CHAPITRE II

 

LES MANUELS

 

Des essais, qui ne sont point sans valeur, ont été tentés, à plusieurs reprises, pour corriger au moins en quelque mesure le texte de la Vulgate. En 1230, c'est l'Université de Paris qui entreprend, avec l'approbation de l'archevêquede Sens, de composer un Correclorium; en 1256, les frères prêcheurs, à leur tour, adoptent le Correctoire du cardinal Hugues de Saint-Cher, tandis que Roger Bacon, au nom des cordeliers, formule des principes très-élevés et très-fermes sur la correction du texte de la Bible 1. En tout ceci, il ne s'agit que de la Vulgate. Nous ne parlons pas des originaux de la Bible : on sait à quel point les hommes les plus savants du moyen âge étaient ignorants du grec et de l'hébreu.

 

1. Voyez ROSENMULLER, p. 236; — KAULEN, Geschichte der Vulgata.

Mayence, 1868, p. 244;— VERCELLONE, Diss. acad., 1864.

 

Le mot d'hebraica veritas, fréquent dans les commentaires de cette époque, a fait attribuer parfois à certains auteurs, la connaissance de la langue hébraïque; nous savons au contraire 1 que ce mot ne désignait, ordinairement, pas autre chose que la traduction de saint Jérôme. Nicolas de Lire, presque seul, pouvait écrire un livre « sur la différence de la Vulgate et du texte hébreu », et malgré le décret de Gratien, qui déclarait, après saint Jérôme 2, « que l'hébreu et le grec font seuls autorité », presque tous les commentateurs de la Bible auraient dû dire, comme un archevêque de Ferrare qui eut une grande réputation de grammairien, Hugution 3 : « C'est du grec, non sumus benecerti, quia graeca sunt. »

 

Le programme d'un cours d'Écriture sainte, tel qu'on le suivait, sans doute, dans certains monastères au treizième siècle, pourra nous introduire dans les écoles des couvents et des chapitres, et nous montrer dans quel esprit et avec quelle suite la Bible était étudiée. Dom Martène l'a publié dans le volume I de son Thesaurus novus 4,et M. Trochon en a récemment rafraîchi le souvenir.

 

Un religieux, peut-être le lecteur d'un couvent ou l'écolâtre d'un chapitre, indique aux jeunes frères l'ordre et la méthode qu'ils devront suivre dans l'étude de la Bible. La lecture des deux Testaments, dit le maître, est tripartite, c'est-à-dire qu'elle doit se faire suivant l'histoire, suivant l'allégorie, et suivant la morale.

 

1- TROCHON, ouvrage cité, p. 22.

2- Pars I, Dist. IX, c. 6: ut veterum. Conf. Hier., ad Lucinium Baeticum, Ep. 71 (vallarsi).

3- Tractatus de accentu dubio, Bibl. nat., Mss. lat. 7624 et 8175.

4- Pages 486-490, Epistola anonymi ad Hugonem amicum suum. De modo et ordine legendae SacraePaginae.

 

La sainte Écriture doit être parcourue d'abord trois ou quatre fois selon l'histoire, et dans cette lecture on doit s'attacher à remarquer les passages qui ne peuvent pas être compris suivant la lettre, afin que, par l'étude de l'histoire, l'étudiant soit amené, quoi qu'il en ait, licet invitus, à l'intelligence de l'allégorie. Les auteurs indiqués pour faciliter l'intelligence des mots inconnus, sont : le livre des Étymologies d'Isidore, l'Explication des noms hébreux de saint Jérôme, « le livre des Dérivations, qui se trouve dans les grandes bibliothèques, et le livre qu'on appelle Partionnaire ou Glossaire, et qui explique d'autant plus de mots inconnus, qu'il est plus ancien. » L'auteur veut que l'on fasse des sommes ou résumés de ce qu'on aura lu, et qu'on les apprenne par cœur. Le commençant devra lire d'abord le Pentateuque et les livres historiques, en étudiant en même temps Josèphe et l'auteur qu'on appelle Égésippe. Il s'éclairera, dans cette étude, de la lecture du livre de saint Augustin sur les Questions du Vieux Testament. Une fois pénétré du contenu des livres historiques, l'étudiant en Écriture sainte passera aux Prophètes. Puis il lira Esther, Esdras, les Macchabées, Judith et Tobie. Viendront ensuite la Sapience, les Proverbes, l'Ecclésiastique, et enfin le Psautier, Job et le Cantique des Cantiques, pour lesquels l'intelligence littérale ne sert de rien.

