, délivré de la captivité de Babylone, fut
revenu en Judée. Parmi ses frères, il s'associa, avec des honneurs égaux aux
siens, le puîné Antigone, pour lequel il paraissait avoir de l'affection ;
les autres furent, par son ordre, emprisonnés et chargés de liens. Il fit
enchaîner aussi sa mère, qui lui disputait le pouvoir et à qui Jean avait
tout légué par testament ; il poussa la cruauté jusqu'à la faire mourir
de faim dans sa prison.
2. [72] Il fut puni de
ces iniquités dans la personne de son frère Antigone qu'il aimait et avait
associé à la royauté car il le tua lui aussi sur des calomnies que forgeaient
de perfides courtisans. Tout d'abord Aristobule avait refusé toute créance à
leurs propos, parce qu'il chérissait son frère et attribuait à l'envie la
plupart de ces imputations. Mais un
jour qu'Antigone revint d'une expédition en un brillant appareil pour assister
à la fête solennelle ou l'on
élève à Dieu des tabernacles, il se trouva qu'Aristobule était malade en
ce temps là. Antigone, à la fin de la
solennité, monta au Temple, entouré de ses hommes d'armes, avec la pompe la
plus magnifique, et pria Dieu surtout pour son frère. Les méchants coururent
alors auprès du roi, lui dépeignirent le cortège d’hoplites, l'assurance
d'Antigone trop grande pour un sujet ;
ils dirent qu'Antigone revenait avec une très nombreuse armée pour mettre
son frère à mort, qu'il ne se résignait pas à n'avoir que les honneurs de la
royauté quand il pouvait obtenir le pouvoir lui-nième.
3. [75] Peu à peu
Aristobule ajouta foi malgré lui à ces discours. Préoccupé à la fois de ne
pas dévoiler ses soupçons et de se prémunir contre un danger incertain, il
fit poster ses gardes du corps dans un souterrain obscur - il demeurait dans la
tour nommée d’abord Baris, depuis Antonia - et ordonna d'épargner Antigone,
s'il était sans armes, de le tuer, s'il se présentait tout armé.
Il envoya même vers lui pour l'avertir de ne pas prendre ses armes. Cependant
la reine se concerta très malicieusement avec les perfides, à cette occasion :
on persuada aux messagers de taire les ordres du roi et de dire, au contraire,
à Antigone que son frère savait qu'il s'était procuré en Galilée de très
belles armes et un équipement militaire que la maladie l'empêchait d'aller
examiner tout le détail de cet appareil « mais, puisque tu es sur le
point de partir, il aurait un très grand plaisir à te voir dans ton armure ».
4. [77] En entendant ces
paroles, comme il n'y avait rien dans les dispositions de son frère qui pût
lui faire soupçonner un piège, Antigone revêtit ses armes et partit comme
pour une parade. Arrivé dans le passage
obscur, appelé la tour de Straton, il y fut tué par les gardes du corps.
Preuve certaine que la calomnie
brise tous les liens de l'affection et de la nature, et qu'aucun bon sentiment
n'est assez fort pour résister durablement a l'envie.
5. [78] On admirera dans
cette affaire la conduite d'un certain Judas, Essénien de race. Jamais ses prédictions
n'avaient été convaincues d’erreur ou de mensonge. Quand il aperçut a cette
occasion Antigone qui traversait le Temple, il s'écria, en s'adressant a ses
familiers, - car il avait autour de lui un assez grand nombre de disciples - :
« Hélas ! Il convient désormais
que je meure, puisque l'esprit de vérité m'a déjà quitté et
qu'une de mes prédictions se trouve démentie, Car il vit, cet Antigone, qui
devait être tué aujourd’hui. Le lieu marqué pour sa mort était la
tour de Straton : elle est a six cents stades d’ici, et voici déjà la
quatrième heure du jour le temps écoulé rend impossible l'accomplissement de
ma prophétie ». Cela dit, le vieillard resta livré a une sombre méditation ;
mais bientôt on vint lui annoncer qu'Antigone avait été tué dans un
souterrain appelé aussi tour de Straton, du même nom que portait la ville
aujourd'hui appelée Césarée-sur-mer. C'est cette équivoque qui avait
troublé le prophète.
6. [81] Le remords de ce
crime aggrava la maladie d'Aristobule. Il se consumait, l'âme sans cesse rongée
par la pensée de son meurtre. Enfin cette immense douleur déchirant ses
entrailles, il se mit à vomir le sang
en abondance ; 0r, comme un
des pages de service enlevait ce sang, la Providence divine voulut qu'il trébuchât
au lieu où Antigone avait été égorgé et qu'il répandit sur les traces
encore visibles de l'assassinat le sang du meurtrier. Les assistants poussèrent
une grande clameur, croyant que le page avait fait exprès de répandre là sa
sanglante libation. Le roi entend ce bruit et en demande la cause, et comme
personne n'ose répondre, il insiste d'autant plus pour savoir. Enfin ses
menaces et la contrainte arrachent la vérité. Alors, ses veux se remplissent
de larmes, il gémit avec le peu de force qui lui reste et dit :
« Ainsi donc je ne devais pas réussir à soustraire mes actions coupables
à l’œil puissant de Dieu, et me voici poursuivi par un prompt châtiment
pour le meurtre de mon propre sang. Jusques a quand, corps impudent,
retiendras-tu mon âme, due a la malédiction d'un frère et d'une mère ?
Jusques à quand leur distillerai-je mon sang goutte à goutte ? Qu'ils
le prennent donc tout entier et que Dieu cesse de les amuser en leur offrant en
libation des parcelles de mes entrailles ». En disant ces mots, il expira
soudain après un règne qui n'avait duré qu’un an.
IV
1.
[85] La veuve d’Aristobule
fit sortir de prison les frères du roi et mit sur le trône l'un d'eux.
Alexandre, qui paraissait l'emporter par l'âge et la modération du caractère.
Mais a peine arrivé au pouvoir, Alexandre tua l'un de ses frères qui visait au
trône; le survivant, qui aimait a vivre loin des affaires publiques, fut traité
avec honneur.
2.
[86] Il livra aussi bataille à Ptolémée Lathyre, qui avait pris la ville
d’Asochis ; il tua un grand nombre d'ennemis, mais la victoire resta du
coté de Ptolémée. Quand celui-ci, poursuivi par sa mère Cléopâtre, s'en
retourna en Égypte,
Alexandre assiégea et prit Gadara et Amathonte, la plus importante des
forteresses sises au-delà du Jourdain, et qui renfermait les trésors les plus
précieux de Théodore, fils de Zénon. Mais Théodore, survenant à
l'improviste, reprit ses biens, s'empara aussi des bagages du roi et tua près
de dix mille Juifs. Cependant Alexandre ne se laissa pas ébranler par cet échec;
il se tourna vers le littoral et y enleva Raphia, Gaza et Anthédon, ville qui
reçut ensuite du roi Hérode le nom d'Agrippias.
3.
[88] Après qu'il eut réduit ces villes en esclavage, les Juifs se soulevèrent à
l'occasion d'une fête car c'est surtout dans les réjouissances qu’éclatent
chez eux les séditions. Le roi n'eût
pas, ce semble, triomphé de la révolte, sans l'appui de ses mercenaires. Il
les recrutait parmi les Pisidiens et les Ciliciens ; car il n'y admettait
pas de Syriens, à cause de leur hostilité native contre son peuple. Il tua
plus de six mille insurgés, puis s'attaqua à l'Arabie ; il y réduisit
les pays de Galaad et de Moab, leur imposa un tribut et se tourna de nouveau
contre Amathonte. Ses victoires frappèrent de terreur Théodore ; le roi
trouva la place abandonnée et la démantela.
4. [90] Il attaqua
ensuite Obédas, roi d'Arabie, qui lui tendit une embuscade dans la Gaulanitide ;
il y tomba et perdit toute son armée, jetée dans un profond ravin et écrasée
sous la multitude des chameaux. Alexandre se sauva de sa personne à Jérusalem,
et la gravité de son désastre excita a la révolte un peuple qui depuis
longtemps le haïssait. Cette fois encore, il fut le plus fort
dans une suite de combats, en six ans, il fit périr au moins cinquante
mille Juifs. Ses victoires, qui ruinaient son royaume, ne lui causaient
d'ailleurs aucune joie ; il posa donc les armes et recourut aux discours
pour tacher de ramener ses sujets. Ceux-ci ne l'en haïrent que davantage pour
son repentir et l'inconstance de sa conduite. Quand il voulut en savoir les
motifs et demanda ce qu'il devait faire pour les apaiser : « Mourir »,
lui répondirent-ils, et encore c'est à peine si, à ce prix, ils lui
pardonneraient tout le mal qu'il leur avait fait. En même temps, ils
invoquaient le secours de Démétrius surnommé l'Intempestif. L'espérance
d'une plus haute fortune fit répondre ce prince avec empressement à leur appel ;
il amena une armée, et les Juifs se joignirent à leurs alliés près de
Sichem.
5.
[93] Alexandre les reçut à la tête de mille cavaliers et de huit mille mercenaires
à pied il avait encore autour de lui environ dix mille Juifs restés fidèles.
Les troupes ennemies comprenaient trente mille cavaliers et quatorze mille
fantassins.
Avant d’en venir aux mains, les deux rois cherchèrent par des proclamations
à débaucher réciproquement leurs adversaires : Démétrius espérait
gagner les mercenaires d'Alexandre, Alexandre les Juifs du parti de Démétrius.
Mais comme ni les Juifs ne renonçaient à leur ressentiment, ni les Grecs à la
foi jurée, il fallut enfin trancher la question par les armes. Démétrius
l'emporta, malgré les nombreuses marques de force d'âme et de corps que donnèrent
les mercenaires d'Alexandre. Cependant l'issue finale du combat trompa l'un et
l'autre prince. Car Démétrius, vainqueur, se vit abandonné de ceux qui
l'avaient appelé : émus du
changement de fortune d'Alexandre, six mille Juifs le rejoignirent dans les
montagnes où il s’était réfugié. Devant ce revirement, jugeant que dès
lors Alexandre était de nouveau en état de combattre et que tout le peuple
retournait vers lui, Démétrius se retira.
6. [96] Cependant, même
après la retraite de ses alliés, le reste de la multitude ne voulut pas
traiter : ils poursuivirent sans relâche la guerre contre Alexandre, qui
enfin, après en avoir tué un très grand nombre, refoula les survivants dans
la ville de Bémésélis ;
il s'en empara et emmena les défenseurs enchaînés à Jérusalem. L'excès de
sa fureur porta sa cruauté jusqu’au sacrilège. Il fit mettre en croix au
milieu de la ville huit cents des captifs et égorger sous leurs yeux leurs
femmes et leurs enfants ; lui-même
contemplait ce spectacle en buvant, étendu parmi ses concubines. Le peuple fut
saisi d'une teneur si forte que huit mille Juifs, de la faction hostile,
s'enfuirent, la nuit suivante, du territoire de la Judée ; leur exil ne
finit qu'avec la mort d'Alexandre. Quand il eut par de tels forfaits tardivement
et à grand-peine assuré la tranquillité du royaume, il posa les armes.
7.
[99] Son repos fut de nouveau troublé par les entreprises d'Antiochus, surnommé
Dionysos, frère de Démétrius et le dernier des Séleucides. Comme
ce prince partait en guerre
contre les Arabes, Alexandre, effrayé de ce projet, tira un fossé profond
entre les collines au-dessus d'Antipatris et la plage de Joppé ; devant le
fossé il fit élever une haute muraille garnie de tours de bois, de manière à
barrer le seul chemin praticable. Cependant il ne put arrêter Antiochus ;
celui-ci incendia les tours, combla le fossé, et força le passage avec son armée ;
toutefois ajournant la vengeance qu'il eût pu tirer de cette tentative
d'obstruction, il s'avança à marches forcées contre les Arabes. Le roi des
Arabes, se retirant d'abord vers des cantons plus favorables au combat, fit
ensuite brusquement volte-face avec sa cavalerie, forte de dix mille chevaux, et
tomba sur l'armée d'Antiochus en désordre. La bataille fut acharnée :
tant qu’Antiochus vécut, ses troupes résistèrent, même sous les coups
pressés des Arabes, qui les décimaient. Quand il tomba mort, après s’être
exposé continuellement au premier rang pour soutenir ceux qui faiblissaient, la
déroute devint générale. La plupart des Syriens succombèrent sur le champ de
bataille ou dans la retraite les
survivants se réfugièrent dans le bourg de Cana, mais, dépourvus de vivres,
ils périrent, à l'exception d'un petit nombre.
8.
[103] Sur ces entrefaites, les habitants de Damas, par haine de Ptolémée, fils de
Mennéos, appelèrent Arétas
et l'établirent roi de Cœlé-Syrie. Celui-ci fit une expédition en Judée,
remporta une victoire sur Alexandre et s'éloigna après avoir conclu un traité.
De son côté, Alexandre s'empara de Pella et marcha contre Gerasa, convoitant
de nouveau les trésors de Théodore. Il cerna les défenseurs par un triple
retranchement et, sans combat, s'empara de la place. Il conquit encore Gaulana,
Séleucie et le lieu dit « Ravin d'Antiochus » ; puis il
s'empara de la forte citadelle de Gamala, dont il chassa
le gouverneur, Démétrius, objet de nombreuses accusations. Enfin il revint en
Judée, après une campagne de trois ans. Le peuple l'accueillit avec joie à
cause de ses victoires ; mais la fin de ses guerres fut le commencement de
sa maladie. Tourmenté par la fièvre quarte, on crut qu'il vaincrait le mal en
reprenant le soin des affaires. C'est ainsi que, se livrant à d'inopportunes
chevauchées, contraignant son corps à des efforts qui dépassaient ses forces,
il hâta son dernier jour. Il mourut dans l'agitation et le tumulte des camps,
après un règne de vingt-sept ans.
1.
[107] Alexandre légua le royaume à sa femme Alexandra, persuadé que les Juifs
recevraient son autorité plus favorablement qu'aucune autre, parce que, très
éloignée de sa cruauté, elle s'était opposée aux violences du roi, de manière
à se concilier l'affection du peuple. Cet espoir ne fut pas trompé, et cette
faible femme se maintint au pouvoir, grâce à sa réputation de piété. Elle
observait, en effet, exactement, les traditions nationales et ôtait leur charge
à ceux qui transgressaient les lois religieuses. Des deux fils qu'elle avait
eus d'Alexandre, elle éleva l'aîné, Hyrcan, à la dignité de grand-prêtre,
en considération de son âge, et aussi de son caractère, trop indolent pour
s'immiscer dans les affaires d'État ; quant au cadet, Aristobule, tempérament
bouillant, elle le retint dans une condition privée.
2. [110] On vit
collaborer à son gouvernement les Pharisiens, secte juive qui passe pour être
la plus pieuse de toutes et pour interpréter les lois avec le plus
d'exactitude. Alexandra leur accorda un crédit particulier dans son zèle
passionné pour la divinité. Mais bientôt les Pharisiens s'insinuèrent dans
l'esprit confiant de cette femme et gouvernèrent toutes les affaires du
royaume, bannissant ou rappelant, mettant en liberté ou en prison selon ce qui
leur semblait bon. D'une façon générale, les avantages de la royauté étaient
pour eux, les dépenses et les dégoûts pour Alexandra. Elle était d'ailleurs
habile à conduire les affaires les plus importantes ; par des levées de
troupes continuelles elle parvint à doubler l'effectif de l'armée et recruta
des troupes mercenaires en grand nombre, destinées non seulement à tenir en
bride son propre peuple [67a], mais encore a se faire craindre des princes étrangers.
Cependant, Si elle était la maîtresse des autres, les Pharisiens étaient ses
maîtres à leur tour.
3. [113] C'est ainsi
qu'ils firent mourir un homme de marque, Diogène, qui avait été l'ami
d'Alexandre ; ils l'accusaient d'avoir conseillé au roi la mise en croix
des huit cents Juifs. Ils pressaient aussi Alexandra de frapper d'autres
notables qui avaient excité le prince contre ces rebelles. Et comme elle cédait
toujours, par crainte religieuse, ils tuaient ceux qu'ils voulaient. Les plus éminents
des citoyens, ainsi menacés, cherchèrent un refuge auprès d'Aristobule.
Celui-ci conseilla à sa mère d'épargner leur vie en considération de leur
rang, mais de les bannir de la cité, si elle les croyait fautifs. Les suspects
obtinrent ainsi la vie sauve et se dispersèrent dans le pays.
Cependant Alexandra envoya une armée à Damas, sous prétexte que Ptolémée
continuait à pressurer la ville ; l’expédition revint sans avoir rien
accompli de remarquable. D'autre part, elle gagna par une convention et des présents.
Tigrane, roi d'Arménie, qui campait avec ses troupes devant Ptolémaïs et y
assiégeait Cléopâtre.
Il se hâta de partir, rappelé par les troubles de son royaume, où Lucullus
venait de faire invasion.
4. [117] Sur ces
entrefaites Alexandra tomba malade, et Aristobule, le plus jeune de ses fils,
saisit l'occasion avec ses amis [69a], qui étaient nombreux et tout dévoués à sa
personne, en raison de son naturel ardent. Il s'empara de toutes les
places-fortes et, avec l’argent qu'il y trouva, recruta des mercenaires et se
proclama roi. Les plaintes d’Hyrcan émurent la compassion de sa mère, qui
enferma la femme et les fils d’Aristobule dans la tour Antonia ; c'était
une citadelle adjacente au flanc nord du temple, nommée autrefois Baris ;
comme je l'ai déjà dit,
et qui changea de nom au temps de la suprématie d'Antoine, comme Auguste Sébastos
et Agrippa donnèrent leur nom aux villes de Sébasté et d'Agrippias. Cependant
avant d'avoir eu le temps de faire expier à Aristobule la déposition de son frère,
Alexandra mourut après un règne de neufs années.
1.
[120] Hyrcan était l'héritier universel de sa mère, qui lui avait même de son
vivant remis le sceptre ; mais il était bien inférieur à Aristobule par
la capacité et le courage. Dans la bataille livrée à Jéricho pour décider
de l'empire, Hyrcan fut abandonné par la plupart de ses soldats, qui passèrent
du côté d'Aristobule ; avec ceux qui lui restèrent il courut chercher
un refuge dans la tour Antonia. Il y trouva de précieux otages de son salut, la
femme et les et les enfants d’Aristobule ; mais avant d'en venir à des
maux irréparables, les deux frères se réconcilièrent à condition
qu'Aristobule exercerait la royauté, et que Hyrcan renonçant au pouvoir
[72a] jouirait des honneurs dus au frère du roi. Cet accord se fit dans le Temple, en
présence du peuple ; ils s'embrassèrent affectueusement et échangèrent
leurs demeures ; Aristobule s'établit au palais, et Hyrcan dans la maison
d'Aristobule.
2.
[123] Tous les adversaires d'Aristobule furent frappés de crainte devant son triomphe
inattendu, mais surtout Antipater, qu'une haine profonde séparait de lui depuis
longtemps. Iduméen de naissance, l'éclat de ses ancêtres, ses richesses et
d'autres avantages lui donnaient le premier rang dans sa nation. Il persuada
Hyrcan de chercher un refuge auprès du roi d'Arabie, Arétas, pour revendiquer
ensuite le pouvoir ; en même temps il pressa Arétas d'accueillir Hyrcan
et de le rétablir sur le trône ; sans cesse il dénigrait le caractère
d'Aristobule et lui faisait l'éloge d'Hyrcan ; ne convenait-il pas au
souverain d'un si brillant royaume de prendre en main la défense des opprimés ?
or, c’était bien un opprimé, puisqu'il était dépouillé d'un trône que
lui conférait son droit d'aînesse. Après avoir ainsi travaillé l'un et
l'autre, Antipater, une nuit, enlève Hyrcan de Jérusalem et s'évade avec lui ;
courant sans relâche, il parvient jusqu'à la ville de Pétra, capitale du
royaume d'Arabie. Là, il remet Hyrcan aux mains d'Arétas et, à force de prières
et de présents, il gagne ce prince et le décide à fournir les forces nécessaires
pour rétablir Hyrcan. Arétas arma, tant fantassins que cavaliers, cinquante
mille hommes.
Aristobule ne put résister ; vaincu dès la première rencontre, il
s’enferma dans Jérusalem. La ville allait être emportée de vive force,
lorsque Scaurus, général romain, survenant dans cette situation critique, fit
lever le siège. Envoyé d'Arabie en Syrie par le grand Pompée, qui était
alors en guerre avec Tigrane, il avait atteint Damas, où il trouva Metellus et
Lollius qui venaient de s'en emparer,
il les fit partir [75a], et, apprenant les événements de Judée, se rendit en toute
hâte dans ce pays pour profiter d'une telle aubaine.
3. [128] Quand il fut
arrivé sur le territoire juif, les deux frères lui adressèrent aussitôt des
députés, chacun d'eux implorant son secours. Trois cents talents,
offerts par Aristobule, l’emportèrent sur la justice ; à peine Scaurus
les eut-il reçus qu’il envoya un héraut à Hyrcan et aux Arabes, les menaçant,
s’ils ne levaient pas le siège, de la colères des Romains et de Pompée. Arétas,
frappé de terreur, évacua la Judée et se retira à Philadelphie, pendant que
Scaurus retournait à Damas. Aristobule, non content de son propre salut,
ramassa toutes ses troupes, poursuivit les ennemis, les attaqua non loin du lieu
dit Papyrôn, et en tua plus de six mille ; parmi les morts se trouvait le
frère d'Antipater, Phallion.
4.
[131] Privés du secours des Arabes, Hyrcan et Antipater tournèrent leurs espérances
du côté opposé. Quand Pompée, abordant la Syrie, fut arrivé à Damas,
ils cherchèrent un refuge auprès de lui ; outre des présents,
ils apportaient encore pour leur défense les mêmes raisons dont ils s'étaient
servis auprès d’Arétas, suppliant Pompée de détester la violence
d'Aristobule et de ramener sur le trône celui que son caractère et son âge en
rendaient digne. Cependant Aristobule ne montra pas moins d'empressement ;
le succès de ses dons à Scaurus lui donnait confiance, et il parut devant Pompée
dans l'appareil le plus magnifiquement royal. Toutefois, méprisant la bassesse
et ne souffrant pas de se laisser imposer, même par intérêt, une servilité
indigne de son rang, il partit brusquement de la ville de Dion.
5. [133] Irrité de cette
conduite et cédant aux supplications d'Hyrcan et de ses amis, Pompée marcha en
hâte contre Aristobule, prenant avec lui les troupes romaines et un fort
contingent d'auxiliaires syriens. Il avait dépassé Pella et Scythopolis et
atteint Corées, où commence le territoire de Judée pour ceux qui se dirigent
vers l'intérieur, lorsqu'il apprit qu'Aristobule s'était enfui à Alexandrion,
place somptueusement fortifiée et située sur une haute montagne ; il lui
envoya par des messagers l'ordre d'en descendre. Aristobule, devant cette
invitation trop impérieuse, était disposé à risquer le combat plutôt que
d'obéir, mais il voyait la multitude effarée, ses amis le pressaient de considérer
la puissance invincible des Romains. Il se laissa persuader et descendit auprès
de Pompée ; puis, après avoir justifié longuement devant lui son titre
royal, il remonta dans son château. Il en sortît une seconde fois sur
l'invitation de son frère, plaida sa cause contradictoirement avec lui, puis
repartit sans que Pompée y mît obstacle. Balancé entre l'espérance et la
crainte, tantôt il descendait dans l'espoir d'émouvoir Pompée et de le décider
à lui livrer le pouvoir, tantôt il remontait dans sa citadelle, craignant de
ruiner son propre prestige. Enfin Pompée lui intima l'ordre d'évacuer ses
forteresses, et comme il savait qu'Aristobule avait enjoint aux gouverneurs de
n'obéir qu'a des instructions écrites de sa main, il le contraignit de
signifier à chacun d'eux un ordre d'évacuation ; Aristobule exécuta ce
qui lui était prescrit, mais, pris d'indignation, il se retira a Jérusalem
pour préparer la guerre contre Pompée.
6. [138] Alors celui-ci,
sans lui laisser de temps pour ses préparatifs, le suivit à la piste. Ce qui hâta
encore plus sa marche, ce fut la nouvelle de la mort de Mithridate ; il
l'apprit près de Jéricho, la contrée la plus fertile de toute la Judée, qui
produit en abondance le palmier et le baumier ; pour recueillir le baume,
on pratique dans les troncs avec des pierres tranchantes des incisions qui le
laissent distiller goutte à goutte. Après avoir campé dans cette localité
une seule nuit, Pompée dès l'aurore s'avança rapidement contre Jérusalem.
Epouvanté à son approche, Aristobule se présente en suppliant, et par la
promesse qu'il lui fait de livrer la ville et sa propre personne, il adoucit la
colère de Pompée. Cependant il ne put exécuter aucun de ses engagements, car
lorsque Gabinius, envoyé pour prendre livraison de l'argent, se présenta, les
partisans d'Aristobule refusèrent même de l'admettre dans la ville.
1.
[141] Indigné de ces procédés, Pompée retint sous bonne garde Aristobule et se
dirigea vers la ville pour examiner de quel côté il pouvait l'attaquer. Il
observa que la solidité des murailles les rendait inabordables,
qu'elles étaient précédées d’un ravin d'une
profondeur effrayante, que le Temple ceint par ce ravin était lui-même
très solidement fortifié et pouvait fournir, après la prise de la ville, une
seconde ligne de défense aux ennemis.
2. [142] Pendant que son
indécision se prolongeait, la sédition éclata dans Jérusalem ; les
partisans d'Aristobule voulaient combattre et délivrer le roi, ceux d'Hyrcan
conseillaient d'ouvrir les portes à Pompée ; ce dernier parti était
grossi par la crainte qu'inspirait le bel ordre de l'armée romaine. Le parti
d'Aristobule, ayant le dessous, se retira dans le Temple, coupa le pont qui le
joignait à la ville et se prépara à lutter jusqu'au dernier souffle. Le reste
de la population reçut les Romains dans la ville et leur livra le palais royal.
Pompée envoya des troupes pour l'occuper, sous la conduite d'un de ses
lieutenants, Pison ; celui-ci distribua des postes dans la ville, et comme
il ne put, par ses discours, amener à composition aucun de ceux qui s'étaient
réfugiés dans le Temple, il disposa pour l'attaque tous les lieux d'alentour ;
dans ce travail Hyrcan et ses amis l'assistèrent avec zèle de leurs conseils
et de leurs bras.
3. [145] Pompée lui-même
combla sur le flanc Nord le fossé et tout le ravin, en faisant apporter des matériaux
par l'armée. Il était difficile de remplir cette immense profondeur, d'autant
plus que les Juifs, du haut du Temple, s'efforçaient par tous les moyens d'écarter
les travailleurs. Les efforts des Romains fussent restés infructueux, si Pompée
n'avait profité du septième jour de la semaine, ou, par religion, les Juifs
s’abstiennent de tout travail manuel ; il parvint ainsi à élever le
remblai, en interdisant cependant aux soldats tout acte d'hostilité ouverte,
car le jour dit Sabbat, les Juifs ont le droit de défendre leur vie, mais rien
de plus. Le ravin une fois comblé, Pompée dressa sur le remblai de hautes
tours, fit avancer les machines amenées de Tyr, et les essaya contre les
murailles. Des balistes faisaient reculer ceux qui d'en haut s'opposaient aux
progrès des Romains. Cependant les tours des assiégés, qui étaient, dans ce
secteur, d'une grandeur et d'un travail remarquables, résistèrent très
longtemps.
4. [148] Pendant que les
Romains supportaient des fatigues épuisantes, Pompée eut occasion d'admirer en
général l'endurance des Juifs et surtout la constance avec laquelle ils ne négligeaient
aucun détail du culte, même enveloppés d'une grêle de traits. Comme si une
paix profonde régnait dans la cité, les sacrifices, les purifications de
chaque jour, tous les détails du culte s'accomplissaient exactement en
l'honneur de Dieu ;i le jour même de la prise du Temple, quand on les
massacrait auprès de l'autel, les Juifs n'interrompirent pas les cérémonies
journalières prescrites par la loi. Ce fut le troisième mois du siège
que les Romains, ayant réussi à grand-peine à renverser une des tours, s'élancèrent
dans le Temple. Le premier qui osa franchir le mur fut le fils de Sylla, Faustus
Cornelius ; après lui vinrent deux centurions, Furius et Fabius. Suivis
chacun de leur troupe, ils cernèrent de toutes parts les Juifs et les taillèrent
en pièces, soit qu'ils cherchassent un refuge dans l'enceinte sacrée, soit
qu'ils opposassent quelque résistance.
5. [150] Alors bon nombre
de prêtres, voyant les ennemis s'élancer le glaive à ta main, demeurèrent
impassibles dans l'exercice de leur ministère et se laissèrent égorger,
tandis qu'ils offraient les libations et l'encens ; ils mettaient ainsi le
culte de la divinité au-dessus de leur propre salut. La plupart furent massacrés
par leurs concitoyens de la faction adverse ou se jetèrent en foule dans les précipices ;
quelques-uns, se voyant perdus sans ressources, brûlèrent dans leur fureur les
constructions voisines de l'enceinte et s'abîmèrent dans les flammes. Il périt
en tout douze mille Juifs; les Romains eurent très peu de morts, mais un assez
grand nombre de blessés.