 

Il sera temps alors de commencer la lecture du Nouveau Testament. Pour l'étude des Évangiles, il faudra consulter la Description de la Palestine, de saint Jérôme, et la Concordance des Évangiles. A la lecture des Épîtres et de l'Apocalypse, il faudra joindre l'étude des sacrements de l'Église d'après Hugues de Saint-Victor, la connaissance des vertus cardinales et des vices qui leur sont contraires, l'intelligence des cérémonies de l'Église. Enfin il sera permis d'aborder sans crainte, intrepide, l'étude du sens moral et allégorique, qui procurera à l'esprit ravi des jouissances toujours nouvelles. Sicque demum feliciet delectabili proventu, animus exultanter exhilaratus novisinstructionibus morum meditandis vacubit.

 

Telles étaient, au treizième siècle, les règles suivant lesquelles on expliquait et on étudiait la Bible dans les écoles religieuses de notre pays.

 

On peut dire que dans les derniers siècles du moyen âge, les Pères de l'Église, dont les lumineux commentaires sur la Bible remplissaient cependant les bibliothèques, n'étaient plus guère lus. Certains extraits de leurs ouvrages, conservés clans la célèbre Glose ordinaire de l'abbé de Reichenau, Walahfrid le Louche, formaient toute la bibliothèque des lecteurs qui expliquaient la Bible aux jeunes religieux, comme des prédicateurs, qui allaient chercher dans de semblables recueils la fleur des applications mystiques. Les grands théologiens du moyen âge eux-mêmes sont si rarement cités dans les traités d'exégèse les plus en faveur, qu'on est en droit de croire que, même dans leurs ordres, on les lisait fort peu. Un auteur qui n'est pas sans mérite, le « docteur des docteurs», comme l'appelaient ses élèves, Ansel ou Anselme de Laon, avait tenté, au commencement du douzième siècle, de ramener l'exégèse au sens littéral. Ses Gloses interlinéaires, qui ne sont guère qu'un extrait de la Glose marginale ou ordinaire, nous paraissent encore sèches et inutiles, et nous serions tentés de le traiter, avec Abélard, de « figuier stérile », et de dire avec son illustre élève : « Le feu qu'il allumait donnait plus de fumée que de lumière. » L'écolâtre de Laon a pourtant mérité d'être, avec l'auteur de la Glose et avec Nicolas de Lire, le commentateur le plus lu et le plus goûté du moyen âge.

 

Quant au célèbre franciscain, on sait le succès immense de ses Postilles. Le proverbe disait :

 

Si Lyra non lyrasset,

Totus mundusde lirasset.

 

Les luthériens l'ont plus tard célébré (ils ne l'avaient sans doute pas lu) comme un précurseur de la Réforme :

 

Si Lyra non lyrasset,

Lutherus non saltasset.

 

Cet enthousiasme paraît bien exagéré à celui qui a quelquefois cherché, dans les commentaires du moine normand, un peu de lumière, une intelligence droite du sens vrai de la Bible. Mais l'opposition même des scolastiques qui s'attaquent avec passion à Nicolas de Lire, et qui défendent avec acharnement contre lui l'allégorie et le quadruple sens du texte biblique,montre qu'il s'agissait en cette querelle d'une véritable réforme dans l'exégèse de la Bible, du retour à la lettre, c'est-à-dire au sens naturel des mots. A vrai dire, cette réforme n'était encore qu'un désir, et Lira n'a guère exercé d'influence réelle sur ses contemporains.

 

La Postille de Nicolas de Lire se trouve presque toujours accompagnée, dans les manuscrits et dans les plus anciens textes imprimés, d'un livre bien peu connu, mais bien intéressant, et qui a plus servi que l'on ne pense à l'étude de la Bible à la fin du moyen âge, particulièrement dans l'ordre des frères mineurs : ce sont les Commentaires sur les prologues de la Bible, par Guillaume le Breton.

 

Singulière figure que celle de ce moine franciscain, de ce petit homme furibunduset impatiens, qui se permettait d'élever la voix à table devant le général de son ordre, et auquel le frère Salimbene, qui l'avait rencontré en 1247 à Vienne et à Lyon, appliquait le proverbe de son temps :

 

Vix humilisparvus, vix longus cum ratione,

Vix reperiturhomo rufus sine proditione.

 

Guillaume le Breton, qui était fort mauvais versificateur, a mis ses vers partout. Mais son Commentaire sur les prologues de saint Jérôme, ce premier essai d'une introduction à la Bible, nous montre un homme fort supérieur, par la science et par l'élévation de l'esprit, au plus grand nombre de ses contemporains. Nicolas de Lire estimait beaucoup son livre, qu'il trouvait valde suffciens. Il serait temps que l'on sût combien lui doivent tous les compilateurs qui ont écrit après lui.

 

La principale source de toute l'érudition des moines et des curés du quatorzième et du quinzième siècle est à chercher dans les dictionnaires de la Bible, dont tant d'exemplaires se trouvent dans nos bibliothèques, et dont la monotone lecture devient moins aride et moins ingrate lorsqu'on s'habitue à y voir les encyclopédies des couvents du moyen âge. A parcourir la série, d'un intérêt toujours décroissant, de ces livres dont chacun compile le précédent et lui est inférieur en exactitude, on peut se faire une juste idée de la décadence des études, du huitième siècle jusqu'à la Renaissance, décadence dont se rend fort bien compte l'auteur du plan d'études que nous avons reproduit plus haut, lorsqu'il dit : « Un glossaire est d'autant plus complet qu'il est plus ancien. »

 

Une obscurité profonde environne aujourd'hui ces produits, autrefois si populaires, de l'érudition monastique. Pour décharger ces quelques pages d'un appareil scientifique trop considérable, nous avons cru devoir rejeter, dans un court traité, que nous imprimons en même temps que cette étude, les discussions de manuscrits et de dates relatives à cette littérature si peu connue 1.C'est dans cette dissertation que nous engageons ceux que cette étude pourrait attirer, à chercher les preuves de ce que nous avançons et l'indication exacte des manuscrits que nous citons.

 

Il existe à la Bibliothèque nationale de Paris, au fonds Saint-Germain, un superbe manuscrit du huitième ou du neuvième siècle, écrit d'une belle écriture lombarde. L'ouvrage que contiennent ces deux volumes n'est pas autre chose que ce trésor de science universelle, le Vieux Glossaire, que le moyen âge attribuait à un célèbre évêque de Constance, Salomon III, qui fut en même temps abbé de Saint-Gall et de Reichenau, ou à son précepteur, maître Ison, qui mourut en 871, et dont les curieuses Chroniques de Saint-Gall racontent l'intéressante histoire. En réalité, notre glossaire, qui est, après le livre des Étymologies d'Isidore de Séville, la principale source de l'érudition monastique, paraît avoir pour auteur un évêque goth qui se nommait Ansileube.

 

1. De glossariis ac compendiis exegeticis quibusdam medii aevi, Paris, 1879, in-8°.

 

Ce vieux glossaire connaît tous les Pères et tous les auteurs anciens, il cite les Gloses, les « livres des arts », ceux des amédecins » et des aphysiciens. » On ne peut concevoir une encyclopédie plus complète, et dont la science soit d'un meilleur aloi, que cet immense recueil du huitième siècle, dont les nombreux résumés ont fourni la matière de tous les dictionnaires du moyen âge et de plusieurs des commentaires de la Bible les plus répandus.

 