6. [152] Dans ce déluge
de calamités, rien n'affligea aussi vivement la nation que de voir dévoilé au
regard des étrangers le lieu saint, jusque-là invisible. Pompée entra, en
effet, avec sa suite dans le sanctuaire, dans la partie ou seul le grand-prêtre
avait le droit de pénétrer ; il y contempla les objets sacrés : le
candélabre, les lampes, la table, les vases à libations, les encensoirs, le
tout en or massif, quantité d'aromates accumulés et le trésor sacré, riche
d'environ deux mille talents. Cependant il ne toucha ni ces objets ni rien autre
du mobilier sacré, et, le lendemain de la prise du Temple, il ordonna aux
gardiens de purifier l'enceinte sacrée et de recommencer les sacrifices
accoutumés. Il réintégra Hyrcan
dans ses fonctions de grand-prêtre, parce qu'il lui avait témoigné beaucoup
de zèle pendant le siège et surtout avait détaché nombre d'habitants de la
campagne, qui désiraient prendre les armes pour Aristobule ; grâce a
cette conduite digne d'un sage général, il gagna le peuple. par la
bienveillance plutôt que par la terreur. Parmi les prisonniers se trouvait le
beau-père d'Aristobule, qui était en même temps son oncle.
Ceux des captifs qui avaient le plus activement favorisé la guerre furent
condamnés à périr sous la hache. Faustus et ceux qui s'étaient avec lui
distingués par leur valeur obtinrent de brillantes récompenses ; le pays
et Jérusalem furent frappés d'un tribut.
7. [155] Pompée enleva
aux Juifs toutes les villes de Cœlé-Syrie que ce peuple avait conquises, plaça
ces villes sous l'autorité du gouverneur romain préposé à cette région, et
renferma ainsi les Juifs dans leurs propres limites. Il releva de ses ruines la
ville de Gadara, détruite par les Juifs, pour complaire à l'un de ses
affranchis, Démétrius, qui était de Gadara. Il affranchit aussi du joug des
Juifs les villes de l'intérieur, qu'ils n'avaient pas eu le temps de ruiner,
Hippos, Scythopolis, Pella,
Samarie, Marissa, puis encore Azotos, Jamnée, Aréthuse, et, sur le littoral,
Gaza, Joppé, Dora, et la ville qu'on appelait jadis Tour de Straton et qui,
plus tard, réédifiée et ornée de constructions splendides par Hérode, prit
le nom nouveau de Césarée. Toutes ces villes, restituées à leurs légitimes
habitants, furent rattachées à la province de Syrie. Il la confia, avec la Judée
et tout le pays jusqu'à l'Égypte et l'Euphrate, à l’administration de
Scaurus, qui commanda deux légions ; lui-même se hâta vers Rome à
travers la Cilicie, emmenant prisonniers Aristobule et sa famille. Ce prince
avait deux filles et deux fils, dont l'aîné, Alexandre, s'évada en route ;
le cadet, Antigone, et ses sœurs furent conduits à Rome.
1.
[159] Cependant Scaurus avait envahi l'Arabie. Les difficultés du terrain le firent
échouer devant Pétra ; il se mit alors à ravager le territoire
environnant, mais il en résulta pour lui de nouvelles et graves souffrances,
car son armée fut réduite à la disette. Hyrcan la soulagea, en faisant amené
des vivres par Antipater. Comme celui-ci avait des relations d'amitié avec Arétas,
Scaurus l'envoya auprès de ce roi pour le décider à acheter la paix. L'Arabe
se laissa persuader : il donna trois cents talents à ces conditions,
Scaurus évacua l'Arabie avec son armée.
2.
[160] Alexandre, celui des fils d'Aristobule qui s'était échappé des mains de Pompée,
avait peu a peu rassemblé des troupes considérables et causait de graves
ennuis à Hyrcan en parcourant la Judée. On pouvait croire qu'il renverserait
bientôt ce prince ; déjà même, s'approchant de la capitale, il poussait
la hardiesse jusqu'a vouloir relever les murs de Jérusalem détruits par Pompée.
Heureusement Gabinius, envoyé en Syrie comme successeur de Scaurus,
se distingua par divers actes d'énergie et marcha contre Alexandre. Celui-ci,
pris de crainte à son approche, réunit une grosse armée - dix mille
fantassins et quinze cents cavaliers - et fortifia les places avantageusement
situées d'Alexandreion, d'Hyrcaneion et de Machérous, près des montagnes
d'Arabie.
3. [162] Gabinius lança
en avant Marc Antoine avec une partie de son armée ; lui-même suivit avec
le gros. Le corps d'élite que conduisait Antipater et le reste des troupes
juives sous Malichos et Pitholaos firent leur jonction avec les lieutenants de
Marc Antoine ; tous marchèrent ensemble à la rencontre d'Alexandre. Peu
de temps après survint Gabinius lui-même avec la lourde infanterie. Sans
attendre le choc de toutes ces forces réunies, Alexandre recula ; il
approchait de Jérusalem quand il fut forcé d'accepter le combat ; il
perdit dans la bataille six mille hommes, dont trois mille morts et trois mille
prisonniers, et s'enfuit avec le reste à Alexandreion.
4. [164] Gabinius le
poursuivit jusqu'a cette place. Il trouva un grand nombre de soldats campés
devant les murs ; il leur promit le pardon, essayant de les gagner avant le
combat. Mais comme leur fierté repoussait tout accommodement, Gabinius en tua
beaucoup et rejeta le reste dans la forteresse. Ce fut dans ce combat que se
distingua le général Marc Antoine ; il montra toujours et partout sa
valeur, mais jamais elle ne fut si éclatante. Laissant un détachement pour réduire
la garnison, Gabinius parcourut lui-même la contrée, réorganisant les villes
qui n'avaient pas été dévastées, relevant celles qu'il trouva en ruines.
Ainsi se repeuplèrent, d'après ses ordres, Scythopolis, (Samarie), Anthédon,
Apollonia, Jamnée, Raphia, Marisa, Adoréos,
Gamala, Azotos, et d'autres encore ; partout les colons affluaient avec
empressement.
5. [167] Cette opération
terminée, Gabinius revint contre Alexandreion et pressa le siège avec tant de
vigueur qu'Alexandre, désespérant du succès, lui envoya un héraut : il
demandait le pardon de ses fautes et livrait les places qui lui restaient,
Hyrcancion et Machérous ; enfin il remit Alexandreion même. Gabinius, sur
les conseils de la mère d'Alexandre, détruisit de fond en comble toutes ces
places, pour qu'elles ne pussent servir de base d'opération dans une nouvelle
guerre. Cette princesse demeurait auprès de Gabinius, qu'elle cherchait à se
concilier par sa douceur, craignant pour les prisonniers de Rome, son époux et
ses autres enfants. Ensuite Gabinius ramena Hyrcan a Jérusalem, lui confia la
garde du Temple et remit le reste du gouvernement entre les mains des grands. Il
divisa tout le pays en cinq ressorts dont les sénats
devaient siéger respectivement à Jérusalem, à Gazara, à Amathonte, à Jéricho,
et à Sepphoris, ville de Galilée. Les Juifs, délivrés de la domination d'un
seul, accueillirent avec joie le gouvernement aristocratique.
6.
[171] Peu de temps après, Aristobule lui-même s'échappa de Rome et suscita de
nouveaux troubles. Il rassembla un grand nombre de Juifs, les uns avides de
changement, les autres depuis longtemps dévoués à sa personne. Il s'empara
d'abord d'Alexandreion et commençait à en relever les murs, quand Gabinius
envoya contre lui une armée commandée par Sisenna, Antoine et Servilius ;
à cette nouvelle, il se réfugia à Machérous, renvoya la foule des gens
inutiles et ne retint que les hommes armés au nombre de huit mille environ ;
parmi eux se trouvait Pitholaos, qui commandait en second a Jérusalem et avait
fait défection avec mille hommes. Les Romains le suivirent à la piste. Dans la
bataille qui se livra, les soldats d'Aristobule résistèrent longtemps et
combattirent avec courage ; mais enfin, ils furent enfoncés par les
Romains : cinq mille hommes tombèrent, deux mille environ se réfugièrent
sur une éminence ; les mille qui restaient, conduits par Aristobule, se
frayèrent un chemin à travers l'infanterie romaine et se jetèrent dans Machérous.
Le roi campa le premier soir sur les ruines de cette ville, nourrissant l'espoir
de rassembler une autre armée, si la guerre lui en laissait le temps, et élevant
autour de la place de méchantes [92a] fortifications ; mais quand les Romains
l'attaquèrent, après' avoir résisté pendant deux jours au-delà de ses
forces, il fut pris. On l'amena, chargé de fers, auprès de Gabinius, avec son
fils Antigone qui s'était enfui de Rome avec lui. Gabinius le renvoya de
nouveau à Rome. Le Sénat retint Aristobule en prison, mais laissa rentrer [92b] ses
enfants en Judée, car Gabinius expliqua dans ses lettres qu’il avait accordé
cette faveur à la femme d'Aristobule en échange de la remise des places-fortes.
7.
[175]
Comme Gabinius allait entreprendre une expédition contre les Parthes, il fut
arrêté dans ce dessein par Ptolémée.
Des bords de l'Euphrate; il descendit vers l'Egypte. Il trouva, pendant cette
campagne, auprès d'Hyrcan et d'Antipater toute l'assistance nécessaire.
Argent, armes, blé, auxiliaires, Antipater lui fit tout parvenir ; il lui
gagna aussi les juifs de cette région, qui gardaient les abords de Péluse, et
leur persuada de livrer passage aux Romains. Cependant le reste de la Syrie
profita du départ de Gabinius pour s’agiter. Alexandre, fils d'Aristobule,
souleva de nouveau les juifs ; il leva une armée très considérable et
fit mine de massacrer tous les Romains du pays. Ces événements inquiétèrent
Gabinius, qui, à la nouvelle des troubles, s'était hâté de revenir d'Égypte :
il envoya Antipater auprès de quelques-uns des mutins et les fit rentrer dans
le devoir. Mais il en resta trente mille avec Alexandre, qui brûlait de
combattre. Gabinius marcha donc au combat ; les Juifs vinrent à sa
rencontre, et la bataille eut lieu près du mont Itabyrion ; dix mille
Juifs périrent, le reste se débanda. Gabinius retourna à Jérusalem et y réorganisa
le gouvernement sur les conseils d’Antipater. De là il partit contre les
Nabatéens qu'il vainquit en bataille rangée ; il renvoya aussi secrètement
deux exilés Parthes, Mithridate et Orsanès, qui s'étaient réfugiés auprès
de lui, tout en déclarant devant les soldats qu'ils s'étaient évadés.
8.
[179] Cependant Crassus vint pour lui succéder dans le gouvernement de la Syrie.
Avant d'entreprendre son expédition contre les Parthes, il mit la main sur l'or
que renfermait le Temple de Jérusalem et emporta même les deux mille talents
auxquels Pompée n'avait pas touché. Il franchit l'Euphrate et périt avec
toute son armée ; mais ce n'est pas le lieu de raconter ces événements.
9. [180] Après la mort
de Crassus, les Parthes s'élançaient pour envahir la Syrie mais Cassius, qui
s'était réfugié dans cette province, les repoussa. Ayant ainsi sauvé la
Syrie, il marcha rapidement contre les Juifs, prit Tarichées, où il réduisit
trente mille Juifs en esclavage, et mit à mort Pitholaos, qui cherchait à réunir
les partisans d'Aristobule : c'est Antipater qui lui conseilla cette exécution.
Antipater avait épousé Kypros, femme d'une noble famille d'Arabie ;
quatre fils naquirent de ce mariage - Phasaël, Hérode, qui fut roi, Joseph, Phéroras
- et une fille, Salomé. Il s'était attaché les puissants de partout par les
liens de l'amitié et de l'hospitalité ; il avait gagné surtout la faveur
du roi des Arabes, par son alliance matrimoniale, et c'est à lui qu'il confia
ses enfants quand il engagea la guerre contre Aristobule. Cassius, après avoir
contraint par un traité Alexandre à se tenir en repos, se dirigea vers
l'Euphrate pour empêcher les Parthes de franchir le fleuve ; ce sont des
évènements dont nous parlerons ailleurs.
1.
[183] Quand Pompée se fut enfui avec le sénat romain au-delà de la mer Ionienne,
César, maître de Rome et de l'Empire mit en liberté Aristobule. Il lui confia
deux légions et le dépêcha en Syrie, espérant, par son moyen, s'attacher
facilement cette province et la Judée. Mais la haine prévint le zèle
d'Aristobule et les espérances de César. Empoisonné par les amis de Pompée,
Aristobule resta, pendant longtemps, privé de la sépulture dans la terre
natale. Son cadavre fut conservé dans du miel, jusqu'au jour où Antoine
l'envoya aux Juifs pour être enseveli dan s le monument de ses pères.
2. [185] Son fils
Alexandre péril aussi à cette époque : Scipion
le fit décapité à Antioche, sur l'ordre de Pompée, après l'avoir fait
accuser devant son tribunal pour les torts qu'il avait causés aux Romains. Le
frère et les sœurs d'Alexandre reçurent l'hospitalité de Ptolémée, fils de
Mennæos, prince de Chalcis dans le Liban. Ptolémée leur avait envoyé à
Ascalon son fils Philippion, ci celui-ci réussit à enlever à la femme
d'Aristobule, Antigone et les princesses, qu'il ramena auprès de son père. Épris
de la cadette, Philippion l'épousa, mais ensuite son père le tua pour cette même
princesse Alexandra, qu'il épousa à son tour. Depuis ce mariage il témoigna
au frère et à la sœur beaucoup de sollicitude.
3.
[187] Antipater, après la mort de Pompée,
changea de parti et fit la cour à César. Quand Mithridate de Pergame,
conduisant une armée en Égypte, se vit barrer le passage de Péluse et dut
s'arrêter à Ascalon, Antipater persuada aux Arabes dont il était l'hôte de
lui prêter assistance ; lui-même rejoignit Mithridate avec trois mille
fantassins juifs armés. Il persuada aussi les personnages les plus puissants de
Syrie de seconder Mithridate, à savoir
Ptolémée du Liban et Jamblique. Par leur influence les villes de la région
contribuèrent avec ardeur a cette guerre. Mithridate, puisant une nouvelle
confiance dans les forces amenées par Antipater, marcha sur Péluse et, comme
on refusait de le laisser passer, assiégea la ville. A l'assaut, Antipater
s'acquit une gloire éclatante ; car il fit une brèche dans la partie de
la muraille en face de lui et, suivi de ses soldats, s'élança le premier dans
la place.
4. [190] C'est ainsi que
Péluse fut prise. L'armée, en continuant sa marche, fut encore arrêtée par
les Juifs égyptiens qui habitaient le territoire dit d'Onias. Cependant
Antipater sut les persuader, non seulement de ne faire aucune résistance, mais
encore de fournir des subsistances à l'armée. Dès lors ceux de Memphis
ne résistèrent pas davantage et se joignirent de leur plein gré à
Mithridate. Celui-ci, qui avait fait le tour du Delta, engagea le combat contre
le reste des Égyptiens au lieu appelé « camp des Juifs ». Dans cet
engagement, il courait de grands risques avec toute son aile droite, quand
Antipater, en longeant le fleuve, vint le dégager ; car celui-ci, avec
l'aile gauche, avait battu les ennemis qui lui étaient opposés ; tombant
alors sur ceux qui poursuivaient Mithridate, il en tua un grand nombre et poussa
si vivement le reste qu'il s'empara de leur camp. Il ne perdit que quatre-vingts
des siens ; Mithridate dans sa déroute en avait perdu huit cents. Sauvé
contre son espérance, Mithridate porta auprès de César un témoignage sincère
de la brillante valeur d’Antipater.
5. [193] César, par ses
louanges et par ses promesses, stimula Antipater à courir de nouveaux dangers
pour son service. Il s'y montra le plus hardi des soldats, et, souvent blessé,
portait presque sur tout son corps les marques de son courage. Puis, quand César
eut mis ordre aux affaires d'Égypte et regagna la Syrie, il honora Antipater du
titre de citoyen romain et de l'exemption d'impôts. Il le combla aussi de témoignages
d'honneur et de bienveillance, qui firent de lui un objet d'envie ; c'est
aussi pour lui complaire que César confirma Hyrcan dans sa charge de grand-prêtre.
4.
[195] Vers le même temps se présenta devant César Antigone, fils d'Aristobule, et
son intervention eut pour effet inattendu d'avancer la fortune d'Antipater.
Antigone aurait dû se contenter de pleurer sur la mort de son père, empoisonné,
semble-t-il, à cause de ses dissentiments avec Pompée, et de flétrir la
cruauté de Scipion envers son frère, sans mêler à ses plaintes aucun
sentiment de haine. Loin de là, il osa encore venir en personne accuser Hyrcan
et Antipater : ils l'avaient, disait-il, au mépris de tout droit, chassé,
lui, ses frères et sœurs, de toute leur terre natale ; ils avaient, dans
leur insolence, accablé le peuple d'injustices ; s'ils avaient envoyé des
secours en Égypte, ce n'était pas par bienveillance pour César, mais par
crainte de voir renaître de vieilles querelles et pour se faire pardonner leur
amitié envers Pompée.
2. [197] En
réponse, Antipater, arrachant ses vêtements. montra ses nombreuses
cicatrices. « Son affection pour César, dit-il, point n'est besoin de la
prouver par des paroles ; tout son corps la crie, gardât-il il le silence.
Mais l'audace d'Antigone le stupéfait. Quoi ! le fils d'un ennemi des
Romains, d'un fugitif de Rome, lui qui a hérité de son père l’esprit de révolution
et de sédition, ose accuser les autres devant le général romain et s'efforce
d'en obtenir quelque avantage, quand il devrait s'estimer heureux d'avoir la vie
sauve ! D'ailleurs, s'il
recherche le trône, ce n'est pas le besoin qui l'y pousse ; ce qu'il désire
plutôt, c'est de pouvoir, présent de sa personne, semer la sédition parmi les
Juifs et user de ses ressources contre ceux qui les lui ont fournies ».
3. [199] Après avoir
entendu ce débat, César déclara qu'Hyrcan méritait mieux que tout autre le
grand pontificat et laissa à Antipater le droit de choisir la dignité qu'il
voudrait. Celui-ci déclara s'en rapporter à son bienfaiteur du soin de fixer
l'étendue du bienfait ; il fut alors nommé procurateur de toute la Judée.
Il obtint de plus l'autorisation de d'élever les murailles détruites de sa
patrie. César expédia ces décisions à Rome pour être gravées au Capitole
comme un monument de sa propre justice et du mérite d'Antipater.
4.
[201] Antipater, après avoir accompagné César jusqu'aux frontières de Syrie,
revint à Jérusalem. Son premier soin fut de relever les murs de la capitale,
que Pompée avait abattus, et de parcourir le pays pour apaiser les troubles,
usant tour a tour de menaces et de conseils. En s'attachant à Hyrcan,
disait-il, ils vivront dans l'abondance et dans la tranquillité et jouiront de
leurs biens au sein de la paix commune ; s'ils se laissent, au contraire, séduire
par les vaines promesses de gens qui, dans l'espoir d'un avantage personnel,
trament des changements, ils trouveront dans Antipater un maître au lieu d'un
protecteur, dans Hyrcan un tyran au lieu d'un roi, dans les Romains et dans César
des ennemis au lieu de chefs et d'amis ; car ceux-ci ne laisseront pas
chasser du pouvoir celui qu'ils y ont eux-mêmes installé. En même temps, il
s'occupa lui-même d'organiser le pays car il ne voyait chez Hyrcan qu'inertie
et faiblesse indignes d'un roi.
Il donna à son fils aîné Phasaël le gouvernement de Jérusalem et des
alentours ; il envoya Hérode, le second, avec des pouvoirs égaux en Galilée,
malgré son extrême jeunesse.
5. [204] Hérode, doué
d'un naturel entreprenant, trouva bientôt matière à son énergie. Un certain
Ezéchias, chef de brigands, parcourait à la tète d'une grosse troupe les
confins de la Syrie ; Hérode s'empara de sa personne et le mit à mort
avec un bon nombre de ses brigands. Ce succès fit le plus grand plaisir aux
Syriens. Dans les bourgs, dans les villes, les chansons célébraient Hérode
comme celui qui assurait par sa présence la paix et leurs biens. Cet exploit le
fit aussi connaître à Sextus César, parent du grand César et gouverneur de
Syrie. Phasaël, de son côté, par une noble émulation, rivalisait avec le bon
renom de son frère ; il sut se concilier la faveur des habitants de Jérusalem
et gouverner en maître la ville sans commettre aucun excès fâcheux d'autorité.
Aussi le peuple courtisait Antipater comme un roi : tous lui rendaient des
honneurs comme s'il eût été le maître absolu ; cependant il ne se départit
jamais de l'affection ni de la fidélité qu'il devait à Hyrcan.
6. [208] Mais il est
impossible dans la prospérité d'éviter l'envie. Déjà Hyrcan se sentait secrètement
mordu par la gloire de ces jeunes gens ; c'étaient surtout les succès d'Hérode
qui l'irritaient, c'étaient les messagers se succédant sans relâche pour
raconter ses hauts faits. Il ne manquait pas non plus de médisants à la cour,
pour exciter les soupçons du prince, gens qui avaient trouvé un obstacle dans
la sagesse d'Antipater ou de ses fils. Hyrcan, disaient-ils, avait abandonné à
Antipater et à ses fils la conduite des affaires ; lui-même restait
inactif, ne gardant que le titre de roi sans pouvoir effectif. Jusqu'à quand
persévérerait il dans son erreur de nourrir des rois contre lui ? Déjà
ses ministres ne se contentent plus du masque de procurateurs ; ils se déclarent
ouvertement les maîtres, ils le mettent entièrement de côté, puisque, sans
avoir reçu ni ordre ni message d'Hyrcan, Hérode a, au mépris de la loi juive,
fait mourir un si grand nombre de personnes ; s'il n'est pas roi, s'il est
encore simple particulier, Hérode doit comparaître en justice et se justifier
devant le prince et les lois nationales, qui interdisent de tuer un homme sans
jugement.
7. [210] Ces paroles peu
à peu enflammaient Hyrcan ; sa colère finit par éclater, et il cita Hérode
en justice. Celui-ci, fort des conseils de son père et s'appuyant sur sa propre
conduite, se présenta devant le tribunal, après avoir préalablement mis bonne
garnison en Galilée. Il marchait suivi d'une escorte suffisante [109a], calculée de
manière à éviter d’une part l’apparence de couloir renverser Hyrcan avec
des forces considérables, et d’autre part le danger de se livrer sans défense
a l'envie. Cependant Sextus César, craignant que le jeune homme, pris par ses
ennemis, n’éprouvât quelque malheur, manda expressément à Hyrcan qu'il eut
à absoudre Hérode de l'accusation de meurtre. Hyrcan, qui d'ailleurs inclinait
à cette solution, car il aimait Hérode, rendit une sentence conforme.
8. [212] Cependant Hérode,
estimant que c'était malgré le roi qu'il avait évité la condamnation, se
retira à Damas auprès de Sextus et se mit en mesure de répondre à une
nouvelle citation. Les méchants continuaient à exciter Hyrcan, disant qu'Hérode
avait fui par colère et qu’il machinait quelque chose contre lui. Le roi les
crut, mais il ne savait que faire, voyant son adversaire plus fort que lui.
Lorsque ensuite Sextus nomma Hérode gouverneur
de Cœlé-Syrie et de Samarie, formidable à la fois par la faveur du peuple et
par sa puissance propre, il inspira une extrême terreur à Hyrcan, qui
s'attendait dès lors à le voir marcher contre lui à la tête d'une armée.
9. [214] Cette crainte n'était
que trop fondée. Hérode, furieux de la menace que ce procès avait suspendue
sur sa tète, rassembla une armée et marcha sur Jérusalem pour déposer
Hyrcan. Il aurait exécuté ce dessein incontinent, si son père et son frère
n'étaient venus au-devant de lui et n'avaient arrêté son élan ; ils le
conjurèrent de borner sa défense à la menace, à l'indignation, et d'épargner
le roi sous le règne duquel il était parvenu à une si haute puissance. Si,
disent-ils, il a raison de s'indigner d'avoir été appelé au tribunal, il
doit, d'autre part, se réjouir de son acquittement ; s'il répond par la
colère à l'injure, il ne doit pas répondre par l'ingratitude au pardon. Et
s'il faut estimer que les hasards de la guerre sont dans la main de Dieu, un
acte injuste prévaudra sur la force d'une armée : aussi ne doit-il pas
avoir une confiance absolue dans la victoire, puisqu'il va combattre contre son
roi et son ami, qui fut souvent son bienfaiteur et ne lui a été hostile que le
jour où, cédant à de mauvais conseils, il l'a menacé d'une ombre
d'injustice. Hérode se laissa persuader par ces avis, pensant qu'il suffisait
à ses espérances d'avoir fait devant le peuple cette manifestation de sa
puissance.
10.
[216] Sur ces entrefaites, des troubles et une véritable guerre civile éclatèrent
à Apamée. entre les Romains. Cécilius Bassus, par attachement pour Pompée,
assassina Sextus César
et s'empara de son armée ; les autres lieutenants de César, pour venger
ce meurtre, attaquèrent Bassus avec toutes leurs forces. Antipater, dévoué
aux deux Césars, le mort et le vivant, leur envoya des secours sous ses deux
fils. Comme la guerre traînait en longueur, Murcus fut envoyé d'Italie pour
Succéder à Sextus.
1.
[218] A cette époque éclata entre les Romains la grande guerre, après que Brutus et
Cassius eurent assassiné César, qui avait occupé le pouvoir pendant trois ans
et sept mois.
Une profonde agitation suivit ce meurtre ; les citoyens les plus considérables
se divisèrent ; chacun, suivant ses espérances particulières, embrassait
le parti qu'il croyait avantageux. Cassius, pour sa part, se rendit en Syrie
afin d'y prendre le commandement des armées réunies autour d'Apamée. Là il réconcilia
Bassus avec Murcus et les légions séparées, fit lever le siège d’Apamée,
et, se mettant lui-même à la tète des troupes, parcourut les villes en levant
des tributs avec des exigences qui dépassaient leurs ressources.
2. [220] Les juifs reçurent
l'ordre de fournir une somme de sept cents talents. Antipater, craignant les
menaces de Cassius, chargea ses fils et quelques-uns de ses familiers, entre
autres Malichos, qui le haïssait, de lever promptement cet argent, chacun pour
sa position, - à tel point les talonnait la nécessité ! Ce fut Hérode
qui, le premier, apaisa Cassius, en lui apportant de Galilée sa contribution,
une somme de cent talents ; il devint par là son intime ami ; quant
aux autres, Cassius leur reprocha leur lenteur et fit retomber sa colère sur
les villes mêmes. Après avoir réduit en servitude Gophna, Emmaüs et deux
autres villes de moindre importance,
il s'avançait dans le dessein de mettre à mort Malichos pour sa négligence à
fournir le tribut, mais Antipater
prévînt la perte de Malichos et la ruine des autres villes en calmant Cassius
par le don de cent talents.
3. [223] Cependant, après
le départ de Cassius, Malichos, loin de savoir gré à Antipater de ce service,
machina un complot contre celui qui l'avait sauvé à plusieurs reprises, brûlant
de supprimer l'homme qui s'opposait à ses injustices. Antipater, craignant la
force et la scélératesse de ce personnage, passa le Jourdain pour rassembler
une armée et déjouer le complot. Malichos, quoique pris sur le fait, sut à
force d'impudence gagner les fils d'Antipater : Phasaël, gouverneur de Jérusalem
et Hérode, commandant de l'arsenal, ensorcelés par ses excuses et ses
serments, consentirent à lui servir de médiateurs auprès de leur père. Une
fois de plus Antipater le sauva, en apaisant Murcus, gouverneur do. Syrie, qui
voulait mettre à mort Malichos comme factieux.
4. [225] Quand le jeune César
et Aubine ouvrirent les hostilités contre Cassius et Brutus, Cassius et Murcus
levèrent une armée en Syrie, et comme Hérode paraissait leur avoir rendu de
grands services dans cette opération, ils le nommèrent alors procurateur de la
Syrie entière
en lui donnant de l'infanterie et de la cavalerie ; Cassius lui promit même,
une fois la guerre terminée, de le nommer roi de Judée. La puissance du fils
et ses brillantes espérances amenèrent la perte du père. Car Malichos,
inquiet pour l'avenir, corrompit à prix d'argent un des échansons royaux et
fit donner du poison à Antipater. Victime de l'iniquité de Malichos, Antipater
mourut en sortant de table.
C'était un homme plein d'énergie dans la conduite des affaires, qui fit
recouvrer à Hyrcan son royaume et le garda pour lui.
5.
[227] Malichos, voyant le peuple irrité par le soupçon du crime, l'apaisa par ses dénégations
et, pour affermir son pouvoir, leva une troupe de soldats. En effet, il pensait
bien qu'Hérode ne se tiendrait pas en repos ; celui-ci parut bientôt à
la tête d'une armée pour venger son père. Cependant Phasaël conseilla à son
frère de ne pas attaquer ouvertement leur ennemi, dans la crainte d’exciter
des séditions parmi la multitude. Hérode accepta donc pour le moment la
justification de Malichos et consentit à l'absoudre du soupçon ; puis il
célébra avec une pompe éclatante les funérailles de son père.