En l'an 1053, le Lombard Papias refondait le vieux glossaire, et son ouvrage, fort volumineux, n'est plus guère, malgré certains éléments nouveaux et curieux, qu'un travail de seconde main. Il est bien plus imparfait encore, tel que l'ont publié, depuis 1476, tous les éditeurs. Dans les plus anciens manuscrits, du moins, la marge du livre porte, à chaque citation, les noms des auteurs, et celui qui est le plus fréquemment cité, c'est l'Actor, « l'auteur » par excellence, le rédacteur du Vetus Glossarium. Le livre de Papias commence par une préface, dans laquelle un père s'adresse, dans un langage simple et naturel, à ses fils, dont il paraît éloigné : « Mes fils, leur dit-il, vous deux que je chéris, j'aurais dû s'il m'eût été possible, j'aurais pu si la grâce du Christ avait favorisé mon désir, vous instruire de bouche dans les sciences que je connais. Mais puisque, par l'effet de quelque péché, ou par la grâce d'un Dieu qui a mieux pourvu à notre bien, nous sommes séparés pour le présent, j'ai voulu, mes enfants, mériter d'être appelé votre père, et si je n'ai pu vous instruire de vive voix, j'ai résolu du moins de réunir, par les signes qui représentent la parole, quelques éléments pour votre instruction.... » Le Rudiment de Doctrine (tel est le nom que Papias a donné à son dictionnaire) fait encore honneur à la science de son auteur, comme le Livre des Dérivations, que recommandait aux jeunes moines le plan d'études dont nous avons parlé, fait honneur à l'esprit inventif d'Hugution : c'est ainsi que l'on écrivait le nom du Pisan Uguccione, l'évêque de Ferrare, de ce savant canoniste qui a été le précepteur d'Innocent III et le premier commentateur du Décret. On ne trouvera rien de neuf dans les Derivationes majores, sinon les singuliers essais d'étymologie qui en forment la partie la plus curieuse. C'est Hugution qui fait venir asinus de sedeo, parce qu'on a « s'asseoit » sur les ânes, ou d'a, privatif, et de senos (!), sens, parce que l'âne est dépourvu de sens ; c'est lui qui a découvert la fameuse dérivation : Per contrarium dicitur locus alucendo... Son singulier ouvrage a pourtant servi pendant trois cents ans de manuel et de guide pour l'étude de la Bible. Mais la création des ordres mendiants amène la division dans l'exégèse, et bientôt chaque ordre a ses manuels comme ses docteurs. Le guide biblique usité parmi les frères mineurs est pauvre, court et maigre. Il semble difficile de ne pas reconnaître dans ce livre le Partionnaire dont tout à l'heure nous rencontrions le nom, aussi bien que les Parts, que Rabelais mentionne après Hugution, Hébrard Grécisme, et le Doctrinal 1; et en effet il commence par ce vers :

 

Difficiles studeo partes quas Biblia gestat Pandere...

 

La Summa Britonis, le vocabulaire de la Bible, de ce Guillaume le Breton qui nous est déjà connu par son Introduction à la Bible, servira pendant longtemps à l'enseignement dans les écoles des frères mineurs ; son auteur compile Hugution comme Hugution a fait de Papias. Mais les dominicains sont un ordre plus riche.

 

1. Gargantua, I. I, ch. 14.

 

L'un des leurs, Jean Balbi, dit Jean de Gênes, de Janua, compose en 1286 son fameux Catholicon, qu'il a lui-même appelé Prosodia, cette compilation indigeste, qui fut si estimée parmi les frères prêcheurs, que l'on mit l'image de Jean Balbi parmi celles des saints, et qu'au quinzième siècle encore, dans le couvent de Saint-Amand comme dans les cathédrales de Saint-Omer et d'Arras, le Catholicon était enchaîné dans le chœur pour servir à l'instruction journalière des moines et des clercs.

 

Le quinzième siècle vit sortir des presses toute une littérature de dictionnaires de la Bible. Certains de ces manuels, comme le Vocabulaire ecclésiastique de Jean Bernard le Fort, de Savone, augustin, ouvrage fort misérable qui n'est guère qu'un extrait du Marmotret, étendirent leur triste popularité jusqu'à la fin du seizième siècle ; le vocabulaire que nous venons de nommer s'imprimait encore en 1625. Le grand usage qui se fit de ces livres, comme des Papias et des Catholicon, jusqu'aux frontières mêmes des temps modernes, montre combien l'humanisme naissant était encore incertain de ses allures. On ne croirait pas, si la chose n'était attestée par Mélanchthon lui-même, que l'un des plus insuffisants parmi ces ouvrages de la dernière époque, et l'un de ceux dont les hommes de la Renaissance se moquèrent le plus, le Vocabularius Breviloquus, imprimé à Bâle en 1482, est une oeuvre de jeunesse de l'illustre adversaire des « hommes obscurs », de Jean Reuchlin.