6. [229] Il se rendit
ensuite à Samarie, troublée par la sédition et y rétablit l'ordre ;
puis il revint passer les fêtes à Jérusalem, suivi de ses soldats. Hyrcan, à
l'instigation de Malichos, qui craignait l'entrée de ces troupes, le prévint
par un message et lui défendit d'introduire des étrangers parmi le peuple qui
se sanctifiait. Mais Hérode, dédaignant le prétexte et l'auteur de l'ordre,
entra de nuit dans la ville. Là-dessus Malichos se présenta encore une fois
auprès de lui pour pleurer Antipater. Hérode lui répondit en dissimulant,
tout en ayant peine à contenir sa colère. En même temps il adressa à Cassius
des lettres où il déplorait la mort de son père ; Cassius, qui haïssait
d'ailleurs Malichos, lui répondit en l'engageant à poursuivre le meurtrier ;
bien plus, il manda secrètement à ses tribuns de prêter leur concours à Hérode
pour une juste entreprise.
7. [231] Quand Cassius se
fut emparé de Laodicée et vit arriver de tous les côtés les principaux du
pays portant des présents et des couronnes, Hérode jugea le moment venu pour
sa vengeance. Malichos avait conçu des soupçons ; arrivé à Tyr, il résolut
de faire échapper secrètement son fils, qu'on gardait alors en otage dans
cette ville, et lui-même se disposa à fuir en Judée. Le désespoir le poussa
même à de plus vastes desseins ; il rêvait de soulever la nation contre
les Romains, pendant que Cassius serait occupé à la guerre contre Antoine, et
se flattait d'arriver a la royauté, dès qu'il aurait sans peine renversé
Hyrcan.
8. [233] Mais la destinée
se rit de ses espérances. En effet, Hérode, devinant son intention, l'invita a
souper avec Hyrcan ; ensuite il appela un
de ses serviteurs qui se trouvait là et l'envoya, en apparence pour préparer
le festin, en réalité pour prévenir les tribuns de disposer une embuscade.
Ceux-ci, se rappelant les ordres de Cassius, sortirent en armes sur le rivage de
la mer, devant la ville ; là ils entourèrent Malichos et le criblèrent
de blessures mortelles. Saisi d'épouvante à cette nouvelle, Hyrcan tomba
d'abord évanoui ; quand il revint à lui, non sans peine, il demanda à Hérode
qui avait tué Malichos. Un des tribuns lui répondit : « Ordre de
Cassius ». « Alors, répondit-il, Cassius m'a sauvé ainsi que ma
patrie, puisqu'il a mis à mort celui qui tramait notre perte ». Hyrcan
parlait il ainsi du fond du cœur, ou acceptait-il par crainte le fait accompli,
c'est un point douteux. Quoi qu'il en soit, c'est ainsi qu'Hérode se vengea de
Malichos.
1.
[236] Cassius avait à peine quitté la Syrie qu'une nouvelle sédition éclata à Jérusalem.
Un certain Hélix se mit à la tête d'une armée et se souleva contre Phasaël,
voulant, à cause du châtiment infligé à Malichos, se venger d’Hérode sur
la personne de son frère. Hérode se trouvait alors à Damas, près du général
romain Fabius ; désireux de porter secours à Phasaël. il fut retenu par
la maladie. Cependant Phasaël quoique laissé à ses seules forces, triompha
d'Hélix et accusa Hyrcan d'ingratitude, pour avoir favorisé les desseins d'Hélix
et laissé le frère de Malichos s'emparer d'un grand nombre de places et
particulièrement de la plus forte de toutes, Masada.
2. [238] Mais rien ne
pouvait garantir Hélix de l'impétuosité d'Hérode. Celui-ci, rendu à la santé,
lui reprit les places-fortes et le fit sortir lui-même de Masada, en suppliant.
Il chassa pareillement de Galilée Marion, tyran de Tyr, qui avait déjà pris
possession de trois places ; quant aux Tyriens, qu'il avait faits
prisonniers, il les épargna tous ; il y en eut même qu'il relâcha avec
des présents, s'assurant ainsi à lui-même la faveur des Tyriens et au tyran
leur haine. Marion tenait son pouvoir de Cassius, qui divisa la Syrie entière
en tyrannies de ce genre ; plein de haine contre Hérode, il ramena dans le
pays Antigone, fils d'Aristobule. Il se servit à cet effet surtout de Fabius,
qu’Antigone s'était concilié par des largesses et qui favorisa son retour ;
Ptolémée, beau-frère d'Antigone, fournissait à toutes les dépenses.
3. [240] Hérode,
s'opposant à leur marche, livra bataille à l'entrée du territoire de la Judée
et fut vainqueur. Antigone chassé, Hérode revint à Jérusalem, où sa
victoire lui valut la faveur générale ; ceux même qui auparavant lui étaient
hostiles s'attachèrent à lui, quand un mariage le fit entrer dans la famille
d'Hyrcan. Il avait d'abord épousé une femme du pays, d'assez noble naissance,
nommée Doris, dont il eut un fils, Antipater ; maintenant il s'unit à la
fille d'Alexandre, fils d'Aristobule, et petite-fille d'Hyrcan, nommée Mariamme :
il devenait ainsi parent du prince.
4.
[242] Lorsque, après avoir tué Cassius à Philippes,
César et Antoine retournèrent, l'un en Italie, l'autre en Asie, parmi les
nombreuses députations des cités, qui allèrent saluer Antoine en Bithynie, se
trouvèrent aussi des notables juifs qui vinrent accuser Phasaël et Hérode de
s'être emparés du pouvoir par la violence et de n'avoir laissé à Hyrcan
qu'un vain titre. Hérode, présent à ces attaques, sut se concilier par de
fortes sommes d'argent la faveur d'Antoine ; à son instigation, Antoine
refusa même d'accorder à audience à ses ennemis, qui se virent congédiés.
5.
[243] Bientôt après les notables juifs, au nombre de cent, se rendirent de nouveau
à Daphné d’Antioche auprès d'Antoine, déjà asservi à l'amour de Cléopâtre ;
ils mirent à leur tête les plus estimés pour l'autorité et l'éloquence et
dressèrent une accusation en règle contre les deux frères. En répons,
Messalla présenta leur défense ; et Hyrcan se plaça à côté de lui, en
raison de son alliance matrimoniale avec les accusés. Après avoir entendu les
deux parties, Antoine demanda à Hyrcan quels étaient les plus dignes du
commandement : comme Hyrcan déclarait que c'était Hérode et son frère,
Antoine s'en réjouit, en souvenir des anciens liens d’hospitalité qui
l'unissaient à cette famille, car leur père, Antipater, l'avait reçu avec
bienveillance quand il fit campagne en Judée avec Gabinius. En conséquence, il
nomma les deux frères tétrarques et leur confia l'administration de toute la
Judée.
6. [245] Les députés du
parti adverse ayant manifesté leur irritation, Antoine fit arrêter et mette en
prison quinze d'entre eux et voulut même les faire mourir : il chassa le
reste avec ignominie. Ces événements provoquèrent une agitation encore plus
vive à Jérusalem. Les habitants envoyèrent cette fois mille députés à Tyr,
où séjournait Antoine, en route vers Jérusalem. Comme les députés menaient
grand bruit, il leur envoya le gouverneur de Tyr, avec ordre de châtier ceux
qu'il prendrait et de consolider l'autorité des tétrarques institués par lui.
[246] 7. Déjà
auparavant, Hérode accompagné d'Hyrcan s'était rendu sur le rivage ; là
il exhorta longuement les députés à ne pas déchaîner la ruine sur eux-mêmes
et la guerre sur leur patrie par une querelle inconsidérée. Mais cette démarche
ne fit que redoubler leur fureur ; alors Antoine envoya contre eux son
infanterie, qui en tua ou blessa un grand nombre ; Hyrcan accorda la sépulture
aux morts et des soins aux blessés. Malgré tout, ceux qui s'échappèrent ne
se tinrent pas en repos ;
par les troubles qu'ils entretenaient dans la cité, ils irritèrent Antoine, au
point qu'il se décida a faire exécuter les prisonniers.
1.
[248] Deux ans après,
Barzapharnès, satrape des Parthes, occupa la Syrie avec Pacoros, fils du roi.
Lysanias, qui avait hérité du royaume de son père Ptolémée, fils de
Mennaios, persuada le satrape, en lui promettant mille talents et cinq cents
femmes, de ramener sur le trône Antigone et de déposer Hyrcan.
Gagné par ces promesses, Pacoros lui-même s'avança le long du littoral et
enjoignit à Barzapharnès de faire route par l'intérieur des terres. Parmi les
populations côtières, Tyr refusa le passage à Pacoros, alors que Ptolémaïs
et Sidon lui avaient fait bon accueil. Alors le prince confia une partie de sa
cavalerie à un échanson du palais qui portait le même nom que lui, et lui
ordonna d'envahir la Judée pour observer l'ennemi et soutenir Antigone au
besoin.
2. [250] Comme ces
cavaliers ravageaient le Carmel, un grand nombre de Juifs se rallièrent à
Antigone et se montrèrent pleins d'ardeur pour l'invasion. Antigone les dirigea
vers le lieu appelé Drymos (la Chênaie)
dont ils devaient s'emparer. Ils y livrèrent bataille, repoussèrent les
ennemis, les poursuivirent jusqu'à Jérusalem et, grossissant leurs rangs,
parvinrent jusqu'au palais. Hyrcan
et Phasaël les y reçurent avec une forte troupe. La lutte s'engagea sur
l'agora ; Hérode mit en fuite les ennemis, les cerna dans le Temple et établit
dans les maisons voisines un poste de soixante hommes pour les surveiller. Mais
le peuple, soulevé contre les deux frères attaqua cette garnison et la fit périr
dans les flammes. Hérode, exaspéré de cette perte, se vengea en chargeant le
peuple et tuant un grand nombre de citoyens. Tous les jours de petits partis se
ruaient les uns sur les autres : c'était une tuerie continuelle.
3. [253] Comme la fête
de la Pentecôte approchait, tous les lieux voisins du Temple et la ville entière
se remplirent d'une foule de gens de la campagne, armés pour la plupart. Phasaël
défendait les murailles ; Hérode, avec peu de soldats, le palais. Il fit
une sortie vers le faubourg contre la multitude désordonnée des ennemis, en
tua un grand nombre, les mit tous en fuite et les rejeta les uns dans la ville,
d'autres dans le Temple, d'autres dans le camp fortifié loin des murs. Là-dessus
Antigone demanda que l'on introduisit Pacoros
comme médiateur de la paix. Phasaël, se laissant persuader, reçut le Parthe
dans la ville et lui donna l'hospitalité. Accompagné de cinq cents cavaliers,
il se présentait sous prétexte de mettre un terme aux factions, mais en réalité
pour aider Antigone. Ses manœuvres perfides décidèrent Phasaël à se rendre
auprès de Barzapharnès pour terminer la guerre, bien qu'Hérode l'en détournât
avec insistance et l'engageât à tuer ce traître, au lieu de se livrer à ses
ruses, car la perfidie, disait-il, est naturelle aux barbares. Cependant
Pacoros, pour détourner le soupçon, partit aussi, emmenant avec lui Hyrcan et
laissant auprès d'Hérode quelques-uns de ces cavaliers que les Parthes
appellent Eleuthères (Libres) ;
avec le reste il escortait Phasaël.
4. [256] Arrivés en Gaulée,
ils trouvèrent les indigènes en pleine défection et en armes : ils se présentèrent
au satrape,
qui dissimula adroitement sous la bienveillance la trame qu'il préparait :
il leur donna des présents, puis, quand ils s’éloignèrent, leur dressa une
embuscade. Ils connurent le piège où ils étaient tombés lorsqu'ils se virent
emmener dans une place maritime, nommée Ecdippa. Là ils apprirent la promesse
faite à Pacoros de mille talents, et que, parmi ce tribut de cinq cents femmes
qu’Antigone consacrait aux Parthes, se trouvaient la plupart des leurs ;
que les barbares surveillaient sans cesse leurs nuits ; enfin qu'on les
aurait déjà arrêtés depuis longtemps si l'on n'avait préféré attendre
qu'Hérode fût pris à Jérusalem, pour éviter que la nouvelle de leur capture
ne le mît sur ses gardes. Ce n'étaient déjà plus de vaines conjectures :
déjà ils pouvaient voir des sentinelles qui les gardaient à quelque distance.
5. [259] Un certain
Ophellias, que Saramalla, le plus riche Syrien de ce temps, avait informé de
tout le plan du complot, insistait vivement auprès de Phasaël pour qu'il prit
la fuite ; mais celui-ci se refusait obstinément à abandonner Hyrcan. Il
alla trouver le satrape et lui reprocha en face sa perfidie, le blâmant surtout
d'agir ainsi par cupidité ; il s'engageait d'ailleurs à lui donner plus
d'argent pour son salut qu'Antigone ne lui en avait promis pour sa restauration.
Le Parthe répondit habilement et s'efforça de dissiper les soupçons par des
protestations et des serments ; puis il se rendit auprès de Pacoros.
Bientôt après les Parthes, qu'on avait laissés auprès de Phasaël et
d'Hyrcan, les arrêtèrent comme ils en avaient l'ordre ; les prisonniers
les accablèrent de malédictions, flétrissant le parjure et la perfidie dont
ils étaient victimes.
6. [261] Cependant l'échanson
(Pacoros) envoyé contre Hérode s'ingéniait à l'attirer par ruse hors du
palais, pour s'emparer de lui comme il en avait reçu l'ordre. Hérode, qui dès
l'abord se défiait des Barbares, avait encore appris que des lettres, qui lui
donnaient avis de leur complot, étaient tombées aux mains des ennemis ;
il se refusait donc à sortir, malgré les assurances spécieuses de Pacoros,
qui le pressait d'aller à la rencontre de ses messagers ; car les lettres,
disait-il, n'avaient pas été prises par les ennemis, elles ne parlaient pas de
trahison, mais elles devaient le renseigner sur tout ce qu'avait fait Phasaël.
Mais Hérode avait appris d'une autre source la captivité de son frère, et
Mariamme, la fille d'Hyrcan,
la plus avisée des femmes, se rendit près de lui, pour le supplier de ne pas
sortir ni de se fier aux Barbares, qui déjà machinaient ouvertement sa perte.
7. [263] Pendant que
Pacoros et ses complices délibéraient encore comment ils exécuteraient secrètement
leur complot, car il n'était pas possible de triompher ouvertement d'un homme
aussi avisé, Hérode prit les devants, et, accompagné des personnes qui lui étaient
les plus proches, partit de nuit, à l'insu des ennemis, pour l'Idumée. Les
Parthes, s'étant aperçus de sa fuite, se lancèrent à sa poursuite. Hérode
mit en route sa mère, ses sœurs, [137a] sa fiancée, avec la mère de sa fiancée et
son plus jeune frère ;
lui-même avec ses serviteurs, par d'habiles dispositions, repoussa les
Barbares, en tua un grand nombre dans leurs diverses attaques et gagna ainsi la
forteresse de Masada.
8. [265] Il trouva dans
cette fuite les Juifs plus incommodes que les Barbares, car ils le harcelèrent
continuellement, et à soixante stades de Jérusalem lui présentèrent même le
combat, qui dura assez longtemps. Hérode fut vainqueur et en tua beaucoup ;
plus tard, en souvenir de sa victoire, il fonda une ville en ce lieu, l'orna de
palais somptueux, y éleva une très forte citadelle et l'appela de son propre
nom Hérodion. Cependant, au cours de sa fuite, il voyait chaque jour un grand
nombre de partisans se joindre à lui. Arrivé à Thrésa, en Idumée, son frère
Joseph le rejoignit et lui conseilla de se décharger de la plupart de ses
compagnons, car Masada ne pouvait recevoir une telle multitude ; ils étaient,
en effet, plus de neuf mille. Hérode se rangea à cet avis et dispersa à
travers l'Idumée, après leur avoir donné un viatique, les hommes plus
encombrants qu'utiles puis, gardant auprès de lui les plus robustes et les plus
chéris, il se jeta dans la place. Après y avoir laissé huit cents hommes pour
garder les femmes et des vivres suffisants pour soutenir un siège, lui-même
gagna à marches forcées Pétra, en Arabie.
9. [268] Cependant les
Parthes, restés à Jérusalem, se livrèrent au pillage ; ils envahirent
les maisons des fugitifs et le palais, n'épargnant que les richesses d'Hyrcan,
qui ne dépassaient pas trois cents talents ; ils ne trouvèrent pas chez
les autres autant qu'ils espéraient, car Hérode, perçant depuis longtemps la
perfidie des Barbares, avait fait transporter en Idumée ses trésors les plus
précieux, et chacun de ses amis en avait fait autant. Après le pillage,
l'insolence des Parthes dépassa toute mesure : ils déchaînèrent sur
tout le pays les horreurs de la guerre, sans l'avoir déclarée. Ils ruinèrent
de fond en comble la ville de Marisa, et, non contents d'établir Antigone sur
le trône, ils livrèrent à ses outrages Phasaël et Hyrcan enchaînés.
Antigone, quand Hyrcan se jeta à ses pieds, lui déchira lui-même les oreilles
avec ses dents,
pour empêcher que jamais, même si une révolution lui rendait la liberté [139a], il
pût recouvrer le sacerdoce suprême ; car nul ne peut être grand-prêtre
s'il n'est exempt de tout défaut corporel.
10. [271] Quant à Phasaël,
son courage rendit vaine la cruauté du roi, car il la prévint en se brisant la
tête contre une pierre, n'ayant à sa disposition ni ses bras ni un fer. Il
mourut ainsi en héros, se montrant le digne frère d'Hérode et fit ressortir
la bassesse d'Hyrcan : fin digne des actions qui avaient rempli sa vie. D'après
une autre version, Phasaël se serait remis de sa blessure, mais un médecin
envoyé par Antigone, sous prétexte de le soigner, appliqua sur la plaie des médicaments
toxiques et le fit ainsi périr. Quelque récit qu'on préfère, la cause de la
mort n'en est pas moins glorieuse, On dit encore qu’avant d'expirer, il apprit
d'une femme qu'Hérode s'était sauvé. « Maintenant, dit-il, je partirai
avec joie, puisque je laisse vivant un vengeur pour punir mes ennemis ».
11. [273] Ainsi mourut
Phasaël. Les Parthes, quoique déçus dans leur plus vif désir, celui de ravir
des femmes, n'en installèrent pas moins Antigone comme maître à Jérusalem,
et emmenèrent Hyrcan prisonnier en Parthyène.
1.
[274] Cependant Hérode hâtait sa marche vers l'Arabie, croyant son frère encore
vivant et pressé d'obtenir de l'argent du roi, seul moyen de sauver Phasaël en
flattant la cupidité des Barbares. Au cas ou l'Arabe, oubliant l'amitié qui
l'unissait au père d’Hérode, lui refuserait par avarice un présent, il
comptait du moins se faire payer le prix de la rançon, en laissant comme otage
le fils du prisonnier : car il emmenait avec lui son neveu, enfant de sept
ans. Il était d'ailleurs prêt à donner jusqu’à trois cents talents, en
invoquant la caution des Tyriens qui s'offraient. Mais la destinée prévint son
zèle, et la mort de Phasaël rendit vaine l'affection fraternelle d'Hérode. Au
reste, il ne trouva pas chez les Arabes d'amitié durable. Leur roi Malichos
envoya au plus vite des messagers pour lui enjoindre de quitter son territoire,
sous prétexte que les Parthes lui avaient mandé par héraut d'expulser Hérode
de l'Arabie : en fait, il préférait ne pas s'acquitter des obligations
qu’il avait contractées envers Antipater et se refusait décidément à
fournir, en échange de tant de bienfaits, la moindre somme à ses fils
malheureux. Ceux qui lui conseillèrent cette impudente conduite voulaient également
détourner les dépôts confiés à eux par Antipater, et c’étaient les
personnages les plus considérables de sa cour.
2. [277] Hérode,
trouvant les Arabes hostiles pour les raisons mêmes qui lui avaient fait espérer
leur dévouement, donna aux envoyés la réponse que lui dicta sa colère et se
détourna vers l'Égypte. Le premier soir, il campa dans un temple indigène, où
il rallia ceux de ses compagnons qu'il avait laissés en arrière ; le
lendemain, il parvint à Rhinocouroura et y reçut la nouvelle de la mort de son
frère. Il accorda le temps nécessaire à sa douleur, puis, secouant ses préoccupations,
reprit sa marche. Le roi des Arabes, se repentant un peu tard, envoya en hâte
des messagers pour rappeler celui qu'il avait offensé. Mais Hérode, les devançant,
était déjà arrivé à Péluse. Là il se vit refuser le trajet par les
navires qui stationnaient dans le port. Il alla donc trouver les commandants de
la place, qui, en considération de sa renommée et de sa valeur, l'accompagnèrent
jusqu'à Alexandrie. Arrivé dans cette ville, Cléopâtre le reçut avec éclat,
espérant lui confier le commandement d'une expédition qu'elle préparait :
mais il éluda les offres de la reine et, sans considérer la rigueur de l'hiver
ni les troubles d'Italie. il s'embarqua pour Rome.
3. [280] Il faillit faire
naufrage sur les côtes de Pamphylie ; à grand-peine, après avoir jeté
la plus grande partie de la cargaison, il put trouver un refuge dans l’île de
Rhodes, fortement éprouvée par la guerre contre Cassius. Accueilli par ses
amis Ptolémée et Sapphinias, il se fit construire,
malgré son dénuement, une très grande trirème. C'est sur ce bâtiment qu'il
se rendit avec ses amis à Brindes, d'où il se hâta vers Rome. Il alla d'abord
voir Antoine, confiant dans l'amitié qui l'unissait à son propre père ;
il lui raconta ses malheurs et ceux de sa famille, et comment il avait laissé
ses plus chers amis assiégés dans une citadelle, pour traverser la mer en
plein hiver et venir se jeter à ses pieds.
4. [282] Antoine fut
touché de compassion au récit de ces vicissitudes ; le souvenir de la généreuse
hospitalité d'Antipater, et, en général, le mérite du suppliant lui-même
lui inspirèrent la résolution d'établir roi des Juifs celui qu'il avait
auparavant lui-même fait tétrarque. Autant que son estime pour Hérode, il écouta
sa haine contre Antigone, qu'il considérait comme un fauteur de troubles et un
ennemi de Rome. Il trouva César encore mieux disposé que lui ; ce dernier
rappelait à sa mémoire les campagnes d'Egypte, dont Antipater avait partagé
les fatigues avec son père, l’hospitalité et les continuelles marques
d'amitié que celui-ci en avait reçues ; il considérait aussi le caractère
entreprenant d'Hérode. Il
rassembla donc le Sénat, auquel Messala et après lui Atratinus présentèrent
Hérode : ils exposèrent les services rendus par son père, la
bienveillance du fils envers les Romains et dénoncèrent l'hostilité
d'Antigone ; elle s'était déjà montrée à la promptitude avec laquelle
il leur avait cherché querelle, mais plus encore à ce moment même, quand il
prenait le pouvoir avec l'appui des Parthes, au mépris du nom romain. A ces
paroles, le Sénat s'émut, et quand Antoine s'avança pour dire qu'en vue même
de la guerre coutre les Parthes, il était avantageux qu'Hérode fût roi, tous
votèrent dans ce sens. Le Sénat se sépara, et Antoine et César sortirent
ayant Hérode entre eux ; les consuls et les autres magistrats les précédèrent
au Capitole pour sacrifier et y consacrer le sénatus-consulte. Le premier jour
du règne d'Hérode, Antoine lui offrit à dîner
.
1.
[286] Pendant ce temps. Antigone assiégeait les réfugiés de Masada. Bien pourvus de
tout le reste, l'eau leur faisait défaut. Aussi Joseph, frère d'Hérode, résolut-il
de fuir, avec deux cents compagnons, chez les Arabes, apprenant que Malichos
s’était repenti de son injuste conduite à l'égard d'Hérode. Au moment où
il allait quitter la place, la nuit même du départ, la pluie tomba en
abondance ; les citernes se trouvèrent remplies, et Joseph ne jugea plus
la fuite nécessaire. Dés ce moment la garnison prit l’offensive contre les
soldats d'Antigone et, soit à découvert soit dans des embuscades, en tua un très
grand nombre. Toutefois ses sorties ne furent pas toujours heureuses ; plus
d'une fois, elle fut battue et repoussée.
2. [288] A ce moment
Ventidius, général romain, qui avait été envoyé pour chasser les Parthes de
Syrie, passa à leur poursuite en Judée, sous prétexte de secourir Joseph et
sa troupe, mais en réalité pour tirer de l'argent d'Antigone. Il campa donc
tout prés de Jérusalem et, quand il fut gorgé d'or, partit en personne avec
la plus grande partie de son armée, laissant derrière lui Silo et quelques
troupes ; il eût craint, en les emmenant toutes, de mettre son trafic en
évidence, de son côté, Antigone, espérant que les Parthes lui fourniraient
encore des secours, continuait néanmoins à flatter Silo, pour l'empêcher de déranger
ses affaires.
3. [290] Mais déjà Hérode,
après avoir navigué d'Italie à Ptolémaïs et rassemblé une armée assez
considérable de compatriotes et d'étrangers, s'avançait contre Antigone à
travers la Galilée, aidé de Ventidius et de Silo, que Dellius, envoyé par
Antoine, avait décidés à ramener Hérode. Ventidius était alors occupé à
pacifier les villes troublées par les Parthes ; Silo séjournait en Judée,
ou. il se laissait corrompre par Antigone. Cependant les forces d'Hérode n'étaient
pas médiocres ; à mesure qu'il s'avançait, il voyait augmenter
journellement l'effectif de son armée; toute la Galilée, à peu d'exceptions
près, se joignit à lui. L’entreprise la plus pressante était celle de
Masada, dont il devait avant tout faire lever le siège pour sauver ses proches ;
mais on était arrêté par l'obstacle de Joppé. Cette ville était hostile, et
il fallait d'abord l'enlever pour ne pas laisser derrière soi, en marchant sur
Jérusalem, une place d'armes aux ennemis. Silo se joignit volontiers à Hérode,
ayant trouvé là un prétexte à sa défection, mais les Juifs le poursuivirent
et le serrèrent de près. Hérode avec une petite troupe court les attaquer et
les met bientôt en fuite, sauvant Silo, qui se trouvait en mauvaise posture.
4. [293] Ensuite il
s'empara de Joppé et se dirigea à marches forcées vers Masada pour sauver ses
amis. Les indigènes venaient à lui, entraînés les uns par un vieil
attachement à son père, d'autres par sa propre renommée, d'autres encore par
la reconnaissance pour les services du père et du fils, le plus grand nombre
par l'espérance qui s'attachait à un roi d'une autorité déjà assurée ;
c'est ainsi que s'assemblait une armée difficile à battre [145a]. Antigone essaya de
l'arrêter dans sa marche en plaçant des embuscades aux passages favorables,
mais elles ne causaient aux ennemis que peu ou point de dommage. Hérode
recouvra sans difficulté ses amis de Masada et la forteresse de Thrésa, puis
marcha sur Jérusalem : il fut rejoint par le corps de Silo et par un grand
nombre de citoyens de la ville, qu'effrayait la force de son armée.
5. [295] Il posta son
camp sur le flanc ouest de la ville. Les gardes placés de ce côté le harcelèrent
à coups de flèches et de javelots, tandis que d'autres, formés en pelotons,
dirigeaient de brusques sorties contre ses avant-postes. Tout d'abord, Hérode
fit promener un héraut autour murailles, proclamant qu'il venait pour le bien
du peuple et le salut de la cité, qu'il ne se vengerait pas même de ses
ennemis déclarés et qu'il accorderait l'amnistie aux plus hostiles. Mais comme
les exhortations contraires des amis d'Antigone empêchaient les gens d'entendre
les proclamations et de changer de sentiment, Hérode ordonna à ses soldats de
combattre les ennemis qui occupaient les murailles ; en conséquence ils
tirèrent sur eux et les chassèrent bientôt tous de leurs tours.
6. [297] C'est alors que
Silo montra bien qu'il s'était laissé corrompre. A son instigation, un grand
nombre de soldats se plaignirent à grands cris de manquer du nécessaire ;
ils réclamaient de l'argent pour acheter des vivres et demandaient qu'on les
emmenât prendre leurs quartiers d'hiver dans des endroits favorables, car les
environs de la ville étaient vidés par les troupes d'Antigone qui s'y étaient
déjà approvisionnées. Là-dessus il mit son camp en mouvement et fit mine de
se retirer. Hérode alla trouver les chefs, placés sous les ordres de Silo, et
aussi les soldats en corps, les suppliant de ne pas l'abandonner, lui que
patronnaient César, Antoine et le Sénat : il ferait, dés ce jour même,
cesser la disette. Après ces prières, il se mit lui-même en campagne dans le
plat pays et ramena une assez grande abondance de vivres pour couper tout prétexte
à Silo ; puis, voulant pour l'avenir assurer le ravitaillement, il manda
aux habitants de Samarie, qui s’étaient déclarés pour lui, de conduire à Jéricho
du blé, du vin, de l'huile et du bétail. A cette nouvelle, Antigone envoya
dans le pays des messagers pour répandre l'ordre d'arrêter les convoyeurs et
de leur tendre des embûches. Les habitants obéirent, et une grosse
troupe d'hommes en armes se rassembla au-dessus de Jéricho ; ils se
postèrent sur les montagnes, guettant les convois de vivres. Cependant Hérode
ne restait pas inactif : il prit dix cohortes, dont cinq de Romains et cinq
de Juifs, mêlées de mercenaires, avec un petit nombre de cavaliers ; à
la tête de ce détachement il marcha sur Jéricho. Il trouva la ville abandonnée
et les hauteurs [145b] occupées par cinq cents hommes avec leurs femmes et leurs
enfants, il les fit prisonniers, puis les renvoya, tandis que les Romains
envahissaient et pillaient le reste de la ville, ou ils trouvèrent des maisons
remplies de toutes sortes de biens. Le roi revint, laissant une garnison à Jéricho ;
il envoya l'armée romaine prendre ses quartiers d'hiver dans des contrées dont
il avait reçu la soumission, Idumée, Galilée, Samarie. Ce son côté,
Antigone obtint, en achetant Silo, de pouvoir loger une partie de l'armée
romaine à Lydda ; il faisait ainsi sa cour à Antoine.
1.
[303] Pendant que les Romains vivaient dans l'abondance et l'inaction, Hérode,
toujours actif, occupait I'Idumée avec deux mille fantassins et quatre cents
cavaliers, qu'il y envoyait sous son frère Joseph, pour prévenir toute
nouvelle tentative en faveur d'Antigone. Lui-même cependant installait à
Samarie sa mère et ses autres parents, qu'il avait emmenés de Masada ;
quand il eut pourvu à leur sûreté, il partit pour s'emparer des dernières
forteresses de Galilée et en chasser les garnisons d'Antigone.
2. [304] Il arriva, malgré
de violentes chutes de neige, devant Sepphoris et occupa la ville sans combat,
la garnison s'étant enfuie avant l'attaque. Là il laissa se refaire ses
soldats, que l'hiver avait éprouvés, car il y trouva des vivres en abondance.
Puis il partit relancer les brigands des cavernes, qui, ravageant une grande
partie de la contrée, maltraitaient les habitants autant que la guerre même.
Il envoya en avant trois bataillons d’infanterie et un escadron de cavalerie
au bourg d'Arbèles ; lui-même les y rejoignit le quarantième jour avec
le reste de ses forces. Les ennemis ne se dérobèrent pas à l'attaque ;
ils marchèrent en armes à sa rencontre, joignant à l'expérience de la guerre
l'audace des brigands. Ils engagèrent donc la lutte et avec leur aile droite
mirent en déroute l'aile gauche d'Hérode ; mais lui, pivotant vivement
avec son aile droite qu'il commandait en personne, vint porter secours aux siens :
non seulement il arrêta la fuite de ses propres troupes, mais il s'élança
encore contre ceux qui les poursuivaient et contint leur élan jusqu'au moment où
ils cédèrent aux attaques de front et prirent la fuite.
3. [307] Hérode les
poursuivit, en les massacrant, jusqu'au Jourdain ; un grand nombre périt,
le reste se dispersa au delà du fleuve. Ainsi la Galilée fut délivrée de ses
terreurs, sauf toutefois les brigands qui restaient blottis dans les cavernes et
dont la destruction demanda du temps. Hérode accorda donc d'abord à ses
soldats le fruit de leurs peines, distribuant à chacun d'eux cent cinquante
drachmes d'argent et aux officiers une somme beaucoup plus considérable ;
puis il les envoya dans leurs quartiers d'hiver. Il ordonna à Phéroras, le
plus jeune de ses frères, de pourvoir à leur approvisionnement
et de fortifier Alexandreion,
Phéroras s'acquitta de cette double tâche.
4. [309] Dans le même
temps, Antoine séjournait à Athènes,
et Ventidius manda Silo et Hérode auprès de lui pour le seconder dans la
guerre contre les Parthes, les invitant à régler d'abord les affaires de Judée.
Hérode, sans se faire prier, lui envoya Silo, mais lui-même se mit en campagne
contre les brigands des cavernes. Ces cavernes étaient situées sur le flanc de
montagnes escarpées, inabordables de toutes parts, n'offrant d'accès que par
des sentiers étroits et tortueux ; de front la roche plongeait dans des
gorges profondes, dressant ses pentes abruptes et ravinées. Longtemps le roi
fut paralysé à la vue de ces difficultés du terrain : enfin il imagina
un stratagème très hasardeux. Il plaça ses soldats les plus vigoureux dans
des coffres, qu'il fit descendre d'en haut à l'aide de cordes et amena à
l'entrée des Cavernes ; ceux-ci massacraient alors les brigands et leurs
enfants et lançaient des brandons enflammés contre ceux qui se défendaient. Hérode,
voulant en sauver quelques-uns, les invita par la voix d'un héraut à se rendre
auprès de lui. Aucun n'obéit de son propre gré,
et parmi ceux qui y furent contraints, beaucoup préférèrent la mort à la
captivité. C’est là qu'ou vit un vieillard, père de sept enfants, tuer ses
fils qui, avec leur mère, le priaient de les laisser sortir et se rendre à
merci ; il les fit avancer,
l'un après l'autre, et, se tenant à l'entrée, les égorgea un à un. Du haut
d'une éminence, Hérode contemplait cette scène, profondément remué, et
tendait la main vers le vieillard pour le conjurer d'épargner ses enfants mais
celui-ci, sans s'émouvoir en rien de ces paroles, invectivant même l'ignoble
naissance d'Hérode, tua, après ses fils, sa femme, jeta les cadavres dans le
précipice et finalement s'y lança lui-même.
5. [314] Hérode se
rendit ainsi maître des cavernes et de leurs habitants. Après avoir laissé
(en Galilée) sous les ordres de Ptolémée un détachement suffisant, à son
avis, pour réprimer des séditions, il retourna vers Samarie, menant contre
Antigone trois mille hoplites et six cents cavaliers. Alors, profitant de son
absence, les fauteurs ordinaires de troubles en Galilée attaquèrent à
l'improviste le général Ptolémée et le tuèrent. Ensuite ils ravagèrent la
contrée, trouvant un refuge dans les marais et les places d'un accès
difficile. A la nouvelle de ce soulèvement, Hérode revint en hâte à la
rescousse ; il massacra un grand nombre des rebelles, assiégea et prit
toutes les forteresses et imposa aux villes une contribution de cent talents
pour les punir de cette défection.
6. [317] Cependant quand
les Parthes eurent été chassés et Pacoros tué,
Ventidius, suivant les ordres d'Antoine, envoya comme auxiliaires à Hérode,
pour les opposer à Antigone, mille chevaux et deux légions ; leur chef était
Machæras. Antigone écrivit lettres sur lettres à ce général, le suppliant
de l'aider plutôt lui-même, ajoutant force plaintes sur la violence d'Hérode
et les dommages qu'il causait au royaume ; il y joignait des promesses
d'argent. Machæras n'osait pas mépriser ses instructions, et d'ailleurs Hérode
lui donnait d’avantage ; aussi ne se laissa-t-il pas gagner à la trahison ;
toutefois, feignant l'amitié, il alla observer la situation d'Antigone, sans écouter
Hérode, qui l'en détournait. Or Antigone, qui avait deviné ses intentions,
lui interdit l'entrée de la ville et du haut des murs le fit repousser comme un
ennemi. Enfin, Machæras, tout confus, se retira à Emmaüs, auprès d'Hérode ;
rendu furieux par sa déconvenue, il tua sur son chemin tous les Juifs qu'il
rencontrait, sans même épargner les Hérodiens, mais les traitant tous comme
s'ils appartenaient à la faction d'Antigone.
7. [320] Hérode, fort mécontent,
s'élança d'abord pour attaquer Machæras comme un ennemi, mais il maîtrisa sa
colère et se rendit auprès d'Antoine pour dénoncer les procédés injustes de
ce personnage. Celui-ci, ayant réfléchi sur ses fautes, courut après le roi
et, à force de prières, réussit à se réconcilier avec lui. Hérode n'en
continua pas moins son voyage auprès d'Antoine. Apprenant que ce général assiégeait
avec des forces considérables Samosate, importante place voisine de l'Euphrate,
il pressa encore sa marche, voyant là une occasion favorable de montrer son
courage et de se pousser dans l'amitié d'Antoine. Son arrivée amena le dénouement
du siège ; il tua de nombreux ennemis et fit un butin considérable. De là
deux résultats : Antoine, qui admirait depuis longtemps la valeur d'Hérode,
s'affermit encore dans ce sentiment et accrut de toute manière ses honneurs et
ses espérances de règne ; quant au roi Antiochus, il fut contraint de
rendre Samosate.
1.
[323] Pendant cette expédition, les affaires d'Hérode subirent un grave échec en
Judée. Il y avait laissé son frère Joseph avec de pleins pouvoirs, mais en
lui recommandant de ne rien entreprendre contre Antigone jusqu'à sou retour :
car Machæras, à en juger d'après sa conduite passée, n'était pas un allié
sûr. Mais Joseph, dès qu'il sut son frère assez loin, négligea cette
recommandation et marcha vers Jéricho avec cinq cohortes que Machæras lui
avait prêtées ; son objet était d'enlever le blé, car on était au fort
de l'été. Sur la route il fut attaqué par les ennemis qui s'étaient postés
au milieu des montagnes dans un terrain difficile ; il périt dans le
combat après avoir montré une brillante valeur et tout le contingent romain
fut détruit ; ces cohortes venaient d'être levées en Syrie, et on n’y
avait pas mêlé de ces « vieux soldats », comme on les appelle, qui
auraient pu secourir l'inexpérience des jeunes recrues.
2. [325] Antigone ne se
contenta pas de la victoire : il porta la fureur au point d'outrager Joseph
même après sa mort. Comme les cadavres étaient restés en sa puissance, il
fit couper la tête de Joseph, malgré la rançon de cinquante talents que Phéroras,
frère du défunt, lui offrait pour la racheter. En Galilée, la victoire
d’Antigone produisit un si grand bouleversement que ceux des notables qui
favorisaient Hérode furent emmenés et noyés dans le lac (de Génésareth) par
les partisans d'Antigone. Il y eut aussi de nombreuses défections en Idumée,
où Machæras fortifiait à nouveau une place du nom de Gittha. De tout cela, Hérode
ne savait encore rien. Antoine, après la prise de Samosate, avait établi
Sossius gouverneur de Syrie ; il lui ordonna de secourir Hérode contre
Antigone et s'en retourna de sa personne en Égypte.
Sossius envoya tout de suite deux légions pour seconder Hérode ; lui-même
suivit de près avec le reste de ses troupes.
3. [328] Tandis qu’Hérode
était à Daphné, près d’Antioche, il eut un rêve qui lui annonçait
clairement la mort de son frère. Il sauta tout troublé du lit au moment où
entrèrent les messagers qui lui apprirent son malheur. La douleur lui arracha
quelques gémissements, puis il ajourna la plupart des marques de deuil et se
mit vivement en route contre ses ennemis. Marchant a étapes forcées, il arriva
au Liban, où il s'adjoignit comme auxiliaires huit cents montagnards et rallia
une légion romaine. Puis, sans attendre le jour,
il envahit la Galilée et refoula les ennemis, qui s'opposèrent à sa marche,
dans la forteresse qu'ils venaient de quitter. Il pressa la garnison par de fréquentes
attaques, mais avant d'avoir pu la prendre, un orage terrible le força de
camper dans les bourgades environnantes. Peu de jours après, la seconde légion
prêtée par Antoine le rejoignit ; alors les ennemis, que sa puissance
effrayait, évacuèrent nuitamment la forteresse.
4. [331] Il continua sa
marche rapide à travers Jéricho, ayant hâte de rejoindre les meurtriers de
son frère. Dans cette ville il fut le héros d'une aventure providentielle :
échappé à la mort par miracle,
il y acquit la réputation d'un favori de la divinité. En effet, comme ce
soir-là un grand nombre de magistrats soupaient avec lui, au moment où le
repas venait de se terminer et tous les convives de partir, soudain la salle s'écroula.
Il vit là un présage à la fois de dangers et de salut pour la guerre future,
et leva le camp dés l'aurore. Six mille ennemis environ, descendant des
montagnes, escarmouchèrent avec son avant-garde. N'osant pas en venir aux mains
avec les Romains, ils les attaquèrent de loin avec des pierres et des traits et
leur blessèrent beaucoup de monde. Hérode lui-même, qui chevauchait devant le
front des troupes, fut atteint d’un javelot au côté.
5. [333] Antigone,
voulant se donner l'apparence non seulement de l'audace, mais encore de la supériorité
du nombre, envoya contre Samarie Pappos, un de ses familiers, à la tête d’un
corps d’armée, avec la mission de combattre Machæras. Cependant Hérode fit
une incursion dans le pays occupé par l'ennemi, détruisit cinq petites villes,
y tua deux mille hommes et incendia les maisons ; puis il revint vers
Pappos, qui campait près du bourg d'Isana [157a].
6. [335] Tous les jours
une foule de Juifs, venus de Jéricho même et du reste de la contrée, le
rejoignaient, attirés à lui les uns par leur haine d'Antigone, les autres par
les succès d'Hérode, la plupart par un amour aveugle du changement. Il brûlait
de livrer bataille, et Pappos, à qui le nombre et l'ardeur de ses adversaires
n'inspiraient aucune crainte, sortit volontiers à sa rencontre. Dans ce choc
des deux armées, le gros des troupes ennemies résista quelque temps, mais Hérode,
animé par le ressentiment
de la mort de son frère, ardent à se venger des auteurs du meurtre, culbuta
rapidement les troupes qui lui faisaient face, et ensuite, tournant
successivement ses efforts contre ceux qui résistaient encore, les mit tous en
fuite. Il y eut un grand carnage, car les fuyards étaient refoulés dans la
bourgade d'où ils étaient sortis, tandis qu'Hérode, tombant sur leurs derrières,
les abattait en foule. Il les relança même à l'intérieur du village, où il
trouva toutes les maisons garnies de soldats et les toits mêmes chargés de
tireurs. Quand il en eut fini avec ceux qui luttaient dehors, Hérode, éventrant
les habitations, en extrayait ceux qui s’y cachaient. Beaucoup périrent en
masse sous les débris des toits qu'il fit effondrer ceux qui s'échappaient des
ruines étaient reçus par les soldats à la pointe de l'épée : tel fut
l'amoncellement des cadavres que les rues obstruées arrêtaient les vainqueurs.
Les ennemis ne purent résister à ce coup : quand le gros de leur armée,
enfin rallié, vit l'extermination des soldats du village, ils de dispersèrent.
Enhardi par ce succès, Hérode eut
aussitôt marché sur Jérusalem, si une tempête d'une extrême violence ne
l'en avait empêché. Cet accident ajourna la complète victoire d’Hérode et
la défaite d'Antigone, qui songeait déjà à évacuer la capitale.
7. [340] Le soir venu, Hérode
congédia ses compagnons fatigués et les envoya réparer leurs forces :
lui-même, encore tout chaud de la lutte, alla prendre son bain
comme un simple soldat, suivi d’un seul esclave. Au moment d'entrer
dans la maison de bain, il vit courir devant lui un des ennemis, l'épée à la
main, puis un second, un troisième, et plusieurs à la suite. C’étaient des
hommes échappés au combat, qui s'étaient réfugiés, tout armés, dans les
bains ; ils s'y étaient cachés et s’étaient dérobés jusque-là aux
poursuites ; quand ils aperçurent
le roi, anéantis par l’effroi, ils passèrent près de lui, en tremblant,
quoi qu'il fut sans armes, et se précipitèrent vers les issues. Le hasard
fit que pas un soldat ne se trouva là pour les saisir. Hérode, trop heureux
d’en être quitte pour la peur, les laissa tous se sauver.
8. [342] Le lendemain, il
lit couper la tête à Pappos, général d'Antigone, qui avait été tué dans
le combat, et envoya cette tête à son frère Phéroras, comme prix du meurtre
de leur frère : car c'était Pappos qui avait tué Joseph. Quand le
mauvais temps fut passé,
il se dirigea sur Jérusalem et conduisit son armée jusque sous les murs :
il y avait alors trois ans qu’il avait été salué à Rome du nom de roi. Il
posa son camp devant le Temple, seul côté par où la ville fut accessible ;
c'est là que Pompée avait naguère dirigé son attaque quand il prit Jérusalem.
Après avoir réparti son armée en trois corps [159a] et coupé tous les arbres des
faubourgs : il ordonna d’élever trois terrasses et d’y dresser des
tours ; il chargea ses lieutenants les plus actifs de diriger ces travaux,
et lui-même s'en alla à Samarie, rejoindre la fille d'Alexandre, fils
d'Aristobule, à qui, nous l'avons dit, il était fiancé. Il fit ainsi de son
mariage un intermède du siège, tant il méprisait déjà ses adversaires.
9. [345] Après ses
noces, il retourna à Jérusalem avec des forces plus considérables encore.
Il fut rejoint par Sossius, avec une
forte armée d’infanterie et de cavalerie ;
il avait envoyé ces troupes en avant par l'intérieur, tandis que lui-même
cheminait par la Phénicie. Quand furent concentrées toutes ses forces, qui
comprenaient onze légions d’infanterie et six mille chevaux, sans compter les
auxiliaires de Syrie, dont l’effectif était assez élevé, les deux chefs
campèrent près du mur nord. Hérode mettait sa confiance dans les décisions
du Sénat, qui l'avait proclamé roi, Sossius dans les sentiments d'Antoine, qui
avait envoyé son aimée pour soutenir Hérode.
1.
[347] La multitude des Juifs enfermés dans la ville était agitée en sens divers.
Les plus faibles, agglomérés autour du Temple, se livraient à des transports
mystiques et débitaient force discours prophétiques selon les circonstances ;
les plus hardis formaient des compagnies qui s’en allaient marauder : ils
rançonnaient surtout les environs de la ville et ne laissaient de nourriture ni
pour les hommes ni pour les chevaux.
Quant aux soldats, les plus disciplinés étaient employés à déjouer les
attaques des assiégeants ; du haut de la muraille, ils écartaient les
terrassiers et imaginaient toujours quelque nouvel engin pour combattre ceux de
l'ennemi ; c'est surtout dans les travaux de mine qu’ils montraient leur
supériorité.
2. [349] Pour mettre fin
aux déprédations des brigands, le roi organisa des embuscades, qui réussirent
à déjouer leurs incursions : au manque de vivres il remédia par des
convois amenés du dehors ; quant aux combattants ennemis, l’expérience
militaire des Romains assurait Hérode l'avantage sur eux, encore que leur
audace ne connût point de bornes. S'ils évitaient d'attaquer les Romains en
face et de courir à une mort assurée,
en revanche ils cheminaient par les galeries de mines et apparaissaient soudain
au milieu même des assiégeants ; avant même qu’une partie de la
muraille fût ébranlée, ils en élevaient une autre derrière ; en un
mot, ils n'épargnaient ni leurs bras ni les ressources de leur esprit, bien résolus
à tenir jusqu’à la dernière extrémité. Aussi, malgré l'importance des
forces qui entouraient la ville, ils supportèrent le siège pendant cinq mois ;
enfin, quelques soldats d’élite d'Hérode eurent la hardiesse d’escalader
le mur et s'élancèrent dans la ville ; après eux montèrent des
centurions de Sossius. D'abord ils prirent le quartier voisin du Temple et comme
les troupes débordaient de toutes parts, le carnage sévit sous mille aspects,
car la longueur du siège avait exaspéré les Romains, et les Juifs de l'armée
d’Hérode s’appliquaient à ne laisser survivre aucun de leurs adversaires.
On égorgea les vaincus par monceaux dans les ruelles et les maisons où ils se
pressaient ou aux abords du Temple qu'ils qu’ils cherchaient à gagner ;
on n’épargna ni l’enfance ni la vieillesse ni la faiblesse du sexe ;
le roi eut beau envoyer partout des messagers exhorter à la clémence,
les combattants ne retinrent point leurs bras, et, comme ivres de fureur, firent
tomber leurs coups sur tous les âges indistinctement. Alors Antigone, sans
considérer ni son ancienne fortune ni sa fortune présente, descendit de la
citadelle (Baris) et se jeta aux pieds de Sossius. Celui-ci, loin de s'apitoyer
sur son infortune, éclata de rire sans mesure et l'appela Antiqona ;
cependant il ne le traita pas comme une femme, qu'on eût laissée en liberté :
Antigone fut mis aux fers et placé sous une garde étroite.
3. [354] Hérode,
vainqueur des ennemis, se préoccupa maintenant de vaincre ses alliés étrangers.
Les Gentils se ruaient en foule pour visiter le Temple et les ustensiles sacrés
du sanctuaire. Le roi exhortait, menaçait, quelquefois même mettait les armes
à la main pour repousser les curieux, jugeant sa victoire plus fâcheuse
qu’une défaite, si ces gens étaient admis à contempler les choses dont la
vue est interdite. Il s'opposa aussi dès lors au pillage de la ville, ne
cessant de représenter à Sossius que si les Romains dépouillaient la ville de
ses richesses et de ses habitants, ils ne le laisseraient régner que sur un désert ;
il ite voudrait pas, au prix du meurtre de tant de citoyens, acheter l'empire de
l'univers. Sossius répliquant qu'il était juste d'autoriser le pillage pour
payer les soldats des fatigues du siège, Hérode dit qu’il leur accorderait
lui-même à tous des gratifications sur son trésor particulier. Il racheta
ainsi les restes de sa patrie et sut remplir ses engagements. Chaque soldat fut
récompensé largement, les officiers à proportion, et Sossius lui-même avec
une libéralité toute royale, en sorte que nul ne s'en alla dépourvu. Sossius,
de son côté, après avoir dédié à Dieu une couronne d’or partit de Jérusalem
emmenant vers Antoine Antigone enchaîné. Celui-ci, attaché jusqu'au bout à
la vie par une misérable espérance, périt sous la hache, digne châtiment de
sa lâcheté.
4. [358] Le roi Hérode
fit deux parts dans la multitude des citoyens de la ville : ceux qui
avaient soutenu ses intérêts, il se les concilia plus étroitement encore en
les honorant ; quant aux partisans d'Antigone, il les extermina. Se
trouvant bientôt à court d'argent, il fit monnayer tous les objets précieux
qu'il possédait, pour envoyer des subsides à Antoine et à son entourage.
Cependant même à ce prix il ne s'assura pas encore contre tout dommage :
car déjà Antoine, corrompu par l'amour de Cléopâtre, commençait à se
laisser dominer en toute occasion par sa passion,
et cette reine, après avoir persécuté son propre sang au point de ne
laisser survivre aucun membre de sa
famille, s'en prenait désormais au
sang des étrangers. Calomniant les grands de Syrie auprès d'Antoine, elle lui
conseillait de les détruire, dans
l'espoir de devenir facilement maîtresse de leurs biens. Son ambition s'étendait
jusqu'aux Juifs et aux Arabes, et elle machinait sournoisement la perte de leurs
rois respectifs, Hérode et Malichos.
5. [361] Antoine
n'accorda qu'une partie de ses désirs [164a] : il jugeait sacrilège de tuer des
hommes innocents, des rois aussi considérables ; mais il laissa se relâcher
l'étroite amitié qui les unissait a lui [164b] et leur enleva de grandes étendues de
territoire, notamment le bois de palmiers de Jéricho d'où provient le baume,
pour en faire cadeau a Cléopâtre ; il lui donna aussi toutes les villes
situées en-deçà du fleuve Eleuthéros, excepté Tyr et Sidon.
Une fois mise en possession de toutes ces contrées, elle escorta jusqu'à
l'Euphrate Antoine, qui allait faire la guerre aux Parthes, et se rendit elle-même
en Judée par Apamée et Damas. Là, par de grands présents, Hérode adoucit
son inimitié et reprit à bail pour une somme annuelle de deux cents talents
les terres détachées de son royaume : puis il l'accompagna jusqu'à Péluse,
en lui faisant la cour de mille manières. Peu de temps après, Antoine revint
de chez les Parthes, menant prisonnier Artabaze, fils de Tigrane, destiné à Cléopâtre,
car il s'empressa de lui donner ce Parthe avec l'argent et tout le butin conquis.
1.
[364] Quand éclata la guerre d'Actium, Hérode se prépara à courir au secours
d'Antoine, car il était déjà débarrassé des troubles de Judée et s'était
emparé de la forteresse d'Hyrcania, qu'occupait la sœur d'Antigone. Mais Cléopâtre
sut par ruse l'empêcher de partager les périls d'Antoine ; car,
complotant, comme nous l'avons dit, contre les rois, elle persuada Antoine de
confier à Hérode la guerre contre les Arabes, espérant, s'il était
vainqueur, devenir maîtresse de l'Arabie, s'il était vaincu, de la Judée, et
détruire ainsi les deux rois l'un par l'autre.
2. [366] Toutefois ces
desseins tournèrent à l'avantage d'Hérode ; car après avoir d'abord
exercé des représailles sur ses ennemis, il ramassa un gros corps de cavalerie
et le lança contre eux aux environs de Diospolis : il remporta la
victoire, malgré une résistance opiniâtre. Cette défaite provoqua un grand
mouvement parmi les Arabes : ils se réunirent en une foule innombrable
autour de Canatha,
ville de Cœlé-Syrie et y attendirent les Juifs. Hérode, arrivé avec ses
troupes, aurait voulu conduire les opérations avec prudence et ordonna aux
siens de fortifier leur camp. Mais cette multitude ne lui obéit pas ;
enorgueillie de sa récente victoire, elle s'élança contre les Arabes. Elle
les enfonça au premier choc et les poursuivit ; mais au cours de cette
poursuite, Hérode tomba dans un guet-apens. Athénion, l'un des généraux de
Cléopâtre, qui lui avait toujours été hostile, souleva contre lui les
habitants de Canatha.
Les Arabes, à l'arrivée de ce renfort, reprennent courage et font volte-face.
Rassemblant toutes leurs forces dans un terrain rocheux et difficile, ils
mettent en fuite les troupes d'Hérode et en font un grand carnage. Ceux qui s'échappèrent
se réfugièrent à Ormiza ; mais les Arabes y cernèrent leur camp et le
prirent avec ses défenseurs.
3. [369] Peu de temps après
ce désastre Hérode revint avec des secours, trop tard pour y remédier. La
cause de sa défaite fut l'insubordination de ses lieutenants : sans ce
combat improvisé Athénion n'eût pas trouvé l'occasion de sa perfidie.
Cependant Hérode se vengea des Arabes en ravageant encore à diverses reprises
leur territoire, et leur rappela ainsi par maints cuisants souvenirs [169a] leur unique
victoire. Tandis qu'il se défendait contre ses ennemis, une autre fatalité
providentielle l'accabla dans la septième année de son règne, pendant que la
guerre d'Actium battait son plein.
Au début du printemps un tremblement de terre fit périr d'innombrables
bestiaux et trente mille personnes : heureusement l'armée ne fut pas
atteinte, car elle campait en plein air. A ce moment l'audace des Arabes
redoubla, excitée par la rumeur, qui grossit toujours les évènements
funestes. Ils s'imaginèrent que toute la Judée était en ruine et qu'ils
s'empareraient d’un pays sans défenseurs ; dans cette pensée ils
l'envahirent, après avoir immolé les députés que les Juifs leur avaient
envoyé. L'invasion frappe de terreur la multitude, démoralisée par la
grandeur de ces calamités successives ;
Hérode la rassemble et s'efforce par ce discours de l’encourager à la
résistance :
4. [373] « La
crainte qui vous envahit à cette heure me paraît complètement dénuée de
raison. Devant les coups de la Providence le découragement était naturel ;
devant l'attaque des hommes, ce serait le fait de lâches. Pour moi, bien loin
de craindre l'invasion des ennemis succédant au tremblement de terre, je vois
dans cette catastrophe une amorce dont Dieu s'est servi pour attirer les Arabes
et les livrer à notre vengeance. S'ils nous attaquent, ce n'est pas, en effet,
par confiance dans leurs armes ou leurs bras, mais parce qu'ils comptent sur le
contrecoup de ces calamités naturelles ; or trompeuse est l'espérance
qui repose non sur notre propre force, mais sur le malheur d'autrui. Ni la bonne
ni la mauvaise chance n’est durable parmi les hommes, et l'on voit souvent la
fortune changer de face : vous pouvez l'apprendre par votre propre exemple.