 

Un livre composé pour l'usage des écoles, des couvents et plus encore pour l'utilité des curés de campagne, résume toute la littérature biblique du temps : c'est le Marmotret (Mammotrectus), ce livre si peu connu parce qu'il est aussi difficile à lire qu'à comprendre et que sa lecture ne présente aucun attrait. L'auteur en est un frère mineur de Reggio près Modène, qui s'appelait Marchisino; il écrivait peu après 1279 et en tous cas avant 1312. Sa préface révèle une modestie dont la sincérité est de nature à lui faire obtenir quelque indulgence auprès de la postérité : « Impatient de ma propre ignorance et compatissant à l'inexpérience des pauvres clercs qui ont charge de prêcher, j'ai résolu de parcourir rapidement la Bible, et, si la vie m'est conservée, d'examiner avec attention les livres qui sont en usage dans l'Église. Je veux indiquer au pauvre lecteur le sens des mots difficiles, leur accent et leur genre. Je recueillerai, selon la mesure de mon intelligence, ce que je pourrai dans les travaux des autres; ainsi l'étymologie établira le sens, et la prosodie charmera les oreilles par des sons agréables et justes. Je répandrai le produit de mes peines, comme l'huile de la Madeleine, sur les pieds, de mon Maître, et puisque mon livre doit tenir la place d'un précepteur qui dirige les pas des enfants, il pourra être appelé le nourrisson, Mammotrectus poterit appellari. » Marchisino a emprunté le nom de son livre au commentaire de saint Augustin sur le psaume trentième, ou plutôt à Papias qui cite la phrase de saint Augustin en la tronquant. Mammothreptus est un mot grec qui désigne les enfants nourris trop longtemps à la mamelle. L'humble cordelier a si bien caché son nom, que pendant longtemps les auteurs ne l'ont connu que sous celui de frater mammotreptus; un auteur du seizième siècle, Sixte de Sienne, le juge fort bien en disant : « Comme la pauvre veuve qui donnait, de sa disette, deux pites au trésor du temple, ce frère a apporté au temple du Seigneur, dans la pauvreté de son esprit, tout ce qu'il avait. » La Bible et le bréviaire, expliqués mot par mot dans le Mammotrectus, fournissent au lecteur peu fortuné toute une bibliothèque en un volume. L'explication des célèbres prologues de saint Jérôme, presque textuellement empruntée au Breton, des notions élémentaires sur les traductions anciennes de la Bible et sur quelques détails de l'Ancien Testament, des traités d'accentuation et d'orthographe, et quelques notions sur les quatre sens de l'Écriture, encore copiées de Guillaume le Breton, complètent la petite encyclopédie du prêtre de village et du moine franciscain. Ce livre s'est imprimé en trente-quatre éditions; il est le premier produit daté des presses suisses; Scheffer l'a publié très-peu fidèlement à Mayence; il s'imprimait encore à la fin du seizième siècle, et nous venons de dire que nous avons vu un dictionnaire italien de 1625 qui n'est guère qu'un résumé alphabétique du Mammotrectus.

 

Le Mammotrectus a attiré toutes les colères des littérateurs de la Renaissance. En 1508, le poète lauréat Henri Bebel, de Justingen, qui l'avait lu tumultuaria et brevi lectione, éprouvait le besoin d'en faire une critique de vingt pages in-4° 1;Érasme, dans un de ses colloques intitulé Synodus grammaticorum, le persifle amèrement; il n'y trouve « que de pures délices » ; Rabelais 2 le met entre les mains de maistre Jobelin Bridé, à côté du Dormi secure et du De moribus in mensa servandis, et quant : Luther 3, il s'indigne contre les Eselsstaelle und Teufelsschulen, où l'on enseigne, pour le grand dommage de la langue latine, « ces détestables livres de moines, » die tollen, unnützen, schâdlichen münichebücher, Catholicon, Graecista, Florista, undder gleichen Eselsmist... Mais, pour faire voir de quel crédit des ouvrages comme celui dont nous venons (le parler jouissaient encore au commencement du seizième siècle, il suffira de remarquer (Schmidt, Hist. litt. de l'Alsace, t. I, p. 396) que c'est au Mammotrectus que l'illustre prédicateur strasbourgeois, Jean Geiler, empruntait les digressions étymologiques dont il ne lui déplaisait pas d'émailler ses discours.

 

Il est temps de montrer de quel usage de pareils manuels pouvaient être pour l'étude de la Bible.

 

1- A la suite de ses Commentaria deabusione linguae latinae apud Germanos Pfortzheim, 1508,

2- Gargantua, I, XIV.

3- Lettre aux conseillers, 1524, Erl. 22, p.175-198.