Vainqueurs dans la première rencontre, nous avons vu ensuite les ennemis
remporter l'avantage ; de même aujourd'hui, suivant toute vraisemblance,
ils succomberont, alors qu'ils se flattent de triompher. Car l'excès de
confiance rend imprudent, tandis que l'appréhension enseigne la précaution ;
aussi votre pusillanimité même raffermit ma confiance. Lorsque vous vous
montriez pleins d'une hardiesse excessive, lorsque, dédaignant mes avis, vous
vous élanciez contre les ennemis, Athénion trouva l'occasion de sa perfidie ;
maintenant, votre inertie et vos marques de découragement me donnent
l'assurance de la victoire. Cependant cette disposition d'esprit ne convient que
pendant l'attente [170a] ; dans l'action même, vous devez porter haut vos cœurs
afin que les plus impies sachent bien que jamais calamité humaine ni divine ne
pourra humilier le courage des Juifs, tant qu'ils auront un souffle de vie, que
nul d'entre eux ne laissera avec indifférence ses biens tomber au pouvoir d'un
Arabe, qu'il a tant de fois, pour ainsi dire, pu emmener captif. Ne vous laissez
pas davantage troubler par les mouvements de la matière brute, n'allez pas vous
imaginer que le tremblement de terre soit le signe d'un autre malheur ; les
phénomènes qui agitent les éléments ont une origine purement physique ;
ils n’apportent aux hommes d'autres dommages que leur effet immédiat. Une
peste, une famine, les agitations du sol peuvent être précédées elles-mêmes
de quelque signe plus fugitif, mais ces catastrophes une fois réalisées sont
limitées par leur propre étendue. Et, en effet, quels dommages plus considérables
que ceux de ce tremblement de terre pouvait nous faire éprouver l'ennemi [170b], même
victorieux ? En revanche, voici un prodige important qui annonce la perte
de nos ennemis ; il ne s'agit ni de causes naturelles, ni du fait d'autrui :
contre la loi commune à tous les hommes, ils ont brutalement mis à mort
nos ambassadeurs ; voila les victimes couronnées [170c] qu'ils ont offertes à
Dieu pour obtenir le succès. Mais ils n'échapperont pas à son œil puissant,
à sa droite invincible ; bientôt ils subiront le châtiment mérité, si,
retenant quelque trace de la hardiesse de nos pères,
nous nous levons pour venger cette violation des traités. Marchons donc non
pour défendre nos femmes, nos enfants, notre patrie en danger, mais pour venger
les députés assassinés. Ce sont eux qui conduiront nos armes mieux que nous,
les vivants. Moi-même, je m'exposerai le premier [171a] au péril, pourvu que je vous
trouve dociles, car, sachez le bien, votre courage est irrésistible, si vous ne
vous perdez vous-mêmes par quelque témérité. »
5. [380] Ces paroles
ranimèrent l'armée : quand Hérode la vit pleine d’ardeur il offrit un
sacrifice à Dieu, puis franchit le Jourdain avec ses troupes. Il campa à
Philadelphie près de l'armée ennemie et commença à escarmoucher au sujet
d'un château placé entre les deux camps avec le désir d'engager la bataille
au plus vite. Les ennemis avaient fait un détachement pour occuper ce poste ;
la troupe envoyée par le roi les délogea promptement et tint fortement la
colline. Tous les jours Hérode amenait son armée, la rangeait en bataille et
provoquait les Arabes au combat ; mais nul d'entre eux ne sortait des
retranchements, car ils étaient saisis d'un profond abattement, et tout le
premier, le général arabe Elthémos restait muet d'effroi. Alors le roi s'avança
et commença à arracher les palissades du camp ennemi. Les Arabes, contraints
et forcés, sortirent enfin pour livrer bataille, en désordre, les fantassins
confondus avec les cavaliers. Supérieurs en nombre aux Juifs, ils avaient moins
d'enthousiasme ; pourtant le désespoir même leur donnait quelque audace.
6. [383] Aussi, tant
qu'ils tinrent bon, ils ne subirent que de faibles pertes, mais dés qu'ils
tournèrent le dos, les Juifs les massacrèrent en foule : un grand nombre
aussi s'entre-tuèrent en s'écrasant les uns les autres. Cinq mille hommes tombèrent
dans la déroute, le reste de la multitude se hâta de gagner le camp fortifié
et s'y s'enferma. Hérode les entoura aussitôt et les assiégea ; ils
devaient nécessairement succomber à un assaut, lorsque le manque d'eau et la
soif précipitèrent leur capitulation. Le roi reçut avec mépris leurs députés
et, quoiqu'ils offrissent une rançon de cinq mille talents,
il les pressa encore plus étroitement. Dévorés par la soif, les Arabes
sortaient en foule pour se livrer d'eux-mêmes aux Juifs. En cinq jours, on fit
quatre mille prisonniers ; le sixième jour, cédant au désespoir, le
reste de la multitude sortit au combat : Hérode fit face et en tua encore
environ sept mille. Après avoir, par ce coup terrible, repoussé les Arabes et
brisé leur audace, il acquit auprès d'eux tant de crédit que leur nation le
choisit pour protecteur.
1.
[386] A peine ce danger disparu, il trembla bientôt pour son existence même ;
et cela à cause de son amitié pour Antoine, que César venait de vaincre à
Actium.
Il eut cependant plus de crainte que de mal ; car tant qu'Hérode restait
fidèle à Antoine, César ne jugeait pas celui-ci à sa merci,
Cependant le roi résolut d'aller au devant du péril ; il se rendit à
Rhodes, où séjournait César, et se présenta devant lui sans diadème, dans
le vêtement et l'attitude d'un simple particulier, mais gardant la fierté
d’un roi ; car, sans rien altérer de la vérité, il lui dit en face :
« Fait roi par Antoine, César, j'avoue qu’en toute occasion j'ai cherché
à le servir : je ne te cacherai même pas, que ma reconnaissance l'aurait
suivi jusque sur les champs de bataille, si les Arabes ne m'en avaient empêché ;
cependant je lui ai envoyé des troupes dans la mesure de mes forces et des
milliers de boisseaux de blé. Même après sa délaite d'Actium, je n'ai pas
abandonné mon bienfaiteur ; ne pouvant plus être un allié utile, je fus
pour lui le meilleur des conseillers. Je lui représentai qu'il n'y avait qu'un
seul remède à ses désastres : la mort de Cléopâtre ; elle tuée,
je lui promettais mes richesses, mes remparts pour sa sûreté, mes troupes et
moi-même, pour l'aider dans la guerre qu'il
te faisait. Mais les charmes de Cléopâtre et Dieu qui t'accorde
l'empire ont bouché ses oreilles. J'ai été vaincu avec Antoine, et quand
tomba sa fortune, j'ai déposé le diadème. Je suis venu vers toi, mettant dans
mon innocence l'espérance de mon salut, et présumant qu'on examinera quel ami
je fus et non pas de qui je l'ai été. »
2. [391] A cela César répondit :
« Eh bien ! sois donc pardonné, et règne désormais plus sûrement
qu'autrefois. Car tu es digne de régner sur beaucoup d’hommes, toi qui
respectes l'amitié à ce point. Tâche de garder la même fidélité à ceux
qui sont plus heureux ; de mon côté, la grandeur d'âme me fait concevoir
les plus brillantes espérances. Antoine a bien fait d'écouter les conseils de
Cléopâtre plutôt que les tiens : c’est à sa folie que je dois le gain
de ton alliance. Tu inaugures déjà tes services, puisque si j'en crois une
lettre de Q. Didius,
tu lui as envoyé des secours contre les gladiateurs. Maintenant je veux par un
décret public confirmer ta royauté et je m'efforcerai à l'avenir de te faire
encore du bien, pour que tu ne regrettes pas Antoine. »
3.
[393] Ayant ainsi témoigné sa bienveillance au roi et placé le diadème sur sa tête,
il confirma ce don par un décret où il faisait longuement son éloge en termes
magnifiques. Hérode, après l'avoir adouci par des présents, chercha à
obtenir la grâce d'Alexas, un des amis d'Antoine, venu en suppliant ; mais
le ressentiment de César fut le plus fort ; les nombreux et graves griefs
qu'il avait contre Alexas firent repousser cette supplique. Quand ensuite César
se dirigea vers l'Égypte à travers la Syrie, Hérode le reçut en déployant
pour la première fois un faste royal il
l'accompagna à cheval dans la revue que César passa de ses troupes, près de
Ptolémaïs ; il lui offrit un festin à lui et à tous ses amis ; au
reste de l'armée il lit faire bonne chaire de toute façon. Puis, quand les
troupes s'avancèrent jusqu'à Péluse à travers une région aride, il prit
soin de leur fournir l'eau en abondance, et de même au retour ; par lui,
en un mot, l'armée ne manqua jamais du nécessaire. César lui-même et les
soldats estimaient que le royaume d'Hérode était bien étroit, en proportion
des sacrifices qu’il faisait pour eux. Aussi, lorsque César parvint en Égypte
après la mort de Cléopâtre et d'Antoine, non seulement il augmenta tous les
honneurs d'Hérode, mais il agrandit encore son royaume en lui rendant le
territoire que Cléopâtre s'était approprié ; il y ajouta Gadara, Hippos
et Samarie ; en outre, sur le littoral, Gaza, Anthédon, Joppé et la Tour
de Straton. Il lui donna, enfin, pour la garde de sa personne, quatre cents
Gaulois qui avaient d'abord été les satellites de Cléopâtre. Rien n'excita
d'ailleurs cette générosité comme la fierté de celui qui en était l'objet.
4.
[398] Après la première période Actiaque,
l’empereur ajouta au royaume d'Hérode la contrée appelée Trachonitide et
ses voisines, la Batanée et l'Auranitide. En voici l'occasion, Zénodore, qui
avait loué le domaine de Lysanias, ne cessait d'envoyer les
brigands de la Trachonitide contre les habitants de Damas. Ceux-ci
vinrent se plaindre auprès de Varron, gouverneur de Syrie, et le prièrent
d’exposer à César leurs souffrances quand
l'empereur les apprit, il répondit par l'ordre d'exterminer ce nid de brigands.
Varron se mit donc en campagne, nettoya le territoire de ces bandits et en déposséda
Zénodore : c'est ce
territoire que César donna ensuite à Hérode, pour empêcher que les brigands
n'en fissent de nouveau leur place d'armes contre Damas. Il le nomma aussi
procurateur de toute la Syrie, quand, dix ans après son premier voyage, il
revint dans cette province ;
car il défendit que les procurateurs pussent prendre aucune décision sans son
conseil. Quand enfin mourut Zénodore, il donna encore à Hérode tout le
territoire situé entre la Trachonitide et la Galilée. Mais ce qu'Hérode appréciait
au-dessus de ces avantages, c'est qu'il venait immédiatement après Agrippa
dans l'affection de César, après César dans celle d'Agrippa. Grâce à cette
faveur, sa prospérité s'éleva au plus haut degré : son esprit croissait
dans la même mesure et presque toute son ambition se tourna vers des œuvres de
piété.
1.
[401] Ce fut donc dans la quinzième année de son règne
qu'il fit rebâtir le Temple et renouveler les fortifications de l'espace
environnant, porté au double de son étendue primitive. Ce fut une entreprise
extrêmement coûteuse et d'une magnificence sans égale, comme l’attestent
les grands portiques élevés autour du Temple et la citadelle qui le flanqua au
nord : les portiques furent reconstruits de fond en comble, la citadelle
restaurée avec une somptuosité digne d’un palais royal ; Hérode lui
donna le nom d'Antonia, en l'honneur d'Antoine. Son propre palais, qu'il fit
construire dans la partie haute de la ville, comprenait deux appartements très
vastes et magnifiques, avec lesquels le Temple même ne pouvait soutenir la
comparaison ; il les appela du nom de ses amis, l'un Césaréum, l'autre
Agrippium.
2.
[403] D'ailleurs, il ne se contenta pas d'attacher à des palais le nom et la mémoire
de ses protecteurs ; sa générosité s'exprima par la création de cités
entières. Dans le pays de Samarie, il entoura une ville d'une magnifique
enceinte de vingt stades, y introduisit six mille colons et leur attribua un
territoire très fertile ; au centre de cette fondation, il éleva un très
grand temple dédié a l'empereur, l'entoura d'un enclos réservé de un stade
et demi
et nomma la ville Sébasté. Les habitants reçurent une constitution privilégiée.
3.
[404] Quand plus tard l'empereur lui fit présent de nouveaux territoires, Hérode lui
dédia là aussi un temple de marbre blanc près des sources du Jourdain, au
lieu appelé Paneion. Une montagne y dresse son sommet à une immense hauteur
et ouvre dans la cavité de son flanc un antre obscur, où plonge jusqu'à une
profondeur inaccessible un précipice escarpé ; une masse d'eau tranquille
y est enfermée, si énorme qu'on a vainement essayé par des sondages
d'atteindre le fond. De cet antre au pied de la montagne, jaillissent extérieurement
les sources qui, suivant l'opinion de plusieurs, donnent naissance au Jourdain ;
nous en parlerons avec plus de précision dans la suite.
4.
[406] A Jéricho encore, entre la citadelle de Cypros
et l'ancien palais, le roi fit construire de nouvelles habitations plus belles
et mieux aménagées pour la réception des hôtes ; il leur donna le nom
de ces mêmes amis.
En un mot, il n'y eut pas dans son royaume un lieu approprié où il ne laissât
quelque marque d'hommage envers César. Après avoir rempli de temples son
propre territoire, il fit déborder sur la province entière sa dévotion à
l'empereur et fonda des temples de César dans plusieurs cités.
5.
[407] Il remarqua parmi les cités du littoral une ville appelée Tour de Straton ,
alors en pleine décadence, mais qu'une situation favorable recommandait à sa
libéralité. Il la reconstruisit tout entière en pierre blanche, l'orna des
palais les plus magnifiques et y déploya plus que partout ailleurs la naturelle
grandeur de son génie. Tout le littoral entre Dora et Joppé, à égale
distance desquelles se trouve cette ville, est dépourvu de ports : aussi
tous les navigateurs qui longent la Phénicie pour se rendre en Égypte
jetaient-ils l'ancre au large sous la menace du vent du sud-ouest ; car, même
quand il souffle modérément, le flot se soulève à une telle hauteur contre
les falaises que son reflux entretient à une grande distance la fureur de la
mer. Le roi, par sa prodigue magnificence, triompha de la nature, construisit un
port plus grand que le Pirée et pratiqua dans ses recoins d'autres mouillages
profonds.
6. [408] Bien que le
terrain contrariât tous ses projets, il combattit si bien les obstacles, qu'il
garantit contre les attaques de la mer la solidité de ses constructions, tout
en leur donnant une beauté qui éloignait toute idée de difficulté. En effet,
après avoir mesuré pour le port la superficie que nous avons indiquée, il fit
immerger dans la mer, jusqu’à une profondeur de vingt brasses, des blocs de
pierre dont la plupart mesuraient cinquante pieds de longueur, neuf de hauteur
et dix de largeur ;
quelques-uns même étaient plus grands encore. Quand le fond eut été ainsi
comblé, il dressa sur ces assises, au-dessus de l'eau, un môle large de deux
cents pieds : la moitié, cent pieds, servait à recevoir l'assaut des
vagues, - d'où son nom de « brise-lames » - le reste soutenait un
mur de pierre, qui faisait tout le tour du port ; de ce mur surgissaient,
de distance en distance, de hautes tours dont la plus grande et la plus
magnifique fut appelée Drusion, du nom du beau-fils de l’empereur.
7. [411] Il ménagea dans
le mur un grand nombre de chambres voûtées, où s'abritaient les marins qui
venaient jeter l'ancre : toute la terrasse circulaire, courant devant ces
arcades, formait un large promenoir pour ceux qui débarquaient. L'entrée du
port s'ouvrait au nord, car, dans ces parages, c'est le vent du nord qui est, de
tous, le plus favorable. Dans la passe on voyait de chaque côté trois
colosses, étayés sur des colonnes ; ceux que les navires entrants avaient
à bâbord s'élevaient sur une tour massive, ceux à tribord sur deux blocs de
pierre dressés et reliés entre eux, dont la hauteur dépassait celle de la
tour vis-à-vis. Adjoignant au port on voyait des édifices construits eux aussi
en pierre blanche, et c'était vers le port que convergeaient les rues de la
ville, tracées à des intervalles égaux les unes des autres. En face de l'entrée
du port s'élevait sur une éminence le temple d'Auguste,
remarquable par sa beauté et sa grandeur ; il renfermait une statue
colossale de l'empereur, qui ne le cédait point à celle du Zeus d'Olympie dont
elle était inspirée, et une statue de Rome, semblable à celle d'Héra, à
Argos. Hérode dédia la ville à la province, le port à ceux qui naviguaient
dans ces parages, à César la gloire de cette fondation ; aussi donna-t-il
à la cité le nom de Césarée.
8.
[415] Le reste des constructions, l'amphithéâtre, le théâtre, les places
publiques, furent dignes du nom de cette ville. Hérode y institua aussi des
jeux quinquennaux,
également dénommés d'après l'empereur ; il les inaugura lui-même, dans
la 192e Olympiade,
en proposant des prix magnifiques : non seulement les vainqueurs, mais
encore ceux qui venaient au second et au troisième rang prenaient part aux
largesses royales. Il releva encore Anthédon, ville du littoral, qui avait été
ruinée au cours des guerres, et lui donna le nom d'Agrippium ;
dans l'excès de son affection pour Agrippa, il fit graver le nom de ce même
ami sur la porte qu'il éleva dans le Temple.
9.
[417] Hérode, qui aimait ses parents autant que fils au monde, consacra à la mémoire
de son père une cité dont il choisit l'emplacement dans la plus belle plaine
de son royaume, abondante en cours d'eau et en arbres ; il lui donna le nom
d'Antipatris. Au-dessus de Jéricho, il entoura de murailles un lieu remarquable
par sa forte position et sa beauté et l'appela Cypros du nom de sa mère. Celui
de son frère Phasaël fut attribué à un tour de Jérusalem, dont nous dirons
dans la suite la structure et la somptueuse grandeur. Il nomma encore Phasaëlis
une autre ville qu'il fonda dans la vallée, au nord de Jéricho.
10.
[419] Ayant ainsi transmis à l'immortalité ses parents et ses amis, il n'oublia pas
le souci de sa propre mémoire. C'est ainsi qu'il renouvela les fortifications
d'une place située dans la montagne, du côté de l'Arabie, et l'appela de son
propre nom, Hérodium. Une colline artificielle en forme de mamelon, à soixante
stades de Jérusalem, reçut le même nom, mais fut embellie avec plus de
recherche. Hérode entoura le sommet de la colline d'une couronne de tours
rondes et accumula dans l'enceinte les palais les plus somptueux : non
seulement l'aspect des constructions, à l'intérieur, était superbe, mais les
richesses étaient répandues à profusion sur les murs extérieurs, les créneaux
et les toits. Il fit venir à grands frais de loin des eaux abondantes et assura
l'accès du palais par un escalier de deux cents degrés de marbre d'une
blancheur éclatante, car la colline était assez haute et tout entière faite
de main d'homme. Au pied du coteau, il bâtit un autre palais pouvant abriter un
mobilier et recevoir ses amis. Par la plénitude des ressources, cette enceinte
fortifiée paraissait être une ville par ses dimensions, c'était un simple
palais.
11.
[422] Après tant de fondations, il témoigna encore sa générosité à un grand
nombre de villes étrangères. Il construisit, en effet, des gymnases à
Tripolis, à Damas et à Ptolémaïs, une muraille à Byblos, des exèdres, des
portiques, des temples et des marchés à Béryte et à Tyr, des théâtres à
Sidon et à Damas; à Laodicèe sur mer, un aqueduc ; à Ascalon, des
bains, de somptueuses fontaines, des colonnades admirables pour la beauté et
les dimensions ; d'autres cités furent embellies de parcs et de prairies.
Beaucoup de villes, comme si elles eussent été associées à son royaume, reçurent
de lui des territoires ; d'autres, comme Cos, obtinrent des gymnasiarchies
annuelles à perpétuité, assurées par des rentes constituées, afin de n’être
jamais privées de cet honneur. Il distribua du blé à tous ceux qui en avaient
besoin ; il fournit aux Rhodiens à diverses reprises
[199a]
de fortes sommes destinées à des constructions navales, et quand leur
Pythion fut incendié, il le fit reconstruire plus magnifiquement à ses frais.
Faut-il rappeler ses présents aux Lyciens [199b] et aux Samiens, et des marques de générosité
qu'il répandit dans l'Ionie entière suivant les besoins de chacun ? Les
Athéniens, les Lacédémoniens, les habitants de Nicopolis, de Pergame en
Mysie, ne sont-ils pas comblés des offrandes d'Hérode ? Et la grande rue
d’Antioche de Syrie, qu'on évitait à cause de la boue, n'est-ce pas lui qui
l'a pavée en marbre poli sur une longueur de vingt stades, lui qui l'a ornée
d'un portique de même longueur pour abriter les promeneurs contre la pluie ?
12.
[426] Tous ces dons, dira-t-on, n'intéressaient que chacun des peuples particuliers
ainsi gratifiés ; les largesses qu'il fit aux Eléens ne sont pas
seulement un présent commun à la Grèce entière, mais à tout l’univers où
se répand la gloire des jeux olympiques. En voyant ces jeux déchus par
l'absence de ressources et cet unique reste de l'ancienne Grèce tombant en
ruine, non seulement il se laissa nommer agonothète pour la période
quinquennale qui commençait au moment où, faisant voile vers Rome,
il passa par là, mais il constitua encore, au profit de la fête, des revenus
perpétuels qui devaient à jamais conserver sa mémoire parmi les agonothètes
futurs.
Je n'en finirais pas de passer en revue les dettes et les impôts qu'il pris à
sa charge ; c'est ainsi qu'il allégea les contributions annuelles des
habitants de Phasélis,
de Balanéa,
des petites villes de Cilicie. Il dut souvent mettre un frein à sa générosité,
par crainte d'exciter l'envie et de paraître poursuivre un but trop ambitieux
en faisant plus de bien aux villes que leurs propres maîtres.
13.
[429] Il était servi par une constitution physique en rapport avec son génie. Il
excella toujours à la chasse, où il se distingua surtout par son expérience
de cavalier : en un seul jour il terrassa quarante bêtes sauvages, car le
pays nourrit des sangliers, et foisonne surtout de cerfs et d'ânes sauvages. Il
fut aussi un soldat irrésistible. Souvent, dans les exercices du corps, il
frappa d'étonnement les spectateurs à le voir jeter le javelot si juste et
tirer de l'arc avec tant de précision. Mais outre les avantages de l'esprit et
du corps, il eut encore pour lui la bonne fortune : il fut rarement battu
à la guerre ; ses échecs ne furent-ils pas de sa faute, mais dus à la
trahison, ou a l'ardeur téméraire de ses soldats.
1.
[431] Cependant la prospérité extérieure d'Hérode fut empoisonnée de chagrins
domestiques par le sort jaloux ; l'origine de ses infortunes fut la femme
qu'il aimait le plus. Arrivé au pouvoir, il avait répudié l'épouse qu'il s'était
donnée dans une condition privée, Doris, originaire de Jérusalem, et pris
pour nouvelle compagne Mariamme, fille d’Alexandre, fils d'Aristobule ;
ce fut elle qui jeta le trouble dans sa maison. Ce trouble commença de bonne
heure, mais s'aggrava surtout après le retour d'Hérode de Rome. Tout d'abord
il chassa de la capitale le fils qu'il avait eu de Doris, Antipater, à cause
des enfants que lui avait donnés Mariamme ; il ne l'autorisa à y paraître
que pour les fêtes. Ensuite il mit à mort, sous le soupçon d'un complot,
Hyrcan, grand-père de sa femme, qui était revenu de chez les Parthes auprès
de lui.
On a vu que Barzapharnès, lorsqu'il envahit la Syrie, avait emmené Hyrcan
prisonnier ; mais les Juifs qui habitaient au delà de
l'Euphrate obtinrent, à force de larmes, sa mise en liberté. S'il avait
suivi leur conseil de ne pas rentrer auprès d'Hérode, il aurait évité sa fin
tragique ; le mariage de sa petite-fille fut l'appât mortel qui le perdit.
Il vint, confiant dans cette alliance et poussé par un ardent désir de revoir
sa patrie. Hérode fut exaspéré, non pas que le vieillard aspirât à la
royauté, mais parce qu'elle lui revenait de droit.
2.
[435] Hérode eut cinq enfants de Mariamme, deux filles
et trois fils. Le plus jeune de ceux-ci fut élevé à Rome et y mourut ;
les deux aînés
reçurent une éducation royale, à cause de l'illustre naissance de leur mère
et parce qu'ils étaient liés après l'avènement d'Hérode au trône. Plus que
tout cela, ils avaient pour eux l'amour d'Hérode envers Mariamme, amour de jour
en jour plus passionné, au point même de le rendre insensible aux chagrins que
lui causait l'aimée ; car l'aversion de Mariamme pour lui égalait son
amour pour elle. Comme les événements donnaient à Mariamme de justes motifs
de haine, et l'amour de son mari le privilège de la franchise, elle reprochait
ouvertement à Hérode sa conduite envers son aïeul Hyrcan et son frère
Jonathas ;
car il n'avait pas même épargné cet enfant : investi à l'âge de
dix-sept ans des fonctions de grand prêtre, il avait été mis à mort, aussitôt
après son entrée en charge ; son crime fut qu'un jour de fête, comme,
revêtu de la robe du sacerdoce, il montait à l'autel, le peuple assemblé en
foule s'était mis à pleurer. Là-dessus Hérode le fit partir de nuit pour Jéricho,
où, sur l'ordre du roi, les Gaulois
le plongèrent dans une piscine et le noyèrent.
3.
[438] Pour ces motifs Mariamme harcelait Hérode de ses reproches, poursuivant même
de ses outrages la mère et la sœur du roi. Comme la passion d'Hérode
continuait à le paralyser, ces deux femmes, bouillantes d'indignation, dirigèrent
contre la reine la calomnie qui devait à leurs yeux toucher le plus vivement Hérode :
l'adultère. Parmi tant d'inventions qu'elles imaginèrent pour le persuader,
elles accusèrent Mariamme d'avoir envoyé son portrait à Antoine, en Égypte,
et d'avoir poussé l'excès de son impudeur jusqu'à se montrer, absente, à un
homme passionné pour le sexe et assez puissant pour la prendre de force. Cette
accusation frappa Hérode comme un coup de tonnerre : l'amour allumait sa
jalousie ; il se représentait avec quelle habileté Cléopâtre s'était débarrassée
du roi Lysanias et de l'Arabe Malichos ;
il se vit menacé non seulement de perdre son épouse mais la vie.
4.
[441] Comme il devait partir en voyage, il confia sa femme à Joseph, mari de Salomé
sa sœur, personnage fidèle et dont cette alliance lui garantissait l'affection ;
il lui donna en secret l'ordre de mettre à mort la reine, si Antoine le tuait
lui-même. Là-dessus Joseph, sans aucune mauvaise intention, mais pour donner
à la reine une idée de l'amour du roi, qui ne pouvait souffrir d'être séparé
d'elle, même dans la mort, révéla le secret à Mariamme. Quand Hérode
revint, il fit à Mariamme, dans l'effusion de leurs entretiens, mille serments
de son affection, l'assurant qu'il n'aimerait jamais une autre femme. Alors la
reine : « Tu l'as bien montré cet amour, dit-elle, par l'ordre que
tu as donné à Joseph de me tuer ».
5. [443] En entendant ce
propos, Hérode devint comme fou : il s'écria que Joseph n'aurait jamais
trahi à la reine sa mission, s'il ne l'avait d'abord séduite. Égaré par le
chagrin, il s'élança du lit et courut çà et là dans le palais. Salomé, sa
sœur, saisit cette occasion d'enfoncer ses calomnies et fortifia les soupçons
du roi contre Joseph. Affolé par l'excès de sa jalousie, il donna aussitôt
l'ordre de les tuer tous les deux. Le regret suivi de près cette explosion de
douleur, et quand la colère fût tombée, l'amour se ralluma de nouveau. Telle
était l'ardeur de sa passion qu'il ne pouvait croire sa femme morte ; dans
son égarement [215a] il lui parlait comme si elle respirait ; et quand enfin le
temps lui
eut fait comprendre sa
perte, son deuil égala l'amour que vivante elle lui avait inspiré.
1.
[445] Les fils de Mariamme héritèrent du ressentiment de leur mère. Réfléchissant
au crime de leur père, ils le regardaient comme un ennemi, cela dès le temps où
ils faisaient leur éducation à Rome, et plus encore après leur retour en Judée :
cette disposition ne fit que croître chez eux avec les années. Quand ils
furent en âge de se marier et qu'ils épousèrent, l'un la fille de sa tante
Salomé, l'accusatrice de leur mère, l'autre
la fille du roi de Cappadoce, Archélaüs, leur haine se doubla de franc parler.
Leur audace fournit un aliment à la calomnie, et dés lors certaines gens
firent entendre clairement au roi que ses deux fils conspiraient contre lui, que
même celui qui avait épousé la fille d’Archélaüs, comptant sur le crédit
de son beau-père, se préparait à fuir pour aller accuser Hérode devant
l'empereur. Le roi, saturé de ces calomnies, fit alors revenir le fils de
Doris, Antipater, pour lui servir de rempart contre ses autres fils et commença
à lui marquer sa préférence de mille manières.
2.
[449] Ce Changement parut intolérable aux fils de Mariamme. Devant la faveur
croissante de ce fils d'une mère bourgeoise, la fierté de leur sang ne put maîtriser
son indignation ; à chacun des affronts qu'ils recevaient, leur
ressentiment éclatait ; Pendant que leur opposition s'accentuait chaque
jour, Antipater se mit à intriguer de son côté, montrant une habileté
consommée à flatter son père. Il forgeait contre ses frères des calomnies
variées, répandant les unes lui-même, laissant propager les autres par ses
confidents, jusqu'au point de ruiner complètement les espérances de ses frères
à la couronne. En effet, il fut déclaré héritier du trône à la fois dans
le testament de son père et par des actes publics : quand il fut envoyé
en ambassadeur vers César,
son équipage fut celui d'un roi ; il en avait les ornements et le cérémonial,
excepté le diadème. Avec le temps il fut assez fort pour ramener sa mère dans
le lit de Mariamme usant alors contre ses frères d'une arme double, la
flatterie et la calomnie, il travailla l'esprit du roi jusqu'a lui faire
projeter leur supplice.
3.
[452] Le père traîna l'un d’eux, Alexandre, à Rome, et l'accusa devant César
d’avoir tenté de l’empoisonner. Le prince, trouvant enfin l’occasion
d'exprimer librement ses plaintes et ayant devant lui ni juge plus (impartial ?)
qu'Antipater et de sens plus rassis qu'Hérode,
eut cependant la modestie de voiler les fautes de son père, mais réfuta avec
force les calomnies dont il était l'objet. Puis il démontra de la même manière
l'innocence de son frère, qui partageait ses périls, et se plaignit de la scélératesse
d'Antipater et de l'ignominie où tous deux étaient plongés. Il trouvait un
secours à la fois dans la pureté de sa conscience et dans la force de ses
discours il avait, en effet, un grand talent de parole. Quand, à la fin, il déclara
que leur père pouvait les mettre à mort, s'il tenait l'accusation pour fondée,
il arracha des larmes à tous les assistants. L'empereur touché s'empressa
d'absoudre les accusés et de les réconcilier aussitôt avec Hérode. Les
conditions de l'accommodement furent que les princes obéiraient en tout à leur
père et que le roi serait libre de léguer la couronne à qui bon lui
semblerait.
4.
[455] Après cette dérision, le roi quitta Rome, écartant, semblait-il, ses
accusations contre ses fils, mais non ses soupçons. Car Antipater, instigateur
de sa haine, l'accompagnait, tout en n'osant pas manifester ouvertement soit
inimitié, par crainte de l'auteur de la réconciliation. Quand le roi, en
longeant le littoral de la Cilicie, aborda à Elaioussa, Archélaüs les reçut
aimablement à sa table ; il félicita son gendre de son acquittement et se
réjouit de voir le père et les fils réconciliés ; il s'était
d'ailleurs empressé d’écrire à ses amis de Rome pour les prier de prêter
assistance à Alexandre dans son procès. Il accompagna ses hôtes jusqu'à Zéphyrion
et leur fit des présents dont la valeur montait à trente talents.
5.
[457] Arrivé à Jérusalem, Hérode assembla le peuple et, lui présentant ses trois
fils, s'excusa de son voyage, puis adressa de longs remerciements à Dieu, mais
aussi à César, qui avait rétabli sa maison ébranlée et assuré à ses fils
un bien plus précieux que la royauté la
concorde.
« Cette
concorde, dit-il, j'en resserrerai les liens moi-même, car l'empereur m'a
institué maître du royaume et arbitre de ma succession. Or, considérant à la
fois mon intérêt et la reconnaissance pour son bienfait, je proclame rois mes
trois fils que voici, et je demande à Dieu d'abord, à vous ensuite, de
confirmer mon suffrage. Ils ont droit à ma succession, l'un par son âge, les
autres par leur naissance ; et l'étendue de mon royaume suffirait même à
un plus grand nombre. Ceux donc que César a réconciliés, que leur père
exalte, à votre tour respectez-les, décernez-leur des honneurs qui ne soient
ni injustes, ni illégaux, mais proportionnés à l'âge de chacun, car en
honorant quelqu'un au delà du droit que lui confèrent les années, on le réjouit
moins qu'on n'attriste celui qu'on néglige. Je choisirai avec soin les
conseillers intimes
qui devront vivre auprès de chacun d'eux, et je les instituerai garants de leur
bonne intelligence, sachant bien que les factions et les rivalités des princes
ont leur source dans ta méchanceté de leurs amis, comme leur concorde dans la
vertu de ceux-ci. D'ailleurs j'exige non seulement de ces confidents, mais
encore des chefs de mon armée, qu'ils mettent jusqu'à nouvel ordre leurs espérances
en moi seul : ce n'est pas la royauté, ce sont les honneurs royaux
seulement que je décerne à mes fils ; ils jouiront ainsi des agréments
du pouvoir, comme s'ils étaient les maîtres, mais c'est sur moi que retombera
le poids des affaires, quand même je ne le voudrais pas. Au reste, considérez
tous mon âge, la conduite de ma vie, ma piété. Je ne suis pas assez vieux
pour qu'on puisse escompter ma mort à bref délai, ni adonné aux plaisirs qui
sapent la jeunesse même : j'ai honoré assez la divinité pour pouvoir espérer
le plus long terme de l'existence. Quiconque fera donc la cour à mes fils, en
vue de ma perte, encourra mon châtiment comme coupable envers eux-mêmes. Car
ce n'est pas la jalousie envers ces enfants, sortis de moi, qui me fait limiter
les hommages qu'on leur adresse, c'est la conviction que l'excès de flatterie
encourage la jeunesse à la témérité. Si donc chacun de ceux qui approchent
mes fils se persuade bien que, vertueux, il s'assurera ma reconnaissance, que,
factieux, il perdra sa méchanceté même auprès de celui qu'il flattera, je
pense qu'ils prendront tous à cœur mes intérêts, je veux dire ceux de mes
fils ; car il est bon pour eux que je règne et bon pour moi qu'ils
s'entendent entre eux. Quant à vous, mes chers fils, considérez les liens sacrés
de la nature, qui maintiennent l'affection même entre les bêtes sauvages.
Considérez César, auteur de notre réconciliation, considérez moi-même qui
conseille là où je pourrais ordonner, et restez frères. Je vous donne, dès
ce moment, la robe et les honneurs des rois je prie Dieu de confirmer mon
jugement, si vous restez unis ».
A ces mots, il
embrassa cordialement chacun de ses fils, et renvoya la multitude ; les uns
appuyaient de leurs vœux ses paroles, tandis que ceux qui désiraient un
changement feignaient de ne les avoir pas même entendues.
1.
[467] Cependant les trois frères, en se séparant, emportaient la discorde attachée
à leurs cœurs. Alexandre et Aristobule, redoublant de défiance,
s'affligeaient de voir Antipater confirmé dans ses privilèges d'aîné ;
Antipater en voulait à ses frères de prendre rang même après lui. Toutefois,
ce dernier, d'un caractère très artificieux, savait garder le silence et,
usant d'une extrême adresse, dissimulait la haine qu'il portait à ses frères ;
ceux-ci, au contraire, enflés de leur noble naissance, avaient toutes
leurs pensées sur les lèvres. Beaucoup de gens s'ingénièrent à les exciter,
un plus grand nombre s'insinuèrent dans leur amitié pour les espionner. Tout
ce qui se disait dans l'entourage d'Alexandre était bientôt connu d'Antipater
et passait d'Antipater à Hérode, non sans amplifications. Le jeune prince ne
pouvait ouvrir la bouche sans être incriminé, tant la calomnie savait
travestir le sens de ses paroles ; parlait-il avec un peu de liberté, les
moindres bagatelles devenaient des énormités. Antipater glissait sans cesse
auprès de lui des agents provocateurs, pour que ses mensonges eussent un fond
de vérité ; de la sorte, parmi tant de médisances, un seul trait bien établi
donnait créance au reste. Quant à ses propres amis, ou bien ils étaient de
leur nature impénétrables, ou bien il obtenait d'eux, à force de présents,
qu'ils ne divulguassent aucun secret. On aurait donc pu, sans se tromper,
appeler la vie d'Antipater tout entière un mystère de perversité.
Corrompant à prix d'argent les familiers d’Alexandre ou les gagnant par des
flatteries, son moyen à tout faire,
il les changeait en traîtres, qui espionnaient tous les actes, toutes les
paroles de son frère. Avec l’habilité d’un prudent machiniste, il savait
amener ses calomnies aux oreilles d'Hérode par des voies artificieuses ;
lui-même jouait le personnage d'un véritable frère, laissant à d'autres
celui de dénonciateur. Alors, dès qu'on lançait quelque accusation contre
Alexandre, il survenait comme par hasard, prenait sa défense et démolissait
d'abord les méchants propos, mais, ensuite, il les relevait à loisir, et
excitait contre lui la colère du roi. Toute la conduite de son frère était
ramenée à un complot, tout convergeait à faire croire qu'il épiait
l'occasion de tuer son père ; et rien ne donnait crédit à la calomnie
comme les plaidoyers mêmes d'Antipater pour Alexandre.
2. [473] Exaspéré par
ces artifices, Hérode retranchait chaque jour quelque chose de son affection
pour les jeunes princes et le reportait sur Antipater ; les familiers du
palais inclinèrent dans le même sens, les uns de leur plein gré, les autres
par ordre, tels que Ptolémée, le plus influent des amis d'Hérode, les frères
du roi et toute sa famille. Antipater était tout-puissant, et, chose encore
plus amère pour Alexandre, toute-puissante aussi la mère d'Antipater. Elle
l'assistait de ses conseils dans tout ce qu'il tramait contre les deux frères,
et, plus dure qu'une marâtre, elle haïssait ces fils de reine plus que des
beaux-fils ordinaires.
Tout le monde,
donc, sur les espérances qu'il inspirait, faisait sa cour à Antipater ;
tous étaient poussés à la désertion par les ordres mêmes du roi qui avait défendu
à ses plus chers amis de fréquenter Alexandre ou de lui témoigner de la
sympathie. Hérode était, d'ailleurs, redouté non seulement par les gens de
son royaume, mais encore par ses amis du dehors, car nul roi n'avait obtenu de César
de pareilles prérogatives, jusqu'à pouvoir revendiquer ses sujets fugitifs même
dans un ville non soumise à son autorité. Quant aux jeunes princes, ignorant
les calomnies dont ils étaient l'objet, ils s’y exposaient avec d'autant plus
d'imprévoyance, car jamais leur père ne leur faisait ouvertement de reproches ;
pourtant, peu à peu sa froideur les avertit, et son humeur de plus en plus revêche
à proportion de son chagrin.
En outre, Antipater
indisposa contre eux leur oncle paternel Phéroras et leur tante Salomé, qu'il
excitait par des conversations incessantes, parce qu'il la savait de grand sens.
Glaphyra, épouse d'Alexandre, nourrissait la haine de Salomé, à force de
vanter la lignée de sa noble famille elle
se targuait d'être la souveraine de toutes les femmes du palais puisqu'elle
remontait par son père à Téménos, par sa mère à Darius, fils d'Hystaspe.
En revanche, elle reprochait sans cesse la bassesse de leur naissance à la sœur
d'Hérode et à ses femmes, qui toutes avaient été choisies pour leur beauté
et non pour leur race. Ces femmes d'Hérode étaient en grand nombre, car la
coutume nationale autorisait la polygamie chez les Juifs, et le roi s'y
complaisait. L'arrogance de Glaphyra et ses injures faisaient de toutes ces
femmes autant d'ennemies d'Alexandre.
3.
[478] Aristobule lui-même, quoique gendre de Salomé, s'aliéna cette princesse déjà
irritée par les mauvais propos de Glaphyra. Il ne cessait de reprocher à sa
femme la bassesse de sa naissance, disant qu'il avait épousé une femme du
peuple et son frère Alexandre une princesse. La fille de Salomé, vint tout en
pleurs rapporter ces reproches à sa mère ; elle ajouta qu'Alexandre avait
même menacé, une fois roi, de réduire les mères de ses autres frères à
tisser la toile, comme ses esclaves, et de faire des princes eux-mêmes de
simples greffiers de village, raillant ainsi le soin qu'on mettait à les
instruire. Là-dessus, Salomé, ne pouvant maîtriser son ressentiment, alla
tout raconter à Hérode, qui ne devait que trop la croire du moment qu'elle
attaquait sont propre gendre. Une autre calomnie s'ajouta à celle-ci pour
allumer la colère du roi : il apprit que les princes invoquaient fréquemment
le nom de leur mère et gémissaient en maudissant leur père ; lorsque -
et cela arrivait souvent - il donnait à ses nouvelles épouses des robes qui
avaient appartenu à Mariamme, ils les menaçaient de les dépouiller bientôt
de ces vêtements royaux pour leur faire porter des cilices.
4.
[481] Hérode, quoique ayant appris à craindre l'insolence des jeunes princes, ne
renonça pas à tout espoir de les ramener dans la bonne voie. Il les fit
appeler au moment de s'embarquer pour Rome, leur adressa en roi de brèves
menaces, et en père de longs avertissements. Il les exhorta à aimer leurs frères,
promettant de pardonner leurs fautes passées, si leur conduite s'amendait à
l'avenir. Les jeunes princes réfutèrent les attaques dont ils étaient
l'objet, les déclarant mensongères et assurèrent que leurs actes
confirmeraient leur dénégation ; ils ajoutèrent que cependant le roi
devait aussi fermer la porte aux médisances, en cessant d'y croire si
facilement ; car il ne manquerait pas de calomniateurs tant que la calomnie
trouverait quelqu'un pour l'écouter.
5.
[483] Ces assurances persuadèrent promptement le cœur d'un père, mais si les
princes dissipèrent le danger pour le présent, ils conçurent de nouveaux
soucis pour l'avenir, car ils reconnurent alors l'inimitié de Salomé et de
leur oncle Phéroras. Tous deux étaient durs et malveillants, mais Phéroras le
plus à redouter, car il partageait avec Hérode tous les honneurs royaux, sauf
le diadème. Il avait un revenu personnel de cent talents et la jouissance de
tout le territoire situé au delà du Jourdain, qu’il avait reçu en don de
son frère. Hérode l'investit aussi du titre de tétrarque, après en avoir
demandé la grâce a César, et l'honora d'un hymen royal en l'unissant à la sœur
de sa propre femme.
Quand celle-ci mourut, le roi lui fiança l'aînée de ses propres filles,
avec une dot de trois cents talents. Mais Phéroras se déroba à cette union
royale, pour courir après une esclave qu'il aimait. Hérode, irrité, maria sa
fille à un de ses neveux, qui fut plus tard tué par les Parthes ;
après quelque temps, il se relâcha de son ressentiment et pardonna à Phéroras
sa maladie amoureuse.
6.
[485] Depuis longtemps et du vivant même de la reine. Phéroras avait été accusé
de comploter l'empoisonnement du roi, mais au moment où nous sommes,
il survint un si grand nombre de dénonciateurs qu’Hérode, en dépit de sa
grande affection pour son frère, finit par ajouter foi à leurs discours et
prendre peur. Après avoir soumis à la question beaucoup de suspects, il en
vint enfin aux amis de Phéroras. Aucun de ceux-ci n’avoua explicitement le
complot, mais ils dirent qu’après avoir enlever sa maîtresse, Phéroras
avait médité de fuir chez les Parthes, ayant pour confident de ce dessein et
de cette fuite Costobaros auquel le roi avait uni sa sœur Salomé quand son
premier époux eut été mis a mort pour crime d'adultère. Salomé elle-même
n’était pas épargnée par la calomnie : son frère Phéroras l'accusait
d'avoir signé lin engagement de
mariage avec Sylléos, procurateur du roi des Arabes Obodas, ennemi juré d’Hérode.
Quoique convaincue de cette faute et de toutes celles dont Phéroras l'accusait,
elle obtint son pardon ; quant
à Phéroras lui-même, Hérode le déchargea des accusations dont il était
l'objet.
7.
[488] C'est sur Alexandre que se détourna la tempête domestique c'est sur sa tête
qu’elle s'abattit tout entière. Il y avait trois eunuques, particulièrement
honorés du roi, comme l'indiquent les services dont ils étaient chargés :
l'un versait le vin, l'autre servait le souper, le troisième mettait le roi au
lit et reposait à côté de lui. Alexandre avait, à grand prix, obtenu les
faveurs de ces hommes. Sur une dénonciation, le roi les soumit à la torture et
leur arracha des aveux ; ils confessèrent bien vite leurs relations avec
Alexandre, mais révélèrent aussi les promesses qui les y avaient amenés.
Alexandre, racontaient-ils, les avait trompés, en leur disant : « Ne
mettez pas votre confiance dans Hérode, ce vieillard impudent
et qui se teint les cheveux, à moins que cet artifice ne vous l'ait fait
prendre pour un jeune homme : c'est moi, Alexandre, qu'il faut considérer,
moi qui hériterai du trône, que mon père le veuille ou non ; j'aurai
bientôt fait de me venger de mes ennemis et de faire le bonheur et l'opulence
de mes amis, de vous entre tous ». Ils
ajoutaient que, à l'en croire, les grands faisaient secrètement leur cour à
Alexandre et que les chefs de l'armée et les commandants des régiments
s'abouchaient avec lui en cachette.
8.
[492] Ces aveux effrayèrent tellement Hérode qu'il n'osa pas sur-le-champ les
publier ; mais il sema des espions nuit et jour, recueillit tout t'e qui se
faisait ou se disait, et se hâta de faire mourir ceux qui donnaient prise au
soupçon. Le palais fut livré à une effroyable anarchie. Chacun, au gré de
ses rivalités ou de ses haines personnelles, forgeait des calomnies ;
beaucoup exploitaient contre leurs ennemis la colère meurtrière du roi. Le
mensonge trouvait incontinent créance, le châtiment devançait la calomnie.
L'accusateur d'hier se voyait bientôt accusé et traîné au supplice avec
celui qu'il avait fait condamner : à tel point le danger de mort que
croyait courir le roi lui faisait abréger ses enquêtes. Il s'exaspéra
tellement que même ceux que nul n'accusait n'obtenaient plus de lui un regard
bienveillant, et qu'il maltraita durement ses propres ami : beaucoup se
virent interdire l'accès du palais ; ceux qu'épargnait son bras étaient
blessés par ses paroles. Au milieu des malheurs d'Alexandre, Antipater revint
à la charge et, faisant masse des favoris, ne recula devant aucune calomnie. Le
roi fut poussé à un tel degré de terreur par les romans et les machinations
d'Antipater qu'il se figurait voir Alexandre se dresser devant lui l'épée à
la main. Il le fit donc arrêter à l'improviste et mettre en prison, puis procéda
à la torture des amis de ce prince. La plupart moururent en silence, sans rien
dire contre leur conscience ; quelques-uns se laissèrent arracher par la
douleur des aveux mensongers : ils racontèrent qu'Alexandre, de concert
avec son frère Aristobule, complotait contre le roi et qu'ils épiaient
l'occasion de le tuer à la chasse, puis de s'enfuir à Rome. Ces récits
avaient beau être invraisemblables et improvisés par la détresse : le
roi prit plaisir à les croire et se consola d'avoir incarcéré son fils en
s'imaginant l'avoir fait à bon droit.
1.
[498] Alexandre. jugeant impossible de changer les sentiments de son père, résolut
d'aller au-devant du péril. Il composa alors contre ses ennemis quatre mémoires
où il avouait le complot, mais désignait pour ses complices la plupart d'entre
eux, surtout Phéroras et Salomé ; celle-ci, disait-il, avait même pénétré
une nuit chez lui et l'avait, contre son gré, forcé de partager sa couche. Hérode
avait déjà entre les mains ces mémoires, terrible réquisitoire contre les
plus grands personnages, quand Archélaüs arriva en toute hâte en Judée,
craignant pour son gendre et sa fille. Il vint très habilement à leur aide et
sut, par son artifice, détourner d'eux les menaces du roi. Dès qu'il fut en présence
d'Hérode : « Où est, s'écria-t-il, mon scélérat de gendre ?
Où pourrai-je voir cette tête parricide, afin de la trancher de mes propres
mains ? Avec ce bel époux, j'immolerai [243a]aussi ma fille : si même elle
n'a pas pris part au complot, il lui suffit d'avoir épousé un pareil homme
pour être souillée. Je m'étonne de ta longanimité. On a comploté ta mort,
et Alexandre vit encore ! Pour moi, je suis venu en hâte de Cappadoce,
croyant trouver le coupable depuis longtemps châtié et seulement pour faire,
de concert avec toi, une enquête au sujet de ma fille, que je lui ai fiancée
en considération de ta grandeur. Maintenant, je le vois, c'est sur tous deux
que nous devons délibérer ; si ton cœur de père le rend trop faible
pour punir un fils perfide, mets ta main dans ma main et prenons la place l'un
de l'autre pour assouvir notre colère sur nos enfants ».
2. [502] Par ces
protestations bruyantes, il gagna Hérode, bien que celui-ci fût sur ses gardes.
Hérode lui donna donc à lire les mémoires composés par Alexandre et, s'arrêtant
après chaque chapitre, l'examinait avec lui. Archélaüs y trouva l'occasion de
développer son stratagème et peu à peu retourna l'accusation contre ceux que
le prince y avait dénoncés et particulièrement contre Phéroras. Quand il vît
qu'il avait la confiance du roi :
« Prenons garde, dit-il, que tous ces méchants n'aient tramé un
complot contre ce jeune homme et non ce jeune homme contre toi. Et en effet je
ne vois pas pour quel motif il serait tombé dans un tel abîme de noirceur, -
lui qui jouissait déjà des honneurs royaux, qui avait l'espoir de succéder au
trône. - si certains personnages ne l'avaient séduit et n'avaient tourné vers
le mal la facilité de son âge : de telles gens n'égarent pas seulement
les jeunes hommes, mais encore des vieillards : ils renversent ainsi des
maisons très illustres, des royaumes entiers ».
3. [504] Hérode
approuvait ces discours ; peu a peu, il se relâchait de son ressentiment
contre Alexandre et s'animait contre Phéroras : car c'était lui le vrai
sujet des quatre mémoires. Quand celui-ci eut observé la versatilité du roi
et la place prépondérante qu'Archélaüs avait su prendre dans son affection,
désespérant de se sauver par des moyens honnêtes, il chercha le salut dans
l'impudence : il abandonna Alexandre et se plaça sous la protection d'Archélaüs.
Le Cappadocien lui déclara qu'il ne voyait pas moyen de tirer d'affaire un
homme chargé de si lourdes accusations, qui avait manifestement comploté
contre le roi et causé tous les malheurs actuels du jeune prince, à moins
qu'il ne voulût renoncer à sa scélératesse, à ses dénégations, confesser
tous les méfaits qu'on lui reprochait et implorer le pardon d'un frère qui
l'aimait ; dans ce cas, Archélaüs se disait prêt à l'assister de tout
son pouvoir.
4. [506] Phéroras se
rend a cet avis ; il se compose l'attitude la plus pitoyable, et vêtu de
noir, tout en pleurs, se jette aux pieds d'Hérode, comme il l'avait fait bien
des fois, en demandant son pardon. Il confesse qu'il n'est qu'un misérable,
avoue tout ce qu'on lui reproche ; mais il déplore cet égarement
d'esprit, ce délire qui a pour cause son amour pour sa femme. Ayant ainsi déterminé
Phéroras a devenir son propre accusateur et à témoigner contre lui-même,
Archélaüs, à son tour, demanda grâce pour lui et chercha à calmer la fureur
d'Hérode ; il recourait à des exemples personnels : lui aussi avait
souffert encore bien pis de la part de son frère,
mais il avait fait passer avant la vengeance les droits de la nature
car dans un royaume, comme dans un corps massif, il y a toujours quelque
membre qui s’enflamme à cause de sa pesanteur ; et ce membre, il ne faut
pas le retrancher, mais lui appliquer des remèdes plus bénins pour le guérir.
5. [508] A force de
pareils discours, il réussit à apaiser Hérode envers Phéroras ; lui-même
affecta de rester indigné contre Alexandre, fit divorcer sa fille et déclara
qu'il allait l'emmener ; par là, il sut amener Hérode a l'implorer lui même
en faveur du jeune homme et à lui demander de nouveau la main de sa fille pour
lui. Archélaüs, avec un grand accent de sincérité, répond qu'il lui remet
sa fille pour l'unir à qui bon lui semble, sauf le seul Alexandre : car
son plus cher désir est de maintenir les liens de parenté qui les unissent. Le
roi repartit que ce serait vraiment lui rendre son fils que de consentir à ne
pas rompre le mariage, d'autant qu'ils avaient déjà des enfants et que le
prince aimait beaucoup sa femme ; si elle reste auprès de lui, elle lui
inspirera le regret de ses fautes ; si on la lui arrache, on le plongera
dans un désespoir prêt à tous les excès, car un caractère bouillant trouve
un dérivatif dans les affections domestiques. Archélaüs se laissa fléchir à
grand-peine, consentit à se réconcilier lui-même et réconcilia le père et
le fils : il ajouta cependant qu'il fallait de toute nécessité envoyer
Alexandre à Rome
pour causer avec César, car lui-même avait rendu compte de toute l'affaire à
l'empereur.
6. [511] Tel fut le dénouement
du stratagème par lequel Archélaüs assura le salut de son gendre ; après
le raccommodement, le temps se passa en festins et mutuels témoignages
d'affection. A son départ, Hérode lui offrit pour présents 70 talents, un trône
d'or enrichi de pierreries, des eunuques et une concubine, du nom de Pannychis ;
il gratifia aussi ses amis, chacun selon son rang. De même, sur l'ordre du roi,
tous les courtisans haut placés firent à Archélaüs des présents
magnifiques. Hérode et les plus puissants personnages l'escortèrent jusqu'à
Antioche.
1.
[513] Peu de temps après aborda en Judée un homme dont l'influence l'emporta de
beaucoup sur les artifices d'Archélaüs, et qui non seulement ruina
l'accommodement négocié par lui au profit d'Alexandre, mais décida la perte
de ce prince. C'était un Lacédémonien, appelé Euryclès,
que le désir immodéré du gain introduisit par malheur dans le royaume, car la
Grèce ne suffisait pas à ses besoins de luxe. Il vint, apportant à Hérode de
magnifiques présents, amorce de ceux qu'il espérait en retour ; en effet,
il en reçut de beaucoup plus considérables, mais ce don pur et simple lui
paraissait sans valeur, s'il ne trafiquait du royaume au prix du sang. Il
circonvint donc le roi par ses flatteries, ses discours habiles et les éloges
mensongers qu'il faisait de lui. Ayant vite percé à jour le caractère d'Hérode,
il ne négligea aucune parole, aucune action pour lui plaire, et compta bientôt
parmi ses principaux amis ; en effet, le roi et toute la cour prenaient
plaisir à honorer particulièrement ce Spartiate, en considération de sa
patrie.
2. [516] Quand il connut
la pourriture de la maison royale, les différends des frères, les sentiments
de leur père à l'égard de chacun d'eux, Euryclès commença par s'attacher
Antipater par les liens d’hospitalité, puis feignit l'amitié pour Alexandre,
prétendant faussement être lié de vieille date avec Archélaüs. Aussi fut-il
bientôt accueilli comme un ami éprouvé, et Alexandre le mit aussi en rapport
avec son frère Aristobule. Prenant tour à tour tous les visages, il
s'insinuait de façons diverses auprès de chacun : mais de préférence il
se fit l'espion d'Antipater et le traître d'Alexandre. Au premier il faisait
honte de négliger, lui l'aîné, les intrigues de ceux qui complotaient contre
ses espérances, à Alexandre, de laisser, lui fils et époux d'une princesse
royale, succéder au trône un fils de bourgeoise, alors surtout qu'il avait en
Archélaüs un si solide appui. Le jeune prince, trompé par la liaison fictive
d'Euryclès avec Archélaüs, croyait trouver en lui un conseiller digue de
confiance. Aussi. sans rien déguiser, se plaignit-il à lui de la conduite
d'Antipater ; d'ailleurs, disait-il, il n'était pas étonnant de voir Hérode,
le meurtrier de leur mère, vouloir ravir, à son frère et à lui, la royauté
qu'ils tenaient d'elle. Là-dessus. Euryclès feignit de s'apitoyer et de
partager sa douleur. Ses ruses arrachèrent à Aristobule des confidences
semblables. Quand il eut ainsi extorqué aux deux frères des doléances contre
le roi, il les alla rapporter à Antipater ; il y ajouta l'invention d'un
complot des deux frères contre Antipater : peu s'en fallait, à l'en
croire, qu'ils n'eussent déjà le glaive tiré contre lui. Largement payé pour
ces rapports, il s'empressa d'aller chanter la louange d'Antipater auprès de
son père. Finalement, se chargeant de l'entreprise de faire mourir Aristobule
et Alexandre, il vint les accuser auprès d'Hérode. Admis en sa présence, il déclara
qu'il venait lui apporter la vie pour prix de ses bienfaits, la lumière du jour
en échange de son hospitalité. « Depuis longtemps, dit-il, Alexandre
aiguise son fer et tend son bras contre toi : moi seul ai retardé le coup
en feignant de le favoriser. A en croire Alexandre, non content d'avoir régné
sur un peuple auquel tu étais étranger, et, après le meurtre de leur mère,
morcelé l'héritage de cette princesse, tu as désigné encore pour successeur
un bâtard et livré
à ce fléau d'Antipater le royaume qu'ils tenaient de leurs aïeux. Il saura,
ajoute-t-il, venger les mânes d'Hyrcan et de Mariamme, car il ne lui convient
pas de recueillir l'héritage d’un tel père, sans effusion de sang. Chaque
jour multiplie ses motifs d'irritation, puisqu'aucun propos sorti de sa bouche
n'échappe à la calomnie. Fait-on mention d’une illustre naissance ? son
père l'outrage sans raison en disant : « Voilà bien notre Alexandre
lui, seul, se croit noble et méprise son père pour la bassesse de sa naissance ! »
A la chasse, se tait-il ? on est choqué. Fait-il l'éloge de son père ?
on veut y voir de l'ironie. Bref, en toute occasion, il trouve son père
inflexible, réservant son affection au seul Antipater ; aussi mourra-t-il
avec joie s'il échoue dans sa conjuration. S'il frappe, il trouvera des
protecteurs puissants : d'abord son beau-père Archélaüs, auprès duquel
il pourra se réfugier sans peine ; ensuite César, qui jusqu'à ce jour
ignore le vrai caractère d'Hérode. On ne le verra pas, comme naguère, comparaître
tout tremblant devant l'empereur, par crainte de son père présent à
l'entretien, ni répondre seulement sur les crimes dont on l'accuse : il dénoncera
hautement d'abord les malheurs du peuple, les impôts qui prennent tout aux
pauvres gens jusqu'à la vie, puis la luxure et les crimes où se dissipe
l'argent obtenu par le sang ; il dira quels hommes s'engraissent à nos dépens,
quelles villes et à quel prix Hérode a comblées de ses faveurs. Là il
appellera en témoignage son aïeul
et sa mère, il proclamera toutes les turpitudes du royaume et, cela faisant, on
n'osera pas le condamner comme parricide ».
3.
[526] Après avoir débité ces fables atroces contre Alexandre, Euryclès fit un
magnifique éloge d'Antipater, qui seul aimait son père et, à ce titre, s'était
opposé au complot jusqu'à ce jour. Le roi, mal remis de ses précédentes émotions,
entra dans une colère implacable. Antipater, saisissant à son tour l'occasion,
envoya contre ses frères d'autres accusateurs, qui affirmaient que les princes
avaient de secrets entretiens avec Jucundus et Tyrannus, naguère hipparques
dans l'armée du roi, mais qui, à la suite de quelques fautes, avaient dû
quitter leurs charges. Cette nouvelle porta à son comble l'indignation d'Hérode,
et il fit aussitôt mettre ces deux hommes à la torture. Ils n'avouèrent aucun
de leurs prétendus crimes,
mais on produisit une lettre d'Alexandre adressée au gouverneur d'Alexandrion,
l'invitant à les recevoir dans la place lui et son frère Aristobule, quand ils
auraient tué leur père, et à les fournir d'armes et d'autres ressources.
Alexandre déclara que c'était là un faux de Diophantos, secrétaire du roi,
homme audacieux et habile à imiter tous les genres d'écriture ; convaincu
de nombreuses falsifications, il finit par être mis à mort pour un crime de ce
genre. Quant au gouverneur, à qui on appliqua la torture, Hérode n'obtint de
lui aucun aveu sur les faits allégués.
4.
[530] Malgré la faiblesse des preuves ainsi obtenues, Hérode plaça ses fils sous
une surveillance, tout en les laissant encore libres ; quant à Euryclès,
le fléau de sa maison, le machinateur de toutes ces infamies, le roi l'appela
son sauveur, son bienfaiteur, et lui fit don de cinquante talents. Celui-ci,
devançant les nouvelles exactes de ses exploits, courut alors en Cappadoce, où
il extorqua encore de l'argent à Archélaüs, en osant lui raconter qu'il avait
réconcilié Hérode avec Alexandre. De là, il partit pour la Grèce, où il
employa l'argent mal acquis à des entreprises non moins mauvaises. Deux fois
accusé devant César de troubler la province d'Achaïe et de dépouiller les
villes, il dut s'exiler.
5.
[532] C'est ainsi qu'Euryclès paya la peine de sa trahison envers Alexandre et
Aristobule. Il n'est pas sans intérêt d'opposer à la conduite de ce Spartiate
celle d'Euaratos de Cos. Ce personnage, venu, en Judée dans le même temps
qu'Euryclès, comptait aussi parmi les plus chers amis d'Alexandre ; le roi
l'ayant interrogé sur les accusations répandues par le Lacédémonien, il
affirma sous serment qu'il n'avait rien entendu de pareil des jeunes princes.
Cependant ce témoignage ne fut d'aucun secours aux infortunés, car Hérode ne
prêtait une oreille facile qu'aux médisances et n'accordait sa faveur qu'à
ceux qui partageaient sa crédulité et son indignation.
1.
[534] Salomé vint encore exaspérer la férocité d'Hérode contre ses fils.
Aristobule, dont elle était la belle-mère et la tante, voulant l'associer à
leurs périls, lui manda avec insistance de veiller à son propre salut, car le
roi, disait-il, méditait de la faire mourir, sous l'accusation déjà précédemment
dirigée contre elle : on prétendait que, voulant épouser l'Arabe Sylléos,
elle lui communiquait à la dérobée les secrets du roi, dont il était
l'ennemi. Ce fut là le dernier coup de vent qui acheva de submerger les jeunes
princes, battus par la tempête. Salomé courut chez le roi et lui dénonça
l'avis qu'elle avait reçu. Alors Hérode, sa patience à bout, fit mettre aux
fers ses deux fils, les isola l'un de l'autre et envoya en hâte auprès
d'Auguste le tribun
Volumnius et Olympos, un de ses amis, porteurs d'un réquisitoire écrit contre
les princes. Arrivés à Rome, ils remirent les lettres du roi à l'empereur ;
celui-ci, vivement affligé du sort des jeunes gens, ne crut pas cependant
devoir enlever au père ses droits sur ses fils. Il répondît donc à Hérode
qu'il était le maître, que, cependant, il ferait bien d'examiner ce complot
avec le conseil commun de ses propres parents et des administrateurs romains de
la province : si les princes étaient convaincus de crime, ils méritaient
la mort ; si leur seul dessein avait été de s'enfuir, une peine plus
douce suffisait.
2.
[538] Hérode se rendit à cet avis. Il se transporta à Beryte, lieu que César lui
avait désigné, et il y réunit le tribunal. La cour était présidée par les
officiers romains, auxquels César l'avait mandé par écrit, à savoir
Saturninus
et ses légats, Pédanius
et autres ; y figuraient encore le procurateur Volumnius, les parents et
amis de roi, puis Salomé et Phéroras, enfin les plus grands personnages de la
Syrie à l'exception du roi Archélaüs :
car celui-ci était suspect à Hérode en qualité de beau-père d'Alexandre.
Quant à ses fils, Hérode ne les fit pas comparaître : mesure très
prudente, car il savait que leur seule vue inspirerait une compassion irrésistible,
et que, s'ils obtenaient la parole, Alexandre n'aurait pas de peine à se
justifier. Ils furent donc retenus sous bonne garde au bourg de Platané, dans
le territoire de Sidon.
3. [540] Le roi, ayant
pris place, parla contre eux, comme s'ils eussent été présents : il développa
faiblement l'accusation de complot, faute de preuves, mais il insista sur les
outrages, les railleries, les insolences, les manquements innombrables et plus
cruels que la mort commis à son égard, qu'il énuméra aux conseillers.
Ensuite, personne ne contredisant, il fondit en gémissements, comme un homme
qui se condamnait lui-même et qui remportait sur ses enfants une douloureuse
victoire, puis il demanda l'avis de chacun. Saturninus opina le premier :
il déclara qu'il condamnait les jeunes gens, mais non à la peine de mort ;
père lui-même de trois enfants présents à la séance, il croirait commettre
une impiété s'il votait la mort des fils d'un autre. Ses deux légats
votèrent dans le même sens, et quelques autres les suivirent. Ce fut Volumnius
qui inaugura la sentence impitoyable : après lui, tous se prononcèrent
pour la mort, les uns par flatterie, les autres par haine d'Hérode, aucun par
indignation. Dès lors, toute la Syrie et la Judée furent dans des transes,
attendant le dénouement du drame : nul cependant ne pensait qu'Hérode
pousserait la barbarie jusqu'au meurtre de ses enfants. Lui, cependant, traîna
ses fils jusqu'à Tyr, et, passant par mer à Césarée, chercha là de quelle
façon il les exécuterait.
4.
[544] Il y avait dans l'armée du roi un vieux soldat nommé Tiron, dont le fils était
l'ami ultime d'Alexandre et qui lui-même avait les princes en particulière
affection. Dans l'excès de son indignation, il perdit la raison. D'abord,
courant çà et là, il s'écriait que le droit était foulé aux pieds, la vérité
morte, la nature confondue, le monde rempli d'iniquité, et autres discours que
la douleur suggérait à un homme indifférent a la vie. Enfin il se présenta
devant le roi et lui tînt ce langage : « Maudit entre tous les
hommes, toi qui, contre les êtres les plus chers, suis le conseil des plus méchants,
s'il est vrai que Phéroras et Salomé, que tu as plus d'une fois condamnés à
mort, trouvent crédit auprès de toi contre tes enfants. Ne vois-tu pas qu'ils
t'enlèvent tes héritiers légitimes pour te laisser le seul Antipater,
qu’ils se sont choisi pour roi, afin d'en tenir les ficelles ? Mais
prends garde que la mort de ses frères ne soulève un jour contre lui la haine
de l'armée ; car il n'y a
personne qui ne plaigne ces pauvres jeunes gens, et beaucoup de chefs font même
éclater librement leur indignation ». Ce disant, Tiron nommait les mécontents.
Là-dessus le roi les fit arrêter aussitôt, mais aussi Tiron et son fils.
5.
[547] A ce moment, un des barbiers du roi, nommé Tryphon, saisi d'une sorte de frénésie,
s'élança et se dénonça lui-même. « Et moi aussi, dit-il, ce Tiron a
voulu me persuader, lorsque je ferais mon office auprès de toi, de te tuer avec
mon rasoir, et il me promettait de grandes récompenses au nom d'Alexandre ».
En entendant ces mots, Hérode ordonne de soumettre à la question Tiron, son
fils et le barbier, et comme les premiers niaient tout et que le barbier
n'ajoutait rien à son témoignage, il commanda de torturer Tiron plus sévèrement
encore. Alors, pris de pitié, le fils offrit au roi de tout raconter s'il
voulait épargner son père. Et comme Hérode lui octroya sa demande, il déclara
qu'effectivement son père, à l'instigation d’Alexandre, avait voulu tuer le
roi. Ce témoignage, selon les uns, n était qu'une invention destinée à faire
cesser les souffrances du père ; d'autres y voyaient l'expression de la vérité.
6. [550] Hérode réunit
une assemblée publique, y accusa les officiers coupables ainsi que Tiron, et
ameuta le peuple contre eux ; on les acheva sur la place même, avec le
barbier, à coups de bâtons et de pierres. Il envoya ensuite ses fils à Sébasté,
ville peu éloignée de Césarée, et ordonna de les y étrangler. L'ordre fut
promptement exécuté ; puis il fit transporter les corps dans la
forteresse d'Alexandréon pour y être ensevelis auprès de leur grand-père
maternel Alexandre. Telle fut la fin d'Alexandre et d'Aristobule.
1.
[552] La succession était alors assurée sans contestation à Antipater, mais il vit
s'élever contre lui du sein du peuple une haine insurmontable, car tous
savaient que c'était lui qui avait machiné toutes les calomnies dirigées
contre ses frères. Il se sentait, en outre, envahi par une crainte démesurée
quand il voyait grandir les enfants de ses victimes. Alexandre avait eu de
Glaphyra deux fils, Tigrane et Alexandre ; et de l'union d'Aristobule avec
Bérénice, fille de Salomé, étaient nés trois fils, Hérode, Agrippa et
Aristobule, et deux filles, Hérodias et Mariamme. Le roi Hérode, dès qu'il
eut fait mourir Alexandre, renvoya en Cappadoce Glaphyra avec sa dot ;
quant à Bérénice, veuve d’Aristobule, il la donna en mariage à l'oncle
maternel d’Antipater ;
c'est pour se concilier Salomé, qui lui était hostile, qu'Antipater arrangea
ce mariage. Il gagna aussi Phéroras par des présents et d'autres attentions,
et les amis de César en envoyant à Rome des sommes considérables. En
particulier, tout l'entourage de Saturninus, en Syrie, fut comblé de ses libéralités.
Cependant, plus il donnait, plus on le haïssait, car on sentait que ses
largesses ne venaient pas de sa générosité, mais de la crainte. Ceux qui
recevaient n'en étaient pas plus bienveillants, ceux qu'il négligeait
devenaient des ennemis plus implacables. Cependant il accroissait encore l'éclat
de ses distributions, en voyant le roi, au mépris de ses espérances, prendre
soin des orphelins et témoigner ses remords du meurtre de ses fils par les
marques de pitié qu'il prodiguait à leurs enfants.
2. [556] Un jour, en
effet, Hérode rassembla ses parents et amis,
fit placer près de lui ces enfants, et, les yeux pleins de larmes, parla en ces
termes : « Un démon jaloux m'a enlevé les pères de ceux que vous
voyez, et cela, joint aux mouvements de la nature, m'apitoie sur leur état
d'orphelins. Si j'ai été le plus infortuné des pères, j'essaierai du moins
de me montrer un aïeul plus tendre, et je veux leur laisser pour guides, après
moi, ceux qui me sont le plus chers. Je fiance donc ta fille,
Phéroras, à l'aîné des deux fils d'Alexandre, afin que cette alliance fasse
de toi son protecteur naturel ; et toi, Antipater, je donne à ton fils la
fille d'Aristobule : puisses-tu devenir ainsi un père pour cette orpheline !
Quant à sa sœur, mon propre fils Hérode la prendra, car il est par sa mère
petit-fils d'un grand-prêtre. Que mes volontés soient ainsi réglées, et que
nul de mes amis n’y mette obstacle ! Je prie Dieu de bénir ces unions
pour le plus grand bonheur de mon royaume et de mes descendants ;
puisse-t-il regarder ces enfants d'un œil plus clément que leurs pères ! »
3. [559] Ayant ainsi parlé,
il pleura de nouveau et unit les mains des enfants, puis, les embrassant
affectueusement l'un après l'autre, il congédia l'assemblée. Aussitôt
Antipater frissonna et laissa voir à tous son émotion ; il pensait, en
effet, que la sollicitude de son père pour les orphelins annonçait sa propre
ruine et que ses droits à la couronne seraient en péril, si les fils
d'Alexandre avaient pour soutien, outre Archélaüs, Phéroras, qui avait rang
de tétrarque. Il considérait encore la haine du peuple pour lui-même, sa pitié
pour les orphelins, le zèle que les Juifs avaient témoigné à ses frères
vivants, le souvenir qu'ils leur gardaient maintenant qu'ils étaient morts sous
ses coups : il résolut donc de briser à tout prix ces fiançailles.
4. [561] Il n'essaya pas
de circonvenir par la ruse un père difficile et prompt au soupçon
il osa se présenter devant lui et le supplia en face de ne pas lui ôter
les honneurs dont il l'avait jugé digne, ni de lui laisser le titre de roi en déférant
la puissance à d'autres ; car il ne serait plus le maître si le fils
d'Alexandre pouvait s'appuyer, outre son grand-père Archélaüs, sur Phéroras,
son beau-père. Il le conjura donc, puisqu'il avait dans son palais une
nombreuse descendance, de modifier ces mariages. Le roi eut, en effet, neuf épouses,
qui lui donnèrent sept enfants : Antipater lui-même était fils de Doris ;
Hérode II de Mariamme (II), fille du grand-prêtre : Antipas et Archélaüs de
Malthacé, la Samaritaine ; Olympias, fille de cette dernière avait épousé
son neveu Joseph.
Il avait eu de Cléopâtre, native de Jérusalem, Hérode (III) et Philippe ;
de Pallas, Phasaël. Il avait encore d'autres filles, Roxane et Salomé, liées,
l'une de Phèdre, l'autre d’Elpis. Deux autres de ses femmes n'eurent pas
d'enfants : l'une était sa cousine germaine, l'autre sa nièce.
Enfin, il lui restait deux filles de Mariamme (I),
sœurs d’Alexandre et d'Aristobule. Vu le grand nombre de ces enfants,
Antipater demandait de changer l'ordre des mariages.
5. [564] Le roi entra
dans une vive indignation, quand il apprit les sentiments d'Antipater à l'égard
des orphelins, et, songeant à ceux qu'il avait tués, un soupçon lui vint
qu'eux aussi n'eussent été victimes des calomnies d'Antipater. A ce moment
donc, il répondit longuement, avec colère, et chassa Antipater de sa présence ;
ensuite, cependant, séduit par ses flatteries, il changea de sentiment et fit
épouser à Antipater lui-même la fille d'Aristobule, tandis qu'il unissait à
la fille de Phéroras le fils d'Antipater.
6. [566] Rien ne montre
mieux l'empire des flatteries d'Antipater en cette occasion, que l'insuccès de
Salomé dans des circonstances toutes semblables. Bien qu'elle fût la sœur d'Hérode
et recourût à l'intercession de l'impératrice Livie pour supplier le roi de
lui laisser épouser l'Arabe Sylléos,
Hérode jura qu'il la tiendrait pour sa plus cruelle ennemie, si elle ne renonçait
à cette passion ; enfin, il la maria malgré elle à un de ses amis, nommé
Alexas, et unit l'une des filles de Salomé
au fils d'Alexas, l'autre
à l'oncle maternel d'Antipater. Quant aux filles de Mariamme, l'une
épousa Antipater, fils de la sœur d'Hérode, l'autre
Phasaël, fils de son frère.
1.
[567] Lorsqu'Antipater eut anéanti les espérances des orphelins et réglé les
mariages à sa convenance, il crut pouvoir se reposer sur la certitude de ses
propres chances, et, joignant désormais la présomption à la méchanceté, se
rendit insupportable. Impuissant à détourner la haine qu'il inspirait à
chacun, c'est par la terreur qu'il voulut pourvoir à sa sûreté ; il
trouva un auxiliaire dans Phéroras, qui considérait déjà sa royauté comme
assurée. Il se produisit aussi à la cour une conjuration de femmes, qui
suscita de nouveaux troubles. L'épouse de Phéroras, coalisée avec sa mère,
sa sœur et la mère d'Antipater, se livra dans le palais à mille insolences et
osa même insulter deux jeunes filles du roi ;
pour ces motifs, Hérode la poursuivit âprement de sa haine ; mais, haïes
du roi, ces femmes n'en dominaient pas moins les autres. Seule, Salomé s'opposa
résolument à cette ligue et la dénonça au roi comme une association
contraire à ses intérêts. Quand les femmes apprirent cette dénonciation et
la colère d'Hérode, elles cessèrent de se réunir ouvertement et de se
montrer une affection mutuelle : au contraire, elles feignirent une inimitié
réciproque dès que le roi pouvait les entendre ; Antipater jouait la même
comédie, querellant ostensiblement Phéroras. Mais elles continuèrent à tenir
des conciliabules secrets et des festins nocturnes, et la surveillance dont
elles étaient l'objet resserrait leur accord. Cependant Salomé n'ignorait
aucun détail de cette conduite et rapportait tout à Hérode.
2. [571] Le roi
s'enflammait de colère, surtout contre la femme de Phéroras, objet principal
des accusations de Salomé. Il convoqua donc une réunion de ses amis et parents
et accusa cette créature d'une foule de méfaits, entre autres d'avoir insulté
les filles du roi, fourni des subsides aux Pharisiens contre lui,
aliéné son frère en l'ensorcelant par un breuvage. Comme conclusion, il
interpella Phéroras, l'invitant à choisir entre deux partis : son frère
ou sa femme. Phéroras répondit qu'il renoncerait plutôt à la vie qu'à sa
femme. Hérode, ne sachant que faire, se retourna vers Antipater et lui défendit
d'avoir désormais aucun commerce avec la femme de Phéroras, ni avec Phéroras
lui-même, ni avec personne de leur coterie. Antipater se conforma
ostensiblement à cet ordre, mais en secret et de nuit il continua à voir cette
société. Craignant toutefois l'espionnage de Salomé, il prépara, de concert
avec ses amis d'Italie, un voyage à Rome. Ceux-ci écrivirent au roi qu'il
fallait bientôt envoyer Antipater auprès de César : Hérode le fit
partir incontinent avec une suite brillante, lui confiant une somme d'argent
considérable et un testament où le roi déclarait Antipater son successeur et
lui donnait comme successeur à lui-même Hérode, né de Mariamme, fille du
grand-prêtre.
3. [574] Sylléos l'Arabe
partit aussi pour Rome, afin de se justifier d'avoir enfreint les ordres
d'Auguste et de recommencer contre Antipater la plaidoirie qu'il avait naguère
soutenue contre Nicolas.
Il avait aussi une grave contestation avec Arétas, son propre souverain, car il
avait mis à mort nombre d'amis de ce prince, et, entre autres, Sohémos, un des
plus puissants personnages de Pétra.
Il sut gagner à gros prix Fabatus, intendant de César,
et trouva en lui un auxiliaire, même contre Hérode. Cependant Hérode fit à
Fabatus des dons encore plus considérables, le détacha ainsi de Sylléos et,
par son ministère, tâcha de faire rentrer l'amende infligée à Sylléos par
Auguste. Mais Sylléos ne voulut rien payer : bien plus, il accusa Fabatus
devant César, disant que cet intendant prenait, non pas les intérêts de
l'empereur, mais ceux d'Hérode. Fabatus, indigné de ce procédé et d'ailleurs
toujours comblé d'honneurs par Hérode, trahit les secrets de Sylléos et révéla
au roi que celui-ci avait corrompu à prix d'argent Corinthos, un de ses gardes
du corps, et qu'il devait se méfier de cet homme ; le roi suivit ce
conseil, sachant que ce Corinthos, quoique élevé dans le royaume, était Arabe
de naissance. Il le fit arrêter aussitôt et avec lui deux autres Arabes qu'il
avait trouvés à ses côtés, l'un ami de Sylléos, l'autre chef de tribu. Mis
à la torture, ces hommes avouèrent que Corinthos les avait engagés, par de
fortes sommes, à tuer Hérode. Ils furent examinés encore par Saturninus,
gouverneur de Syrie, et envoyés à Rome.
4. [578] En attendant, Hérode
ne cessait de vouloir contraindre Phéroras à se séparer de son épouse ;
il ne trouvait pas moyen de punir cette créature, contre laquelle il avait tant
de sujets de haine, jusqu'à ce qu'enfin, dans l'excès de sa colère, il la
chassa de la cour en même temps que son propre frère. Phéroras, acceptant
patiemment cette avanie, se retira dans sa tétrarchie, jurant que le seul terme
de son exil serait la mort d'Hérode et que jamais, du vivant de celui-ci, il ne
retournerait auprès de lui. Effectivement, il ne revint jamais voir son frère,
même pendant sa maladie et malgré ses continuels messages ; car Hérode,
se sentant mourir, voulait lui laisser quelques instructions. Cependant le roi
guérit contre tout espoir, et, peu après, Phéroras tombait malade. Hérode,
moins entêté que son frère, vint le trouver et lui prodigua des soins
affectueux. Mais il ne put triompher du mal, et Phéroras mourut au bout de
quelques jours. Malgré l'affection qu'Hérode eut pour lui jusqu'à la fin, le
bruit se répandit qu'il l'avait, lui aussi, empoisonné. Il fit transporter le
corps à Jérusalem, ordonna un grand deuil à tout le peuple et l'honora des
funérailles les plus pompeuses.
1.
[582] Telle fut la fin d'un des meurtriers d'Alexandre et d'Aristobule. Bientôt
l'auteur principal de ce crime, Antipater, tomba à son tour, par une conséquence
lointaine de la mort de Phéroras. Quelques-uns des affranchis de Phéroras allèrent,
les yeux bas, trouver le roi et lui dirent que son frère était mort empoisonné ;
sa femme lui avait offert un mets peu ordinaire, et, aussitôt après l'avoir
mangé, il était tombé malade. Or, deux jours auparavant, la mère et la sœur
de sa femme avaient amené une femme d'Arabie, experte en poisons, pour préparer
un philtre d'amour à Phéroras, au lieu de quoi elle lui avait donné un
breuvage de mort, à l'instigation de Sylléos,
qui la connaissait.
2. [584] Aussitôt,
assailli de nombreux soupçons, le roi fit mettre à la torture les servantes et
quelques femmes libres. Une de ces dernières s'écria au milieu des douleurs :
« Puisse le Dieu qui gouverne la terre et le ciel frapper l'auteur de ces
maux que nous souffrons, la mère d'Antipater ! » Hérode,
s'attachant à cet indice, poussa plus loin la recherche de la vérité. La
femme dévoila alors l'amitié de la mère d'Antipater pour Phéroras et les
dames de sa famille, leurs rencontres clandestines : elle dit que Phéroras
et Antipater passaient des nuits à boire avec elles, après avoir quitté le
roi, sans laisser aucun serviteur ni servante assister à ces réunions.
3. [586] Telles furent
les révélations d'une des femmes libres. D'autre part Hérode fit torturer séparément
toutes ces esclaves. Tous leurs témoignages se trouvèrent concorder avec le précédent ;
elles ajoutèrent que c'était par suite d'un accord qu'Antipater et Phéroras
s'étaient retirés l'un à Rome, l'autre dans la Pérée, car l'un et l'autre
se disaient souvent qu'Hérode, après avoir frappé Alexandre et Aristobule,
s'attaquerait à eux et à leurs femme ; qu'ayant immolé Mariamme et ses
enfants, il n'épargnerait personne, et qu'il valait donc mieux fuir le plus
loin possible de cette bête féroce. Antipater, disaient-elles encore, se
plaignait souvent à sa mère d'avoir déjà des cheveux gris, tandis que son père
rajeunissait tous les jours ; il précéderait peut-être Hérode dans la
tombe avant d'avoir vraiment régné. Si même Hérode se décidait à mourir -
et quand cela serait-il ? - il ne jouirait que très peu de temps de son héritage.
Car ne voyait-on pas croître les têtes de l'hydre, les fils d’Aristobule et
d'Alexandre ? Son père ne lui avait-il pas ravi même l'espérance qu'il
avait fondée sur ses enfants ? Ne lui avait-il pas assigné pour héritier,
non pas un de ses propres fils, mais Hérode, le fils de Mariamme (II) ? En
cela, le roi faisait d'ailleurs preuve de sénilité s'il pensait que ses
dispositions testamentaires seraient maintenues ; car lui-même prendrait
soin de ne laisser en vie aucun de ses enfants. Ce père, le plus dénaturé qui
fut jamais, haïssait encore plus son frère que ses enfants. L'autre jour
encore, il avait donné à Antipater cent talents pour ne plus s'entretenir avec
Phéroras : « Quelle offense, dit alors Phéroras, lui avons-nous
donc faite ? » Et
Antipater : « Plût au ciel qu'il nous dépouillât de tout et nous
laissât la vie toute nue ! mais il est difficile d'échapper à une bête
aussi altérée de sang, qui ne vous laisse même pas aimer ouvertement quelques
amis. Voyons-nous donc maintenant en secret : nous pourrons le faire
ouvertement le jour où nous aurons le courage et le bras d'un homme ».
4. [590] A ces révélations
les femmes torturées ajoutaient que Phéroras avait songé à fuir avec elles
à Pétra. Hérode ajouta foi à tous ces témoignages, à cause du détail des
cent talents ; car il n'en avait parlé qu'au seul Antipater. Sa colère se
déchaîna d'abord sur Doris, mère d'Antipater ; après l'avoir dépouillée
de toutes les parures qu'il lui avait données et qui valaient beaucoup de
talents, il la répudia pour la seconde fois. Quant aux femmes de Phéroras, une
fois torturées, il se réconcilia avec elles et leur prodigua ses soins. Mais
tremblant de frayeur et s'enflammant au moindre soupçon, il faisait traîner à
la question nombre d'innocents, dans sa crainte que quelque coupable ne lui échappât.
5. [592] Ensuite, il se
tourna contre Antipater de Samarie, qui était intendant de son fils Antipater.
En lui infligeant la torture, il apprit qu'Antipater avait fait venir d'Égypte,
pour tuer le roi, un poison mortel, par l'entremise d'Antiphilos, un de ses
compagnons ; que Theudion, oncle maternel d'Antipater, l'avait reçu de cet
homme et transmis à Phéroras ; qu'Antipater avait, en effet, prescrit à
Phéroras de tuer Hérode, pendant que lui-même serait a Rome, protégé contre
tout soupçon ; qu'enfin Phéroras avait remis le poison aux mains de sa
femme. Le roi envoya chercher cette femme et lui commanda d'apporter
sur-le-champ ce qu'on lui avait confié. Elle sortit comme pour le chercher,
mais se précipita du haut du toit pour échapper à la preuve de son crime et
aux outrages du roi ; cependant la Providence, ce semble, qui poursuivait
Antipater, la fit tomber non sur la tête. mais sur le dos, et la sauva.
Transportée près du roi, celui-ci lui fit reprendre ses sens, car la chute
l'avait fait évanouir puis il lui
demanda pourquoi elle s'était jetée du toit ; il déclara avec serment
que, si elle disait la vérité, il lui épargnerait tout châtiment, mais que,
si elle dissimulait, il déchirerait son corps dans les tourments et n'en
laisserait même rien pour la sépulture.
6. [595] La femme garda
un instant le silence, puis s'écria : « Après tout, pourquoi
respecterais-je encore ces secrets, maintenant que Phéroras est mort ?
pourquoi sauverais-je Antipater, l'auteur de notre perte à tous ?
Ecoute-moi, ô roi ; qu'il m'entende aussi, Dieu, témoin de la vérité de
mes paroles, juge infaillible ! Quand tu étais assis en pleurant auprès
de Phéroras mourant, il m'appela pour me dire : « Femme je me suis
trompé sur les sentiments de mon frère à mon égard ; je l'ai haï, lui
qui m'aimait tant; j'ai comploté de tuer celui qui se montre si bouleversé de
chagrin avant même ma mort. Pour moi, je reçois le prix de mon impiété ;
quant à toi, apporte-moi le poison que tu gardes pour lui et qu'Antipater nous
a laissé, détruis-le promptement sous mes yeux, pour que je n'aille pas me
nourrir aux enfers [289a] mêmes un démon vengeur ». J'apportai le poison, comme
il l'ordonnait ; sous ses yeux, j'en jetai au feu la plus grande partie ;
je n'en ai gardé pour moi qu'une petite dose contre les incertitudes de
l'avenir et la crainte que tu m'inspirais ».
7. [598] Après avoir
fait cette déclaration elle apporta la boite qui ne renfermait qu'un petit
reste de poison. Le roi fit alors mettre à la question la mère et le frère
d'Antiphilos ; ceux-ci avouèrent qu'Antiphilos avait apporté d'Égypte
cette boite et qu'il tenait le poison d'un de ses frères, médecin à
Alexandrie.
Ainsi les mânes
d’Alexandre et d'Aristobule
se promenaient à travers tout le palais, recherchant et dévoilant tous les
mystères, et traînant devant le juge ceux mêmes qui paraissaient le plus à
l'abri du soupçon. C'est ainsi qu'on découvrit aussi que Mariamme, la fille du
grand-prêtre, avait été partie au complot ; ses frères, mis à la
torture, la dénoncèrent. Le roi punit sur le fils l'audace de la mère :
Hérode, qu'il avait donné pour successeur à Antipater, fut rayé de son
testament.
1.
[601] Le dernier anneau dans la chaîne des preuves du complot d'Antipater fut apporté
par son affranchi Bathyllos. Ce personnage arriva avec un second poison, composé
de venin d'aspic et des sécrétions d'autres serpents, dont Phéroras et sa
femme devaient s'armer contre le roi, si le premier manquait son effet. Par un
surcroît de perfidie contre Hérode, Antipater avait remis à cet homme des
lettres astucieusement rédigées contre ses frères, Archélaüs et Philippe.
Ces fils du roi, qu'il faisait élever à Rome, étaient déjà des adolescents
pleins de hautes pensées. Antipater, qui voyait en eux un obstacle à ses espérances,
chercha à s'en défaire au plus vite ; il forgea donc contre eux des
lettres au nom de ses amis de Rome et détermina, contre espèces sonnantes,
d'autres personnes à écrire que ces jeunes princes déblatéraient contre leur
père, déploraient publiquement le sort d'Alexandre et d'Aristobule et
s'irritaient de leur propre rappel ; car leur père les avait mandés auprès
de lui, et c'était là ce qui inquiétait le plus Antipater.
2. [604] Avant même son
départ pour Rome, Antipater, étant encore en Judée, avait fait envoyer de
Rome, à prix d'or, des lettres de ce genre contre ses frères ; puis il était
allé trouver son père, qui n'avait encore nul soupçon contre lui, et avait
plaidé la cause de ses frères, alléguant que telle chose était fausse, telle
autre imputable à leur jeunesse. Pendant son séjour à Rome, comme il avait dû
payer très grassement ceux qui écrivaient contre ses frères, il se préoccupa
de dépister les recherches qu'on pourrait en faire. A cet effet, il acheta de
riches vêtements, des tapis variés, de la vaisselle d'argent et d'or et
beaucoup d'autres objets précieux, afin de pouvoir dissimuler, dans l'énorme
total de ces dépenses, le salaire payé pour l'autre affaire. Il consigna une dépense
totale de deux cents talents, dont le plus fort était mis au compte de son procès
avec Sylléos. Toutes ces fourberies, même les moindres, furent alors découvertes
en même temps que son grand forfait. Cependant, au moment même où toutes les
tortures criaient son complot contre son père, où les lettres en question révélaient
un nouveau projet de fratricide, aucun de ceux qui arrivaient à Rome ne lui
apprit le drame qui se jouait en Judée ; et pourtant il s'écoula sept
mois entre la preuve de son crime et son retour. Tant était forte la haine que
tous lui portaient ! Peut-être y en eut-il qui avaient l'intention de lui
apprendre ces nouvelles, mais les mânes de ses frères, tués par lui, leur
fermèrent la bouche. Il écrivit donc de Rome, annonçant avec joie son
prochain départ et les honneurs que César lui faisait en le congédiant.
3. [608] Le roi,
impatient de mettre la main sur le traître et craignant qu'Antipater, averti à
temps, ne prît ses sûretés, lui écrivit, pour le tromper, une lettre pleine
d'une feinte bienveillance, où il l'exhortait à hâter son retour. S'il
faisait diligence, disait Hérode, il pourrait faire oublier les griefs qu'on
avait contre sa mère, car Antipater n'ignorait pas que celle-ci eût été répudiée.
Précédemment
Antipater avait reçu à Tarente la lettre lui annonçant la mort de Phéroras,
il avait donné de très grandes marques de deuil. Plusieurs lui en faisaient un
mérite, l'attribuant à la perte d'un oncle, mais son émotion, à ce qu’il
semble, se rapportait à l'échec de son complot : il pleurait en Phéroras
non l'oncle, mais le complice. Puis la peur le prenait au souvenir de ses
machinations : le poison pouvait être découvert. Il reçut en Cilicie le
message de son père dont nous venons de parler et hâta aussitôt son voyage.
Cependant, en débarquant à Celenderis,
la pensée lui vint de la disgrâce de sa mère, et son âme eut une vision
prophétique de sa propre destinée. Les plus prévoyants de ses amis lui
conseillèrent de ne pas aller retrouver son père avant de savoir clairement
les raisons pour lesquelles Hérode avait chassé sa mère : ils appréhendaient
que les calomnies répandues contre elle n'eussent quelque autre conséquence.
Mais les imprudents, plus impatients de revoir leur patrie que de servir les intérêts
d'Antipater, l'exhortèrent à faire diligence, tout retard pouvant donner à
son père de fâcheux soupçons, à ses calomniateurs un prétexte favorable ;
« même si quelque intrigue s'est tramée maintenant contre lui, c'est en
raison de son absence ; lui présent, on n'aurait pas osé. Et puis il est
insensé de sacrifier des biens certains à de vagues soupçons, de ne pas
courir se jeter dans les bras d'un père pour recueillir un royaume dont il
supporte seul malaisément le poids ». Persuadé par ces discours ou plutôt
poussé par sa destinée, Antipater continua sa route et débarqua au port
d'Auguste, à Césarée.
4. [614] Là, contre son
attente, il trouva une profonde solitude ; tous se détournaient, nul n'osait
l'aborder, c'est qu'en effet, il était également haï de tous, et que la haine
trouvait maintenant la liberté de se
montrer. De plus, la crainte du roi intimidait grand nombre de gens, toutes les
villes étaient remplies de rumeurs annonçant une disgrâce qu'Antipater était
seul a ignorer : nul n'avait obtenu compagnie plus brillante que la sienne à
son départ pour Rome, nul ne rencontra jamais accueil plus glacial que celui
qui reçut son retour. Cependant Antipater, devinant les tragédies qui s'étaient
déroulées au palais, dissimulait encore par une habileté scélérate. Mourant
de crainte au fond du cœur, il sut se faire un front d'airain. D'ailleurs, il
n'y avait plus moyen de fuir, d'échapper aux dangers qui l'entouraient. Même
alors, il ne reçut aucune nouvelle certaine de ce qui se passait au palais,
tant les menaces du roi jetaient l'épouvante ; et il gardait encore un rayon
d'espoir : peut-être n'avait-on rien découvert; peut-être, si l'on avait découvert
quelque chose, saurait-il à, force d'impudence et de l'uses, ses seuls moyens
de salut, dissiper l'orage.
5. [617] Ainsi armé, il
se rendit au palais, sans ses amis, car on les avait injuriés et écartés dès
la première porte. A l'intérieur se trouvait Varus, gouverneur de Syrie,
Antipater entra chez son père et, payant d'audace, s'approcha de lui pour
l'embrasser. Mais le roi, tendant les bras pour l'écarter et détournant la tête
: « Voilà bien, s'écria-t-il, la marque d'un parricide, de vouloir
m'embrasser, quand il est sous le coup de pareilles accusations. Sois maudite, tête
sacrilège ; n'ose pas me toucher avant de t'être disculpé. Je t'accorde un
tribunal et, pour juge, Varus, qui vient ici fort à propos. Va, et prépare ta
défense jusqu'à demain ; je laisse ce délai à tes artifices ». Le
prince, stupéfait, se retira sans pouvoir rien répondre, puis sa mère et sa
femme
vinrent le trouver et lui rapportèrent en détail toutes les preuves rassemblées
contre lui. Alors il se recueillit et prépara sa défense.
1.
[620] Le lendemain, Hérode réunit le Conseil de ses parents et amis ; il y
convoqua également les amis d'Antipater. Lui-même présidait avec Varus ;
il fit introduire tous les dénonciateurs, parmi lesquels se trouvaient quelques
serviteurs de la mère d'Antipater, récemment arrêtés, porteurs d'une lettre
de Doris à son fils, rédigée en ces termes : « Puisque ton père a
tout découvert, ne te présente pas devant lui, si tu n'as obtenu quelques
troupes de l'empereur ». Quand ceux-ci et les autres eurent été
introduits, Antipater entra et tomba prosterné aux pieds de son père :
« Mon père, dit-il, je te supplie de ne pas me condamner d'avance, mais
d'accorder à ma défense une oreille sans prévention, car je saurai démontrer
mon innocence, si tu le permets ».
2. [622] Hérode lui
hurla de se taire et dit à Varus : « Je suis persuadé, Varus, que
toi, et tout juge intègre, vous condamnerez Antipater comme un scélérat. Mais
je crains que ma destinée ne vous semble aussi digne de haine et que vous ne me
jugiez digne de tous les malheurs pour avoir engendré de tels fils.
Plaignez-moi plutôt d'avoir été un père tendre envers de pareils misérables.
Ceux que précédemment j'avais tout jeunes désignés pour le trône, que
j'avais fait élever a grands frais à Rome, introduits dans l'amitié de César,
rendus pour les autres rois un objet d'envie, j'ai trouvé en eux des traîtres.
Leur mort a surtout servi les intérêts d'Antipater : il était jeune, il
était mon héritier, et en les supprimant c'est surtout à sa sécurité que je
veillais. C'est alors que ce monstre impur, gorgé des bienfaits de mon
indulgence, a tourné contre moi sa satiété ; il lui a paru que je vivais
bien longtemps, ma vieillesse lui pesait, il n'a pu supporter l'idée de devenir
roi autrement qu'à la faveur d'un parricide. C'est ainsi qu'il me récompensait
de l'avoir rappelé de la campagne où il était relégué, d'avoir écarté les
fils nés d'une reine, pour l'appeler à ma succession ! Je confesse,
Varus, ma propre démence. Ces fils, je les ai excités contre moi en
retranchant, dans l'intérêt d'Antipater, leurs justes espérances. Quand leur
ai-je jamais fait autant de bien qu'à celui-ci ? De mon vivant, je lui ai
presque cédé le pouvoir ; je l'ai, dans mon testament rendu public, désigné
pour héritier de mon sceptre, je lui ai assigné un revenu particulier de
cinquante talents,
sans compter d'infinies largesses sur mes propres biens ; tout récemment,
quand il est parti pour Rome, je lui ai donné trois cents talents et l'ai même
recommandé à César, seul de tous mes enfants, comme le sauveur de son père.
Et quel crime les autres ont-ils commis comparable à celui d'Antipater ?
Quelle preuve fut portée contre eux aussi décisive que celle qui établit sa
trahison ? Pourtant le parricide ose parler, il espère, une fois de plus,
étouffer la vérité sous ses mensonges ! Varus, c'est à toi de le
garder, car moi, je connais le monstre, je devine ses discours spécieux, ses gémissements
simulés c'est lui qui me conseilla jadis, du vivant d'Alexandre, de prendre mes
sûretés contre lui et de ne pas confier ma vie à tout te monde ; c'est
lui qui m'accompagnait jusqu’à ma couche, regardant partout s'il n'y avait
pas un assassin caché ; c'est lui qui m'octroyait mon sommeil, assurait ma
tranquillité, me consolait du chagrin que m'inspiraient mes victimes, sondait
les sentiments de ses frères survivants ; le voilà mon bouclier, mon
garde du corps ! Quand je me rappelle, Varus, dans chaque circonstance, sa
fourberie et son hypocrisie, je doute de ma propre existence et m'étonne
d'avoir pu échapper à un traître aussi profond. Mais puisqu'un mauvais génie
s’acharne à vider mon palais et dresse l'un après l'autre contre moi les êtres
qui me sont le plus chers, je pleurerai sur mon injuste destinée, je gémirai
en moi-même sur ma solitude, mais je ne laisserai échapper au châtiment aucun
de ceux qui ont soif de mon sang, quand bien même tous mes enfants devraient y
passer. »
3. [629] A ces mots, l'émotion
lui coupa la voix : il ordonna à Nicolas, un de ses amis, d'exposer les
charges. Alors Antipater, qui jusque-là était resté prosterné aux pieds de
son père, releva la tête et s'écria : « C'est toi-même, mon père,
qui viens de présenter ma défense. Comment serais-je parricide, moi qui, de
ton aveu, t'ai toujours servi de gardien ? Tu appelles artifice et feinte
ma piété filiale. Comment donc moi, si rusé en toute occasion, aurais-je été
assez insensé pour ne pas comprendre qu'il était difficile de dissimuler aux
hommes mêmes la préparation d'un pareil forfait et impossible de le cacher au
Juge céleste, qui voit tout, qui est présent partout ? Est-ce que, par
hasard, j'ignorais la fin de mes frères, que Dieu a si durement punis de leur
perfidie envers toi ? Et puis, quel motif aurait pu m'exciter contre toi ?
L'espérance de régner ? mais j'étais roi ! Le soupçon de ta haine ?
mais n'étais-je pas chéri ? Avais-je quelque autre raison de craindre ?
mais, en veillant à ta sûreté, j'étais un objet de crainte pour autrui. Le
besoin d'argent ? mais qui donc avait ses dépenses plus largement pourvues ?
En admettant que je fusse né le plus scélérat de tous les hommes et que
j'eusse l'âme d'une bête féroce, n'aurais-je pas été, mon père apprivoisé
par tes bienfaits ? car, comme tu l'as dit toi-même, tu m'as rappelé de
l'exil, tu m'as préféré à un si grand nombre de fils ; de ton vivant tu
m'as proclamé roi, en me comblant de tous les biens tu m'as rendu un objet
d'envie ! O le funeste voyage, cause de mon malheur ! c'est lui qui a
laissé le champ libre à la haine et une longue avance aux complots. Mais ce
voyage, je l'ai entrepris dans ton intérêt, mon père, pour soutenir ton procès
et empêcher Sylléos de mépriser ta vieillesse. Rome m'est témoin de ma piété
filiale, et aussi César, le patron de l'univers, qui m'appelait souvent
« Philopator ». Prends, mon père, cette lettre de lui. Elle mérite
plus de créance que les calomnies qu'on répand ici : qu'elle soit ma
seule défense ; voilà la preuve de mon amour pour toi. Souviens-toi que
je ne suis pas parti pour Rome de plein gré ; je savais quelle hostilité
cachée me guettait dans ce royaume. Et toi, mon père, tu m'as perdu, malgré
toi, en m'obligeant à laisser ainsi le champ libre à la haine et à la
calomnie. Me voici enfin présent pour réfuter mes accusateurs : me voici,
moi, le prétendu parricide, qui ai traversé les terres et les mers sans éprouver
aucun dommage. Pourtant, cet indice même d'innocence ne m’a pas servi :
Dieu m'a condamné, et toi aussi, mon père. Mais, quoique condamné, je te prie
de ne pas t’en rapporter aux aveux arrachés par la torture à d'autres.
Apportez contre moi le feu ! Fouillez mes entrailles avec le fer !
N'avez aucune pitié de ce corps impur ! Car si je suis parricide, je ne
dois pas mourir sans avoir été torturé ». Ces exclamations, mêlées de
gémissements et de larmes, excitaient la pitié de tous et notamment de Varus :
seul Hérode restait les yeux secs, dominé par sa colère, et surtout parce
qu'il savait que les preuves étaient authentiques.
4. [637] Là-dessus
Nicolas, comme l'avait ordonné le roi, prit la parole. Il parla d’abord
longuement de la fourberie d'Antipater et dissipa les impressions de pitié que
celui-ci avait fait naître ; puis il développa un âpre réquisitoire,
attribuant à Antipater tous les méfaits commis dans le royaume, en particulier
le supplice de ses frères, dont il montra la cause dans les calomnies
d’Antipater. Il ajouta que celui-ci ourdissait la perte de ceux qui restaient,
les soupçonnant de guetter la succession : et pourquoi celui qui avait préparé
le poison pour son père aurait-il épargné ses frères ? Arrivant ensuite
aux preuves de l'empoisonnement, il exposa successivement tous les témoignages :
il s'indigna qu'Antipater eût fait d'un homme tel que Phéroras un fratricide ;
il montra l'accusé corrompant les plus chers amis du roi, remplissant tout le
palais de scélératesse. Après avoir ajouté nombre d'autres griefs et
arguments, il mit fin à sa harangue.
5. [639] Varus ordonna à
Antipater de présenter sa défense. Le prince se borna à dire que Dieu était
témoin de son innocence et resta étendu, sans parler. Alors le gouverneur
demanda le poison et en fit boire à un prisonnier, condamné à mort, qui
rendit l'âme sur le champ. Après quoi, Varus s'entretint secrètement avec Hérode,
rédigea son rapport à Auguste, et partit au bout d'un jour. Le roi fit mettre
aux fers Antipater et envoya des messagers à César pour l'informer de cette
catastrophe.
6. [641] On découvrit
ensuite qu'Antipater avait comploté aussi contre Salomé. Un des serviteurs
d'Antiphilos vint de Rome, apportant des lettres d'une suivante de Livie, nommée
Acmé. Elle mandait au roi qu’elle avait trouvé des lettres de Salomé dans
la correspondance de Livie et les lui envoyait secrètement pour l'obliger. Ces
lettres de Salomé, qui contenaient les injures les plus cruelles envers le roi
et un long réquisitoire, Antipater les avait forgées, et il avait persuadé
Acmé, en la soudoyant, de les envoyer à Hérode. Il fut convaincu de ce faux
par une lettre que lui écrivait cette femme en ces termes : « Selon
ton désir, j'ai écrit à ton père et je lui ai adressé les lettres en
question, certaine qu'après les avoir lues, il n'épargnera pas sa sœur. Tu
feras bien, quand tout sera achevé, de te rappeler tes promesses ».
7. [644] Après avoir
saisi cette lettre et celles qui avaient été composées contre Salomé, le roi
conçut le soupçon qu’on avait peut-être aussi forgé les lettres qui
avaient perdu Alexandre.
Il fut pris d'un véritable désespoir à la pensée qu'il avait failli tuer
aussi sa sœur à cause d'Antipater ; il ne voulut donc plus attendre pour
le châtier de tous ces crimes. Mais au moment où il se préparait à sévir
contre Antipater, il fut atteint d'une grave maladie : il écrivit
cependant à César au sujet d'Acmé et des intrigues tramées contre Salomé ;
puis il demanda son testament et le modifia. Il désigna pour roi Antipas,
laissant de côté ses aînés, Archélaüs et Philippe, qu'Antipater avait également
calomniés il légua à Auguste,
outre des objets de prix [298a], mille talents ; à l'impératrice, aux enfants,
amis et affranchis de l'empereur, environ cinq cents talents ; il
partageait entre ses autres enfants [298b] une assez grande quantité de terres et
d'argent et honorait sa sœur Salomé des présents les plus magnifiques.
1.
[647] Telles furent les corrections qu'Hérode fit à son testament. Cependant sa
maladie allait s'aggravant, comme il était fatal d'une indisposition survenue
chez un vieillard démoralisé. Car il avait déjà presque soixante-dix ans,
et ses malheurs domestiques l'avaient tellement abattu que, même en bonne
santé, il ne jouissait plus d'aucun des plaisirs de la vie. Sa maladie
s'exaspérait à la pensée qu'Antipater était encore vivant, car il avait décidé
de le mettre à mort, non pas à la dérobée, mais lui présent et rétabli.
2. [648] A toutes ces
misères vint s'ajouter un soulèvement du peuple. Il y avait dans la capitale
deux docteurs qui passaient pour fort experts dans les lois des ancêtres et
qui, pour cette raison, jouissaient dans toute la nation d'une très grande
renommée : ils s'appelaient Judas, fils de Sepphorée, et Matthias, fils
de Margalos. Ses docteurs expliquaient les lois devant un nombreux auditoire
de jeunes gens et, tous les jours, ils réunissaient ainsi une véritable armée
d'hommes à la fleur de l'âge. Quand ils surent que le roi se consumait de
chagrin et de maladie, ils firent entendre confidentiellement à leurs amis
que le moment était venu de venger Dieu et de détruire les ouvrages élevés
au mépris des lois nationales. Il était, en effet, interdit de placer dans
le Temple des images, des bustes ou des représentations quelconques d'êtres
vivants. Or, le roi avait fait ériger au-dessus de la grande porte du Temple
un aigle d'or : les docteurs exhortaient leurs amis à le détruire,
proclamant que, si même l'acte offrait quelque danger, il était beau de
mourir pour la loi nationale ; car l'âme de ceux qui avaient une telle
fin était immortelle
et gardait éternellement le sentiment de sa félicité, tandis que les âmes
sans noblesse qui n’avaient pas suivi leur enseignement s'attachaient par
ignorance à la vie et préféraient à une fin héroïque la mort par la
maladie.
3. [651] Pendant qu'ils
discouraient ainsi, le bruit se répandit que le roi était à la mort ;
les jeunes gens se mirent à l’œuvre d'autant plus hardiment. Au milieu du
jour, à l’heure où, dans le Temple, circulait beaucoup de monde, ils se
firent descendre du toit au moyen de grosses cordes et brisèrent à coups de
hache l’aigle d'or. Le préfet du roi, aussitôt informé, accourut avec un
fort détachement, arrêta environ quarante jeunes gens et les conduisit
devant le roi. Hérode leur demanda d'abord s'ils avaient osé abattre l'aigle
d'or. Ils le reconnurent. - Qui vous l'a ordonné ? - La loi de nos pères.
- Et pourquoi tant de joie au moment où vous allez être mis a mort ? -
C'est qu'après notre mort, nous jouirons d'une félicité plus parfaite.
4. [654] Là-dessus, le
roi entra dans une si violente colère qu'il en oublia sa maladie. Il se fit
porter dans l'assemblée
et y prononça un long réquisitoire contre ces hommes : c'étaient des
sacrilèges qui, sous prétexte de servir la loi, poursuivaient, en réalité,
un dessein plus profond ; il fallait donc les punir comme des impies. Le
peuple, craignant que les poursuites ne s'étendissent démesurément, pria le
roi de se borner à punir les machinateurs de l'entreprise ainsi que ceux qui
avaient été arrêtés en flagrant délit, et de détourner sa colère des
autres. Le roi se laissa fléchir à grand'peine ; les jeunes gens qui s'étaient
fait descendre du toit et les docteurs furent brûlés vifs ; les autres
prisonniers furent livrés aux bourreaux.
5. [656] A partir de ce
moment, la maladie, ravageant tout son corps, l'affligea de souffrances
multiples. Sans avoir beaucoup de fièvre, il éprouvait une insupportable démangeaison
de toute la peau, de continuelles tranchées, un œdème des pieds pareil à
celui des hydropiques ; en outre la tuméfaction du bas-ventre et une
gangrène des parties sexuelles qui engendrait des vers, enfin l'asthme, la
suffocation, des crampes de tous les membres. Il se trouva des prophètes pour
dire que ces douleurs étaient le châtiment du supplice des docteurs.
Pourtant le roi, luttant contre tant de souffrances, s'accrochait à la vie,
espérait la guérison et imaginait remède sur remède. C'est ainsi qu'il
passa de l'autre côté du Jourdain pour prendre les bains chauds de Callirhoé :
ces sources descendent vers le lac Asphaltite, et leur douceur les rend
potables. Là les médecins furent d'avis de réchauffer tout son corps dans
l'huile chaude : comme il se détendait dans une baignoire pleine
d'huile, il défaillit, et ses yeux se retournèrent comme ceux d'un mort. Le
tumulte et les cris de ses serviteurs le firent revenir à lui, mais, désespérant
désormais de sa guérison, il ordonna de distribuer cinquante drachmes par tête
aux soldats et des sommes considérables aux officiers et à ses amis.
6. [659] Il prit le
chemin du retour et parvint à Jéricho. Là, vomissant déjà de la bile
noire. il lança une sorte de défi à la mort même, en procédant à une exécution
sacrilège. Il fit rassembler dans l'hippodrome des citoyens notables de tous
les bourgs de la Judée et ordonna de les y mettre sous clef. Puis, appelant
auprès de lui sa sœur Salomé et Alexas, mari de la princesse :
« Je sais, dit-il, que les Juifs célèbreront ma mort par des réjouissances,
mais j'ai un moyen de les faire pleurer et d'obtenir des funérailles
magnifiques si vous voulez suivre mes instructions. Ces hommes que j'ai fait
emprisonner, dès que j'aurai rendu le dernier soupir, faites-les aussitôt
cerner et massacrer par des soldats ; ainsi toute la Judée, toutes les
familles, qu'elles le veuillent ou non, pleureront sur moi ».
7. [661] Au moment où
il donnait ces ordres, il reçut des lettres de ses ambassadeurs à Rome, qui
lui apprenaient qu'Acmé avait été exécutée sur l'ordre de César et
Antipater condamné à mort ; toutefois si son père voulait se borner à
le bannir, César lui en donnait l'autorisation. Cette nouvelle lui rendit un
moment de sérénité, mais ensuite, torturé par le manque de nourriture et
une toux convulsive, vaincu par la douleur, il entreprit de devancer l'heure
fatale. Il prit une pomme et demanda un couteau, car il avait coutume de
couper lui-même ses aliments ; puis, après avoir guetté le moment où
personne ne pourrait l'empêcher, il leva la main droite pour se frapper.
Cependant Achab, son cousin, accourut assez vite pour retenir son bras et arrêter
le coup. Aussitôt de grands gémissements s'élevèrent dans le palais, comme
si le roi était mort. Lorsqu'Antipater les entendit, il reprit courage, et,
plein de joie, supplia ses gardes, en leur promettant de l'argent, d'enlever
ses chaînes et de le mettre en liberté. Leur officier, non seulement s'y
opposa, mais courut raconter au roi cette tentative. Celui-ci poussa un cri
qu'on n'eût pas attendu d'un malade et envoya aussitôt ses gardes tuer
Antipater. Il fit ensevelir le cadavre à Hyrcanion. Après cela, il modifia
encore son testament : il désigna pour héritier Archélaüs, son fils aîné,
né du même lit qu'Antipas,
et nomma ce dernier tétrarque.
8. [665] Après l'exécution
de son fils, Hérode vécut encore cinq jours. Il expira après un règne de
trente-quatre ans à compter du jour, où, Antigone mort, il devint le maître,
trente-sept depuis le jour où les Romains l'avaient nommé roi.
Si l'on considère sa vie dans son ensemble, sa prospérité fut sans égale,
car, simple particulier, il parvint à la couronne, la garda longtemps et la
transmit à ses propres enfants ; en revanche, nul ne fut plus malheureux
avec sa famille. Avant que l'armée eût appris la mort du roi, Salomé alla
avec son mari délivrer les prisonniers qu'Hérode avait ordonné d'exécuter ;
elle prétendit que le roi avait changé d'avis et prescrit de renvoyer tous
ces hommes dans leurs foyers.
Après leur départ, les deux époux annoncèrent la mort aux soldats et les réunirent
en assemblée avec le reste du peuple dans l'amphithéâtre de Jéricho. Là,
Ptolémée, à qui Hérode avait confié le sceau royal, s'avança, bénit la
mémoire du roi et adressa des exhortations à la multitude ; il lut
aussi une lettre laissée par Hérode à l'adresse des soldats, où il les
engageait en termes pressants à aimer son successeur. Après cette lettre,
Ptolémée brisa les cachets des codicilles et en donna lecture :
Philippe y obtenait la Trachonitide et les districts
limitrophes ; Antipas, comme nous l'avons dit, était nommé tétrarque,
Archélaüs roi. Hérode chargeait encore celui-ci de remettre à Auguste son
anneau et les comptes de l'administration du royaume, dûment scellés ;
car il désignait César comme arbitre de toutes ses dispositions et garant de
son testament ; tout le reste devait être réglé suivant son testament
précédent.
9. [670] Aussitôt s'élevèrent
des acclamations en l'honneur d'Archélaüs
les soldats, rangés par bataillons, vinrent, avec le peuple, lui
promettre leur dévouement et invoquer sur lui la protection de Dieu. Ensuite
on s'occupa des funérailles du roi. Archélaüs n'épargna rien pour qu'elles
fussent magnifiques. Il étala tous les ornements royaux qui devaient
accompagner le mort dans sa tombe. Sur un lit d'or massif, constellé de
pierreries, était jeté un tapis de pourpre brodé de couleurs variées :
le corps reposait sur cette couche, enveloppé d'une robe de pourpre, la tête
ceinte du diadème, surmontée d'une couronne d'or, le sceptre
dans la main droite. Autour du lit marchaient les fils d'Hérode et la
foule de ses parents, et après ceux-ci les gardes, les mercenaires thraces,
germains et gaulois, tous dans leur équipement de guerre. Tout le reste de
l'armée formait escorte ;
elle s'avançait en armes, accompagnant en bon ordre les généraux et les
commandants ; venaient, enfin, cinq cents serviteurs et affranchis,
portant des aromates. Le corps fut ainsi transporté sur un parcours de 200
stades
jusqu'à, Hérodion, où il fut enseveli comme le roi l'avait prescrit. Ainsi
finit le règne d'Hérode.
livre II
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